La vallée de Masevaux offre à l'amateur d'orgue de bien belles découvertes, tout au long de la route de Guewenheim à Sewen (avec un tour sur la route Joffre pour Bourbach-le-Haut). A peu près à mi-chemin, juste sous le Baerenkopf, se trouve Kirchberg. Comme presque toutes les autres églises de la vallée, celle-ci est ouverte (en saison). L'ambiance créée par les nombreuses poutres apparentes et les vitraux colorés est très particulière.
Historique
L'orgue de Kirchberg, caractéristique de la production de Valentin Rinkenbach, a été construit en 1845. [IHOA] [ITOA] [Barth]
Le devis/traité est daté du 04/02/1845. L'orgue de 20 jeux fut monté en juillet, et reçu le 21/08/1845, par Louis Andrès (Masevaux) et Alexandre Stutz (Sentheim). [Barth] [PMSRHW] [KirchbergAvant86]
Un article figurant dans une plaquette présente l'orgue avant 1986, avec plusieurs photos, dont la première page du devis. L'auteur est inconnu, mais a eu accès à l'instrument et aux archives. [JGUhlrich] [KirchbergAvant86]
L'article décrit l'important effort financier qui fut nécessaire pour permettre la réalisation d'un orgue aussi important dans une localité d'un peu plus de 700 habitants à l'époque. "Pour créer les fonds nécessaires et vu l'impuissance des deux communes, toute la paroisse consentit à une quête mensuelle, à faire par le curé chaque dimanche après la paie de l'usine de Niederbruck." En plus de Louis Andrès et Alexandre Stutz, le procès verbal de réception fut également signé par M. Gasser fils (Sewen), et les instituteurs Hauss d'Oberbruck et Specht de Kirchberg. A l'époque, il était d'usage de distinguer un ou plusieurs jeux, digne de louanges exceptionnelles. Ici, ce fut le Salicional : "Un éloge spécial fut fait au facteur d'orgues pour le registre Salicional". C'était bien la composante romantique de ces instruments qui était appréciée ! [KirchbergAvant86]
Voici la composition d'origine, restituée à partir du devis et le l'état actuel :
Il faut le rapprocher des autres succès de la maison d'Ammerschwihr datant des mêmes années : Wittersdorf, Sewen, Wittisheim. Tous ces instruments partagent le même style de buffet, mais se distinguent à chaque fois par quelques originalités de composition ou d'architecture. C'est ici la version à positif de dos qui a été réalisée.
Il y avait donc un 2' au positif. Il était situé sur la première chape, et il n'y avait donc pas de Hautbois ou de Cromorne, comme on a pu le croire. La retranscription du devis fait figurer "Violoncelle ou Trombonne" à la pédale, alors qu'il y a déjà une Gambe. C'est à l'évidence une erreur, car le "ou" s'appliquait à "Violoncelle ou Gambe". C'est évidemment une Trompette ("Trombonne") qui a été réalisée (l'actuelle est d'origine). Il n'y a jamais eu, comme on l'a cru, de Clairon de pédale. La composition actuelle est donc fort proche de l'originale (les seules différences notables étant le Nasard remplacé par une Gambe, et l'étendue de pédale).
