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Les orgues de la région de Bischwiller
Forstfeld, église mixte
vers 1960 baro > Baroquisation
Buffet classé Monument Historique, 14/09/1995.
Orgue à l'abandon depuis 1988.
L'orgue Link de Forstfeld, dans son buffet de 1839.
Les photos sont de Steeve Mochel, 03/11/2020.L'orgue Link de Forstfeld, dans son buffet de 1839.
Les photos sont de Steeve Mochel, 03/11/2020.

C'est à Forstfeld que l'Alsace reçut son dernier orgue Link, de Giengen-an-der-Brenz. L'instrument est daté de 1916, et a été logé dans un buffet plus ancien (Stiehr-Mockers, 1839). Malgré son intérêt, l'instrument est abandonné depuis 1988.

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Historique

En 1839 (soit 4 ans après l'achèvement de l'édifice), Joseph Stiehr livra à Forstfeld un petit orgue (dont il reste le buffet). Le devis a été approuvé le 30/11/1837, et le procès-verbal de réception date du 11/12/1839. On ne connaît pas la composition de cet instrument, dont on ne sait pas grand chose. Il est probable qu'il n'avait qu'un seul clavier, et une pédale limitée à 18 notes seulement. [IHOA] [ITOA] [PMSSTIEHR]

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Historique

En 1916, la maison Gebrüder Link posa à Forstfeld son opus 620. Le buffet de l'orgue précédent fut conservé, ainsi qu'une partie de sa tuyauterie (bien sûr totalement ré-harmonisée). [IHOA] [PMSLINK] [ITOA]

Un orgue représentatif

L'instrument est absolument représentatif des réalisations de la facture d'orgues en Alsace "non citadine" dans les 3 décennies situés autour de l'an 1900. Les instruments construits au cours du milieu du 18ème étaient en effet souvent souvent très limités (un seul manuel, et pédalier en pratique inutilisable car réduit à 18 notes, donc servant juste à lourdement marquer les cadences). Bien sûr, ils avaient tout de même représenté un effort considérable pour leurs communautés, souvent le maximum possible. Ils étaient suffisants dans le cadre strict de l'accompagnement liturgique par un instituteur ayant reçu quelques cours de musique. Mais après 1880, la situation avait radicalement changé : l'Alsace était dotée de nombreux organistes correctement formés, capables de mettre en valeur leurs instruments. Bien sûr, ils considéraient comme rédhibitoires les limitations des petits orgues "pré-romantiques" (un seul manuel, console en fenêtre, mécanique "rustique" et bruyante, pédalier inutilisable). La tuyauterie, toutefois, était de grande qualité. Une bonne part de l'effort, en matière d'orgues à l'époque, consistait à rendre ces petits instruments réellement opérationnels. L'opération menée à Forstfeld en 1916 est représentative de cet effort : le buffet et un maximum de tuyaux disponibles ont servi à réaliser un orgue cette fois complet, et doté de toutes les caractéristiques nécessaires à l'interprétation d'un vrai répertoire.

Le dernier Link d'Alsace

La maison de Giengen construisit 46 orgues pour l'Alsace, entre 1896 à 1916. Il s'agit d'un patrimoine exceptionnel, constitué d'instruments très élaborés, et de grande valeur. La richesse de leurs timbres et leurs possibilités sonores sont à chaque fois surprenants. Une vingtaine ont été détruits par les guerres ou par l'ignorance. Ce qui caractérise avant tout les survivants, c'est une "ambiance" envoûtante, caractéristique de cette époque (1897-1914) où le monde aspirait à la modernité et au partage, mais bascula tout de même dans la haine, le malheur et la destruction. Pourtant, il y avait eu beaucoup de personnages de bonne volonté, dénués de nationalisme, et au contraire bien décidés à rendre le monde meilleur par l'expression la diversité. La maison Link était francophile (sa documentation en témoigne), et, si les compositions de ses orgues sont très "typées" - car issues d'une exigence particulière pour l'exécution d'un répertoire bien spécifique - ses œuvres ne sont absolument pas le fruit d'un prosélytisme "romantique allemand". Il s'agit de réelles contributions à un environnement artistique qui se voulait diversifié, libre de frontières, et assumant ses spécificités. L' "orgue unique" était une aberration inconcevable : tout opus dans les années 1890-1914 était un petit pas (Fortschritt) vers une facture que l'on voulait meilleure. Et chacun était différent.

