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Strasbourg, Cathédrale Notre-Dame, Nef
A.KERN
'histoire commence en 1260.
La nef (il n'est ici question que des orgues de la nef : il y a eu de nombreux orgues de choeur et, depuis peu, un orgue de crypte) n'était pas finie, mais il fallut un orgue pour souligner la magnificence du lieu.
De nombreux instruments se sont succédés jusqu'à nos jours, et on peut décomposer cette longue histoire en trois parties :
Nous sommes en 1260. La nef n'est pas achevée (sa construction dura de 1252 à 1275). C'était sûrement un petit orgue, probablement placé près de la baie géminée surplombant la chapelle St-Jean-Baptiste (transept nord) (comme l'affirme le coutumier de Closener). Mais le 15/08/1298, lors du départ du duc Albrecht d'Autriche, l'un de ses cavaliers déclencha par inadvertance un de ces terribles incendies qui émaillèrent l'histoire de Strasbourg. C'était le 5 ème incendie de la cathédrale ; le feu prit dans les cordages de la tour nord, se transmit par la toiture de la nef et du bas côté nord, où il s'échappa. 355 maisons partirent en fumée, avec une bonne partie du toit de la cathédrale, les cloches et l'orgue de Guncelin. L'orgue des Trois Rois (1354). De taille certainement réduite, il disposait de volets, et était certainement déjà accompagné des automates, les Rohraffes, qui ont été placés par Clause Karlé. Les Rohraffes datent en effet du début du 14 ème siècle, et existaient déjà en 1327. En tous cas, le "Bretzelmann" ne commença ses frasques que plus tard (vers 1490). L'orgue est un peu plus tardif que la fenêtre des Trois Rois (mise en place par l'architecte KLOTZ), qui lui faisait face. Mais il est question, après son achèvement, d'un déplacement de la fenêtre des Trois Rois au-dessus de l'orgue, jusqu'au 15 ème siècle. A la même époque, il est question d'un (autre?) petit orgue, qui prend parfois le nom d'orgue des Trois Rois, et qui aurait été construit de 1352 à 1354. S'agissait-il d'un orgue de transept ? (Il y a aussi les Trois Rois au portail du transept nord, et dans les vitraux.) Le plus probable reste que cet instrument avait prit la place du tout premier, dans la chapelle St-Jean-Baptiste. Il est fait état d'une réparation, le 15/06/1378, par Conrad de ROTENBOURG (Rothenburg). Le 16/03/1384, des ouvriers travaillèrent au grand orgue, et placèrent leur brasier trop près du Buffet. L'incendie se déclara le lendemain (17/03), jour de la Ste-Gertrude, et ravagea la toiture "des tours à la coupole". De l'orgue Karlé, il ne restait bien sûr pas grand-chose. Mais les Rohraffes avaient survécu.
ais suite à cet incendie, on décida de reconstruire un orgue plus grand et plus beau (en tous cas plus orné). Dans une sorte de frénésie de reconstruction, on engagea des travaux très coûteux, qui durèrent un an. L'orgue fut achevé en 1385, et joué par l'organiste HENRI (ou Hessmann?) (le premier dont on ait retrouvé la trace, à l'exception de Jean GARTENER, qui paraît avoir officié comme organista ecclesie argentinensis avant 1372) tandis qu'un certain LAWELIN était souffleur. C'est de cet orgue que date le pendentif, et fort probablement la tribune de l'orgue actuel.
Tout en bas, se trouve Samson, maîtrisant un lion, dont un mécanisme permet d'ouvrir et de fermer la gueule.
La clé du petit pendentif (sous le Positif) figure deux "hommes sauvages", velus, qui se battent à coup de poings entre les branches d'un arbre. Malheureusement, le nom de l'auteur de cet orgue reste inconnu : on admet souvent l'hypothèse qu'il s'agissait de Conrad de Rotenbourg, auteur de la réparation de 1378. Quant à la menuiserie, elle est certainement l'oeuvre de l'atelier de Michel de FRIBOURG. Il est possible que cet orgue ait contenu des jeux d'Anches. Le chanoine Jacques TWINGER, de Koenigshoffen, atteste dans ses chroniques la présence d'une Pédale. Vers 1400, on posa dans l'actuelle chapelle du Sacré-Coeur (à l'époque chapelle du St-Sépulcre : Ste-Catherine) un petit orgue, propriété de Thierry d'ERFURT (Thierry Münré), organiste à la cathédrale et probable successeur d'Henri/Hessmann. Il l'offrit à l'Oeuvre Notre-Dame (à moins qu'elle n'en hérita à sa mort, en 1402). Le 02/12/1412, le facteur qui pouvait s'enorgueillir d'avoir construit les orgues de la cathédrale de Vienne, JOERG, proposa ses services à Strasbourg. L'orgue du pendentif ne devait pas être si mauvais état que ça, puisqu'on se passa vraissemblablement de ses services. Pierre Generis resta organiste à la cathédrale, sur l'orgue qu'il avait aidé à construire. Le 20/02/1480, il mourut aux claviers, en jouant le Salve Regina.
