Le site où se trouve l'église de Durlinsdorf est exceptionnel : il surplombe la vallée d'un côté, et de l'autre la forêt lui donne un air de "bout du monde". Le clocher est authentiquement roman, et on dit que la nef qui lui correspondait a fini dans la Grumbach, ce qui, vu les dénivelés, n'est peut-être pas qu'une façon de parler. Georges Schwenkedel construisit ici son opus 40 en 1932. Le buffet de cet instrument est dû la maison Rudmann et Guthmann, et rappelle beaucoup ses prédécesseurs et voisins de Bisel et de Seppois-le-Bas (tous deux de 1930). C'est parce qu'ils sont munis d'un positif de dos, chose plutôt extraordinaire pour les années 30, la tradition du petit buffet s'étant éteinte au cours dernier quart du 19ème siècle.
Historique
Le premier orgue du lieu est arrivé en 1838 et venait de Pfaffenheim, St-Martin. C'était un orgue Nicolas Boulay, construit en 1755, et il a été installé par Frantz. [IHOA] [Barth]
Le banc de cet instrument est toujours là, et il a été transformé en armoire à partitions. A l'examen des assemblages, on est en droit de se demander si les orgues Boulay ont eu la moindre chance de fonctionner un jour : tous les facteurs du 18ème n'était pas des prodiges, loin s'en faut. De fait, il ne reste rien d'instrumental de Boulay, mais un de ses buffets - fort joli - est encore visible (quoique très modifié) à Holtzheim.
L'instrument a été réparé en 1854 par un certain Sébastien Thoma. En 1892, lors de l'enquête-inventaire, l'orgue nécessitait de "grosses réparations". [IHOA] [Barth]
Historique
C'est sûrement grâce à l'accueil réservé aux autres orgues posés par Georges Schwenkedel dans le voisinage que Durlinsdorf voulut le sien. Il fut achevé en 1932, et fut l'opus 40 de ce facteur. [IHOA]
Il a une particularité assez extraordinaire pour les années 1930 : il est doté d'un positif de dos. C'est le troisième d'une "tétralogie" d'orgues Schwenkedel ainsi architecturés. Les autres sont Bisel, Seppois-le-Bas (tous deux de 1930), et Reiningue (1932).
Ce positif de dos est joué sur le même manuel que le récit, et, pour que l'édifice sonore ne soit pas "écrasé" par ce clavier, il est composé tout en finesse, avec 4 jeux seulement (à Bisel et Seppois : Quintaton 8', Montre 4', Cor de nuit 2', ici: Bourdon, Principal, Occarina, et le tout est à chaque fois complété par un Cromorne). Pour faciliter la registration, la console est munie d'un annulateur faisant taire ou appelant le positif en une seule commande.
Un positif de dos, en 1930, cela devait "faire vieux". Cet audacieux parti-pris esthétique et musical était donc probablement un pari risqué. Quand les buffets de l'époque comportaient des "positifs de dos", ils étaient postiches, et en aucun cas destinés à abriter des tuyaux sonores. Or, comme à Bisel, Seppois-le-Bas et Reiningue, le positif de dos est doté de vrais jeux. Seul Georges Schwenkedel, en Alsace à cette époque à réussi à faire cela.
Ce n'est absolument pas un positif de dos destiné à "faire classique français", mais un plan sonore conçu pour compléter de façon originale les timbres de l'esthétique romantique. C'est plus un Fernwerk (clavier distant) "à l'envers" (c'est-à-dire justement rapproché de l'auditoire), capable de donner plus d'intimité à certains passages. Notons que pour l'organiste, c'est aussi un vrai Fernwerk, qui permet d'apprécier le son revenant de la nef.
La composition d'origine est identique à l'actuelle, sauf qu'il n'y avait pas de Bombarde à l'origine (elle n'est d'ailleurs pas appelée par un domino comme les autres jeux). [Visite]
Cette composition est donc très voisine de celle de Burnhaupt-le-Haut, mais là-bas sans positif de dos. L'Occarina est du coup du récit, et, pour compenser, le grand-orgue y est doté d'une anche douce (Basson).
Schwenkedel a souvent appelé "Occarina" (avec deux "c") sa Flûte conique 2'. On retrouve une pareille dénomination à Grentzingen (1931), Burnhaupt-le-Haut (1932), Reiningue (1932), Burnhaupt-le-Bas (1934) ou Rimbach-près-Guebwiller (1936).
L'orgue a été relevé en 1986 par les frères Steinmetz. [IHOA]
C'est peut-être de cette opération que date la Bombarde de pédale, bien qu'elle paraisse plus ancienne.
Le buffet
Le buffet, en chêne, a été réalisé par la maison Rudmann et Guthmann. Cette entreprise de Logelbach a aussi travaillé avec Joseph Rinckenbach à la fin de l'activité de ce dernier (Stosswihr-Ampfersbach, 1927, Eglingen, 1928). C'est peut-être à Wolschwiller qu'il faut aller chercher l'explication de la parenté esthétique de tous ces buffets : là-bas, il provient (en partie) de Jean Franz (Sondersdorf). L'inspiration semble donc bien venir de cette famille de facteurs d'origine suisse. Ces buffets construits par la maison Rudmann et Guthmann pour Rinckenbach puis Schwenkedel peuvent donc être considérés comme une évolution esthétique du style de la famille Frantz, et, en définitive, comme un vrai style d'orgue sundgauvien.
