A partir la fin du 18ème siècle, les industries textiles ont assuré le développement de la région de Wesserling. Déjà en forte expansion au milieu de 19 ème siècle, Ranspach devient une paroisse indépendante le 03/05/1849. La seconde partie du 19 ème siècle fut extrêmement florissante, puisqu'on lui doit l'église (dont l'architecte, Joseph Langenstein, était enfant du pays), la mairie, la fameuse fontaine St Antoine de Baltazar Kalt (1867), et l'orgue Merklin de 1860.
Historique
C'est en 1860 que Ranspach reçut son orgue Joseph Merklin. [IHOA] [ITOA] [PMSMERKLIN] [YMParisAlsace]
A l'époque, la maison Merklin était à son apogée. Elle avait déjà absorbé l'entreprise Daublaine-Callinet (1855). De mi 1858 à mi 1873, sa raison sociale était "Société anonyme pour la fabrication de grandes orgues et d'instruments à languettes. Etablissements Merklin-Schütze".
Il y a, tout d'abord, une charmante "querelle d'apothicaires" consistant à déterminer quel est le premier Merklin d'Alsace : Ranspach ou Blotzheim ?
Disons-le tout de suite, celui de Blotzheim n'existe plus. La portée du résultat lui-même est fort limitée, mais l'affaire illustre l'intérêt de fixer de bonnes définitions. Il faut par exemple se donner une règle pour dater les orgues. La "norme" aujourd'hui, est de retenir la date de la réception (plus précisément la signature de son procès-verbal). Car la "date de construction" est généralement inconnue. Pour Ranspach, la réception a eu lieu le 16/12/1860. Le troisième Merklin d'Alsace, Wintzenheim, est clairement le troisième, puisqu'il a été reçu le 31/01/1861. Notons que c'est seulement 6 semaines après celui de Ranspach : il est clair qu'un petit délai pour organiser la réception peut changer l'ordre des listes établies selon ces critères.
C'est la datation de l'orgue de Blotzheim qui pose problème. On suppose justement que sa construction eut lieu en 1860, mais comme il a été offert par la famille Rein, il n'y a pas eu de financement public, donc peu de traces aux archives. Et pas de réception. Il avait donc un peu le statut d'orgue privé - là aussi, on manque de définition claire. Tout ce qu'on sait, c'est que le 23/06/1861, le jour de la consécration de l'église de Blotzheim par Mgr Räss, l'orgue était déjà là (II/0P de 6+4j). En appliquant rigoureusement les critères de datation, on ne peut pas dire que l'orgue de Blotzheim fut le premier d'Alsace. Ce qui est sûr, c'est que l'orgue de Ranspach est à la fois le plus ancien Merklin conservé d'Alsace, et le premier payé par des fonds publics. Ajoutons que, même si l'orgue de Ranspach a été reçu en décembre 1860, rien n'indique qu'il n'a pas été achevé avant ; il serait a priori forcément postérieur à mai, mois d'approbation de son devis. [PMSSUND1981] [PMSMERKLIN] [YMParisAlsace]
Mais le propre des bonnes querelles d'apothicaires, c'est de garder un rebondissement intéressant pour la fin. En effet, une tradition locale affirme que "[les orgues de Ranspach étaient] destinées primitivement à une église de couvent". Ce détail a été retenu parce qu'il aurait contribué à obtenir un prix intéressant, mais aussi explique la nécessité de l'abaissement de la tribune. (Parce qu'il était trop haut.) Vu qu'il n'avait pas encore de buffet, cet orgue ne peut pas être qualifié d' "occasion". Mais il a donc pu être construit avant même le devis pour Ranspach ! Dans ce cas, ce serait vraiment le premier Merklin d'Alsace. Sauf qu'il serait arrivé en Alsace après le deuxième... à nouveau, cela pose un intéressant problème de définitions. [Visite]
Outre l'aspect un peu anecdotique de ces "chicaneries", il reste un fait intéressant : la tribune a dû être abaissée. Etait-ce en raison de la structure de l'orgue, qui n'avait pas été prévu pour Ranspach ? L'histoire "officielle" de l'orgue de Ranspach ne parle pas du mystérieux couvent qui aurait commandé l'orgue à l'origine. Une lettre du conseil municipal à la préfecture, datée du 01/08/1860 explique la nécessité d'abaisser la tribune de façon vraiment alambiquée : "[Il faut de façon urgente,] attendu que la population augmente toujours, et qu'un côté de la tribune sera forcément réservée aux chanteurs, dans le but de créer pour la suite plus de place dans notre église, établir sur le seul côté restant ouvert au public, et dans la partie du fond non occupée par les chanteurs, des bancs en amphithéâtre qui permettront de loger facilement 180 à 200 personnes." On y parle de demi-tribunes (droite et gauche) et même de "moitiés avant". Cela s'appelle couper les tribunes en quatre. Et puis... 180 à 200 personnes dans une dizaine de mètres carrés... les normes de "distanciation entre personnes statiques" devaient être plutôt souples à l'époque. Tout cela laisse quand même penser que le conseil municipal ne voulait pas laisser croire à la préfecture que l'orgue était "d'occasion".