En 1899, il y eut une légère transformation : le Flageolet du positif a été remplacé par une Voix céleste, et le Nasard du grand-orgue par une Gambe. [KirchbergAvant86]
Il est également fort probable que la console a été en partie refaite à ce moment. En effet, sur les photos antérieures à 1986, on voit des claviers blancs, et des tirants de jeux de section carrée, mais avec des pommeaux à porcelaines. Il y avait une "sécurité" empêchant le déplacement intempestif du second clavier. (L'accouplement à tiroir.) [KirchbergAvant86]
Il faut noter que l'article des années 80 comprend un commentaire curieux mais révélateur : "une voix céleste de 8 pieds, très proche de la sonorité du salicional". Une fois de plus, on constate qu'à l'époque, de nombreux intervenants n'avaient pas l'air de savoir ce qu'est une Voix céleste, et encore moins comment on s'en sert ! Il s'agit d'une Gambe, accordée avec un écart de fréquence destiné à créer des ondulations (battements) quand ce jeu est joué avec le Salicional. Quand on l'ignore, évidemment, on prend ce jeu pour une Gambe (ou un Salicional) un peu désaccordé... [KirchbergAvant86]
En 1928, il y eut une réparation, tout comme en 1935. [IHOA] [KirchbergAvant86]
En novembre 1944, l'église subit des dégâts lors du dynamitage du pont sur la Doller, et l'orgue eut à souffrir d'infiltrations d'eau. [KirchbergAvant86]
En 1952, on demanda à Georges Schwenkedel de faire les réparations, et de reculer le grand buffet (pour ménager plus de place à la tribune). Les travaux ont été achevés en 1954. [ITOA] [KirchbergAvant86]
Il n'y eut, probablement, aucun changement de jeu. [KirchbergAvant86]
En 1986, la maison Alfred Kern procéda à une transformation : la Voix céleste du positif (1899) a été remplacée par un 2', la pédale étendue de 18 à 27 notes, et la console remplacée. [SBraillon] [IHOA]
Le buffet
Directement inspiré du "style Innenheim" où Valentin Rinckenbach l'exprima pour la première fois, le buffet se caractérise par une succession de tourelles rondes et de places-faces figurant des arcs plein cintre rehaussés d'une frise sculptée. Nous avons ici une version "4 tourelles", avec positif de dos, fort voisine de celle de Sewen. Il existe une version sans positif de dos (Hagenthal-le-Bas), et une à "Kronwerk" (positif "supérieur" : Wittersdorf). Dans l'espace au-dessus des plates-faces, il n'y a pas ici les fameux oculus ronds (comme à Kientzheim ou Westhalten).
La façade est d'origine.
Caractéristiques instrumentales
En fenêtre, frontale, de Kern, 1986. Aucun effort n'a été fait dans le sens de l'authenticité. (A l'origine, les claviers devaient être noirs, et les tirants à pommeaux tournés noirs à point central blanc.)
Tirants de jeux de section carrée à pommeaux tournés, disposés en deux colonnes, une de chaque côté des claviers. Les pommeaux des jeux du positif de dos sont plus clairs, et ceux des jeux de pédale sont placés en bas. Etiquettes de 1986. Claviers blancs.
Il n'y a pas de tirasse.
Mécanique suspendue pour le grand-orgue, à équerres pour le positif de dos (modifiée en 1952).
L'écart entre les deux buffets est conséquent, mais la mécanique du positif, fort bien réalisée, n'en fait pas un inconvénient.
à gravures (1845). Le sommier du positif est chromatique à ravalement (C-H). Le grand-orgue est diatonique, en "M", avec basses aux extrémités.
La tuyauterie est de belle facture, très étoffée.
L'instrument est particulièrement intéressant. Il témoigne de cette époque (la fin de la première moitié du 18ème) où l'orgue a conquis l'Alsace, avec ce style pré-romantique qui a fait sa popularité. A Kirchberg, le complément de pédale permet de jouer un des ces instruments dans de bonnes conditions (ce qui n'est pas le cas pour bon nombre de ses contemporains dramatiquement bridés par un pédalier de 18 notes). Il est, de plus, beaucoup plus authentique que ce que l'on croyait jusqu'ici, puisqu'il y avait un 2' au positif à l'origine, et que le Violoncelle de pédale est d'époque (il n'y a jamais eu de Clairon).
Lors de la visite (mai 2018), l'instrument était certes empoussiéré et le tirage des jeux (de la console 1986) était difficile pour certains registres (un relevage est d'ailleurs prévu), mais cet orgue fait surtout preuve de ses belles qualités intrinsèques. A sa construction, Kirchberg comptait un peu plus de 700 habitants : un orgue de deux claviers et pédale était donc plus qu'une "petite folie" ; c'était un rêve normalement inaccessible. Mais, au cœur du 19ème, Joseph Stiehr, Martin Wetzel et, ici, Valentin Rinkenbach étaient partis à la conquête des campagnes. Ils ont rendu l'orgue accessible, grâce à leurs idées pragmatiques et (surtout) aux travail acharné de leurs collaborateurs. Ils n'ont fait aucune concession à la qualité : ce sont des orgues "de campagne" certes, mais les meilleurs possibles. Cet élan, porté par un considérable effort initial, est toujours bien vivant aujourd'hui.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Florian Edel et Jean-Georges Uhlrich.
Recherches historiques ; plaquette d'avant 1986 [KirchbergAvant86]
Photos du 05/05/2018.
Photos du 05/05/2018.
Rédigée vers 1983/84. 3 pages, avec un historique, des photos, et la composition au devis.
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