A Hirtzbach se trouve l'un des plus grand instruments de Georges Schwenkedel : c'est l'un de ses rares 3-claviers. Construit dans les années 30, c'est un remarquable représentant de l'évolution de l'esthétique post-romantique en Alsace. Celle-ci consistait à conserver la finesse des harmonisations du 19ème siècle, tout en cherchant à ajouter des couleurs plus brillantes. Cette évolution a fini par définir un style alsacien spécifique, qui reste en grande partie à découvrir, et surtout à promouvoir. L'orgue d'Hirtzbach en est le parfait exemple, et il a une importance considérable dans notre patrimoine.
Historique
En 1838, les frères Callinet construisirent un orgue neuf à trois claviers (dont il reste le buffet). [IHOA] [ITOA] [Masevaux1963] [PMSCALL] [Barth]
Voici la composition telle qu'elle apparaît sur le devis de Joseph Callinet du 10/03/1836 :
Les frères (Joseph et Claude-Ignace) Callinet, avaient à l'époque regroupé leurs activités au sein d'une même entreprise. Le devis de Hirtzbach est encore manuscrit : les devis Callinet seront imprimés peu après. Le sous-préfet d'Altkirch écrivit au préfet au sujet de ce projet que "La réputation dont jouissent MM. Callinet dans la région, me donne lieu de penser que la commune de Hirtzbach sera satisfaite de leur fourniture...". L'instrument fut qualifié de "superbe", et toutes les critiques semblent unanimes. Joseph Callinet était particulièrement fier de cet instrument, puisqu'il proposa aux officiels de Masevaux de leur en construire un semblable. En fait, il leur en construisit un plus grand. [PMSCALL] [Barth]
En 1880 et 1907, Martin Rinckenbach fit des travaux. Au cours de l'une de ces opérations, il retoucha légèrement la composition, pour ajouter des fondamentales au grand-orgue (en particulier une Flûte majeure 8'). [ITOA] [PMSCALL] [Barth]
Voici la composition après les travaux Rinckenbach, notée par Aloyse Emberger :
En avril 1917, comme le village, proche du front, a été évacué (de 1915 jusqu'en 1918), ce ne sont pas seulement les tuyaux de façade, mais pratiquement l'intégralité de la tuyauterie métallique (1667 tuyaux) qui a été réquisitionnée par les autorités. L'église resta abandonnée, et le reste de l'orgue subit des infiltrations d'eau qui en détruisirent irrémédiablement les sommiers. [IHOA] [ITOA]
Historique
Pour remplacer l'orgue perdu lors du conflit, Georges Schwenkedel construisit un instrument neuf (III/P 33j) en 1930. Il réussit à conserver le buffet de 1837 (y-compris le positif de dos, où il plaça des tuyaux parlants, fait remarquable pour l'époque). [IHOA] [ITOA]
Un orgue neuf
Pour essayer d'éliminer les confusions (la "littérature" sur l'orgue d'Hirtzbach étant pleine de contradictions, de clichés et de subjectivité), il faut souligner que l'orgue de 1930 était un instrument neuf. Sommiers neufs, tuyauterie neuve, console neuve. Ce n'était absolument pas, comme on a pu le lire, une "pneumatisation". (Ce terme étant bien sûr utilisé de la façon extrêmement péjorative.) Seul le buffet de l'orgue précédent a été conservé, ce que la qualité de son ornementation justifiait pleinement.
C'est d'ailleurs un autre démenti cinglant au cliché qui voudrait faire passer les années 1930 pour une époque où on démantelait volontiers le patrimoine ancien. Si les buffets neufs étaient souvent admirables (Hartmannswiller, Rimbach-près-Guebwiller, Manspach, Mutzig, Burnhaupt-le-Haut, Reiningue) on savait aussi conserver les éléments de valeur de notre patrimoine.
Ce n'est pas à Hirtzbach qu'il faut aller pour "voir du Callinet". Il y en a ailleurs, à profusion, de l'authentique et de "l'authentiquement refait". Il n'y a pas un seul tuyau des Callinet dans l'orgue actuel de Hirtzbach, et c'est très bien ainsi. Pourquoi ? D'abord parce que, dans le cas contraire, ce magnifique instrument aurait probablement subi le même sort que d'autres "re-mécanisés", et ensuite parce que la facture de Georges Schwenkedel est au moins au niveau de celle des Callinet, mais aussi beaucoup plus originale et plus rare.