Pour en finir avec les spéculations, il est absolument certain que la tribune a été abaissée, vu qu'il reste la partie supérieure de l'escalier :
Qu'il soit ou non le premier Merklin d'Alsace, l'orgue de Ranspach a une importance historique et culturelle considérable. Car cette commande d'un orgue parisien est révélatrice du fait qu'à la fin des années 1850, une partie du monde de l'orgue alsacien, avec l'appui de grandes familles du textile, voulait échapper à la routine du "pré-romantique" local. En clair, à Stiehr et Callinet. Comme le fait justement remarquer l'étude de Yannick Merlin sur les orgues et organistes parisiens en Alsace, Ranspach n'était en 1860 quasiment entouré que d'orgues de Joseph Callinet. Au sujet de celui de Fellering (1827), on remarque qu'il n'y a aucun élément qui permette de le situer plus en 1827 qu'à la fin du 18ème siècle, si ce n'est la fameuse Flûte traversière 4'8' qui a fait couler tant d'encre. Or, comme l'a montré Roland Galtier, elle "était pratiquée par beaucoup de facteurs de l'époque", mais en Alsace, uniquement par les Callinet. Et dire que l'organologie alsacienne de la fin du 20ème l'a fait passer pour une spécificité alsacienne... [YMParisAlsace]
De fait, dans la région de Ranspach, la seule influence extérieure semble avoir été jusque-là celle d'Eberhard Friedrich Walcker, qui avait posé un orgue à Husseren-Wesserling en 1857. La démarche est alors claire : pour "élargir l'horizon" et échapper à ce qu'il faut bien appeler un atavisme de la facture alsacienne en 1860, on voulut avoir à la fois un "romantique allemand" et un "romantique français". Et il ne faut absolument pas opposer les deux : Merklin avait été formé par Walcker, et revendiquait ce fait, puisqu'en 1845, il se présentait comme un "facteur d'orgues à tuyaux dans le genre allemand". (Il est vrai qu'à cette époque, il s'installait en Belgique.) En somme, pour Ranspach, le choix était du pur bon sens, du point de vue de la gestion du patrimoine.
L'église a été bénie le 04/06/1857, et le devis Merklin est daté du 21/04/1860. Il a été approuvé par le conseil municipal le 04/05/1860. Il s'agissait un orgue typiquement "symphonique français", avec des claviers allant jusqu'au sol (g''') (56 notes pour le grand-orgue, mais seulement 44 pour le second manuel, dépourvu d'octave grave). Ce second manuel, le récit expressif, est en quelque sorte un "récit+positif expressifs", doté à la fois d'une Trompette harmonique et d'une Clarinette. La seule anche de pédale est un 16' (pas d'anche en 8'), et le grand-orgue dispose à la fois d'une Trompette et d'un Clairon. [PMSMERKLIN]
Le devis donne, "comme terme de comparaison de l'instrument à fournir, l'orgue de chœur de Saint-Philippe-du-Roule à Paris, et l'orgue de l'église paroissiale de Brienne Napoléon près Troyes, reconstruits d'après les ordres de Sa Majesté l'Empereur". Force est de constater qu'aujourd'hui, c'est plutôt l'orgue de Ranspach qui nous permet de nous renseigner sur ces deux autres instruments... Le devis précise aussi que l'appel des jeux de combinaison se fait par layes doubles. [PMSMERKLIN]
On vérifie que la Voix humaine n'est pas un "jeu de combinaison", mais la Doublette et le Plein-jeu oui. Ce sont bien les jeux à ajouter lorsqu'une partition romantique française demande "Anches". La dénomination "Appel combinaisons" et "Appel anches" a la même signification.
