Manspach s'est longtemps appelé "Saint-Léger-Manspach", en souvenir de la fusion de "St-Liggert" avec Manspach. On y trouve un orgue construit par Georges Schwenkedel en 1931, qui est resté absolument authentique. Une fois de plus, on ne peut être qu'émerveillé par l'inventivité dont fit preuve son constructeur, et par le niveau atteint par la facture d'orgues en Alsace à cette époque. Souvent méconnus, car "oubliés" par l'organologie de la fin du 20ème siècle obnubilée par ses préjugés, ces instruments très attachants sont souvent à l'origine de bien belles surprises.
Historique
Il y avait déjà un orgue à Saint-Léger-Manspach avant 1874. L'enquête-inventaire de 1892 confirme le fait, alors que celle de 1840 avait rapporté qu'il n'y avait pas d'orgue. On ne sait pratiquement rien de cet instrument, sinon qu'il a nécessité des réparations en 1875 et 1892, mais qu'il était quand même en mauvais état en 1911. En 1928, il fut déclaré injouable. [IHOA] [Barth]
Historique
C'est le 19/07/1931 que fut reçu l'opus 34 de Georges Schwenkedel. [IHOA]
Sur un des râteliers de pédale se trouve une étiquette typographiée :
A la tribune, on découvre une originalité peu commune : le récit expressif est logé dans le soubassement. Dans les années 30, le style post-romantique alsacien avait évolué dans le contexte "néo-classique" alors naissant, mais en restant toujours spécifique.
Grand-orgue
Une des nouveautés concerne le rôle respectif des claviers. Les "racines" romantiques allemandes du style conçoivent le grand-orgue et son récit comme des alter-ego, le second étant simplement moins fort : on trouve aux deux claviers des jeux de même type. Ici, c'est très différent : le grand-orgue est surtout là pour porter les Principaux (Montre, Prestant, Doublette), et sert de clavier "maître" pour jouer le récit à l'unisson ou aux octaves. Car ces accouplements à l'octave sont vraiment l'"ADN" de ces instruments. D'ailleurs, ici, les octaves aiguës (II/I 4') sont réelles : elles fonctionnent même dans la dernière octave, car le récit a été muni de 68 notes au sommier (C-g''''). En plus des Principaux, le grand-orgue dispose des deux Bourdons (en 8' et 16' ; celui en 16' est toujours indispensable à l'époque), et d'une Spillfloete 8'. Ce jeu conique peut avoir à la fois un rôle soliste et ou servir à colorer les fonds du grand-orgue (dépourvus de vraie Gambe). On la retrouve à Bisel (1930, où elle a été altérée par resoudage des entailles) ou Burnhaupt-le-Haut (1932). Il n'y a pas d'anche au grand-orgue.
Récit
Le récit est très fourni, très Gambé, et il porte à la fois la Trompette et la Mixture, ce qui permet à ces deux jeux d'être expressifs. La base romantique reste prépondérante : Aeoline et Voix céleste, Flûte et Trompette harmonique. L'instrument est bien issu du post-romantisme alsacien : il y a une Montre-Viole au récit (Geigenprincipal), une Aeoline comme Gambe douce, et l'incontournable Violoncelle de pédale.
Pas de Cornet
Une caractéristique très alsacienne brille par son absence dans les orgues Schwenkedel d'avant 1931 : le Cornet à 5 rangs. C'est un choix esthétique, peut-être pour se démarquer de la production de Joseph Rinckenbach, qui en dotait ses instruments depuis 1919 (Ingersheim). Chez Schwenkedel le Cornet viendra juste après Manspach (Orbey, Burnhaupt-le-Haut, Durlinsdorf), comme composante "néo-classique", généralement complété dans les graves.
Pour servir une partie sonore très élaborée, ces instruments disposent d'une console très ergonomique, dotée de nombreux accessoires facilitant la vie de l'interprète : combinaisons fixes et libre, crescendo.
L'orgue a été relevé en 1997 par la maison Alfred et Daniel Kern. L'entretien est aujourd'hui assuré par la maison Jaccart. [IHOA] [Visite]
Le buffet
Le buffet, en chêne, est de style néo-renaissance, et particulièrement élaboré. Deux grandes tourelles prismatiques encadrent un grand élément central de deux étages : celui du bas est constitué d'une plate-face triple, et celui du haut d'un grand fronton où s'inscrit une plate-face en plein cintre, puis une galerie sommitale.
