Cet orgue est l'opus 43 de Martin Rinckenbach, issu des années 1890, qui furent décidément parmi les plus fécondes de la facture d'orgues alsacienne. Le defi consistant à loger un instrument complet dans un espace aussi limité (en surface et surtout en hauteur) a été relevé de la façon exemplaire par la maison d'Ammerschwihr.
Historique
Un premier orgue est attesté à Niffer en 1840. On n'en sait pas grand chose, si ce n'est que son état était qualifié de "misérable" en 1893. [IHOA]
Historique
C'est en 1894 que Martin Rinckenbach construisit son opus 43. [LR1907] [IHOA]
L'année 1894 a été particulièrement active pour la maison Rinckenbach, puisque pas moins de 9 instruments sont sortis des ateliers d'Ammerschwihr cette année là (dont ceux pour Niederbronn-les-Bains et Selestat). L'orgue de Niffer est aussi contemporain du petit bijou de Mussig (mais un peu plus petit). En fait, sa partie instrumentale semble s'inspirer de celui de Lauw (1893). Si on a renoncé aux Flûtes harmoniques et à la Gambe de pédale, une Quinte 2'2/3 a été ajoutée. La Gambe de Lauw pourrait servir de modèle pour restaurer celle de Niffer, malheureusement perdue.
L'orgue est placé en tribune, le long du mur "nord" de l'édifice (à droite quand on regarde vers la tribune). Le buffet occupe tout l'espace entre le mur du fond (à gauche) et la rambarde. La console est placée devant le buffet, et retournée à la manière des orgues de salon. La disposition est très voisine de celle de Ribeauvillé. L'espace disponible était très limité.
Il semble qu'un troisième jeu de pédale (probablement un Violoncelle 8') ait été prévu au début (comme à Lauw). Il y a même un tirant. Il a sûrement été nécessaire d'y renoncer par manque de place. Autre fait révélateur apparaissant à la lecture des porcelaines des tirants : il y figure une Flûte harmonique 8'. Ce jeu, assurément extrêmement luxueux (et encombrant) pour une orgue de cette taille, n'a sûrement jamais été posé : sur la chape correspondante il y a une (belle) Flûte 4', qui semble d'origine. Cela semble confirmer qu'à la conception, le modèle était l'orgue de Lauw : là-bas, il y a bien une Flûte harmonique 8', mais au grand-orgue ; la première étape de la "concession" a donc été de la mettre la Flûte harmonique 8' au récit (le grand-orgue étant doté dune Quinte-flûte 2'2/3 à la place). Puis on semble avoir changé d'avis en cours de route ; il est vrai qu'il n'y aurait pas eu de 4' du tout au second clavier. La porcelaine n'a pas été "mise à jour".
Selon une habitude bien établie à l'époque, les récits non expressifs ne pouvaient être dotés d'une Voix céleste, et ce plan sonore est donc doté de 3 jeux seulement : le Bourdon (qui est en fait une Flûte à cheminée), le Salicional, et la Flûte 4'. Suite à la disparition de la Gambe du grand-orgue, le Salicional est le seul jeu gambé restant à l'instrument, ce qui nuit à son équilibre sonore.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces évolutions.