Dans une lettre du 26/02/1861 au préfet, Joseph Coyot, le maire de Ranspach, relate que Charles-Victor Dubois (en quelque sorte "démonstrateur" pour la maison Merklin-Schütze à l'époque) est venu passer une semaine, pour "former" les experts et l'organiste titulaire aux caractéristiques du nouvel instrument. Cela a été efficace, puisque le procès-verbal de réception note avec enthousiasme que "par les pédales d'accouplement et de combinaison, l'organiste peut disposer de six claviers, de six combinaisons de jeux différentes, sans pour cela ni tirer, ni entrer un seul registre." [PMSMERKLIN]
Charles-Victor Dubois (11/12/1832 à Lessines, 02/1869) appartenait assurément à "l'école Fétis". Il a appris la musique à l'Institut Royal des Aveugles de Bruxelles et en décembre 1830, devint organiste près de Tournai. En 1854, Joseph Merklin, l'ayant entendu jouer une fois, en fut tellement charmé qu'il le prit comme compagnon lors de ses voyages. En 1856, il jouait quatre fois par semaine dans les ateliers Merklin le grand-orgue destiné à la cathédrale de Murcie. En 1865, il improvisa pendant 6 semaines sur les orgues Merklin participant à l'exposition de Dublin. Le public était conquis. Il mourut du choléra en février 1869, âgé de 36 ans. [PMSMERKLIN]
L'orgue Merklin de Ranspach a été reçu le dimanche 16/12/1860 par Edouard Mertké (professeur de musique à Wesserling et organiste de l'orgue Walcker de l'église Saints-Philippe-et-Jacques de Husseren-Wesserling), Gaspard Vogt (Colmar, St-Martin, le fils de Martin) et François-Joseph Hosstetter (Saint-Amarin). Gaspard Vogt participa aussi à la réception de l'orgue de Wintzenheim. [YMParisAlsace]
Mais l'orgue de Ranspach illustre aussi le début d'un autre phénomène culturel : les inaugurations festives, séparées des réceptions elle-mêmes. L'événement, qui eut lieu du 16 au 20 décembre, fut relaté par "L'industriel Alsacien" du 16/12 : "L'inauguration et l'expertise de l'orgue de l'église de Ranspach, construit par MM. Merklin-Schütze (Paris et Bruxelles), auront lieu dimanche 16 et jeudi 20 décembre. M. Dubois, professeur au Conservatoire de Bruxelles et les principaux organistes du Haut-Rhin se feront entendre à l'occasion de cette solennité." On ne connaît malheureusement le programme, mais il semble avoir été uniquement instrumental. (Sinon, les chorales et maîtrises auraient été citées.) Dans une lettre adressée à l' "Impartial du Nord" (et publiée dans La Maîtrise, 3ème année, n° 3, 15 juillet 1859, p. 45-47), Pierre Hédouin donne des détails sur le concert de Charles-Victor Dubois en 1859 pour l'inauguration de l'orgue Merklin de l'église de Denain : "quatre improvisations et une pastorale de sa propre composition, Les "Veilleurs de nuit" de Lefébure-Wély, une Prière d'Eslava et un Prélude de Lemmens." [YMParisAlsace]
C'était une des toutes premières manifestations du genre en Alsace : auparavant, on ne pouvait entendre l'orgue que joué par les experts effectuant sa réception. (Puis par l'instituteur...) Par la suite, l'inauguration par des organistes invités, séparée de la réception, deviendra la norme. [YMParisAlsace] [PMSMERKLIN]
Le devis appelle l'anche de 16' "Trombonne" et précise que les tuyaux seront en étain. Mais cela aurait été extrêmement luxueux ! De fait, les résonateurs actuels sont en bois, et ont l'air d'origine : il devait s'agir d'une coquille sur le devis. D'ailleurs, à la réception, personne ne semble avoir relevé que l'anche 16' avait finalement - et logiquement - des résonateurs en bois. Une autre donnée technique erronée sur l'orgue de Ranspach concerne la Machine Barker : il n'y en a pas, et n'y en a jamais eu ; elle ne figurait d'ailleurs pas au devis. [Visite]
Les tuyaux de montre ont retenu beaucoup d'attention lors de la réception : le devis ne prévoyait pas de chanoines (tuyaux muets). Or, le buffet a nécessité 80 tuyaux de montre en tout. (7 + 6 + 2 x 7) x 2 + 6 pour la superstructure et 5 x 2 + 11 pour le "positif". D'après le procès-verbal de réception, 24 tuyaux parlants ont pu être placés en façade, mais il restait donc 56 chanoines qui constituaient une plus-value - qui était donc normalement à la charge de la commune. Heureusement, un "procès-verbal de reconnaissance et de réception de l'orgue" (noter la nuance), daté du 20/12/1860 explique que ladite plus-value s'est soldée par un "geste commercial" de Merklin. [PMSMERKLIN]
Notons qu'Obernai connut à peu près la même mésaventure en 1882 avec son Merklin, pour lequel on avait oublié les tuyaux de façade du positif. Là-bas aussi, il y eut un "geste commercial", mais en écahnge de l'acceptiation d'une autre plus-value.
