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Les orgues de la région d'Erstein
Westhouse, St-Matthieu
1917 degr > Dégâts
Orgue authentique, sauf la façade.
Westhouse, le dernier Stiehr.
Les photos sont de Martin Foisset, 19/11/2017.Westhouse, le dernier Stiehr.
Les photos sont de Martin Foisset, 19/11/2017.

Il s'agit de Westhouse près d'Erstein. Cet orgue de 1896 est le dernier sorti des ateliers Stiehr de Seltz (appelés "Maison Mockers" à cette époque). Tout au long du 19ème siècle, cette dynastie de facteurs anima l'orgue alsacien. D'abord en rencontrant le succès dans les campagnes, en parvenant à produire de petits instruments abordables, mais sans jamais rien concéder à la qualité. Puis, dans les années 1840-1850, en innovant, comme à Bischoffsheim ou Barr. Après 1860, la maison de Seltz fit preuve d'une "fidélité aux traditions" qui tenait plutôt du conservatisme forcené. Elle était désespérément agrippée aux recettes qui avaient fait son succès : positifs de dos, compositions "classiques" à étagements de Principaux, transmissions mécaniques "rustiques" qui donnaient surtout envie de passer à un autre système... S'acharnant à construire des orgues comme en 1840, elle refusait tout apport de la facture européenne, qui, florissante dans le dernier tiers du 19ème, avait permis l'émergence d'un nouveau style et d'un nouveau répertoire. Evidemment, éloignée des préoccupations des organistes et commanditaires, sa production, inadaptée, ne cessa en même temps de décliner.

Vers 1890, toutefois, on découvre un Louis Mockers lucide, motivé, et prêt à se tourner - enfin - vers l'avenir. Peut-être que la disparition de Léon Stiehr lui a permis, enfin de sortir de l'ombre. Malheureusement, cela ne dura pas : c'était sûrement trop tard, car l'entreprise souffrait clairement d'un manque de compétences dans plusieurs domaines, et les acquérir prend du temps. Mais il dota l'Alsace de quelques instruments originaux et attachants (Orschwihr, Schweighouse-sur-Moder, Westhouse). Revenons donc sur l'histoire qui conduisit à ce bref mais émouvant renouveau de la maison de Seltz.

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L'orgue de facteur inconnu (1732)
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Historique

Il y avait déjà un orgue à Westhouse en 1732. On ne sait pas d'où il venait, ni qui l'a construit. [IHOA]

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L'orgue Joseph Waltrin
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Historique

En 1758, Nicolas Boulay installa l'ancien orgue Aebi/Joseph Waltrin qui venait d'Erstein, St-Martin. [IHOA] [Erstein1978] [PMSSTIEHR]

Il s'agissait du fameux "mauvais orgue" cité par F.X. Mathias (lequel pensait que le déménagement avait été effectué par Jean-André Silbermann et non Nicolas Boulay). C'était peut-être un instrument qui remontait encore pour partie à Hans Jacob Aebi, pour lequel Waltrin n'aurait fait que poser ou remplacer la pédale. De fait, on voulut remplacer cet instrument dès 1812, puisqu'on apprend dans les délibérations du conseil municipal qu'il est "indispensable de remplacer l'orgue qui n'est plus susceptible de réparation, tandis que la fabrique n'a aucun fonds pour faire face aux dépenses [...] il est urgent de pourvoir audit remplacement pour honorer le tout puissant avec cette pompe qui est due au créateur de l'univers dans une commune aisée et populeuse comme celle de Westhausen [...]". Mais en 1829, on en était encore à constater le "délabrement" du vieil instrument. [PMSSTIEHR] [Erstein1978] [Barth]

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Historique

En 1830, Westhouse se dota d'un premier orgue Stiehr-Mockers. [IHOA] [PMSSTIEHR]

L'affaire a été conclue le 10/06/1829 avec Joseph Stiehr et Xavier Mockers. On ne sait pas grand chose de cet instrument, mais, comme il fut installé dans l'ancienne église de 1724 (démolie en mars 1895 car trop petite), il était probablement de taille réduite. Cela explique probablement son remplacement en 1895. [PMSSTIEHR]