De cette époque datent les premières plaintes au sujets des activités subversives du Rohraffe de droite, le Bretzelmann.
rédéric KREBS (Krebser), d'Ansbach (Mittelfranken), plaça en 1491 l'orgue pour lequel fut construit le Buffet actuel. Ce Krebs était né à Schalkhausen, et avait bonne réputation : il avait réparé l'orgue de l'hôpital de Nuremberg (1477) et avait commencé, à Strasbourg, par reconstruire l'orgue de la chapelle du St-Sépulcre (1478). Il posa aussi des orgues neufs à Amberg en 1482 et à Coburg en 1487. A Strasbourg, c'est donc un artisan réputé et expérimenté que l'on choisit en la personne de Krebs. Il conserva la tribune et le pendentif de 1385. Avec 24 mètres de haut, 8 mètres de large, (et seulement 1m20 à 1m50 de profond), ce Buffet est l'une des pièces maîtresses du gothique flamboyant. C'est à l'évidence en raison de la hauteur bien plus grande de l'orgue qu'il fallut à nouveau déplacer la fenêtre des Trois Rois. Une gravure d'Isaac BRUNN (1630 ou 40), conservée par l'Oeuvre Notre-Dame, montre la nef avec le Buffet de Krebs.
Seule différence notable avec la situation actuelle : les deux corps de Buffet étaient munis de volets :
A peine l'orgue achevé (et sûrement même avant), Krebs -dont la santé, sûrement, déclinait- et son neveu et élève Michel DÜRR (Durré) se lancèrent dans la construction d'un instrument "en imitation" (en fait un instrument construit en réduction) pour Haguenau, St-Georges. Que sait-on de la Partie Instrumentale de l'orgue Krebs de la cathédrale ?
Il y avait trois claviers (Rückpositiv, Hauptwerk, Brustwerk), dont les deux premiers pouvaient être accouplés.
Il y avait 10 soufflets, et l'organiste disposait d'un système régulateur permettant de laisser échapper du vent si les souffleurs étaient trop zélés (en l'absence d'un système de régulation).
Si les orgues plus anciens étaient à coup sûr des Blockwerks, celui de Krebs fait débat.
Il y avait probablement des Jeux (ou des rangs séparables), de façon à tirer, par clavier deux ou trois timbres différents.
Un décompte de tuyaux, comme il y en a beaucoup (et ils sont très rarement justes) donne :
Le plus grand tuyaux donnait le Fa de 24 pieds (soit le Fa de l'octave de 32', avec le Diapason de l'époque). Il est probable qu'une partie de la Montre actuelle remonte à Krebs. Mais l'analyse des soudures tendrait plutôt à l'attribuer entièrement à Silbermann. En fait, le mystère reste à peu près entier. Sans avoir pu achever l'orgue de Haguenau, Frédéric Krebs mourut en 1493 dans la maison de l'Oeuvre Notre-Dame, puis fut enterré dans la Fosse de l'Hôpital. Mais il a laissé sa signature : Krebs signifiant "Crabe", il a placé deux ornements, au-dessus du Positif, en forme de pinces.
