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Les orgues de la région de Lapoutroie
Orbey, Basses-Huttes, Ste-Catherine
Orgue entièrement authentique.
Les Basses-Huttes, l'opus 36 de Georges Schwenkedel
dans son buffet Rudmann et Guthmann.
Les photos sont de Martin Foisset, 12/06/2021.Les Basses-Huttes, l'opus 36 de Georges Schwenkedel
dans son buffet Rudmann et Guthmann.
Les photos sont de Martin Foisset, 12/06/2021.

En remontant la vallée de la Weiss, sur la route de Pairis et du lac Blanc, on traverse Orbey, qui rassemble de nombreuses petites localités, hameaux et écarts. On pourrait se croire au bout du monde, mais quand on pousse la porte d'une église, comme celle des Basses-Huttes, on découvre... un orgue de Cathédrale : on est bien en pays Welche, et, en tout cas en matière d'orgues, toujours en Alsace !

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L'orgue de facteur inconnu (avant 1892)
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Historique

On ne sait pas grand-chose du premier orgue des Basses-Huttes : il avait été placé avant 1892, car il a été inventorié lors de l'enquête menée cette année-là. Comme l'édifice a été achevé en 1867, il a dû être construit entre 1870 et 1892. Il y eut d'importants travaux à l'édifice en 1925, ce qui explique le remplacement de cet instrument, qui devait être de taille limitée. [IHOA]

Les orgues de la vallée

Dans la vallée, en matière d'orgues, la tradition était déjà fort ancienne : le premier a été installé à l'ancienne abbaye de Pairis en 1755, et fut suivi dès l'année suivante par celui de l'église St-Urbain d'Orbey. En 1788, l'église St-Urbain d'Orbey reçut son deuxième instrument. (Le premier n'a pas duré : tous les orgues du 18ème n'étaient pas des chefs d'œuvre, loin s'en faut.)

La Révolution vit la confiscation de l'orgue de Pairis en 1792 - il se trouve aujourd'hui à Turckheim. Mais Lapoutroie en acquit un la même année : celui des Franciscains de Rouffach. Donc, on a bel et bien installé un orgue dans la vallée en 1792 !

Dès 1827, il y eut trois orgues dans la vallée, puisque Fréland se fit construire un petit instrument par Joseph Chaxel. (On peut encore en voir le buffet à Bischwiller, St-Augustin.)

En 1840, l'enquête-inventaire diocésaine rapporta le bilan suivant : "9. Kanton Lapoutroie (Schnierlach): oui: Lapoutroie (bien délabré), La Baroche (de peu de valeur), Freland (de 1827), Orbey (en assez mauvais état). Non: Le Bonhomme." [Barth]

A partir de 1842, le compte passa à quatre, car Valentin Rinkenbach d'Ammerschwihr construisit un orgue pour Le Bonhomme. Et, en 1851, ce fut au tour de Lapoutroie, de renouveler l'orgue acquis à la révolution. En 1858, le grand incendie du Bonhomme causa la perte de son orgue ; il fut remplacé en 1863.

En 1869, l'église St-Urbain d'Orbey procéda déjà au renouvellement de son deuxième orgue, suivie par celle de Fréland qui reçut son deuxième instrument (l'actuel) en 1877.

Il y avait donc déjà quatre orgues en fonction dans la vallée quand l'instrument des Basses-Huttes fut placé. La relative proximité d'un facteur d'orgues (Martin Rinckenbach) à Ammerschwihr a probablement facilité l'acquisition d'un instrument, décrit comme "eine ganz neue Orgel" par l'enquête inventaire de 1892, mais qui était tout de même probablement d'occasion, "neu" signifiant sûrement "nouveau sur place".

L'inventaire historique relève en effet que cet instrument était trop petit pour l'église (i.e. celle de 1867), donc a priori pas conçu pour cet édifice. Notons qu'on a connu des orgues "d'occasion" neufs (construits pour un client qui a changé d'avis, par exemple). Ce devait être un petit instrument très intéressant, car la composition "présumée" a été notée : [IHOA]

Comme la traction était pneumatique, il est probable que les accouplements aient été au complet. Les claviers devaient avoir 54 ou 56 notes, et la pédale 25 ou 27. On ignore la provenance de cet orgue. (Et pas grand monde n'a dû chercher, vu que la plupart des Caciques, Experts et Historiens du Monde de l'Orgue se sont toujours moqués comme d'une guigne de tout ce qui est pneumatique et plus généralement de tout ce qui s'est passé en Alsace entre 1870 et 1945.)