La maison Link a donc beaucoup contribué à l'ouverture aux styles nouveaux en Alsace à l'articulation des deux siècles. Cela a permis d'échapper à l'atavisme affectant les facteurs traditionnels alsaciens entre 1820 et 1870, et leur enfermement dans ce que l'on a appelé le "pré-romantique". Ces influences déterminantes, proposées par la maison Link mais aussi Eberhard Friedrich Walcker, ou, pour le côté français, Joseph Merklin, ont permis à l'Alsace de développer un style post-romantique original, spécifique, qui commence à peine à être étudié et à recevoir l'attention qu'il mérite.

Après 1918, ce moment d'ouverture sur l'Europe cessa brusquement, et l'Alsace retrouva son caractère "insulaire" du point de vue des orgues. En tous cas, le protectionnisme fut très efficace : la maison Link ne posa plus un seul orgue en Alsace après 1918.

A cause de tout cela, l'orgue de Forstfeld est bien plus "historique" que bien des instruments plus anciens, mais qui ont finalement moins à raconter, car ils ont eu moins de portée par la suite.

Pour se faire une idée de la qualité de ces instruments, et de ce que la maison Link (qui existe encore, et qui dispose, a priori des plans de tous ses opus historiques), est capable de faire, on peut aller à Bust : l'orgue a été relevé par l'actuelle maison Gebrüder Link en 2014.

L'orgue de Forstfeld ne semble pas avoir nécessité d'intervention majeure, ce qui prouve une fois de plus la fiabilité de la transmission pneumatique. Toutefois, il a été légèrement altéré à une date inconnue, probablement vers 1960. [ITOA]

La Gambe du grand-orgue (dont on peut encore voir les râteliers) a été découpée pour un faire un absurde 2', la Mixture-Cornet du récit à été dépouillée de 3 rangs (il n'en reste plus qu'un complet, et un autre en partie), et un autre 2' a été placé au récit.

Abandon

Il fut totalement abandonné à partir 1988, au bénéfice d'un "ersatz" électronique. Aujourd'hui (2020), il paraît qu'on en serait au troisième, et on imagine l'argent qui a été englouti dans ces produits industriels sans âme. Il n'est pas facile de sortir du piège électronique...

Le buffet

Curieusement, le buffet est classé (alors que la partie instrumentale, autrement plus intéressante, ne l'est pas. C'est peut-être parce qu'il est plus "ancien" ?) Ce style a été maintes fois décliné par la maison Stiehr, à partir de 1832 (Gertwiller). D'autres exemples se trouvent à Hochfelden (Joseph Stiehr, 1841) ou Mattstall (Stiehr-Mockers, 1841). On en retrouve des éléments à Avolsheim, et le buffet de Willgottheim a été orné dans le même esprit. Ces buffets ont été réalisés au milieu du 19ème lors d'une vague néo-classique caractérisée par un engouement pour les composants "antiques". Les personnages rapportés, sur la partie inférieure, de chaque côté de la lyre, sont plus originaux.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2020
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
C-H en sapin
C-h en sapin ; c'-g''' métalliques, à cheminées
C-a en façade
Pas d'origine, sur la chape d'une Gambe ; la porcelaine a été arrachée
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
C-ds en bois ; dis-dis'' métalliques à cheminées ; e'''-g''' ouverts
Pas d'origine, porcelaine rose 'de rencontre'
2-4 rangs à l'origine ; c''-h'' d'un rang posté, un autre rang complet
Pédale, 30 n. (C-f')
[ITOA] [PMSSTIEHR] [SMochel]
Console:
La (belle) console Link est latérale
car le buffet est à fleur de tribune.La (belle) console Link est latérale
car le buffet est à fleur de tribune.

Console latérale accolée au buffet, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos, placés en ligne au-dessus du second clavier. Ils sont munis de porcelaines rondes blanches, et le reste est teinté en fonction du plan sonore : blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et bleu-vert pour la pédale. Comme souvent chez Link, le nom des jeux est préfixé par le plan sonore (par exemple "I.M. Mixtur 2 2/3'"). Claviers blancs, dont le plaquage s'est décollé en de nombreux endroits, sûrement à cause de l'humidité. Certaines pièces de la console (dont les marches du pédalier) sont gravement piquées par les vers.

Commande des accouplements et tirasses par dominos (bicolores pour respecter le code de couleur). Commande du tutti par piston, placé au centre sous le premier clavier. L'annulateur est un piston noir. Les deux petites porcelaines rondes servant à repérer les piston ont disparu.