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Historique

En 1897, Louis Mockers construisit un orgue neuf. Il reprit l'ancien orgue Stiehr de 1830. [IHOA] [ITOA]

Pour situer le projet dans son contexte, il faut se rappeler qu'en 1878, Théodore et Auguste Stiehr avaient encore construit un orgue avec un positif de dos. Le destin du dernier Stiehr Frères, à Barembach est édifiant et révélateur. Théodore Stiehr y avait achevé en 1886 un orgue qui donna tellement peu satisfaction qu'en 1902, sa partie instrumentale était déjà remplacée, par la maison Link. Que reprochait-on aux orgues Stiehr ? Probablement, déjà, la console d'un autre âge. Pour le reste, la réponse se trouve dans "Caecilia" de 1927, page 74 : "[Die Stiehr Orgel die] in seiner Anlage der damaligen Zeit entsprechend mit stark intonierrem Hauptwerk une sehr schwachem Echo für die heutige Orgelliteratur wenig brauchbar war". ("[L'orgue Stiehr de Schweighouse-sur-Moder], avec la configuration de cette époque présentait un grand-orgue harmonisé fort et un écho presque inaudible, était peu utilisable pour la littérature d'orgue d'aujourd'hui." Même si l'organologie alsacienne de la fin du 20ème a cherché à tourner ce témoignage en ridicule, il n'en reste pas moins un témoignage.

La réception eut lieu le 10/12/1896, menée par Friedrich Wilhelm Sering. Il y eut deux devis, et le premier, daté du 12/10/1895, a été vu par Louis Ginter. Outre la console indépendante (inspirée de celles de ses concurrents), de nombreux faits illustrent la volonté d'innover de Louis Mockers : par exemple le remplacement d'un Piccolo 1' (prévu au premier devis) par une Fugara 4'. Cette dernière, plus gambée, mois aiguë, est plus conforme au style de l'époque et adaptée à la composition de ce récit fondé sur un Principal-Violon. Dans la même logique, la pédale a été complétée par un Violoncelle 8' (qui manquait au devis initial). La composition actuelle est d'origine. La Flûte traverse n'est pas, comme chez les Callinet, une Flûte ouverte en étain : c'est ici une vraie Flûte harmonique (à partir de c'), de large taille. [PMSSTIEHR]

Bien qu'appelée "Mixtur 2'2/3", c'est bien une Fourniture "classique" à reprises qui a été réalisée (avec des harmoniques de 16' dans l'aigu). Une bonne part de la tuyauterie a été fournie par la manufacture Guetton-Dangon de Lyon. [ITOA]

...ce qui ne la rend pas plus mauvaise pour autant. Ce qui est "artisanal" n'est pas forcément meilleur, et, de toutes façons, c'est l'harmonisation qui compte.

Une réparation, effectuée par Louis Mockers, fut nécessaire dès 1905. [PMSSTIEHR]

Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en avril 1917. [IHOA]

En 1928, Edmond-Alexandre Roethinger fit une réparation. C'est probablement lui qui remplaça (une première fois) les tuyaux de façade. [PMSSTIEHR] [Barth]

Comme en atteste une inscription relevée dans l'orgue, il y eut une réparation, en 1943, par Adolphe Blanarsch. [ITOA]

En 2006, l'orgue a été relevé par Daniel Kern, de Strasbourg-Cronenbourg. Une nouvelle façade fut posée. Ces travaux ont fait l'objet d'une inauguration, le 07/05/2006, par Marie-Clothilde Waegele, avec la chorale de Westhouse dirigée par Jean-Pierre Schwaab, et une présentation de l'instrument par Robert Pfrimmer. [Caecilia]

Le buffet

Le superbe buffet, en chêne, est néo-gothique jusqu'au bout de ses pinacles. Le dessin est très élégant, et l'ensemble en totale harmonie avec l'édifice, en particulier la chaire, qui, avec son escalier d'accès, est impressionnante de finesse.

Trois tourelles plates, la plus grande au milieu, sont séparées par deux plates-faces. L'ornementation est particulièrement riche : jouées ajourées à pinacles, frises de quadri-lobes. Les tourelles sont munies de gâbles supérieurs, et les couronnements constitués de pinacles à crochets.

