En matière de facture d'orgue, les années 1960 et 1970 furent marquées par un bouillonnement d'idées et de concepts nouveaux ou importés. Ce brassage allait chercher des éléments un peu partout (surtout ailleurs, où c'est toujours mieux que chez soi), les trouver géniaux, puis les mettre en pratique le plus vite possible, sous les applaudissements. Il y eut ainsi une succession de modes éphémères. On eut droit au "style nordique", aux "jeux italiens", à l'usage du cuivre, au retour des chamades, à l'élimination des Gambes, aux compositions stéroïdées par les emprunts et les extensions. Mais aussi aux harmonisations "à plein vent", aux Hautbois en 4', et plus généralement à tous les "C'est sûrement génial, puisqu'on y a jamais pensé !" Mais bien sûr, sur 100 nouvelles bonnes idées, 99 ne le sont pas tant que ça. Et une, généralement, s'avère très mauvaise.
Curt Schwenkedel construisit l'orgue de Triembach-au-Val en 1973. On peut s'étonner qu'il ait entrepris de livrer un de ces orgues-laboratoire au cœur du Val de Villé. De fait, on a connu les Alsaciens plus conservateurs. Certains pourraient penser qu'on a profité d'un niveau culturel moins développé ; d'un terrain plus apte à accepter le baratin. Ce serait faire une grave erreur : il faut se souvenir que ce sont souvent dans les vallées vosgiennes - et pas dans les métropoles bien trop occupées à faire plaisir à leurs virtuoses et à bouturer leurs Silbermanns - que la facture d'orgue alsacienne évolua. En matière d'orgue au moins, les gens des vallées étaient souvent aussi cultivés et compétents qu'en ville. Et en plus, ils savaient ce qu'ils voulaient.
On peut rapprocher cet instrument de ceux du collège de Landser ou de l'école de musique de Mulhouse. Deux lieux d'enseignement, où on s'étonne un peu moins de trouver des "games changers". Mais, pour finir de situer le contexte, il faut se souvenir qu'en 1970, Breitenbach reçut un grand Schwenkedel qui eut un impact certain : les styles "extrêmes", on adore ou on déteste, mais c'est clairement "Ein Kind seiner Zeit".
Historique
C'est un fait : la localité avait déjà une solide culture organistique, puisqu'un orgue y est attesté dès 1826 par la présence d'un organiste : Aloyse Collin. Mais on ne sait rien sur l'orgue lui-même. [IHOA]
Mais en 1840, l'inventaire rapporte qu'il n'y avait plus d'orgue. [Barth]
Historique
Un orgue a été posé à Triembach vers 1846, peut être par la maison Stiehr, de Seltz. Doté d'une traction mécanique, il a nécessité des réparations en 1912, 1921 et 1943. [IHOA]
L'instrument est parfois attribué à Valentin Rinkenbach, d'Ammerschwihr. Peut-être y a-t-il travaillé (donc entre 1846 et 1862) ou même effectué des transformations. [Barth]
L'instrument est seulement attribué à Stiehr sur la base de deux indices : un devis Stiehr daté du 02/01/ 1846 (mais dont on ne sait pas s'il a été réalisé) et le fait que buffet endommagé en 1944 (et brûlé en 1947) était "de Stiehr" (mais on sait qu'entre les buffets Stiehr, Wetzel et Rinkenbach, les confusions ont été nombreuses). Il y eut des travaux à la tribune entre 1855 et 1857, mais, curieusement, on ne parle pas d'orgue. [PMSSTIEHR]
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 04/06/1917. [IHOA]
L'instrument a été endommagé, par faits de guerre, en novembre 1944, au point qu'il fallut le démonter. [IHOA]
Voici la composition que trouva Georges Schwenkedel le 14/03/1946, lorsqu'il fut appelé pour reconstruire l'instrument sur deux manuels : [SchwenkedelNB]
Il n'est pas précisé si l'anche était coupée en basse+dessus. Par contre, Schwenkedel nota qu'une caisse conservée dans l'orgue comprenait un Nasard 2'2/3, et une "Stillregal" 8' récente. La page de notes, intitulée "Umbau auf 2 Manualen" a été rayée de deux traits et une remarque "siehe weitere hinten" : ce projet avait été abandonné. On retrouve la composition un peu plus loin. [SchwenkedelNB]
Il est donc possible que cet orgue était de Valentin Rinkenbach, si on admet que le Nasard a été remplacé plus tard par une Voix céleste, et un jeu aigu par un Bourdon 8' décalé en 16'. Certes, il n'y avait pas de Cornet, mais il n'y en pas pas non plus à Beblenheim (Valentin Rinkenbach 1843).