L'historique de l'instrument est plutôt court :
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en mars 1917. [IHOA]
Ils semblent avoir été remplacés en 1930. [IHOA]
Suites à des dommages subis lors du second conflit mondial, l'orgue a été réparé par Alfred Kern en 1958. Malheureusement, il remplaça la Gambe 8' du grand-orgue (jeu fondamental et indispensable dans ce type d'instrument) par... une "Doublette 2'", à l'harmonisation totalement étrangère à l'esthétique de l'orgue. Cette opération calamiteuse ne fut même pas achevée, puisque le tirant "Gambe 8'" resta en place. [IHOA] [ITOA]
De plus, la vue de la tuyauterie révèle qu'elle a été modifiée, il y a plusieurs dizaines d'années (encoches ressemblant plus à des déchirures, oxydées, etc...), probablement dans le but d'altérer l'harmonisation. Heureusement, ces manipulations semblent avoir surtout affecté le haut des tuyaux (systèmes d'accord), et pas les bouches ni les biseaux. [Visite]
Entretenu en 1981 et 1994, L'instrument a souffert de la canicule de 2003 (soufflets et mécanique), et a été réparé par Richard Dott. [Visite]
L'orgue a été révisé en 2019. Les travaux ont compris le réglage complet de la transmission mécanique, la réalisation d'un caisson pour le moteur (situé dans les combles), la mise en peinture des tuyaux de façade en zinc, et le contrôle de l’accord général. [JBrun] [Visite]
Le buffet
Le buffet n'a pas été réalisé par la maison Rinckenbach : les techniques de menuiserie sont différentes. Il s'agit soit du buffet récupéré, soit (plus probablement) de l'oeuvre d'un artisan local, comme cela a pu être fait dans d'autres villages. (Pfetterhouse par exemple.) [JBrun] [Visite]
Le style est très proche de celui du petit buffet de Ribeauvillé, mais dans une version moins ornée et "5 volumes" : trois tourelles encadrent deux plates-faces doubles, plus étalée en largeur, car la hauteur est plus réduite. Même si le buffet n'a pas été réalisé par les ateliers d'Ammerschwihr, le dessin a pu être fourni par le facteur, car certains détails d'ornementation (chapiteaux des colonnes délimitant les plates-faces) ont une grande ressemblance avec ceux de Ribeauvillé (1889 ; donc 5 ans avant celui de Niffer). Il est donc peu probable que ce buffet ait été récupéré d'un instrument antérieur. Vraisemblablement, un menuisier de Niffer ou des environs a construit ce buffet sur des plans et dessins de Rinckenbach.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante dos à l'orgue, nef à gauche, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux noirs munis de porcelaines à liséré doré. Le nom des jeux figure en noir pour le grand-orgue, en bleu pour la pédale, et en rouge pour le récit. Les jeux du récit sont en haut à droite, et ceux de pédale en haut à gauche. (Disposition courante chez Martin Rinckenbach.) Il y a trois tirants pour la pédale : celui de gauche, à la porcelaine blanche, est immobilisé. Il doit correspondre à un Violoncelle 8' jamais posé. Le tirant du 2' du grand-orgue porte toujours sa porcelaine "Gamba 8'". Et la porcelaine de la Flûte 4' du récit indique "Flûte harm. 8'". Claviers blancs, joues rectangulaires.
Commande de la tirasse et de l'accouplement par pédales-cuillers à accrocher, disposées de part et d'autre de la console, et non repérées (elles le seront plus tard au moyen de porcelaines rondes placées en haut de la console, au niveau de la plaque d'adresse, voir Chavannes-sur-l'Etang). A gauche I/P et à droite II/I.
Plaque d'adresse disposée en haut et au centre, au-dessus du second clavier. Le bois y est teinté plus foncé, et les lettres incrustées disent :
Le mot "Ammerschweier" ondule entre les deux lignes du bas. Il n'y a pas de numéro d'opus.
L'extérieur de la console (i.e. ce qui n'est pas recouvert par le couvercle) a manifestement été repeint, car les pièces métalliques assurant la butée des pédales-cuillers sont peintes.
Mécanique à équerres.
A gravures, d'origine. Pas de boîte expressive. Les manuels partagent deux sommiers diatoniques, disposés en "M" (basses aux extrémités). Le sommier de pédale est au fond ; il est chromatique, avec (curieusement) les basses côté nef (donc à droite quand on regarde l'orgue depuis sa façade. Il n'y aurait pas de place pour un troisième jeu de pédale.