La base "Palissy" attribue ce buffet - avec un point d'interrogation - à Rudmann et Guthmann, de Logelbach. [Palissy]
L'ornementation est très riche : il y a des frises florales qui soulignent l'arc central et ses montants, et des claires-voies en trilobes. Des jouées ajourées portent des motifs floraux, et les panneaux à la base des tourelles sont également ornés de motifs végétaux. Le couronnement est constitué d'une grande galerie ajourée à pinacles, ainsi que de crochets. Au sommet du fronton se trouve un fleuron.
Devant l'arc central se trouvent deux statues d'anges musiciens, se faisant face. Au-dessus, un trilobe sommital est orné d'une tête nimbée de volutes.
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' | c'' | gis''' |
2' | 2'2/3 | 4' | 8' | 8' |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' | 4' |
1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 | - |
2/3' | 1' | 1'1/3 | 2' | - |
Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines centrales, disposés en ligne au-dessus du second clavier, et groupés par plan sonore. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et vert pour la pédale. Les tirasses et accouplements, commandés par dominos (regroupés à droite) ont des porcelaines bicolores pour respecter le code de couleur.
Clavier blancs, joues moulurées.
Commande des combinaisons par pistons blancs, situés à gauche sous le premier clavier. La combinaison libre se programme par des picots basculants blancs, situés au-dessus de chaque domino ; les accouplements et tirasses sont programmables. De gauche à droite : "Jeu à main" (ajout des dominos sélectionnés aux combinaisons), "Comb. libre", "Crescendo", "P.", "MF.", "FF." et "Annulateur". Les trois pistons de gauche sont "à accrocher". Commande du crescendo par pédale basculante, dont la position est indiquée par un cadran linéaire, placé en haut et au centre de la console (fait révélateur de l'importance donnée à cet accessoire), constitué d'un index mobile rouge se déplaçant sous une réglette graduée : "1, 3, 5, 7, 12". Le point mobile semble être un picot de combinaison libre, mais d'une autre couleur. Schwenkedel était coutumier du fait : quand les picots de combinaison sont rouge, l'indicateur est blanc, et vice-versa. (Voir Reiningue, Spechbach-le-Bas, Durlinsdorf...)
Les commandes "à pied" sont groupées du côté droit. Il y a, de gauche à droite, la pédale d'expression du récit ("Boîte expressive II.", porcelaine rose), puis la pédale basculante (du même type) du crescendo ("Crescendo générale."). Tout à droite se trouve et la pédale-cuiller à accrocher du trémolo du récit (porcelaine ronde rose "Tremolo II").
Banc d'origine, caractéristique de Georges Schwenkedel (plateau clair, pieds foncés).
Comme souvent chez Georges Schwenkedel, la plaque d'adresse est composée de plusieurs porcelaines rectangulaires blanches à lettres noires. La plaque "principale" est à gauche, au niveau des dominos, et dit :
En dessous, plus à droite et au-dessus du second clavier, le numéro d'opus :
A droite, la date de construction :
Pneumatique tubulaire (notes et jeux), d'une grande qualité et grande précision.
Les sommiers sont à membranes. Le récit est logé dans le soubassement, et de grand-orgue au-dessus. Ce dernier est diatonique, les deux sommiers étant placés orthogonalement à la façade, avec les aigus en avant. Une partie des tuyaux de pédale (C-fis de la Soubasse et du Bourdon 8' sont placés à l'arrière de l'instrument, en mitre. Le Violoncelle de pédale est en partie en façade.
Ces orgues de Georges Schwenkedel sont vraiment des instruments attachants. Celui-ci bénéficie d'une subtile alchimie entre l'ambiance du lieu, son exceptionnel de son buffet et la beauté de ses timbres.
L'orgue de Manspach est un témoin incontournable d'un épisode certes court (1924-1939) mais fondamental dans l'évolution de la facture d'orgues. Jusqu'ici totalement négligée par l'organologie alsacienne, obnubilée par son âge "baroque", cette époque extrêmement riche propose bon nombre d'évolutions originales. Chacun de ces instruments est un livre ouvert, présentant des idées et des solutions inventives. Ils sont aussi de réelles sources d'inspiration musicale pour un répertoire futur. C'est probablement là, dans ces pistes à peine explorées, que se trouve l'avenir de l'orgue au 21ème siècle.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Lucien Wira.
Photos du 22/06/2019.
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