'orgue Krebs avait à peine 15 ans quand on songea à la modifier en profondeur : les goûts musicaux étaient en pleine (r)évolution. L'avis du fameux organiste (aveugle) Arnold SCHLICK, de Heidelberg, à qui on avait fait visiter l'orgue, n'était pas étranger aux envies de renouveau. On fit appel au plus renommé des facteurs d'orgues de l'époque : Hans Süss, de Cologne. Il s'agissait de modifier l'instrument et le doter de vrais Registres. Les travaux, fort importants (et concernant peut-être toute la Partie Instrumentale), durèrent de 1507 à 1511. Le Diapason fut haussé, mais en gardant la même longueur de tuyaux, si bien qu'on se retrouva avec un orgue en Mi. En 1524, la cathédrale passa une première fois à la réforme. Autels, statues de saints furent retirés, et l'orgue ne servit plus pendant un moment : il n'y avait plus que des messes basses, et l'orgue n'accompagnait pas les cantiques. On perd la trace des deux petits orgues, qui existaient peut-être encore vers 1520. Au bout d'une quinzaine d'années, les Strasbourgeois voulaient à nouveau entendre leur orgue (qui devait, soulignons-le, être fort bon), et on le répara par deux fois, vers 1542 (Hans SCHENTZER, de Stuttgart) et en 1564 (Sigmund PEISTLE (Frinzle), de Fribourg-im-Brisgau). Materne KREISS fut le premier organiste protestant de la cathédrale. Puis ce furent des musiciens illustres : les deux Bernard SCHMID (de 1564 à 1617) et Christophe-Thomas WALLISER fils (à partir de 1606). Mais l'orgue Süss avait alors déjà presque 100 ans... Maître Antoine Neuknecht, de Ravensburg, fut chargé de renouveler l'orgue pour le rendre compatible avec cette musique nouvelle : augmentation de l'étendue des Claviers, grand pédalier de 2 octaves, trois grands claviers à 4 octaves. Le Buffet fut conservé : les travaux furent achevés (ou interrompus ?) en Janvier 1609. Neuknecht était probablement l'élève de Jörg EBERT, qui construisit l'orgue de la Hofkirche à Innsbruck.
La soufflerie passa de 21 soufflets de forge (un seul pli) à 12 soufflets cunéiformes.
Voici la Composition de l'orgue de Neuknecht :
Le Diapason était très élevé (Fa# 440 Hz probablement, soit une Tierce mineure plus haut que le diapason moderne). Le Grand-orgue était encore en Blockwerk : le Principal 16' et son Octave jouaient ensemble, et la Fourniture ne fonctionnait que sur une seule note. Commencement d'un motet de Gregor AICHINGER, 1622 Ce fut une époque musicalement très féconde, l'orgue devenait le "roi des instruments". Puis ce fut la Guerre de Trente ans, son cortège d'horreurs et de destructions.
Avec 33 Registres (30 Jeux), sur 32 pieds (toujours 24 pieds en Montre), c'était un grand instrument! Le Buffet et la façade furent conservés, mais les volets ont été supprimés, comme l'atteste une gravure de Pierre AUBRY, datant de 1673. Les volets ont été remplacés par des statues d'anges musiciens. Voici la Composition de l'orgue Tretzscher/Dressel :
En 1681, Louis XIV rendit la cathédrale au culte catholique. L'orgue fut alors tenu par Jean WALTER (de 1681 à sa mort, en 1689), dont le successeur n'est autre que le fameux Jean-Georges RAUCH, de Soultz. Il tint les orgues de la cathédrale de 1689 à sa mort, en 1710, et fonda une véritable "dynastie" d'organistes de cathédrale, qui se succédèrent à la tribune pendant un siècle.
Côté chiffres : un 3 claviers de 39 "registres", 2242 tuyaux, 6 Sommiers et 12 soufflets. C'était le plus grand des orgues Silbermann d'Alsace. Côté lyrique : la célèbre inscription, à l'entrée de l'orgue : "Er heisset Silbermann und seine Werk seynd gülden" ("Son nom est Silbermann (=homme d'argent) et ses ouvrages sont de l'or"). Mais l'homme d'argent, sur ce coup là, travailla a perte.
Il était visiblement très difficile de ne pas se "faire avoir" par ces commanditaires, conscients du gain en image qu'ils apportaient à leurs fournisseurs, ils étaient plus que "durs en affaires".
Le Buffet gothique avait été sauvé. On supprima toutefois les volets, remplacés par des Jouées sculptées, mais aussi les ornements du pied des tuyaux au Positif. Des claires-voies furent modifiées, et on ajouta des encorbellements au grand Buffet. C'est à Bender que Silbermann sous-traita, comme à son habitude, la menuiserie. Voici la Composition de l'orgue d'André Silbermann, toute "classique française", ce n'étonne pas de la part d'un élève de THIERRY :
En 1717, Silbermann amena Louis MARCHAND à la tribune.
