L'orgue de l'église paroissiale St-Léger, aussi appelée "Obere Kirch" de Blotzheim, tient une place importante dans l'histoire de l'orgue alsacien. Il a été construit par Martin Rinckenbach en 1894, sur la base d'un petit orgue de Joseph Merklin qui avait été offert dès 1861. Bien que cet orgue-cadeau était sûrement trop limité pour la grande nef, il a permis de faire découvrir au public local l'esthétique symphonique parisienne. Et, lorsqu'on se décida à le compéter, l'Alsace disposait à Ammerschwihr d'une maison de facture d'orgues déjà passée maître dans ce style. L'histoire des orgues de Blothzeim, si elle a pu paraître paradoxale à un moment, est finalement fort logique. Malheureusement, les choses se sont gravement dégradées en 1946.
Historique
La présence d'un orgue dans l'église St-Léger est attesté en 1708 par une réparation effectuée à l'instrument. [IHOA]
Historique
En 1775, on y installa l'ancien orgue de salon du Dr Dollfus. [IHOA]
Historique
En 1861, Blotzheim reçut l'un des premiers opus alsaciens de Joseph Merklin. [IHOA] [Barth] [YMParisAlsace]
C'était un cadeau de la famille Rein (c'est écrit sur le positif) : un petit instrument de "6 registres complets et 4 demis". On a interprété cela comme un instrument à 2 manuels (grand-orgue de 6 jeux et dessus récit de 4 jeux) avec un pédalier en tirasse du grand-orgue. [Barth] [PMSSUND1981]
Contrairement à ce qui se pratiquait en Alsace en 1860, l'absence de pédale séparée et de basses pour le récit n'était pas exceptionnelle pour un orgue "parisien". Mais souvent, les récits incomplets de l'époque étaient seulement dépourvus de l'octave grave, sans être limités à de simples dessus (c'-g'''). On peut aussi interpréter la description comme un orgue à un seul manuel, de 8 jeux, dont deux coupés en basse+dessus (par exemple un Bourdon 16' et une Trompette). Il aurait alors ressemblé à l'orgue de chœur de Lille, Saint-André (1855), avec une Gambe complète et un jeu supplémentaire. Peut-être : {B16(B+D),M8,B8,S8,G8,P4,FH4,T8(B+D)}. Reste que la console, dans ce cas aurait nécessité un aménagement significatif en 1894 pour être dotée d'un second manuel.
Le grand-orgue de l'instrument actuel, dont les sommiers sont de Merklin, comporte 9 chapes. [Visite]
Comme c'était un orgue acquis grâce à un don privé, il n'y eut pas de réception, et l'instrument n'a pas laissé de traces aux archives. On sait juste que "Lorsque l'église neuve fut consacrée le 23/06/1861, l'orgue neuf de Merklin s'y trouvait déjà." [PMSSUND1981]
On ne connaît donc pas la composition de l'orgue Merklin. Mais on peut la déduire en partie de l'existant. Et il est clair qu'il devait être beaucoup trop petit pour l'édifice. En décembre 1871, François Antoine Berger, venu nettoyer les deux orgues de Blotzheim, nota que les soufflets n'étaient plus utilisables. Avaient-ils été endommagés ? [PMSSUND1981]
Historique
En 1894, Martin Rinckenbach, d'Ammerschwihr, posa un orgue neuf. [IHOA]
La console Merklin fut conservée. C'est sûrement ce qui explique que cet orgue ne figure pas sur la liste des opus de la maison d'Ammerschwihr, et non plus sur celle parue dans "Caecilia" en 1924 et reprise par Barth ; il se situe entre le 42 et le 43. Rinckenbach considérait peut-être cette opération comme une reconstruction, et pas comme un orgue neuf.
L'instrument est pratiquement contemporain de celui de Niederbronn-les-Bains. Sa composition d'origine devait être celle notée le 28/03/1944 par Georges Schwenkedel avant qu'il ne procède à la tragique modification qui a profondément altéré l'authenticité de cet instrument :
Martin Rinckenbach avait à l'époque déjà posé 42 orgues neufs, et son expérience était déjà grande. La reconstruction de cet orgue Merklin illustre le fait que l'Alsace s'orientait vers un style qui lui est propre. On se souvient qu'à Ranspach, des années plus tôt (avant 1881), Rinckenbach avait sûrement déjà travaillé sur un orgue Merklin. Il semble s'y être nourri d'influences, et ce type de facture est très proche de celle enseignée par sa formation initiale. L'orgue de 1894 est donc directement inscrit dans la tradition de celui de 1861 : techniques voisines, et grande unité entre les éléments existants et ajoutés.