La structure et l'ornementation sont "classiques" : au grand corps, trois tourelles semi-circulaires à entablements - celle du centre étant plus large - encadrent deux plates faces. Au positif, deux tourelles encadrent une grande plate-face. L'ornementation est constituée de motifs végétaux et floraux (jouées, guirlandes).
Ce sont les proportions qui sont totalement étrangères à l'esthétique classique, et révèlent une conception "début 20ème" : l'instrument se déploie tout en largeur, et la plate-face du positif se permet d'être plus haute que les tourelles.
Le grand corps est en quelque sorte une déclinaison élargie de la structure adoptée à Bernwiller en 1929 (où le buffet a également été construit par Rudmann et Guthmann) : on a ajouté de chaque côté un nouvel élément {plate-face + tourelle}.
L'ornementation figurative est inspirée des buffets du 19ème :
- rideaux à franges et pompons en claires-voies des tourelles,
- un couple de têtes d'angelots ailées au sommet de la plate-face du positif,
Le positif porte en pendentif un écusson sur lequel figure "Soli Deo Honor et Gloria", et, au revers (visible depuis le narthex) "Laudate Deum in organo".
La façade est en étain (d'origine).
Caractéristiques instrumentales
A la console, 'I' fait référence au grand-orgue (bien qu'il y ait un positif de dos), et 'II' au récit expressif. Le positif de dos, joué sur le second clavier, serait donc 'III', mais cela n'apparait nulle part à la console, vu qu'il ne dispose pas d'accouplements spécifiques.
Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos disposés en ligne au-dessus des claviers, munis de porcelaines de couleur permettant d'identifier le plan sonore du jeu : blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, bleu pour le positif de dos, et jaune pour la pédale. Les tirasses et accouplements (sauf le I/I 4') sont bicolores : "II-I" (II/I), "Ped. I" (I/P), "Ped. II" (II/P), "Sub II-I" (II/I 16'), "Super II-I" (II/I 4'), "Super I" (I/I 4'). Les commandes des accouplements et tirasses sont doublées par six pédales-cuillers à accrocher (dans le même ordre), suivant en cela les recommandations du "Congrès de Vienne". Claviers blancs. Joues de claviers galbées.
Sélection de la combinaison libre par picots rouges basculants, situés au-dessus de leur domino respectif (les accouplements et tirasses sont donc programmables). Commande des aides à la registration par pistons blancs situés sous le premier clavier, repérés par des porcelaines blanches. De gauche à droite : l'appel "jeux à main" ("Jeu à main") qui rend les dominos actifs avec la combinaison libre, l'appel de la combinaison libre ("Comb."), l'appel du crescendo ("Crescendo"), l'annulateur des anches ("Anches"), l'annulateur du positif ("Positif") puis les combinaisons fixes ("P.", "MF.", "TT."), et l'annulateur ("Annul.").
Commande de l'expression du récit ("Expression II.Man.") et du crescendo ("Crescendo") par pédales basculantes (dans cet ordre de gauche à droite), placées très à droite de la console, et repérées par des porcelaines rondes (rose pour l'expression). Commande du trémolo par pédale-cuiller à accrocher, à droite de la pédale de crescendo ("Tremolo"). Indicateur de crescendo par une plaque émaillée blanche, non graduée et disant simplement "Crescendo", sous laquelle se déplace horizontalement un picot rouge rappelant ceux de la combinaison libre.
La Bombarde de pédale (qui n'est pas d'origine) n'est pas commandée par un domino, mais par un mini-tirant blanc (du même modèle que ceux qui servent parfois pour programmer les combinaisons libres), placé à gauche du second clavier.
Banc constitué de deux essences de bois (le plateau est plus clair). Plaque d'adresse en trois éléments émaillés blancs. A gauche des dominos :
Au-dessus du D (premier Ré) du second clavier :
pneumatique tubulaire.
Le grand-orgue est diatonique, basses aux extrémités, au centre et derrière la façade. Le récit est disposé derrière, au même niveau. La pédale, diatonique, est sur les côtés, orthogonalement à la façade, sauf la Bombarde, qui a été placée entre le récit et le grand-orgue. (Juste devant les jalousies de la boîte, dans le passage...)
L'ensemble, en particulier le récit, n'est pas accessible aisément. Pour accéder au récit, la présence d'un facteur d'orgues est indispensable si on ne veut pas prendre de risques et en faire prendre à la tuyauterie (c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il n'y a pas de photo du récit ici). Il est par contre possible de photographier le grand-orgue et la pédale par-dessus la cloison du buffet, en se plaçant sur la boîte qui enferme la soufflerie.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Guillaume Ueberschlag.
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