Souvent, lorsqu'on est face à une situation compliquée, on se dit que le fait de constater sur place va éclaircir les choses. Résultat : il y a 40 tuyaux du Principal 8' "sur le vent", donc 16 parlant en façade. Et pas 24. En fait, face à une situation compliquée, il ne faut pas chercher à l'éclaircir, à moins d'être conscient de l'inévitable augmentation de complexité.
Les sommiers du grand-orgue comportent 11 chapes, et ceci est d'origine, puisque les 11 registres et leur mécanique sont homogènes. On peut en conclure que l'orgue a soit été livré avec une chape vide, soit doté d'un jeu non prévu au devis, mais disparu depuis. Toutefois, cette dernière hypothèse est peu crédible, le procès-verbal de réception, on l'a vu avec l'histoire des chanoines, était très pointilleux sur les "ajouts". [Visite]
D'après l'histoire officielle de l'instrument, c'est vers 1930 que Jules Besserer compléta le récit en y ajoutant une octave grave (C-H), ajouta une Quinte-flûte 2'2/3 au grand-orgue (peut-être sur une chape vide), et remplaça la Voix humaine par un Dolce 8'. Il ajouta aussi deux accouplements à l'octave (II/I 16' et II/I 4') pour doter l'instrument de couleurs "post-romantiques" pour lesquelles il n'était assurément pas conçu. [PMSMERKLIN]
Mais l'analyse de l'existant pose pas mal de questions. D'habitude, on revient d'une visite avec juste un peu plus de questions que de réponses. Mais ici, le record est sûrement battu. L'historique "officiel" n'explique pas pourquoi les tirants de la console ressemblent comme deux gouttes d'eau à des tirants de Martin Rinckenbach. Et puis, il y a cette "Quinte-flûte", tellement belle qu'on veut aller la voir... pour se rendre compte que ses tuyaux paraissent sortir tout droit des ateliers d'Ammerschwihr (~1880), avec leurs aplatissages et leurs doubles poinçons (sur le pied et le corps, à 90°). Au récit, l'octave grave de la Gambe comporte des entailles de timbre en trous de serrure, caractéristiques de la facture de Martin Rinckenbach. On peut vraiment douter du fait que ce soit Besserer qui a complété cet instrument. Et pourquoi, en 1930, faire usage à la console de la langue allemande ?
En 1941, Georges Schwenkedel fit un entretien, sans rien altérer. En 1972, l'instrument était toujours dans l'état laissé par Besserer. En clair, l'intégralité du matériel d'origine était encore là, à l'exception d'un jeu. (La Voix humaine du récit.) [PMSMERKLIN]
L'édifice a bénéficié de travaux en 1985. En 1992, Christian Guerrier procéda à un relevage, incluant un démontage de la tuyauterie et des sommiers pour un entretien en profondeur. Le ventilateur (datant probablement de 1930) a été remplacé. [Visite]
Un historique de l'instrument est affiché à la tribune, dans deux cadres. Cet historique précise, pour le relevage de 1992 qu'il était prévu la "remise en état de la transmission existante avec remplacement des pièces usées". Or, la transmission de l'octave grave du récit, qui était censée être pneumatique à l'origine (1930), aurait donc dû être refaite en mécanique. Les accouplements à l'octave ont été supprimés. Il est difficile de dire si ces modifications ont été faites en 1992 ou avant.