Il n'y a qu'une commande à pied : la pédale basculante de l'expression du récit, à droite. Comme souvent sur les orgues Link, la plaque d'adresse est constituée de plusieurs éléments. Il y a deux plaques rectangulaires noires à lettres dorées, en haut et de part et d'autre de la console. L'écriture est italique. A gauche :

Gebrüder Link.

Et à droite :

Giengen a.d. Brenz.

il n'y a pas la porcelaine donnant le numéro d'opus, comme c'est souvent le cas sur les consoles Link.

Les plaques d'adresses Link à Forstfeld.Les plaques d'adresses Link à Forstfeld.
Transmission:

Pneumatique tubulaire (notes et jeux).

Sommiers:

Les sommiers sont à cônes (Kegelladen) et chromatiques, basses à droite. Le récit est à l'arrière du grand-orgue, les jalousies de la boite séparant les deux.

Tuyauterie:

La tuyauterie est dans un état épouvantable, conséquence logique d'un si long abandon. L'essentiel des tuyaux en bois est littéralement rongé par les vers. La tuyauterie métallique est en bien meilleur état, mais une partie est affaissée. Certains tuyaux de pédale penchent à plus de 30°.

La Gambe du grand-orgue a été littéralement découpée, à une date inconnue, pour en faire un absurde 2'. La Mixture-Cornet du récit a été dépouillée de la plupart de ses tuyaux ; cela ressemble à une opération interrompue. Leur disparition est dommageable, car, chez Link, l'usage d'arcs sur la lèvre supérieure suit une logique issue d'une grande recherche : dans la Mixture-Cornet de Bust, par exemple, les rangs de Quinte et de Tierce ont des bouches arquées, alors qu'elles sont droites pour le rang de 2'. A Forstfeld, une partie de la Mixture est postée, ce qui ne semble pas être d'origine.

Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue.
Les jalousies de récit sont à gauche, le revers de la façade à droite.
De gauche (accès) à droite : la Mixture 3 rangs,
le Bourdon (dont les aigus sont métalliques et à cheminées),
le 2' (on distingue en haut le râtelier, devenu inutile, de la Gambe),
puis le Principal, dont une partie est en façade.Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue.
Les jalousies de récit sont à gauche, le revers de la façade à droite.
De gauche (accès) à droite : la Mixture 3 rangs,
le Bourdon (dont les aigus sont métalliques et à cheminées),
le 2' (on distingue en haut le râtelier, devenu inutile, de la Gambe),
puis le Principal, dont une partie est en façade.
Une vue sur le récit.
Cette fois, les jalousies, donnant sur le grand-orgue, sont à droite.
De gauche à droite, la Flûte à cheminées, le 2' (qui remplace à l'évidence un jeu romantique),
le Principal 4', et l'étrange disposition actuelle du malheureux "Kornett",
en partie posté, mais surtout dépourvu de nombreux tuyaux.
La partie postée (prévue pour 3 rangs) ne comporte en fait qu'une
octave (c''-h'') d'un des rangs, l'autre rang, sur le vent, a l'air complet.Une vue sur le récit.
Cette fois, les jalousies, donnant sur le grand-orgue, sont à droite.
De gauche à droite, la Flûte à cheminées, le 2' (qui remplace à l'évidence un jeu romantique),
le Principal 4', et l'étrange disposition actuelle du malheureux "Kornett",
en partie posté, mais surtout dépourvu de nombreux tuyaux.
La partie postée (prévue pour 3 rangs) ne comporte en fait qu'une
octave (c''-h'') d'un des rangs, l'autre rang, sur le vent, a l'air complet.

Quel avenir pour ce pauvre petit instrument chargé d'histoire, mais aujourd'hui dans un état affligeant ? Techniquement, il semble possible de le reconstruire dans son état originel. Mais une pareille opération, malgré son évident intérêt patrimonial, est probablement totalement hors de portée d'une petite communauté. Il lui faut forcément de l'aide. Une fois de plus, on ne peut que regretter l'absence d'une politique globale et équitable en matière d'entretien des orgues. Alors qu'ailleurs, des fortunes sont englouties pour conduire des n-ièmes pseudo-Silbermann ou simili-Callinet, sous les applaudissement des Experts mais vite délaissés par le public, un témoin essentiel de l'histoire de l'orgue en Alsace se fait ici ronger par les vers...

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670140001P02
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