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Les orgues de la région de Villé
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Saint-Maurice, l'orgue Friedrich Wilhelm Böttcher.
Toutes les photos de la page sont de Roland Lopes, 20/05/2004.Saint-Maurice, l'orgue Friedrich Wilhelm Böttcher.
Toutes les photos de la page sont de Roland Lopes, 20/05/2004.

Voici un orgue assez exceptionnel : il a été construit par Friedrich Wilhelm Böttcher, dont c'est le seul instrument en Alsace.

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L'orgue Jean Nicolas Jeanpierre,
vers 1845
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Historique

Le premier orgue de Saint-Maurice a été posé vers 1845 par Jean Nicolas Jeanpierre. Sa présence est à nouveau attestée en 1866 par un projet de réparation inscrit au budget communal. Mais c'est finalement la paroisse qui assura l'entretien de l'instrument. [IHOA] [PMSSHVV84]

L'église a été reconstruite entre 1883 et 1885, et dès lors, il est probable que l'orgue de 1845 ne suffisait plus. Il n'est pas établi qu'il ait été remonté dans le nouvel édifice : l'organiste a été payé de façon continue, mais a très bien pu utiliser un harmonium entre 1883 et l'arrivée du nouvel orgue, qu'on situe entre 1889 et 1893. [PMSSHVV84]

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L'orgue Friedrich Wilhelm Böttcher (instrument actuel)
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Historique

C'est vers vers 1890 que Saint-Maurice reçut son orgue Friedrich Wilhelm Böttcher, de Sömmerda" (D, près d'Erfurt). [IHOA] [PMSSHVV84]

Des archives manquantes

Dans la nuit du 18 au 19 août 1914, les troupes allemandes mirent le feu à 32 bâtiments de Saint-Maurice, dont la mairie et le presbytère, ce qui causa la perte des archives locales. C'est pourquoi il est difficile de retracer l'historique des orgues du lieu avec précision. Certains points resteront à jamais un mystère, et en particulier l'origine de l'orgue Böttcher, et comment il trouva son chemin entre la Thuringe et le Val de Villé. [PMSSHVV84]

Ce fut compliqué pour tout le monde : F.X. Mathias attribue l'instrument à Kriess (1931), et lui donne... 1 seul jeu. Etablir son histoire était donc une aventure en soi. [Barth] [Mathias]

Une arrivée entre 1889 et 1893

Il ne peut avoir été acquis avant 1889, car le 02/01/1889, Charles Wetzel proposa à Saint-Maurice un orgue neuf, livrable pour août. (I/0P 8j avec un pédalier de 20 notes seulement). [PMSRHW] [PMSSHVV84]

Ce projet explique la confusion, et l'apparition dans les historiques d'un orgue Wetzel qui n'a jamais été construit.

En mai 1893, l'orgue Böttecher était déjà là. C'est une lettre du curé Lorber, datée du 13/05/1893, qui éclaircit un peu la situation. Il raconte que quelques années auparavant on lui avait refusé une subvention pour l'achat d'un orgue neuf, mais que tout s'est fort bien arrangé : "Es hat sich später eine günstige Gelegenheit dargeboten, und wir haben uns eine neue Orgel für 1 100 Mark angeschafft... Die Hälfte durch Sammlungen bezahht..." ("[après le refus de la subvention] nous avons saisi plus tard une excellente opportunité pour acquérir un orgue pour 1 100 Marks... dont la moitié a pu être payée par des quêtes.") [PMSSHVV84]

Le devis de Wetzel se montait à 2 080 Mark : c'était donc une très bonne affaire ! Et, même s'il reste possible si l'orgue Böttcher était un instrument d'occasion, il était forcément très récent : Böttcher se mit à son compte à Sömmerda en 1881, et il s'agit clairement d'un orgue des années 1890.

En tous cas, ce prix très bas ne peut être expliqué si on prend en compte le coût du transport d'Erfurt à Saint-Maurice. Quelque chose a donc payé au moins une partie du transport. Bernd Sulzmann a émis l'hypothèse très crédible que l'orgue Böttcher ait été présenté à une exposition, et qu'au lieu de le faire revenir - à grands frais - à ses ateliers, Böttcher a préféré le céder pour un prix très intéressant. Reste qu'on ne sait toujours pas qui a mis en relation Saint-Maurice avec Böttcher. [PMSSHVV84]

Et reste que Saint-Maurice a ainsi acquis un orgue d'exception, qui a enrichi de façon considérable le patrimoine organistique de la vallée.