La famille Rauch fournissait les titulaires de l'orgue. Silbermann eut pas mal de démêlés avec les frères Michel Joseph et Jean Georges Rauch. Michel Joseph, excellent organiste, a laissé l'image d'un piètre compositeur, très prétentieux et plutôt instable. Jean Georges, le cadet, lui succéda en 1733 et n'avait pas meilleure réputation. Puis ce fut la grande époque des Kappellmeister d'exception comme François Xavier RICHTER et Ignace PLEYEL.
Jean-Baptiste Rauch succéda à son oncle
En Mai 1796, Conrad SAUER, ancien ouvrier de Jean-André Silbermann se présenta pour remettre l'orgue en état (et changer le Diapason). Cela ne se fit pas, mais il était entériné que Sauer "succédait" à Silbermann. L'entretien lui échut, puis passa naturellement à Théodore Sauer. De nombreux devis de réparations furent rédigés. Mais en 1833, alors que Joseph WACKENTHALER était Maître de Chapelle, on souhaita "compléter" l'orgue. Cela se fit en deux fois, et les travaux furent (assez curieusement) confiés à Georges WEGMANN, de Mackenheim.
En 1833, Wegmann compléta l'Echo à 49 notes, en remplaçant le Sommier de Silbermann.
Il y ajouta aussi 5 Jeux : un Principal 8', un Salicional 8', une Gambe 8', une Flûte 4' et un Hautbois 8' et retira la Tierce 1'3/5.
Mais Wackenthaler rêvait de CAVAILLE-COLL. Dès 1850, il élabora un projet, et fit établir vers 1869 des Devis "restauration" des orgues Silbermann par Merklin et Cavaillé-Coll. Mais l'Oeuvre Notre-Dame n'accorda pas ses subsides. Puis ce fut l'époque du Kapellmeiser Franz STOCKHAUSEN.
e siège de 1870, rien que sur le plan culturel, coûta à la ville de Strasbourg sa bibliothèque, les Dominicains (et l'orgue Silbermann qui s'y trouvait), et bien d'autres destructions inestimables et irrémédiables.
L'instrument de la nef, entretenu par la Maison Wetzel, devait être en état dans les années 1890. Mais pour la liturgie, et dans la pensée de l'architecte KLOTZ, ce n'est plus un orgue de tribune qu'il fallait. L'orgue de choeur fut placé par Joseph MERKLIN en 1878. Il était destiné à remplacer le grand-orgue. Seulement, juste après son installation, les commentaires affluèrent et des idées surgirent. Le Merklin fut directement à l'origine des projets de "rénovation" de l'orgue de la nef. Stockhausen voulait que les deux orgues puissent donner un tout cohérent, cela impliquait un changement du Diapason du Silbermann, donc des "réparations". Wetzel, Merklin et Cavaillé-Coll firent des devis. Merklin rédigea une lettre expliquant en quoi les modifications à apporter au "vieil et bon instrument" allaient être coûteuses. On songea évidemment, comme ailleurs, à placer une Console électrique, et/ou à commander tout ou partie du grand-orgue depuis le choeur. C'était une époque féconde en fausses bonnes idées. Puis l'hiver 1879-1880 - fort rigoureux - vit surgir les premiers dysfonctionnements du Merklin.
Entre temps, le Badois Heinrich KOULEN, élève de Merklin, s'était établi à Strasbourg. Fervent amateur de "systèmes" à la pointe du progrès, mais compliqués et fragiles, il était un excellent harmoniste et ne manquait en tous cas pas d'ambition. Ses éphémères machines étaient belles et enthousiasmantes. Koulen fit une proposition visant à pneumatiser le Silbermann le 11/04/1880. La Maison DALSEIN/HAERPFER se fendit aussi d'une proposition, mais un peu tard. Du côté du "progrès", Koulen s'attacha à attirer vers lui le soutien de l'évêché, et finit par l'obtenir. Son projet ? Changer complètement l'alimentation en vent, et poser, comme transmission, un des premiers "systèmes" électro-pneumatique, SCHMOELE-MOLLS (comme à Strasbourg, St-Aloyse). Ajouter des Jeux et "parfaire" l'orgue Silbermann. En 1889, on réunit une Commission. Et les projets divers avaient fleuri : même la Maison WALCKER, de Ludwigsbourg, proposa un projet, assez étonnant, puisqu'il s'agissait de réduire le Silbermann à 24 Jeux fortement harmonisés ! Il en vint de LADEGAST (Weissenfels, Saxe), WEIGLE (Stuttgart), SAUER (Francfort sur Oder), GOLL de Lucerne, et bien sûr Wetzel. Goll et Koulen finirent en short list, et le Strasbourgeois, évidemment, l'emporta, réunissant sur lui les suffrages du Maire et les recommandations de Merklin, qui, tant qu'à ne pas avoir le marché, avait décidé de favoriser son ancien élève. Entre temps, GESSNER s'était bien rendu compte que les "systèmes" à la Koulen manquaient de fiabilité, en raison de la jeunesse des technique et de la faiblesse des matériaux utilisés, mais ce fut trop tard. Mais il ne fallait pas toucher au Buffet, ni "altérer le caractère Silbermann"...