Le style Schwenkedel
On retrouve plusieurs éléments du style Schwenkedel, déjà bien affirmé en 1930, comme le Cornet complété dans les basses (ici avec un rang de Septième !), les Flûtes à cheminées entrantes, des bouches retroussées, des Gambes très affirmées, ou des jeux coniques.
Positif de dos
Il y a donc ici un orgue post-romantique avec positif de dos. Ce plan sonore n'a rien à voir avec les positifs de dos du 18ème ou de l'ère néo-baroque, remplis de petits jeux aigus. Ici, c'est un vrai positif romantique, avec trois fonds de 8', Principal et Flûte 4', et une anche "de détail". Il n'y a pas de "petit plein jeu", rien au-dessus du 2' (et encore, ce 2' "coloratur" est loin d'être une "Doublette de combat"), rien qui viendrait écraser le reste de l'instrument en raison de sa proximité avec l'auditoire.
Le positif de dos, rappelons-le, était alors totalement passé de mode. Beaucoup de travaux, entre 1880 et 1930, avaient justement consisté à déplacer des positifs de dos à l'arrière des buffets, pour en faire des récits, beaucoup plus adaptés au répertoire de l'époque. Les "positifs" construits début 20ème étaient postiches, et leur rôle n'était qu'esthétique (ou servaient juste à masquer la console). A Hirtzbach, la présence du buffet Callinet représentait pour Schwenkedel une opportunité remarquable de construire un vrai positif de dos. Il l'avait déjà fait à Bisel (1930, opus 25), Seppois-le-Bas (1930, opus 28), et le refit par la suite à Durlinsdorf (1932, opus 40), Spechbach-le-Bas (1932, opus 41), et Reiningue (1932, opus 46). Le succès fut donc au rendez-vous. Tellement qu'en 1932, Schwenkedel a proposé un positif de dos à Cronenbourg, St-Florent. Celui-ci devait être expressif ! Décidément, Schwenkedel était un visionnaire. Mais cette dernière affaire ne se fit pas, et il n'y eut donc en tout et pour tout que 6 positifs de dos "post-romantiques".
Malheureusement, depuis les années 1960, cette facture a été méprisée et décriée par les "experts". Pour les intégristes du Baroque, les orgues à transmission pneumatique - puisque issus d'une tradition remontant à la "période allemande" - ne devaient pas exister. On les qualifiait d'orgues "dommages de guerre", on les disait construits avec des matériaux "de peu de valeur" (zinc), ou "à l'économie". Un pur préjugé, qui devint un dogme. Et le dogme se fit tragédie : les facteurs n'étant plus appelés à intervenir sur ces orgues pneumatiques, perdirent peu à peu la compétence associée, et, de fait, on ne trouva plus personne sachant les entretenir. On n'osa plus se servir du zinc, alors qu'il permet d'obtenir des harmonies très délicates. Ajoutons à cela qu'il était bien plus lucratif, pour les facteurs, de s'aligner sur les "experts" recommandant le remplacement de ces orgues par des instruments mécaniques "comme il faut" (i.e. comme les facteurs savaient en construire : néo-baroques). Tout ceci permettait de placer de juteux devis de mécanisations au lieu d'investir dans une sérieuse formation : qui allait s'en plaindre ?
La période noire
Dans les années 1970 commença donc pour l'orgue de Hirtzbach une longue période de déchéance. Le travail de l'excellent facteur qu'était Georges Schwenkedel était aussi réussi qu'ailleurs, mais dans les années 1970-1980, l'instrument aurait mérité un bon entretien. Ce rendez-vous crucial fut raté, et l'on préféra alors céder aux sirènes de l'électronique. En 1986, l'inventaire des orgues d'Alsace trouva l'orgue à l'état complet d'abandon, injouable, avec la tuyauterie "dans un état de délabrement avancé". Et pourtant, sous la poussière, se trouvaient tous les éléments nécessaires pour reconstituer une merveille.
Discrédités, méconnus, les orgues des années 30 ne furent plus entretenus : "à quoi bon ?" disait-on. Là où la situation financière était difficile, on avait recours à l'électronique. Là où l'argent coulait à flots, c'était pire : on le dépensait dans un instrument néo-baroque neuf, encensé par les experts et porté aux nues par les commentateurs. Pensez-vous que cela soit fini ? Voyez ce qui est arrivé en 2020 au malheureux Rinckenbach (1905) de Muttersholtz !