Le buffet
Le magnifique buffet néo-gothique est l'œuvre de Jean-Baptiste Klem (Colmar). Il a 5m de haut pour 5m30 de large. La virtuosité dont ont fait preuve les artisans de la maison de Colmar est étourdissante. C'est assurément un des plus beaux buffets d'Alsace.
La structure principale a 7 éléments : trois tourelles (dont la centrale est plus large et plate, alors que les latérales sont prismatiques) sont séparées par deux plates-faces triples. L'originalité du dessin vient du fait que la partie centrale est jouxtée de deux tourelles, fines et élancées, à deux étages. Le devis appelle d'ailleurs "clochetons" les tourelles. Comme l'ensemble est placé à fleur de tribune, une partie basse reprend la silhouette d'un positif de dos à 3 plates-faces, qui s'avance légèrement, et donne du volume à l'ensemble.
L'ornementation, somptueuse, suit les canons du style : culots et ceinture sculptés, gâbles et couronnements munis de crochets, pinacles et fleurons. Il y a de très fines jouées.
En fait, nous avons là l'orgue de la cathédrale de Murcie... en plus petit.
Des dorures soulignent l'ornementation. L'ensemble est remarquable, tant par la finesse de la réalisation que par l'équilibre parfait des proportions.
Apparemment, cette merveille ne serait pas classée !
Mais qu'est-ce qu'on attend ? Alors que tant d'autres buffets, plus anciens mais sans originalité et parfois considérablement "bricolés", le sont... De plus, ici, la façade est... d'origine ! (Elle n'a pas été réquisitionnée en 1917.)
La maison Klem réalisa par la suite les buffets de nombreux orgues Merlin alsaciens : Willer-sur-Thur (1866), Le Bonhomme (1863), Strasbourg (1878), Obernai (1882). Et aussi celui de l'orgue de Nancy, St-Epvre. Ce choix n'était pas dû au hasard : les familles Merklin et Klem étaient liées par le mariage de Marie Josephe Constantine Rosalie (l'aînée des Merklin, née le 28/04/1847) avec Alphonse Klem, alors établi à Nancy. [MerklinJurine]
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante latérale dos à l'orgue, placée à droite du buffet, et fermée par un couvercle basculant horizontal (le dessus est plat une fois la console fermée). Tirants de jeux de section ronde à pommeaux noirs munis de porcelaines à liséré doré. Le nom des jeux figure en noir pour le grand-orgue, en bleu pour la pédale, et en rouge pour le récit. Les tirants sont identiques à ceux de Martin Rinckenbach de 1879 à 1899. La console, à l'exception notable des intéressants modillons art-déco et des tirants, est identique à celle de Wintzenheim (Merklin, 1861). Mais aussi (à l'exception des commandes à pied) à celle de l'opus 3 de Martin Rinckenbach, à Selestat (1881). On peut formuler l'hypothèse que Rinckenbach a pris cette console comme modèle pour ses premiers instruments à console indépendante. Si c'est le cas, cela vient encore confirmer qu'il a travaillé à Ranspach.
Claviers blancs, joues rectangulaires.
Les commandes à pied sont toutes constituées de pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé. Il n'y a pas de bascule pour l'expression du récit. Elles sont repérées par de grandes porcelaines ovales, en lettres noires sur fond blanc. Il y a actuellement 6 pédales, mais on distingue deux trous en "L" supplémentaires, rebouchés, ce qui semble indiquer qu'il y en a eu jusqu'à 8 en tout. Il n'y a de la place que pour 7 porcelaines, dont 2 ont disparu ; il en reste donc 5 :
- RÉUNION DU GRAND ORGUE AUX PÉDALES
- PÉDALE DE RÉUNION DU RÉCIT AU Gnd. ORGUE
- JEUX D'ANCHES DES PÉDALES
Puis un emplacement ovale vide, dépourvu de porcelaine, au-dessus d'un trou en "L" rebouché. Certainement l'appel des combinaisons du récit expressif.
