En 1932, Georges Schwenkedel construisit pour Spechbach-le-Bas son opus 41. Il put le loger dans le buffet de l'orgue précédent, construit par les frères Callinet en 1843, et dont les tuyaux avaient disparu lors du premier conflit mondial. L'orgue actuel présente la particularité - pour un instrument des années 30 - de disposer d'un positif de dos. Il est caractéristique d'un style original, très en marge du néo-classique "européen" alors émergeant, et qui est spécifique à l'Alsace.
Historique
Un premier orgue est attesté en 1808 ; on en ignore l'origine. [IHOA]
Historique
En 1843, les frères Callinet construisirent un instrument neuf. [IHOA] [PMSCALL]
Cet orgue fut probablement construit en deux étapes. Un premier devis n'ayant pas été validé, les frères Callinet en proposèrent un second le 25/04/1841. Mais ce dernier - pour un petit orgue d'un seul manuel - ne correspond pas à l'instrument qui a été réalisé. L'hypothèse la plus probable est la suivante : [PMSCALL]
- 29/04/1840 : premier devis, pour un orgue de 19 jeux (prévu pour 20), refusé pour des raisons financières.
- 25/04/1841 : second devis, pour un orgue limité à un positif et une pédale.
- 01/09/1841 : achèvement d'une première tranche de l'instrument. Entre temps, il est probable que des financements privés (dons, legs...) soient devenus disponibles.
- Un procès verbal de réception fut signé par Joseph Britschgy (Altkirch), le 03/08/1843 (2 claviers, 24 registres selon Hamel). L'orgue réalisé était sûrement celui prévu par le devis initial : on avait juste procédé à une construction en deux tranches. [PMSCALL]
En 1864, Claude-Ignace Callinet modifia l'instrument (qui avait alors déjà deux manuels). Quatre changements de jeux étaient au programme. [PMSCALL]
Ce travail fut reçu par François Antoine Ginck (Heimersdorf), qui n'a pas - au moins dans un premier temps - beaucoup apprécié l'instrument. Il écrivit par la suite, plus conciliant, que "le timbre ou l'intonation primitivement un peu perçante a été modifiée par le facteur qui a su lui donner une certaine rondeur d'harmonie." Comme on peut douter d'une ré-harmonisation de dernière minute, il est probable qu'il s'agissait avant tout de diplomatie.
N'en déplaise aux hagiographes des Callinet, il est quand même compréhensible qu'au milieu des années 1860, les instruments "pré-romantiques", construits comme en 1830-1840, n'étaient pas forcément appréciés par tout le monde.
En 1927, Georges Schwenkedel nota la composition (probablement grâce aux étiquettes de la console), qui était sûrement celle de 1864. On note qu'une fois de plus, il s'agissait bien d'un instrument "de transition" gravement limité par une pédale incomplète (18 notes seulement, probablement conçue "pour les instituteurs") :
L'instrument a été totalement privé de ses tuyaux après 1915 (la localité a été évacuée en décembre 1915). [ITOA]
Après 1918, c'est probablement Alfred Berger qui plaça provisoirement quatre jeux dans le buffet. [ITOA]
Historique
En 1932, Georges Schwenkedel construisit un instrument entièrement neuf dans le buffet Callinet. Ce fut son opus 41, inauguré le 10/07/1932. [IHOA]
En 8 ans, Georges Schwenkedel (il s'était mis à son compte en 1924) avait fait un parcours remarquable. Il a conquis le monde de l'orgue Bas-Rhinois en 1931 à Mutzig, mais avait jusque là construit plus de 30 orgues sans grand soutien des experts. Presque tous ses premiers opus ont été placés dans le Haut-Rhin, où il s'était forgé une excellente réputation uniquement fondée sur la qualité de ses réalisations.
A Spechbach, Schwenkedel put récupérer 42 tuyaux de Salicional parmi les 4 jeux qui avaient été placés provisoirement dans le buffet. Ces tuyaux sont vraisemblablement de Berger. Il parvint également à récupérer un sommier (celui du récit), qu'il plaça en 1933 à Eckbolsheim, St-Cyprien. Il n'y a, en dehors du buffet, absolument rien de Callinet dans l'orgue actuel.