Prise de conscience
Heureusement, à Hirtzbach, de nombreuses personnes étaient conscientes de la valeur de leur orgue Schwenkedel - ce qui n'est pas évident quand un instrument est muet et à l'abandon. C'est tout à l'honneur. En 2008 a été créée l'Association pour la Restauration de l'Orgue de Hirtzbach.
En 2018, l'orgue a été confié à Richard Dott pour un relevage. [Visite]
Ce fut d'ailleurs le dernier chantier de la manufacture Dott.
Nous ne reviendrons pas ici sur ce que fut ce projet. Les personnes intéressées pourront s'informer facilement.
Mais, au fait, qu'en est-il sur place ? C'est après tout le plus important, quand on connaît l'importance qu'a Schwenkedel dans l'histoire de l'orgue alsacien, qu'on est attaché à sa facture, et que l'on sait qu'Hirtzbach est son deuxième plus grand instrument (après celui de Mutzig). Surtout quand on connaît les dégâts infligés à notre patrimoine par les veilles idéologies : Cernay / église protestante, Bantzenheim, Rimbach-Zell, Illfurth, Strasbourg / église luthérienne de la Croix, Pfaffenheim, Schoenbourg, Brumath, Orbey, Friedolsheim (et d'autres) détruits ou pillés (tuyauterie revendue) et remplacés par des "néo-baroques" ; Mutzig et Rimbach-près-Guebwiller sont à l'abandon.
Un instrument extraordinaire
Sur place ? Eh bien on trouve un instrument extraordinaire. Le genre qu'on aimerait tant avoir à quelques kilomètres de chez soi. Un orgue qui fait aimer les orgues, et qu'on pourrait jouer des heures sans s'arrêter. Evidemment, tout ne marche pas. (Ou ne marche pas tout le temps. En tous cas pas tout le temps de la même façon...) Et on déplore que tous ces bavardages partisans soient parvenus à occulter l'essentiel : l'enthousiasmante valeur de l'orgue de Hirtzbach ! Il a retrouvé sa voix, démontre ses immenses possibilités musicales, et c'est là l'essentiel.
Le buffet
On trouve à Pfaffenheim un buffet analogue, mais qui avait perdu son positif de dos en 1894. Ce style, nommé "buffet-caisse", est apparu en Alsace à Sermersheim en 1836. Pour l'architecte, ce buffet-caisse était plus facile à intégrer au reste de l'édifice : ses colonnes se prêtaient bien, par exemple, à être ornées de chapiteaux de différents ordres. Pour le facteur, il représentait une grande liberté pour placer les plans sonores.
Chaque corps du buffet est constitué de trois plates-faces en arc plein-cintre. Des pilastres cannelés à chapiteaux ioniques rythment le tout.
Le petit buffet est orné de deux statues d'anges musiciens.
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' |
2'2/3 | 4' | 8' |
2' | 2'2/3 | 4' |
1'3/5 | 2' | 2'2/3 |
1'1/3 | 1'3/5 | 2' |
1'1/7 | 1'1/7 | 1'3/5 |
C | c' | c'' | c''' | gis''' |
2' | 2'2/3 | 4' | 8' | - |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4'' | 8' |
1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' |
2/3' | 1' | 1'1/3 | 2' | - |
1/2' | 2/3' | 1' | 1'1/3 | - |
Console accolée frontale, dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos (axés au centre), à porcelaines centrales, disposés en ligne au-dessus du troisième clavier, et groupés par plan sonore. Les accouplements et tirasses ne sont pas commandés par dominos. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le positif, jaune pour le récit, et vert pour la pédale.
Claviers blancs, aux frontons biseautés, joues moulurées. Commande des aides à la registration par pistons blancs, situés à gauche sous le premier clavier. Viennent d'abord cinq "pistons à accrocher" : celui appelant la registration manuelle avec les combinaisons ("Jeu à main"), l'appel des combinaisons libres ("Comb. libre I" et "Comb. libre II", cette dernière rose), l'appel des anches ("Anches") et celui du crescendo ("Crescendo"). Viennent ensuite les pistons simples appelant les combinaisons fixes : "P.", "MF.", "F.", et tutti "TT.", puis leur annulateur. Les combinaisons libres se programment par des picots basculants blanc et rouges, situés au-dessus de chaque domino ; les accouplements et tirasses ne sont donc pas programmables.