D'où venait-il ?

Ce n'était probablement pas un Rinckenbach, car la maison d'Ammerschwihr n'a adopté la traction pneumatique qu'en 1899. Mais il est quand même probable que ce soit la maison Rinckenbach qui soit à l'origine de la transaction. Par exemple, Martin Rinckenbach a posé plusieurs orgues à l'école normale de Colmar en 1888, 1892 (justement), et 1894, et a très bien pu récupérer un petit orgue là-bas.

Les 7 jeux étant répartis sur deux manuels et pédale, on pense à un orgue destiné à l'enseignement ou à l'étude : soit un instrument privé, soit un des nombreux qui ont été construits pour les écoles normales. Un petit orgue "de paroisse" à l'époque, ressemblait plutôt à celui d'Uhrwiller (I/P 7j).

Une transmission pneumatique, en 1892, ce n'était pas si courant que ça (surtout pour un orgue d'occasion). On sait que Franz Xaver Kriess fournit des orgues pneumatiques dès 1890 (en faisant usage de composants Weigle). Mais pas un seul ne semble manquer à l'appel. La maison Dalstein-Haerpfer de Boulay ne s'y mit qu'en 1893. Pour Edmond-Alexandre Roethinger, c'est 1896. Bien sûr, le petit instrument a pu venir d'Allemagne : la maison Ibach a fourni beaucoup de petits orgues destinés aux écoles normales.

Pour élucider le mystère, la voie la plus prometteuse (en l'absence de preuves) consiste à s'intéresser à la production de Heinrich Koulen. Celui-ci a commencé à utiliser des tractions pneumatiques (avec des sommiers à cônes) dès 1885. Et on sait que Koulen a équipé des conservatoires et écoles de musique, puisqu'il posa à Strasbourg (conservatoire de l'Aubette) en 1890 le fameux orgue électro-pneumatique sur lequel il a travaillé 3 ans (d'après Emile Rupp). Cet instrument a d'ailleurs disparu vers 1898. [Rupp]

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Historique

En 1931, Georges Schwenkedel posa aux Basses-Huttes son opus 36, logé dans un buffet de la maison Rudmann et Guthmann. [IHOA]

Dans l'œuvre de Schwenkedel, cet orgue se situe juste entre Mutzig (qui fut son plus grand instrument) et Grentzingen (qui est classé, et qui a récemment été relevé). Son style était déjà parfaitement affirmé, et ses ateliers devaient travailler sur certains de ses orgues les plus marquants : Burnhaupt-le-Haut, Spechbach-le-Bas, Reiningue (tous posés en 1932). Comme tous les orgues restés authentiques, il a un historique plutôt court :

En 1949, il fallut réparer quelques dégâts qui avait été causés par la guerre. [IHOA]

Il eut un relevage, par Antoine Bois (d'Orbey) en 1991. [IHOA]

Le buffet

Le buffet, de style néo-classique, est en chêne, avec de nombreux ornements dorés. Il est caractérisé par des tourelles larges avec beaucoup de tuyaux (jusqu'à 17). Il y a trois tourelles à entablements d'inspiration classique, séparant deux plates-faces doubles et retombantes, avec un petit méplat supérieur.

Les montants sont ornés de frises à feuilles, avec un motif floral circulaire au milieu. Les couronnements sont très élaborés : la tourelle centrale reçoit un couple d'angelots (on les retrouvera l'année suivante à Durlinsdorf), celle de gauche un médaillon représentant le roi David avec sa harpe, et celle de droite un médaillon analogue représentant Sainte Cécile jouant un positif. Chaque plate-face reçoit un trophée constitué d'un pot et de guirlandes. Les claires-voies des tourelles et des plates-faces figurent des rideaux à franges et pompons.

Le roi David et Sainte Cécile.Le roi David et Sainte Cécile.

Les larges jouées sont constituées d'instruments de musique entrelacés : deux pavillons de trompettes, une viole de gambe, un serpent, et une timbale. Le tout est entouré de feuilles de chêne.

Une tourelle latérale avec sa jouée.Une tourelle latérale avec sa jouée.

Georges Schwenkedel venait de travailler avec Rudmann et Guthmann à Bisel et Seppois-le-Bas (1930). La collaboration continua à Durlinsdorf (1932).