Dans son ouvrage sur les Stiehr, paru en 1972, Pie Meyer-Siat indique que : "Sommiers et tuyaux se trouvent chez Schwenkedel, depuis 25 ans, en attendant que l'on arrive à se mettre d'accord sur la composition du nouvel orgue à monter (comme si un organier de la valeur de Curt Schwenkedel avait besoin qu'on lui dise cela)." [PMSSTIEHR]
On devine donc que 1) l'orgue endommagé en 1944 n'intéressait plus personne et 2) la genèse du nouvel orgue fut "compliquée", en raison des agissements d'intervenants indépendants du facteur d'orgues.
Historique
Finalement, en 1974, Curt Schwenkedel plaça un orgue neuf. [IHOA]
La fièvre créatrice
...et plutôt original. On l'a vu, le projet avait traîné 25 ans. Du coup, les années 50 (pas de buffet) mais aussi les années 60 (buffet façon meuble de cuisine) étaient passées. Les années 70, elles étaient caractérisées par l'émergence d'une nouvelle mode ou "tendance" tous les trois mois environ. La facture d'orgues se cherchait, tâtonnant entre les méthodes du 18ème ("néo-baroque", claviers de "résonance" découverts dans un livre...), les idées "modernes" (tuyaux en cuivre), et plus généralement, tout concept "importé", forcément génial puisqu'il venait d'ailleurs (jeux "nordiques", Principaux "italiens", Cornets de pédale... II/P 16'...)
Rien n'illustre mieux ce fait que le projet qu'élabora justement Curt Schwnkedel en 1972 pour Strasbourg, St-Maurice : un Blockwerk, saupoudré de l'Espagne rêvée par Guillou, et complété d'un Brustwerk...
Eh, pourquoi pas un Ripieno !?
Il fallait donc absolument trouver quelque chose d'original, même pour Triembach.
L'idée "structurante", ici, semble s'inspirer du Ripieno italien. Les jeux de Mutations y sont désignés par leur intervalle avec la fondamentale. (Il n'est pas le seul : l'orgue anglais appelle souvent le 2' "Fifteenth" - la quinzième.) Ainsi :
- L'Octave (4') est un intervalle de "huitième" (VIIIème 4').
- Le Nasard (2'2/3) peut être appelé "douzième" (XIIème 2'2/3).
- La Doublette (2'), "quinzième" (XVème 2').
- La Tierce (1'3/5), "dix-septième" (XVIIème 1'3/5).
- Le Larigot (1'1/3), "dix-neuvième" (XIXème 1'1/3)
- Le Sifflet (1') (8+7+7), "vingt-deuxième" (XXIIème 1').
- La Quinte au-dessus du Sifflet (2/3') "vingt-sixième" (XXVIème 2/3').
Au-delà, cela concerne plus les canidés, puis les chauve-souris, et, peut-être, les dauphins. Mais sûrement pas de façon positive.
Nous voici donc avec des rangs de Ripieno : un Sifflet 1' et une Cymbale 1 rang (2/3'). Et tout cela fondé sur un malheureux Bourdon 8' ! C'était ça, les années 60-70 : une course à l'aigu avec une absence totale de fondamentales. (Ça a malheureusement duré : le 3ème clavier de l'orgue de Munster (1986) reste dans toutes les mémoires...)
Autre dispositif étrange qu'on ne trouve pratiquement nulle part ailleurs : une tirasse (du II) en 16'.
Par contre, au second clavier, il y a une "bonne idée" forte intéressante : le Quintaton 8'.
Voilà donc cet instrument élaboré pour Triembach, et ce qui explique qu'il soit aussi spécifique, et en tous cas pas banal. Il a donc, malgré sa relative jeunesse, un intérêt historique déjà très important. A condition de savoir l'interpréter. Trouver quelque chose d'aussi "sophistiqué" dans une commune de 450 habitants est enthousiasmant en soi : cela casse les clichés, et confirme que l'orgue est l'instrument populaire par excellence.
Caractéristiques instrumentales
Console frontale, claviers saillants. Tirants de jeu de section carrée à pommeaux tournés, placés des deux côtés des claviers. Claviers noirs. Commande des accouplements et tirasses par pédales-cuillers.
Mécanique à balanciers.
Sommiers à gravures.
Sources et bibliographie :
Photos du 22/05/2006.
TRIEMBACH-AU-VAL, Kt. Villé. - 1840, Liste, ohne O. - Mit O. 1892, Visit.-Bericht. - Rinckenbach 11 Reg., 1 Clav., Ped. MATHIAS 54. O. wohl von Valentin Rinckenbach, vor 1870.
402. Triembach Rinckenbach, 11 Jeux, 1 Clav. Péd., somier pneu., traction tub., soufflerie électr. et méc.
Localisation :