Composition, 1890
Manuel expressif, 54 n. (C-f''')
Sur le vent, en boîte
Aeoline adaptée ?
Pédale expressive, 25 n. (C-c')
I/P
[PMSSHVV84]

La "Vox coelestis" constituait sûrement une légère adaptation de l'orgue à une terre de culture plus française. Il s'agissait probablement d'une Aeoline, accordée pour servir d'ondulant avec le Salicional. Ceci parce que les Aeolines étaient quasi systématiques dans ces instruments. D'ailleurs, la porcelaine - malheureusement difficile à déchiffrer - semble dire "Vox aeoline". [ZeitschriftInstrmentenbau]

Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 26/04/1917. L'orgue étant entièrement expressif, cette façade était muette. [PMSSHVV84]

50 ans de bon services

C'est Joseph Rinckenbach qui remplaça la façade, le 02/02/1925. (C'est d'ailleurs lui qui avait démonté les tuyaux, en avril 1917, car les autorités avaient aussi réquisitionné des facteurs d'orgues pour faire ce triste travail...) [PMSSHVV84]

On peut d'ailleurs être heureux que l'orgue et l'église ont échappé aux événements du 18-19 août 1914.

L'orgue a été réparé suite à un épisode caniculaire en 1934-1935 par Franz Heinrich Kriess. [PMSSHVV84]

C'est la maison Edmond-Alexandre Roethinger qui plaça un ventilateur électrique, le 02/05/1937. [PMSSHVV84]

La période noire

Le Val de Villé ne fut pas épargné par la "période noire" de la facture d'orgues alsacienne, qui commença dans les années 1950. Ici, cela prit la forme d'un projet, absurde, proposé par Max Roethinger en 1959. [PMSSHVV84]

L'histoire de l'orgue de Saint-Maurice contribue à éclaircir le déroulement des événements qui ont conduit à tant de saccages d'orgues, surtout les romantiques et post-romantiques. Car le projet - très mercantile - de Max Roethinger y est remis dans son contexte : en 1959 eut lieu à Strasbourg un congrès "international" de facture d'orgues, qui, décidément, eut un effet délétère.

A l'occasion de ce congrès, Max Roethinger, pour aller dans le sens de la mode, fut chargé de bricoler les deux orgues la cathédrale de Strasbourg pour y ajouter des pleins-jeux. Fort de ce "succès" et de la caution des grands décideurs, il écrivit à Saint-Maurice en flairant une bonne affaire (les 26 et 28/11/1959). Le 26 : "... Il n'y a que des 8 pieds... Je propose de remplacer la "Flöte" par un plein-jeu de 3 rangs, 162 tuyaux..." Puis, le 28/11, il proclama que "Les pleins-jeux actuels ne sont plus criards comme ceux d'autrefois. Venez écouter ceux que j'ai placés à la Cathédrale..." [PMSSHVV84]

On devine que les pleins-jeu "d'autrefois" désignent ceux du 18ème. Et qu'ils sont toujours un repoussoir pour une partie du monde de l'orgue en 1959, puisque les "actuels" sont "moins criards". On découvre ici un Max Roethinger sous un jour peu reluisant : rompant avec la tradition de son père, méprisant les instruments anciens, se faisant VRP de petite envergure, se servant de travaux qu'on lui avait commandités à la cathédrale pour "montrer l'exemple" aux gens des vallées... qu'on suppose incultes. "Venez écouter ceux que j'ai placés à la Cathédrale" est quand même à la fois condescendant et prétentieux. (Surtout quand on sait que les deux orgues où il met sa fierté ont été totalement reconstruit peu après.) On surprend même le successeur du grand Edmond-Alexandre à raconter n'importe quoi. (Ce qui implique soit l'incompétence, soit la mauvaise foi ; on se demande ce qui est pire). Il réussit à placer sans broncher qu'il regrette qu'un petit orgue post-romantique n'a "que des 8 pieds" : c'était était déjà faux car il y a une Octave 4'. Et surtout le grand nombre de 8' sur ces orgues de ce style est parfaitement normal : c'est même à ça qu'on les reconnaît, et ça qui fait leur valeur...