- JEUX DE COMBINAISONS DU Gd. ORGUE
- JEUX DE FONDS DU Gd. ORGUE
il y a ensuite un trou rebouché (tremblant supprimé ?), puis la pédale de droite, à nouveau avec un emplacement ovale vide. (Expression récit.)
Au-dessus du second clavier, au centre, il reste une plaque en laiton gravée, disant : "SUPER I.M.", "SUPER II.-I." et "SUB "II.-I." (soit : I/I 4', II/I 4' et II/I 16'). Juste en-dessous, se trouvent les trous rebouchés qui permettaient de passer trois pistons commandant les accouplements à l'octave. L'ensemble paraît dater des années 1930, et a été supprimé, à l'exception de la plaque en laiton. Celle-ci, d'ailleurs, semble remplacer une charnière centrale (dont il y a la trace de l'élément supérieur sur le couvercle).
Plaque d'adresse dorée, sur fond de bois plus foncé, placée sous le couvercle (apparaissant donc quand la console est ouverte ; elle est masquée une fois le porte-partitions mise en place, et dit :
La plaque est rectangulaire, mais le graphisme est "ovalisé", car "SOCIÉTÉ ANONYME" et "MERKLIN - SCHUTZE" sont incurvés. Les mots "pour la ... harmonium", ainsi que "établissements" figurent dans des phylactères. A gauche et à droite, au-dessus de "PARIS" et "BRUXELLES", on trouve respectivement les armes de l'empire français et de la royauté belge.
Cette plaque d'adresse est pratiquement identique à celle de Wintzenheim (1861). C'est le même modèle que l'on retrouve à Dambach-la-Ville, mais avec un cadre moins somptueux (et là bas dépourvue des deux armoiries "empire" et "royauté" -"Paris" et "Bruxelles"). De 1860 à 1867, les plaques Merklin ressemblent beaucoup à celle de Ranspach, et il semble que celle-ci soit la première dans ce style.
Le modèle suivant de plaques Merklin (pour orgue de chœur de la cathédrale de Liège) remplace les armes par les deux faces de la médaille d'or de l'exposition universelle de Paris en 1867, et met plus en valeur le mot "Etablissements". [MerklinJurine]
Mécanique. Revue à la fin du 20ème. Elle est aujourd'hui (2019) très déréglée et d'un comportement assez imprévisible.
Sommiers à gravures, d'origine. Deux sommiers diatoniques pour le grand-orgue, en mitre, séparés pas des tuyaux graves postés. Le récit est transversal, avec les basses en arrière, en porte-à-faux entre le buffet et la tour.
A l'intérieur de la porte d'accès au récit, il y a une inscription (forcément postérieure à 1860) donnant l'ordre des chapes : "Clarinette 8'", "Trompette 8'", "Dolce 8'", "Fl. écho 4", "Gambe 8'", "Voix céleste 8'", "Fl. Harm. 8'". Curieusement, la Voix humaine (si elle a jamais existé) n'était pas à sa place logique (la première chape ; si elle a simplement été remplacée par le Dolce, elle était donc derrière la Trompette, ce qui est peu pratique pour l'accord.
La pédale est derrière le grand-orgue. L'ordre des chapes est également surprenant, car, le long de la passerelle, il y a d'abord la Soubasse, plus la Flûte 8', et enfin l'anche 16' (comme s'il était possible d'y accéder depuis l'arrière pour l'accorder).
Il n'a pas été possible, lors de la visite, d'examiner le sommier de l'octave grave du récit.
Le système d'alimentation à pied (deux pédales agissant en bascule) a été conservé.
Marques à la pointe sèche, donnant le nom de la note (par une majuscule cursive et éventuellement un "#") et le numéro d'octave (par un chiffre), parfois sur l'aplatissage. Bourdons à calottes mobiles ; entailles de timbre, mais dessus souvent au ton ; biseaux à dents, ayant l'air d'avoir été faites manuellement. La Quinte-flûte n'est effectivement pas d'origine (poinçons), mais les tuyaux ont plus l'air de dater des années 1880 que de 1930.
Façade d'origine.