Le positif de dos
Avec 21 jeux, cet instrument est structurellement un 3-claviers. En effet, Georges Schwenkedel, pratiquant une déclinaison très personnelle de ce que l'on appellera plus tard le "néo-classique", aimait revenir au sources du 18ème. Il avait en tête des compositions avec des positifs de dos. Ce plan sonore, rappelons-le, était alors totalement passé de mode. Beaucoup de travaux, entre 1880 et 1930, avaient justement consisté à déplacer des positifs de dos derrière les buffets, pour en faire des récits, beaucoup plus adaptés au répertoire de l'époque. Les "positifs" construits à cette époque étaient postiches, et leur rôle n'était qu'esthétique (ou servaient à masquer la console). A Spechbach, la présence du buffet Callinet représentait une opportunité remarquable pour construire un vrai positif de dos. Il l'avait déjà fait à Bisel (1930, opus 25), Seppois-le-Bas (1930, opus 28), Hirtzbach (1930, opus 30), Durlinsdorf (1932, opus 40), et le refera à Reiningue (1932, opus 46). En 1932 également, Schwenkedel a proposé un positif de dos à Cronenbourg, St-Florent. Celui-ci devait être expressif ! Décidément, Schwenkedel était un visionnaire. Mais cette dernière affaire ne se fit pas, et il n'y eut donc en tout et pour tout que 6 positifs de dos "post-romantiques".
Ces 6 positifs n'ont pas grand chose à voir avec leurs ancêtres de l'orgue classique français. Même si la disposition est la même (à fleur de tribune, près du public), ils sont constitués de façon spécifique, sans "petits jeux" écrasants. Il y a 3 jeux à bouche (un Bourdon 8', un 4' principalisant, et un 2' Flûté - Cor de nuit ou Flageolet) et un Cromorne, qui peut avoir un rôle de soliste. Les cinq positifs sont déclinés, sur la base de cette structure commune, pour leur donner une personnalité propre : à Bisel, Seppois-le-bas et Reiningue, le 8' est un Quintaton à cheminée ; à Seppois-le-bas, le 2' est conique, et à Durlinsdorf c'est une Occarina.
L'orgue de Spechbach est donc un précieux témoin de cette approche originale de la pensée néo-classique. Et, de fait, il n'est pas néo-classique, mais constitue une évolution spécifique du post-romantisme.
Le positif de dos se joue sur le second clavier, comme le récit. Pour faciliter la registration, il y a un annulateur, permettant de faire taire ou d'appeler les jeux du positif sélectionnés par les dominos, avec une seule commande.
Il y a eu un entretien, par Laurent Steinmetz, après 1985. (Les frères Steinmetz furent quelques part les "successeurs" de Curt Schwenkedel après sa mort.) Les travaux semblent avoir essentiellement constitué à remplacer les peaux des soufflets (qui sont des pièces d'usure). Néanmoins, cet entretien fit - curieusement - l'objet de la pose d'une plaque à la console. [SBraillon] [Visite]
Le buffet
C'est le buffet de l'orgue que posèrent les frères Callinet en 1843. Il est caractéristique de leur production : le grand corps est constitué des 4 tourelles "Haut-Rhinoises" (les deux du centre plus petites), et le positif de trois tourelles, la centrale étant plus petite. Si les entablements sont issus de la tradition classique, la largeur constante du soubassement aux superstructures indique clairement son origine 19ème. L'ornementation est constituée de frises de roses en claires voies (en référence à la grand-mère paternelle de Joseph et Claude-Ignace, mère de François, qui s'appelait Rose). Il y a aussi les traditionnelles frises à oves, et les pots ornant le sommet des tourelles. Le buffet de 1843 a été remarquablement bien conservé.
La façade (de 1932) est en étain. Tous les tuyaux (des deux buffets) parlent.
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' |
- | - | 8' |
- | 2'2/3 | 4' |
2' | 2' | 2'2/3 |
1'3/5 | 1'3/5 | 2' |
1'1/3 | 1'1/3 | 1'3/5 |
Console indépendante dos à la nef (placée entre le buffet et le positif de dos), fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos presque horizontaux (axés en queue), à porcelaines centrales, disposés en ligne au-dessus du second clavier, et groupés par plan sonore. Pour attirer l'attention sur ceux du positif de dos, ils sont surmontés d'une porcelaine ovale disant "Register Positif". Les accouplements et tirasses ne sont pas commandés par dominos. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, bleu pour le positif, et jaune pour la pédale.