Les "sources" (ou influences) de l'orgue romantique alsacien sont à attribuer à Eberhard Friedrich Walcker (Husseren-Wesserling, 1857, Mulhouse, église réformée St-Etienne, 1866 ; 7 orgues entre 1857 et 1879 ; aucun entre 1879 et 1894) et Joseph Merklin (une douzaines d'orgues entre 1860 et 1881, peu "instanciés" à l'Alsace ; aucun entre 1881 et 1894). En 1894, Martin Rinckenbach avait totalement "repris le flambeau". Le Walcker suivant arriva en 1895 (Strasbourg, Doctrine chrétienne).
Schématiquement, à cette époque (1894), l'Alsace avait accueilli avec enthousiasme l'orgue romantique parisien, ses Flûtes harmoniques, ses Voix célestes, son Hautbois, ainsi que sa disposition technique. Et aussi l'orgue romantique d'outre Rhin, avec ses fonds somptueux et ses pédales très versatiles. Mais, en Alsace, décidément, certaines caractéristiques sont indispensables aux orgues. D'abord, une pédale indépendante n'est pas négociable (un des seuls symphoniques l'Alsace sans pédale séparée reste Willer-sur-Thur). Et la richesse des fonds est toujours jugée plus prioritaire qu'une grande dotation en anches : Trompette au grand-orgue, Hautbois au récit, et anches de 16' à a pédale suffisent donc ici. Nous sommes en présence d'un style spécifique, qui n'a rien d'une "synthèse", mais s'est élaboré en fonction d'acquis et de définition de priorités propres.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces évolutions.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917 [PMSSUND1981]
Hélas, l'instrument a été altéré en 1946, par Curt Schwenkedel. [ITOA] [PMSSUND1981]
Au grand-orgue, le Dolce 8' et la Flûte 4' ont été supprimés au profit d'une Quinte 2'2/3 et d'une Doublette. A la pédale, le malheureux Violoncelle 8' ("Cello 8") - jeu emblématique de Martin Rinckenbach - a été remplacé par un absurde Prestant 4'. Mais le plus grave fut commis au récit, où le remplacement du Geigenprincipal par une Flûte 2' a privé le plan sonore de ses fondements... [ITOA] [PMSSUND1981]
En 1982, Michel Gaillard, pour le compte de la maison Aubertin, fit un relevage. Malheureusement, aucun effort ne fut fait pour restaurer les jeux romantiques perdus en 1946, et l'instrument resta dans cette configuration. [MGaillard]
De plus, la Mixture a été "néo-baroquisée" et passée à 5 rangs, et la Bombarde certainement "francisée". [Visite]
En 2008, le Basson-Hautbois de cet instrument a servi de modèle pour confectionner celui de Koetzingue. [MFreyburger]
Le buffet
Le buffet, dans sa configuration actuelle, date de 1894. Ce n'est donc pas celui qui a abrité l'orgue Merklin. Il a été construit par la maison Boehm de Mulhouse, bien que l'on trouve la mention "Klem" dans certaines sources. (p.179 de l'annuaire du Sundgau 1981 ; était-ce l'orgue Merklin qui avait un buffet de Klem ?) Les plans sont de l'architecte Diogène Poisat, de Belfort, l'architecte de l'église St-Léger, mais aussi de celle de Willer-sur-Thur. [Barth]
Le buffet de 1894 reprend certains éléments du buffet de 1861 (comme le positif postiche portant la dédicace). Les tuyaux de pédale ont été disposés sur le côté dans le but de donner à l'ensemble des lignes de composition chères à l'orgue romantique : un triangle.
Les buffets constituant de grandes scènes élaborées, surmontés de statues d'anges comme ici, ne sont pas si courants. En pense à celui de Mulhouse, St-Joseph (1887), dans un autre style, celui du malheureux orgue de Selestat, Ste-Foy. Les confrères de Martin et Joseph Rinckenbach installaient aussi parfois leurs orgues dans des ensembles néo-gothiques dotés de statues : Heinrich Koulen à Buhl en 1892 - deux ans avec le buffet de Blotzheim. Il y a aussi la somptueuse boiserie de l'orgue Franz Xaver Kriess de Flexbourg, avec ses anges ailés, qui est contemporaine de celle de Blotzheim.
Ce buffet comprend une originalité : un habillage inférieur, au moyen d'éléments ajourés, disposés entre les pieds des tuyaux de façade. Ce n'est pas courant, mais cela évoque ce que faisait Schnitger, par exemple à St-Jacques de Hambourg ; là-bas, ces éléments triangulaires sont dorés.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par une couvercle basculant horizontal (non incliné). Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés, disposés en deux gradins de part et d'autres des claviers. Les porcelaines sont majoritairement de Martin Rinckenbach, à l'exception de celles de la "Flûte" (dont la hauteur en pied a été effacée au fluide correcteur...), de la "Doublette" (qui porte des lettres de transfert sous un bout de ruban adhésif), du Prestant 4' et du Bourdon 8'. Au-dessus de la Voix céleste, on trouve une porcelaine rectangulaire indiquant "Nicht mit dem vollen Werke ziehen", qui est typiquement de Martin Rinckenbach.