Les buffets Rudmann et Guthmann de ce style se trouvent majoritairement dans le Sundgau. Ils abritent soit des orgues Joseph Rinckenbach (Wolschwiller) soit des orgues Schwenkedel. C'est peut-être à Wolschwiller qu'il faut aller chercher l'explication de la parenté esthétique de ce style : là-bas, le buffet provient en partie de Jean Franz (Sondersdorf). L'inspiration semble donc bien venir de cette famille de facteurs d'origine suisse.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2021
Grand-Orgue, 56 n. (C-g''')
(C-g''')
Poinçon 'B' ; C-h' en bois ; puis bouches retroussées ; oreilles
Poinçon 'M' ; C-Dis + cis''-g''' sur le vent ; C-Dis en zinc, à oreilles ; cis''-g''' sans oreilles
G' et 'R' ; C-h en bois ; oreilles ; c''-g''' à cheminées rentrantes ; g''' manquant
Poinçon 'D' ; C-f en zinc ; C-H à frein rouleau ; fis-f' à frein Gavioli et oreilles ; oreilles sauf gis''-g''' ; C-f à entailles de timbre, puis encoches d'accord
Poinçon 'P' ; C-cis' en façade ; d'-g''' sur le vent, sans oreilles ; c'''-g''' au ton
Poinçon 'C' ; rang 8' à cheminées rentrantes
C c g c'
2' 2'2/3 4' 8'
1'3/5 2' 2'2/3 4'
1'1/3 1'3/5 2' 2'2/3
- 1'1/3 1'3/5 2'
- - - 1'3/5
Réelles (récit à 68 notes)
Récit expressif, 56 n. (C-g'''')
Poinçon 'N' ; C-h en bois, à oreilles ; gis'''-g'''' ouverts, au ton, sans oreilles
Poinçon 'V' ; C-f en zinc, frein rouleau bois ; puis frein Gavioli sauf g'''-g'''' ; oreilles sauf c''''-g''''
(c-g'''')
Poinçons 'VC' (Zn) et 'V' (Sn) ; c-h en zinc, frein rouleau ; c'''-g'''' sans frein Gavioli ; fis'''-g'''' sans oreilles, gis'''-g'''' au ton
Poinçon 'G' ; conique ; C-H en zinc ; gis'-g'''' sans oreilles ; gis''-g''' au ton ; gis'''-g'''' cylindriques
Poinçon '4' ; C-H en zinc ; c'-g'''' harmoniques ; gis'''-g''' au ton et sans oreilles
(C-g''')
Poinçon '2 2/3' ; C-h bouchés, oreilles ; c''-g''' au ton
(C-g''')
Poinçon '2' ; c-g''' harmoniques ; gis''-g''' au ton et sans oreilles
Poinçon 'T' ; C-h' en zinc ; gis''-g''' harmoniques ; gis'''-g'''' à bouche avec entailles de timbre
Pédale, 30 n. (C-f')
En bois, bouchée
Pédale basculante, cadran linéraire ; pas d'appel/retrait
Rend les dominos actifs
[ITOA] [Visite] [MFoisset]
Console:
La console indépendante.La console indépendante.

Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos (axés au centre), à porcelaines centrales, disposés en ligne au-dessus du second clavier, et groupés par plan sonore. Les accouplements et tirasses sont également commandés par dominos, et constituent le groupe de droite. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale. Celles des accouplements sont bicolores pour respecter le code de couleur.

Claviers blancs, aux frontons biseautés, joues moulurées. Commande des aides à la registration par pistons blancs, situés à gauche sous le premier clavier. Viennent d'abord deux "pistons à accrocher" : celui appelant la registration manuelle ("Jeu à main"), puis l'appel de la combinaison libre ("Comb. I"). (Ces deux dernières porcelaines paraissent avoir été remplacées.) Viennent ensuite les combinaisons fixes : "P.", "MF.", "FF.", et leur annulateur (dont la porcelaine a disparu).

La combinaison libre se programme par des picots basculants blancs, situés au-dessus de chaque domino ; les accouplements et tirasses sont donc programmables. Le crescendo se commande avec une pédale basculante, et sa position est indiquée par un cadran linéaire, placé en haut et au centre de la console (fait révélateur de l'importance donnée à cet accessoire), constitué d'un index mobile rouge se déplaçant sous une porcelaine non graduée. Le point mobile semble être un picot de combinaison libre, mais rouge. Schwenkedel était coutumier du fait : souvent, quand les picots de combinaison sont rouges, l'indicateur est blanc, et vice-versa. (Voir Reiningue, Spechbach-le-Bas, Durlinsdorf, Manspach, Grentzingen...)