A la console, "I" désigne le grand-orgue (pas le premier clavier), et "II" le positif.
Les commandes à pied comprennent, du côté gauche, les dix pédales-cuillers à accrocher pour les accouplements et tirasses. Leurs porcelaines sont bicolores pour respecter le code de couleur. De gauche à droite : "Ped. III" (tirasse récit), "Ped. II" (tirasse pos.), "Ped. I" (tirasse g.o.), "II-I" (pos./g.o.), "III-I" (récit./g.o.), "III/II" (récit/pos.), "Sub III-I" (récit./g.o. 16'), "Super III-I" (récit./g.o. 4'), "Super III" (récit en 4'), et "Accouplement général". Vient ensuite la pédale basculante de la boîte expressive (repérée par une porcelaine ronde jaune "Expression"), celle du crescendo (porcelaine ronde blanche "Crescendo"), et enfin la pédale-cuiller à accrocher du trémolo du récit (porcelaine ronde jaune "Tremolo"). L'indicateur du crescendo est une porcelaine ovale blanche à lettres noires, située en haut au centre, numérotée de 0 à 12, sous laquelle se déplace un point rouge. (Qui en fait est un picot de combinaison.)
Cette console à trois claviers est l'une des rares de Georges Schwenkedel qui existe encore : il y en a une autre à Mutzig (mais l'orgue est abandonné). Celles de Brumath et de Munster, de véritables œuvres d'art, ont été conservées, mais comme "pièces de musée". Elles mériteraient vraiment, à nouveau, de commander un orgue !
Comme souvent sur les orgues de Georges Schwenkedel, la plaque d'adresse est composée de plusieurs porcelaines rectangulaires blanches à lettres noires. La plaque principale est à gauche, à hauteur des dominos :
Au-dessus du F du troisième clavier :
Au-dessus du d''' du troisième clavier :
Pneumatique tubulaire.
Sommiers à membranes.
Le grand-orgue est derrière la façade, sur deux sommiers diatoniques en "M" (basses aux extrémités). Le récit est à l'arrière du grand-orgue, environ 75cm plus haut, et lui aussi constitué de deux sommiers diatoniques en "M". Le positif de dos, logé dans le petit buffet, est aussi doté de sommiers diatoniques, mais cette fois en mitre, avec les basses au centre. La pédale est sur deux sommiers chromatiques : l'un, de C à d, est orthogonal à la façade, placé contre le flanc gauche du buffet, basses au fond ; l'autre, de dis à f'' est contre le mur du fond, basses à droite. L'ordre des chapes de la pédale est le suivant : Bombarde 16', Flûte 8', Violoncelle 8', Soubasse 16', Flûte 16'. Le Prestant de pédale est en façade. Pas d'emprunt, ni d'extension.
La tuyauterie est de très grande qualité, entièrement de Schwenkedel (peut être à 1 jeu près), très bien entretenue en 2018. Entailles de timbre, Bourdons à calottes mobiles. On retrouve de nombreuses habitudes de Schwenkedel, et l'intérieur de cet orgue est un passionnant livre d'image illustrant la facture instrumentale.
Aujourd'hui (2020) cet instrument est de nouveau jouable, et c'était là l'essentiel. Tout ne fonctionne pas, mais même dans cette configuration, il est déjà extraordinaire. Si bien qu'on imagine ce que ça donnerait après quelques jours à bénéficier des soins qu'il mérite... Il faut vraiment souhaiter que cela arrive. En attendant, il serait dommage de bouder son plaisir : c'est un des instruments les plus attachants qui soient.
Entre 1880 et 1930, les facteurs alsaciens on développé un style spécifique, qui n'existe nulle part ailleurs, et qui est vraiment enthousiasmant. On trouve à Hirtzbach un de ses représentants les plus marquants. Alors, oui, ce n'est pas un orgue "standard". Il n'est pas "sans entretien" (aucun ne l'est), et il se mérite. Mais c'est justement son intérêt.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Marie-Camille Brugger.
Photos du 24/10/2020 et données techniques.
Photos du 23/02/2009
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