Notons que la façade de 1928 avait une ligne de bouche horizontale dans les plates-faces, et en "V" dans les tourelles. La façade de 2006 a une ligne de bouche en "V" partout, avec des écussons rapportés dans toute la tourelle centrale, mais seulement pour les tuyaux du milieu des autres éléments.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2017
Grand-orgue, 54 n. (C-f''')
C-h en sapin, puis métal
C-h en Montre, 2006
C-H bouchés, en sapin ; métallique (sic) et ouverte à partir de c
Toute en étain
C-A en Montre, 2006
Harmonique sur c'-f'''
Etain
C c c'
2'2/3 4' 5'1/3
2' 2'2/3 4'
1'1/3 2' 2'2/3
Etain ; tuyaux engagés dans une boîte commune ; fis''-f''' harmoniques
Récit expressif, 54 n. (C-f''')
Harmonique sur c'-f'''
(C-h)
Conique, étain
(c'-f''')
Double cônes, bords rentrants
Pédale, 27 n. (C-d')
Principalisante
Etain ; entailles de timbre ; rouleaux en bois montés sur les oreilles
Tuyaux engagés dans une boîte commune ; anches libres.
I/P
Cuiller à accrocher
[Visite] [Caecilia] [ITOA] [PMSSTIEHR]
Console:
La console indépendante, une des seules de la maison Stiehr.La console indépendante, une des seules de la maison Stiehr.

Console indépendante face vers la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux munis de porcelaines, disposés en deux gradins, de part et d'autre des claviers. Les porcelaines ont un fond de couleur rose pour le récit, bleu pastel pour la pédale, et blanc pour le grand orgue. Le nom des jeux figure en gothique. Claviers blancs, aux frontons droits (même au récit). Joues moulurées. Le gradin des tirants dispose d'un grand chanfrein, un peu comme les consoles des orgues Link de l'époque.

Commande des accessoires par 4 pédales-cuillers à accrocher, rectangulaires, en fer forgé. Elles sont repérées par des porcelaines rectangulaires blanches placées au-dessus du second clavier : "Pedalkopplung" (I/P), "Manualkopplung" (II/I), "Expressif", "Tremulant".

Pas de plaque d'adresse. A part les joues des claviers, la console ne porte aucun ornement, et elle est plutôt "rustique" en comparaison des autres consoles de l'époque, qui faisaient l'objet de beaucoup d'attentions de la part des facteurs.

Transmission:

Transmission mécanique, à équerres et balanciers.

Sommiers:

Sommiers à gravures, diatoniques en mitre (basses au centre) sauf pour le récit, en "M".

La boîte expressive ne s'ouvre pas au moyen des traditionnelles jalousies pivotant autour d'un axe central, mais de trois "portes" axées sur un côté, et donnant vers l'avant, dans l'espace dévolu au grand-orgue. De plus, la commande étant une pédale à accrocher (et non basculante), il n'y a que deux positions : ouvert ou fermé.

L'architecture est conventionnelle : grand-orgue derrière la façade, récit en arrière, légèrement surélevé, et pédale tout au fond. On accède au récit par l'arrière, un espace étant ménagé entre celui-ci et la pédale.

Soufflerie:

Le réservoir, à plis, est situé sous le grand-orgue. Le système d'alimentation manuel (pompes à pied) a été conservé.

Tuyauterie:

La tuyauterie des manuels est majoritairement métallique (la grande Flûte majeure était jadis construite tout en bois par la maison Stiehr, mais pas ici), et poinçonnée. Elle est de belle facture, très homogène. Les bouches sont souvent arquées, les entailles de timbre ou d'accord sont quasi-systématiques.

De l'avant (façade) vers l'arrière (accès) :
Montre, Octave, Bourdon 16', Flûte majeure 8', Gambe,
Flûte harmonique 4' (15 tuyaux harmoniques + 15 de l'autre côté = 30, soit c'-f'''),
Quinte, Mixture, Trompette.De l'avant (façade) vers l'arrière (accès) :
Montre, Octave, Bourdon 16', Flûte majeure 8', Gambe,
Flûte harmonique 4' (15 tuyaux harmoniques + 15 de l'autre côté = 30, soit c'-f'''),
Quinte, Mixture, Trompette.