Il n'y a que deux commandes à pied : la pédale basculante de la boîte expressive (repérée par une porcelaine rectangulaire "BOITE EXPR. RECIT"), et celle du crescendo ("CRESCENDO"). Pas de trémolo II.

Banc d'origine, avec une assise en bois plus clair que les pieds.

Comme souvent sur les orgues de Georges Schwenkedel, la plaque d'adresse est composée de plusieurs porcelaines rectangulaires blanches à lettres noires. La plaque principale est à gauche, à hauteur des dominos :

Georges Schwenkedel
Manufacture de Grandes Orgues
STRASBOURG - KOENIGSHOFFEN

Sous les dominos du grand-orgue, il y a le numéro d'opus :

Opus 36

Et sous les dominos des accouplements, celle donnant l'année de construction :

1931
La plaque d'adresse Schwenkedel aux Basses-Huttes,
le numéro d'opus, et l'année de construction.La plaque d'adresse Schwenkedel aux Basses-Huttes,
le numéro d'opus, et l'année de construction.
Transmission:

Pneumatique tubulaire. Très précise et réactive.

Sommiers:

Les sommiers sont à membranes. La disposition est spécifique : c'est le récit qui est au centre de l'instrument. Le grand-orgue, diatonique, prend place de chaque côté, aigus à l'avant et Cornet vers l'intérieur. Il y a un passage entre le récit et les deux sommiers du grand-orgue. La pédale, diatonique en mitre (basses au centre), est placée à l'arrière, le long du couloir conduisant à la porte du clocher. (Il y a environ 1m entre le mur et l'orgue, non cloisonné à l'arrière.) Le récit est également diatonique.

Tuyauterie:
La partie gauche de la tuyauterie du grand-orgue.
Le flanc gauche du buffet est en haut, le récit en bas à droite,
et la façade à gauche. (On voit les tubulures de commande des
postages de la Montre.)
De bas (accès) en haut (fond) :
le Cornet, le Dolce, le Bourdon 16', la partie sur le vent de la Montre,
le Bourdon 8', et le Principal 4'.La partie gauche de la tuyauterie du grand-orgue.
Le flanc gauche du buffet est en haut, le récit en bas à droite,
et la façade à gauche. (On voit les tubulures de commande des
postages de la Montre.)
De bas (accès) en haut (fond) :
le Cornet, le Dolce, le Bourdon 16', la partie sur le vent de la Montre,
le Bourdon 8', et le Principal 4'.
Une vue sur la tuyauterie du récit.
Depuis en bas à gauche vers le haut à droite (fond) :
la Trompette 8', l'Octavin 8', le Nasard (les deux ayant 56 notes, pas 68),
le Cor de nuit 8', la Voix céleste, la Flûte harmonique 4',
le Gemshorn 4' et la Gambe 8'.Une vue sur la tuyauterie du récit.
Depuis en bas à gauche vers le haut à droite (fond) :
la Trompette 8', l'Octavin 8', le Nasard (les deux ayant 56 notes, pas 68),
le Cor de nuit 8', la Voix céleste, la Flûte harmonique 4',
le Gemshorn 4' et la Gambe 8'.

Bien sûr, en arrivant sur place, on est d'abord impressionné par le buffet de cet instrument. La partie instrumentale, entièrement authentique et bien entretenue, ne semble pas avoir bénéficié d'un relevage en profondeur depuis 30 ans (c'est d'ailleurs, si on met de côté les réparations de 1949, la seule opération d'envergure effectuée sur cet instrument en plus de 90 ans de service). Du coup, il y a de petits problèmes de tirage de jeux. Mais la traction des notes est impeccable. La boîte expressive est extrêmement efficace, et donne à l'instrument une dynamique exceptionnelle. Et l'harmonisation est caractéristique de l'artiste qu'était Georges Schwenkedel.

Cet instrument pourtant exceptionnel est un des grands oubliés des inventaires : service minimum dans celui de 1986, pas de page dans la "plateforme ouverte du patrimoine" (Palissy, consultée en juin 2021)... Peut-être que jusqu'ici, pas grand monde ne s'attendait à trouver un orgue de cette valeur au fond d'une vallée des Vosges : les préjugés ont la vie dure. Décidément, les orgues d'Alsace les plus passionnants ne sont pas les plus célèbres : une grande et belle partie de notre patrimoine reste à découvrir, à protéger et à valoriser.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F680249002P02
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