Claviers blancs. Les joues du récit sont carrées, mais celles du premier clavier semblent avoir été arrondies avec un outil inadapté. Il y a des traces d'éléments manquants à droite et à gauche du second clavier (avec à chaque fois deux trous de vis), pouvant correspondre à des supports d'éclairage.
Commande des accessoires par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé piqué, repérées par de grandes porcelaines. Celles de Rinckenbach sont à liséré doré. De gauche à droite : "Pedal koppel" (I/P), "Manual koppel" (II/I), "TREMOLO". (Ces pédales, à bout arrondi, semblent venir de Rinckenbach, mais ne sont pas toutes semblables. Au centre, il y a un trou rectangulaire paraissant provenir d'une pédale basculante supprimée. L'expression du récit actuelle, à sa droite, n'a que deux positions (ouvert ou fermé) : c'est une cuiller repérée "Expression". il y a ensuite une dernière cuiller repérée par une plaque ovale "COMBINAISONS" (semblant venir de Merklin mais pas d'origine). Les deux pédales de droite, à bout pointu, semblent être de Merklin. Plus à droite, au-delà du pédalier, il y a un trou vertical (pas en "L"), et deux trous de vis. Le banc doit être de Merklin.
Il n'y a pas de plaque adresse, mais une carte de visite de Michel Gaillard (travaillant pour la maison Aubertin) est collée au revers de la joue droite de la console.
L'absence de plaque Martin Rinckenbach n'est pas surprenante, car il n'apposait pas sa plaque sur une console faite par un autre, même considérablement ré-aménagée (Ranspach). Merklin posait souvent, à l'époque, sa plaque sur la planche supérieure de la console, à l'horizontale. C'est peut-être un élément qui a disparu lors des transformations apportées à cette console. (Il semble y en avoir eu au minium deux.)
Sommiers à gravures, en chêne. Ils sont de Merklin pour le grand-orgue, et de Rinckenbach (les attaches des tampons de laye sont différentes) pour la pédale et le récit. Les techniques de facture sont très voisines.
La tuyauterie d'origine est de très belle facture, mais très empoussiérée. Entailles de timbre quasi systématiques. Tuyaux bouchés à calottes mobiles. Il y a 6 jeux de Joseph Merklin au grand-orgue, et 7 de Martin Rinckenbach au grand-orgue et à la pédale. Malheureusement, suite aux absurdes transformations "baroques", le Dolce du grand-orgue a été coupé en 2'2/3, la Flûte 4' remplacée par un bricolage en 2' et la Mixture a été affreusement altérée - elle est passée à 5 rangs. Au récit, le Geigenprincipal 8' a été découpé en 2', et à la pédale, le Violoncelle 8', le jeu le plus emblématique de Rinckenbach, a été coupé en 4'. La Bombarde 16' ne sonne pas du tout comme un jeu de Rinckenbach, et a donc probablement été ré-harmonisée.
En raisons des malheureuses modifications "néo-baroques", il reste à cet instrument 13 jeux exploitables sur 19. Aujourd'hui, cet orgue nécessite un relevage, essentiellement en raison de son empoussièrement. Mais tout cela ne doit pas occulter son considérable intérêt historique : il illustre la genèse et l'évolution de l'orgue symphonique alsacien.
C'est pourquoi il est fondamental que ses jeux perdus ou découpés soient restaurés : il en va de l'interprétation que l'on peut faire de notre patrimoine : un orgue romantique réussi ne produit pas les sons étranges de ce genre de Fourniture et de ces 2' "pragmatiques".
Heureusement, le potentiel de cet instrument, favorisé par une belle acoustique et logé dans un buffet remarquable, reste immense. Il faut de tout cœur souhaiter que des ressources seront trouvées pour enfin réparer les mutilations de 1946.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Jean Shubnel et Alexis Platz.
Photos du 06/07/2020 et données techniques.
Photo du 26/06/2008
Il semble qu'il y ait eu confusion entre les deux églises de Blotzheim.
Le descriptif des travaux de Schwenkedel est étrange : il n'y a jamais eu de positif de dos, et celui-ci n'a donc pas pu être "transféré". La perte du Geigenprincipal n'est pas notée.
La console est indiquée "pas mécanique" (?). Depuis, l'orgue Callinet a été retrouvé : il est à Notre-Dame du Chêne, où il a toujours été. Il y a eu confusion entre les deux édifices. Mais l'intervention de Berger est notée.
im68001676 ; Palissy attribue l'orgue à Merklin (et Boehm), et considère les travaux de 1894 comme une "transformation". En fait, l'objet de l'étude semble être le buffet, et pas l'orgue.
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