Bien que visiblement retouchée (il y a quelques dizaines d'années), la tuyauterie est de très grande qualité. Il y a des entailles de timbre pour les jeux ouverts, et des calottes mobiles pour les Bourdons. Biseaux munis de dents. Le jeu de 2' (remplaçant la Gambe) semble avoir été réalisé avec des tuyaux de Rinckenbach, mais leur provenance n'est pas connue.
La Trompette (installée au beau milieu du sommier, donc pas facile à accorder, malgré les grandes rasettes) semble venir d'un orgue Callinet. Son origine est inconnue, mais il pourrait peut-être s'agir de celle du mystérieux "Callinet de Sélestat" (Ste-Foy). En effet, l'orgue de Niffer est contemporain du premier orgue Rinckenbach (1894) de Sélestat, qui était censé remplacer un Callinet. [Visite] [JBrun]
Pour mémoire, il s'agit d'un des épisodes les plus flous laissés par l'organologie de la fin du 20ème, tellement préoccupée par la consolidation de son hagiographie des Callinet qu'elle laisse accumuler les invraisemblances. Selon les "canons" historiques, l'instrument de Martin Rinckenbach (1894) venait remplacer un 3-claviers et pédale de 44 jeux (!) construit par la maison Callinet en 1843. L'instrument, plutôt original (or, on peut attendre beaucoup de Joseph Callinet, mais a priori pas l'originalité) aurait disparu sans laisser aucune trace en 1891. Or, un 3-claviers et pédale de 44 jeux, ça ne se carapate pas comme ça. Et il ne fit pas du tout parler de lui entre 1845 et 1877... si bien que l'on peut en venir jusqu'à douter de l'existence d'un orgue aussi grand. Les "zones d'ombre" sont donc nombreuses. Toutefois, l'hypothèse que la Trompette de Niffer viennent du "Callinet fantôme" est séduisante, même si, à l'heure actuelle, aucune preuve ne vient l'étayer. Pour être tout à fait honnête, ce jeu "de rencontre" (selon l'expression chère à Charles Wetzel, qui voulait éviter "récupération") n'est pas au niveau de certaines des magnifiques Trompettes de Martin Rinckenbach. [Visite]
C'est aujourd'hui (2019) un très joli petit instrument, qui est doté d'une belle ambiance - celle qui est entoure les instruments certes modestes, mais qui ont été construits intelligemment, et avec le plus grand soin possible. Il est vraiment dommage que cet orgue soit privé de sa Gambe, et ce depuis les années 50. Si un 2' n'est pas totalement étranger à l'esthétique post-romantique, ce type de jeu n'intervient que dans des instruments beaucoup plus grands, et sont harmonisés différemment. De plus, la Gambe reste un élément indispensable à la plupart des registrations du répertoire de la fin du 19ème.
Même s'il est peu visible depuis la nef, donc peu connu du public, l'orgue de Niffer est un élément fort important du patrimoine régional.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Pierre Kieffer.
Photos du 26/10/2019, données historiques et techniques.
"Niffer 12"
L'article donne une composition, mais malheureusement lacunaire (il manque les accouplements) et non datée. Au récit, une Flûte harmonique 8' apparaît, aux cotés d'un Salicional 8' et d'un "Bourdon" (sans précision de la hauteur). Mais cela n'atteste pas la présence de la Flûte harmonique 8' dans les années 1970-1980, quand on connaît la désinvolture avec laquelle les orgues romantiques étaient parfois inventoriés à la fin du 20ème siècle. On s'aperçoit à plusieurs reprises que seul le texte figurant sur les porcelaines était recopié, même quand il ne correspond pas au jeu, ce qui indique que le jeu n'a même pas été écouté. On ne peut donc rien en conclure.
L'inventaire de 1986, plus sérieux, note "FLUTE HARMONIQUE 8 (en fait 4 pieds)". Le numéro d'opus (79) est faux. Les claviers sont notés à 54 notes, alors qu'il y en a 56 (C-g''').
Localisation :