Comme les Tuba de Koulen, et comme la Posaune de pédale dans cet instrument, les tuyaux de la Trompette sont piqués dans une grande boîte. Il n'y a pas de pieds individuels.

Une autre vue de la tuyauterie du grand-orgue,
montrant la "boîte" de la Trompette.Une autre vue de la tuyauterie du grand-orgue,
montrant la "boîte" de la Trompette.

Un grand tuyau de façade (1928) est conservé sous la chaire.

Vue sur la tuyauterie du récit.
De bas (accès) en haut : Basson/Hautbois, Voix céleste, Fugara,
Flûte harmonique 4', Bourdon 8' Salicional, Geigenprincipal.Vue sur la tuyauterie du récit.
De bas (accès) en haut : Basson/Hautbois, Voix céleste, Fugara,
Flûte harmonique 4', Bourdon 8' Salicional, Geigenprincipal.
La tuyauterie de pédale, de l'avant (accès)
vers l'arrière (mur du fond) : Posaune, Violoncelle 8', Octavebasse,
Soubasse, Contrebasse 16'.La tuyauterie de pédale, de l'avant (accès)
vers l'arrière (mur du fond) : Posaune, Violoncelle 8', Octavebasse,
Soubasse, Contrebasse 16'.

La Posaune est construite selon le même principe que la Trompette (mais elle a des résonateurs en bois). Le réglage du débit d'air entrant dans le tuyau se fait par des tirettes horizontales, à pousser ou tirer, qui contrôlent l'admission dans les cloisonnements de la grande boîte portant les tuyaux.

A la tribune, se trouver face au "dernier Stiehr" est particulièrement émouvant. Evidemment, cette façade clinquante nuit un peu à l'ambiance, et on se demande s'il n'aurait pas mieux valu conserver celle de 1928, qui, certes moins brillante, racontait au moins une histoire. L'orgue n'est pas évident à jouer : la maison Stiehr n'a jamais été très à l'aise avec les mécaniques, même suspendues, alors, et on se doutait qu'une console indépendante représentait pour Louis Mockers un sérieux défi ! Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi les organistes à l'époque tenaient absolument à une transmission pneumatique. Mais le pédalier est complet, et donc jouable, ce qui tranche avec ces nombreux Stiehr souffrant d'une étendue de pédale limitée à 18 notes. Une fois pris en main, l'instrument montre ses belles qualités et son côté original.

Louis Mockers était-il content de son instrument ? On peut se le demander, car, par la suite, il ne semble pas s'en être servi pour créer une dynamique. Peut-être a-t-il construit ses derniers orgues un peu à contre-cœur, écoutant les conseils de Sering, mais sans trop y croire. L'inventaire technique (1986) accorde deux pages et demi au Stiehr de Westhouse (dénotant un fort intérêt), mais note (après avoir constaté que la tuyauterie n'est pas "artisanale") "La sonorité est également très éloignée de ce à quoi nous avaient habitués la Maison Stiehr-Mockers". Evidemment, cet orgue sonne très différemment que celui d'Orschwiller, par exemple. Mais c'est voulu et parfaitement assumé : quel serait l'intérêt de produire les mêmes orgues pendant plus de 50 ans ? On ne peut que rêver à ce que la maison Stiehr aurait pu réaliser si elle ne s'était pas arc-boutée sur les acquis du passé entre 1850 et 1880. En produisant des orgues tels que celui de Westhouse un peu plus tôt (et en soignant ses transmissions), il est probable que l'entreprise de Seltz aurait duré bien plus longtemps.

Ce fut le dernier travail d'envergure de Louis Mockers. Bien sûr, il fit encore des réparations et des accords. Découragé (le "cahier Mockers" s'arrête en juin 1920, date à laquelle il répara la soufflerie à Sand), il travailla au moins jusqu'en 1922, sans même prendre la peine de noter ses travaux. Ernest Muhleisen, qui l'a connu, décrivait Louis Mockers comme "un excellent artisan, parfaitement au courant de son métier". Louis Mockers mourut le 23/05/1926. Ainsi prit fin l'histoire de la maison Stiehr, dont les premiers travaux remontent à 1770, et dont les derniers, délicieusement et originalement romantiques, comptent assurément parmi les plus attachants.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670526001P04
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