Clavier blancs, joues moulurées. Commande des accouplements et tirasses par pédales-cuillers à accrocher, et repérées par des porcelaines colorées selon les plans sonores impliqués, bicolores quand nécessaire. De gauche à droite : "Super II" (II/II 4'), "Super II-I" (II/I 4' ; paradoxalement rose en bas et blanche en haut), "Sub II-I" (II/I 16' ; blanche en bas, rose en haut), "Ped. II" (II/P ; jaune en bas, rose en haut), "Ped. I" (I/P ; jaune en bas, blanche en haut), "II-I" (II/I ; blanche en bas, rose en haut). Vient ensuite la pédale du crescendo (repérée par une porcelaine ronde blanche "Crescendo"), celle commandant la boîte expressive (porcelaine ronde rose "Expr. du Récit"), et la pédale-cuiller à accrocher du trémolo du récit (porcelaine ronde rose "Tremolo").
Commande des combinaisons par pistons blancs, situés à gauche sous le premier clavier. La combinaison libre se programme par des picots basculants rouges, situés au-dessus de chaque domino ; les accouplements et tirasses ne sont donc pas programmables. De gauche à droite : "Comb. libre", "Jeu à mains à Comb" (pour ajouter la registration par dominos aux combinaisons, et les rendre ainsi ajustables), "Positif Annul" (porcelaine bleue), "P.", "MF.", "F.", "TT." ; le piston de l'annulateur a perdu sa porcelaine (c'est "Annul." à Reiningue). Commande du crescendo par une pédale basculante, et repéré par un cadran linéaire à lettres dorées, situé en haut au centre, numéroté de 0 à 12, dans le quel se déplace un point blanc.
Banc d'origine, caractéristique de Georges Schwenkedel (plateau clair, pieds foncés).
Comme souvent chez Georges Schwenkedel, la plaque d'adresse est composée de plusieurs porcelaines rectangulaires blanches à lettres noires. La plaque "principale" est à gauche, au niveau des picots, et dit :
En dessous, à hauteur des dominos, la date de construction :
A droite et à hauteur des dominos, le numéro d'opus :
Il y a également une plaque en plastique, disant "Laurent STEINMETZ / FACTEUR d'ORGUES / RESTAURATION". Mais comme le travail correspondant était un simple nettoyage et remplacement des soufflets, on voit mal ce qui justifie une plaque à la console. L'utilisation du terme "Restauration" a longtemps été utilisé à tort et à travers. (Il ne s'applique pas ici, puisque aucune altération antérieure n'a été corrigée par cette opération.)
Pneumatique tubulaire (notes et jeux).
Sommiers à membranes. Deux sommiers diatoniques pour le grand-orgue, disposés en "M" (basses au centre). Deux sommiers diatoniques pour le récit, également en "M". La pédale est aussi diatonique en "M", et placée à l'arrière (derrière le récit) : la Soubasse est en avant, et la Flûte 16' (qui est plutôt une Contrebasse), au fond.
Bourdons à calottes mobiles, tuyaux ouverts à entailles de timbre ou d'accord, biseaux à dents, Gambes à freins harmoniques : la tuyauterie respecte les standards de la facture romantique.
Ce Cornet "complété" dans les basses et placé sur le sommier (et non posté en hauteur) est l'une des caractéristiques de la facture de Georges Schwenkedel.
Avec son alter-ego de Reiningue (presque contemporain : 1932, opus 46) cet instrument constitue l'aboutissement d'un style d'orgue spécifiquement alsacien, constitué sur une base post-romantique (et donnant accès au répertoire correspondant) complétée par des idées d'un "retour aux sources" original et inventif. Ici, pas question de "pastiches" ou d'imitations des techniques du 18ème imposées par quelque expert sentencieux. Les éléments "historiques", comme le positif de dos et son Cromorne, sont plutôt une source d'inspiration utilisée pour explorer de nouvelles pistes, dans la continuité de l'esthétique symphonique. A l'évidence, Georges Schwenkedel a conçu ses orgues en écoutant avant tout le public et les organistes.
Cet orgue, s'il est historiquement passionnant et qu'il constitue un témoin clé de l'évolution qu'a connue la facture d'orgues en Alsace dans les années 1920-1930 (aujourd'hui encore largement et injustement méconnue), est avant tout d'un instrument de musique exceptionnellement bien réussi dont il s'agit ici. A voir et à jouer absolument.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Thibaut Meyer.
Photos du 13/10/2018 et données techniques.
Données techniques et historiques.
Localisation :