Tout ça pour "placer" une petite affaire commerciale consistant à remplacer une Flöte amabile 8' par un Plein-jeu qui n'avait absolument rien à faire dans cette esthétique. Ce qui fait froid dans le dos, c'est le mépris total pour les styles différents que celui pratiqué en 1959. On allait "corriger" les orgues d'Alsace. Et, malheureusement, c'est ce qui arriva : élimination des Gambes, Voix célestes, Hautbois au profit de "petits jeux" (Cymbales, Larigots de combat, Sesquiatera et autre marottes "nordiques"). Ce congrès de 1959 fut une étape vers la tragédie de la "période noire" (1960-2000). Il faudra bien, un jour, vu la montagne de preuves, que le monde de l'orgue alsacien l'assume un jour, cette tragédie.

Rappelons-le, l'orgue Böttcher était instrumentalement 100% authentique en 1959 (puisque la façade est muette). Et bien, à Saint-Maurice, on se fit résistant face à Max Roethinger qui ne trouvait pas l'orgue "comme il faut" : il n'était pas question d'éliminer cette belle Flûte 8'. Il n'était pas question de pratiquer le fayotage avec les "décideurs de Strasbourg". Il n'était pas question de suivre leurs modes et leurs leçons pompeuses. [PMSSHVV84]

On savait déjà qu'en matière d'orgue, les vallées vosgiennes étaient souvent plus lucides - et plus cultivées - que les villes : Husseren-Wesserling, Ranspach... il y a beaucoup de belles histoires. La beauté de l'orgue en Alsace, de toutes façons, se trouve bien plus dans les campagnes (qui consentirent un effort considérable à ces instruments et s'efforcèrent de les conserver) qu'aux cités (qui consacrèrent beaucoup de ressources à les modifier et les bricoler tous les 20 ans pour faire plaisir à une minorité bavarde). C'est d'ailleurs pareil pour les tartes flambées.

Les faits sont là : à Saint-Maurice, en 1959, on connaissait l'intérêt d'une Flûte 8', sa place majeure dans une composition, et on savait qu'elle constituait la quintessence de l'instrument. On n'autorisa pas qu'on dégrade l'orgue pour le mettre "à la sauce strasbourgeoise", et on exigea de Max Roethinger une simple réparation. [PMSSHVV84]

En 1964, lors d'une visite, Pie Meyer-Siat trouva l'orgue authentique, à part la façade (muette) et la réparation de 1960.

Hélas, on peut résister, mais pas pendant des décennies. En 1975, Robert Kriess élimina tout de même la belle Flûte 8'... pour la remplacer par une vulgaire Doublette ! Et, en 1982, il découpa aussi la Voix céleste pour en faire une absurde Quinte 2'2/3. Sur les photos de 1984, les porcelaines de ces deux jeux apparaissent barrées par des "étiquettes" faites à la "pince Dymo", caractéristiques des exactions commises à cette époque. [PMSSHVV84]

Rappelons que ce facteur, constituant la 3ème génération de Kriess à Molsheim, n'avait plus rien de commun avec le talent et la portée de son grand-père Franz Xaver, dont il ternit malheureusement la mémoire, suite à d'inévitables amalgames.

C'est ainsi, avec deux jeux modifiés, que l'inventaire technique de 1986 trouva ce bel orgue : un peu mutilé, mais encore très authentique. Mais les malheurs n'étaient pas finis : quelqu'un, après 1986, a continué à dégrader ce pauvre instrument, en remplaçant le Salicional par... une Ranquette en cuivre, neuve. La porcelaine du Salicional est restée en place. [RLopes]

Une "Ranquette"... pourquoi pas une Vuvuzela ? D'où a pu surgir une idée aussi calamiteuse ? S'agissait-il de défigurer cet orgue au point de justifier, à terme, un remplacement ?

Voilà. Et pourtant, il a une très belle histoire, cet orgue. Dans son état d'avant 1960, il devait être grandiose. Il raconte aussi beaucoup de choses. Trois jeux massacrés sur sept... c'est lourd, mais pas irréversible. La facture de Böttcher était apparentée à celle d'Eberhard Friedrich Walcker, et reconstituer le Salicional, la "Vox coelestis" (sur la base d'une Aeoline) et la belle Flûte 8' ne paraît pas insurmontable.