La Fourniture a 3 rangs, et pas 3-4 comme au devis. Il est difficile de s'en rendre compte à l'écoute, en raison de la présence d'une Doublette. Celle-ci, mitoyenne à la Fourniture, peut être considérée comme le rang séparable d'une Fourniture 4 rgs.
De nombreux résonateurs de tuyaux à anches sont couchés sur la tuyauterie (ce qui arrive plutôt souvent dans les orgues Merklin). Certains ont été ressoudés (de façon fort maladroite) à la jointure avec le pied.
On l'aura compris, il s'agit d'un orgue absolument passionnant. D'abord par son importance historique fondamentale : il illustre le moment (1860) où l'orgue alsacien décida (enfin !) de s'ouvrir au monde. Les "agitateurs culturels" furent les familles Gros-Roman (à Husseren) et Rein (à Blotzheim). Certains y ont vu du "paternalisme", mais il faut noter que, quand d'autres collectionnaient des voitures, ceux-là offraient des orgues à la collectivité. Le mot "générosité" a tout de même un sens. En plus de s'ouvrir au monde en accueillant des Walcker et des Merklin, l'orgue alsacien s'ouvrit au grand public, par des concerts d'inauguration festifs. L'orgue de Ranspach explique donc comment, à partir de 1860, l'orgue est devenu populaire. Il l'est resté jusque dans les années 1950.
Il reste beaucoup de mystères. Car l'examen de cet instrument pose pour l'instant plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Evidemment, cela contribue un peu à son intérêt : l'enquête promet d'être passionnante et réservera d'autres rebondissements. L'historique établi à la fin du 20ème paraît erroné et - au moins - fortement lacunaire. Les éléments Rinckenbach, à l'évidence sous-estimés, ont d'ailleurs aussi une grande valeur historique : ils expliquent comment on a adapté un orgue parisien de 1860 à l'usage alsacien de la fin du 19ème. La nature de l'intervention des années 1930 a été probablement mal comprise, et il n'en reste sûrement rien d'autre qu'une plaque en laiton gravée.
Mais un orgue n'est pas une pièce de musée. En tant qu'instrument de musique, celui de Ranspach n'est aujourd'hui (2019) malheureusement pas en bon état. Un entretien en profondeur est indispensable. La mécanique est à bout de souffle, et les anches injouables. Or, un "Romantique français" sans anches, c'est un peu comme une choucroute sans choucroute : on peut manger les knacks avec de la moutarde, mais on passe à côté de l'essentiel. Et un titre, on s'en souvient, c'est d'abord une promesse. Il est incroyable qu'un orgue de cette classe, avec une telle histoire, ne soit pas Classé ! Alors que des dizaines de reliquats du 18ème - maintes fois bricolés à la sauce néo-classique puis simili-baroque - le sont. Cela démontre qu'il serait grand temps d'adopter une politique globale pour l'utilisation de l'argent public en matière d'orgues. Alors qu'ailleurs, on dépense de façon indécente pour réaliser un n-ième "simili-Silbermann", ou remplacer des façades très belles par "une neuve en étain", ou encore "mécaniser" des orgues qui n'en ont pas besoin avec l'argument "C'est la seule solution pour qu'il soit fiable dans le long terme car le pneumatique ne vaut rien", on laisse dans un état préoccupant les véritables trésors du patrimoine alsacien !
Une fois relevé, l'orgue de Ranspach redeviendra un instrument de musique d'exception. A n'en pas douter, un des meilleurs de la région, un de ceux où la magie opère et qui créent des passions. Cela devrait être une priorité pour le monde de l'orgue alsacien de s'occuper enfin de ces instruments comme ils le méritent.
Sources et bibliographie :
Remerciements à André Thro, qui nous a quittés en mai 2020.
Photos du 02/08/2019.
Photo de 2003.
Le devis, malheureusement, n'est pas repris dans son intégralité.
Article fondamental sur le sujet, que tout amateur d'orgue alsacien se doit d'avoir lu.
On peut nettoyer ses lunettes comme on veut : il y a en tout et pour tout 3 (trois) courtes lignes sur cet instrument exceptionnel. Environ une vingtaine de mots. C'est un fait révélateur, qui donne à réfléchir.
Il n'y a pas de machine Barker.
Pour la chronologie avec Blotzheim
IM68006389
Localisation :