L'orgue de la cathédrale ruina complètement la réputation de Koulen, qui partit s'établir à Oppenau.
Il fallut construire des échafaudages de soutènement pour les voûtes nord, et donc démonter l'orgue, ce qui fut fait, en plusieurs étapes, juste avant le première guerre mondiale. Et ce démontage eut lieu au plus mauvais moment.
Après la guerre, ne nombreuses énergies furent mobilisées pour doter la cathédrale d'un orgue de nef. Le projet consistait à construire un orgue neuf avec les Tailles (rapports dictant les dimensions des tuyaux, donc leur timbre) de Silbermann. Et surtout, avec une transmission mécanique (assistée par Machine Barker). Bien sûr, les idées avaient évolué. On parlait de Monuments Historiques, d'authenticité, de traction mécanique. On regrettait le Silbermann. Charles-Marie WIDOR prit la présidence de la Commission chargée d'organiser le Concours. Un appel d'offre fit produire des devis aux Maisons Cavaillé-Coll, GONZALES, JACQUOT, LAPRETE (l'ex-Maison RINCKENBACH), ROCHESSON et Roethinger. Cette fois, la short list se fit en 1933 entre Cavaillé-Coll et Roethinger, et le Strasbourgeois l'emporta. Edmond Alexandre Roethinger avait appris le métier chez Koulen, mais aussi en Allemagne, essentiellement chez MËRTZ à Munich. Après quelques déboires essentiellement dus à ses tractions pneumatiques, Roethinger décrocha le marché pour l'orgue d'Erstein, et se forgea une bonne réputation. Il s'améliorait d'année en année, et en 1930, sa facture était à un excellent niveau.
Mais en plus du caractère atypique de la transmission mécanique, il y avait le problème de la profondeur très limitée (1m20 à 1m50) et surtout du Positif de dos, qui nécessite des techniques différentes (Balanciers et mécanique foulante, les Soupapes n'étant pas tirées par des Vergettes mais enfoncées par des Pilotes).
En Alsace, on n'avait pas construit de Positif de dos depuis les années 1870 (à quelques exceptions notables, comme Uhlwiller, 1878).
L'orgue Roethinger remplit son office.
Il restait alors 250 tuyaux Silbermann dans l'orgue.
L'orgue Roethinger a été inauguré le 07/07/1935 par Charles TOURNEMIRE. Puis, peu à peu, l'ensemble se mit a vieillir. L'acoustique du lieu et surtout la situation de l'orgue n'est pas idéale pour un instrument de cette esthétique. La traction pneumatique du Positif, sur laquelle les Spécialistes avaient jeté un voile pudique se mit a donner des faiblesses. Les conditions (température, humidité) sont difficiles pour des éléments pneumatiques. En 1959, Max Roethinger "baroquisa" un peu l'ensemble en s'inspirant de Dom Bédos pour rectifier les Pleins-jeux. Une audition fut organisée, avec Jeanne DEMESSIEUX, le 18/10/1959.