Le buffet

Le buffet, de style néo-roman, est constitué de deux tourelles encadrant une plate-face double, moins haute. L'ornementation est plutôt riche : colonnes à bases et chapiteaux dorés, jouées élaborées, cannelures, et trois motifs floraux ronds. Jalousies de la boîte expressive sur les côtés.

Le soin particulier apporté à l'ornementation - alors qu'on a vu, ce n'était pas un orgue coûteux - accrédite la thèse d'un instrument de démonstration, réalisé en vue d'une exposition.

(Très) belle façade (décorative car tout l'orgue est en boîte expressive) de Joseph Rinckenbach de 1925.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2004
Manuel expressif, 54 n. (C-f''')
Voix céleste recoupée !
1975, sur la chape de la Flöte amabile 8' !
Ranquette 8'
Sic (!) sur la chape du Salicional...
Pédale expressive, 25 n. (C-c')
I/P
Console:

Console latérale accolée, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux munis de porcelaines, placées horizontalement au-dessus du clavier. Clavier blanc. Expression générale par pédale à bascule. Plaque d'adresse dorée, placée au centre au-dessus du clavier, et disant :

F.W. Böttcher
Orgelbaumeister
Sömmerda
La plaque d'adresse de F.W. Böttcher à Saint-Maurice.La plaque d'adresse de F.W. Böttcher à Saint-Maurice.
Transmission:

Mécanique à équerres.

Sommiers:

Sommiers à gravures, d'origine. Tout l'orgue est placé dans une boîte expressive.

Sites Friedrich Wilhelm Böttcher (10/11/1855 - 1936)

La facture d'orgues connaît surtout un autre Böttcher : Carl Friedrich Wilhelm (03/11/1820 - 18/05/1883). Formé à l'origine chez Walcker (mais aussi Johann Heinrich Schäfer), il s'établit en 1855 à Magdebourg (Saxe-Anhalt), après avoir construit de petits orgues neufs.

Selon une étude de A. Reichling (à l'époque président de la "Gesellschaft der Orgelfreunde"), W. Hüttel et Karl Schubert, Friedrich Wilhelm est né le 10/11/1855 comme "enfant naturel". (Nous, on disait "neveu", et on citait "l'oncle", ce qui est plus simple). Il s'établit à Sömmerda (un peu au nord d'Erfurth) le 01/06/1881, où il resta jusqu'au début du 20ème siècle (1902 ?), et y eut 4 enfants. En 1903, on le retrouve à Iena, et en 1904, il s'installa à Weimar, qu'il ne quitta plus. Il y mourut sans doute en 1936, laissant son entreprise à Gerhard Kirchner.

Les dates et les prénoms incitent quand même à croire que Friedrich Wilhelm était le fils de Carl Friedrich. Le fait qu'il se soit mis à son compte 2 ans avant la mort de Carl Friedrich peut aussi être significatif.

La revue "Zeitschrift für Instrumentenbau", du 21/11/1998, dans sa rubrique "Orgelbau - Nachrichten", parle des ateliers de F.W. Böttcher à Sömmerda, à l'occasion de la construction d'un orgue pour Schmiedehausen. Quatre jeux particulièrement réussis y sont cités, dont l'Aeoline et le Salicional. "Von ganz überraschender Schönheit sind die zarten Register Aeoline und Salicional, denen sich die wundervoll intonierten Flöten 8' und 4' und Gambe harmonisch anschliefsen." (Notons que c'est justement un Salicional de cette trempe qui a été remplacé à Saint-Maurice par une trompette de cotillons.) La composition de 4 autres petits instruments est aussi donnée (mais 10 jeux au minimum...), et tous, sans exception, sont dotés d'une Aeoline.

Quelques années plus tôt, dans son volume 7 du 21/11/1886, la revue présente son orgue de la chapelle Ste-Madeleine à Erfurt.

La plaque "F.W. Böttcher - Orgelbaumeister - Sömmerda" de Saint-Maurice ne peut dater que d'entre juin 1881 et 1902.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670427001P02
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