e 05/08/1974 la Partie Instrumentale du grand-orgue de la cathédrale, avec ses 250 tuyaux Silbermann, fut classée Monument Historique. Entre temps, la facture d'orgues avait fait de nombreux progrès, et connu d'autres mutations. Grâce aux travaux de Michel CHAPUIS, on disposait non seulement pour les orgues de la cathédrale d'un projet esthétique cohérent, mais aussi une vue claire sur la façon d'y parvenir. Il ne s'agissait pas de reconstruire le Silbermann (il n'en restait objectivement à peu près rien), mais un orgue neuf adapté à son usage. Cette fois, plus question d'assistances pneumatiques : l'ensemble allait être entièrement mécanique. La construction de l'instrument neuf fut confiée à Alfred KERN, qui savait que ce serait l'un de ses derniers travaux d'importance (après la Cathédrale, il supervisa encore la restauration de l'orgue Friedrich RING de Ribeauvillé, et ce fut son dernier travail). Il y mit toute sa compétence et toute sa rigueur. Si, à St-Thomas, il s'agissait d'une Restauration, il fut au contraire laissé une grand liberté à Kern pour la construction de l'orgue de la cathédrale. Robert PFRIMMER, alors Maître de Chapelle, raconte à quel point le facteur restait patient, impassible et méticuleux, bien que la date de l'inauguration approchait. Le facteur travaillait hors du temps dans un Buffet qui était sorti du fond des âges. Cela reste le dernier orgue que l'on puisse réellement attribuer à Alfred KERN. Son fils Daniel prit sa suite à la tête de l'entreprise, qui a récemment fusionné avec l'autre Maison (Gaston) KERN. Le grand-orgue Kern de la cathédrale joua pour la première fois à la Pentecôte 1981. Il fut inauguré par Gaston LITAIZE, dont le programme allait de Titelouze à Messiaen et Litaize. Diapason : La 440 Hz.
Voici la provenance respective des différents Jeux que l'on peut entendre dans l'orgue actuel :
n 1490, Pierre SCHOTT rapporte l'histoire suivante : "On a juché une statue grossière sous les orgues de la cathédrale. On en abusait de la façon suivante. Aux saints jours de la Pentecôte, de tous les points du diocèse, le peuple se rend par esprit de dévotion et pour louer Dieu, en procession avec les reliques des saints, en la cathédrale comme à l'église-mère. Un loustic se cache derrière la statue. Par des mouvements désordonnés, des cantiques profanes et inconvenants criés à haute voix, il trouble les hymnes des pèlerins arrivants et les couvre de ridicule. De cette façon, il tourne la dévotion des arrivants en distraction, leurs pieux soupirs en rire, mais il dérange aussi les clercs qui psalmodient le saint office, il est cause d'une abominable et exécrable perturbation pendant le sacrifice de la ste messe". Les deux automates datent probablement des travaux de Claus Karlé (1327).
Ils encadrent, depuis la pose du pendentif, un troisième automate, puisque, dans l'ornement figurant Samson maîtrisant le lion, un mécanisme permet d'en ouvrir et fermer la gueule.
A gauche se trouve le sympathique Héraut de la ville.
Il peut emboucher sa trompette, qui est munie d'un drapeau figurant d'un côté la Vierge à l'Enfant, et de l'autre les armoiries de Strasbourg.
A droite, c'est l'affreux Bretzelmann, le hirsute vendeur de Bretzels (Bretstelles) : à l'époque, des brioches.
Les forains en vendaient aux pèlerins affamés par leur long voyage.
La réputation de l'automate ne tarda pas à déteindre sur toute la malheureuse corporation des boulangers, qui furent longtemps surnommés "Rohraffes", c'est-à-dire "Singe des tuyaux".
Le mot désigne tantôt les deux automates, tantôt spécifiquement le hirsute Bretzelmann.
Bien sûr le "loustic" chargé de prêter sa voix au personnage, ne pouvait se cacher derrière la statue. En fait, il y a une trappe qui permet de se faufiler dans le pendentif. Et une ouverture en forme d'étoile (on la distingue encore sur une gravure de Jacob von HEYDEN de 1628) permettait de laisser échapper le son. En 1352, le Rohraffe fut victime d'une concurrence tout-à-fait déloyale. On avait en effet posé l'Horloge des Trois Rois (Dasypodius), qui était munie d'un automate impressionnant : un coq qui chantait et battait des ailes. L'altercation imaginaire et satirique entre le coq et le Bretzelmann est narrée dans une poésie du 14 ème siècle. Vers 1500, le Bretzelmann ne s'était pas calmé, et ses frasques provocatrices et subversives étaient célèbres. Il est attesté que GEILER de KAYSERSBERG s'en plaignait dans ses sermons. Et ce rôle, qui permettait de "dédramatiser" l'office de la Pentecôte correspondait à un besoin social bien identifié. Même s'il faisait l'objet des foudres officielles de Geiler, le Rohraffe (en fait les Münsterknecht, l'ouvrier de la cathédrale qui lui prêtait sa vois) était tout aussi officiellement rétribué par l'Oeuvre Notre-Dame ! C'était donc un persifleur professionnel, l'ancêtre des journaux satiriques. C'est probablement lorsque la cathédrale passa à la Réforme (1524 à 1549, puis 1561 à 1681) que le Rohraffe perdit sa voix...
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