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Les orgues de la région de Benfeld
Benfeld, église protestante
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L'orgue Dalstein-Haerpfer de l'église protestante de Benfeld, dans son buffet Wetzel.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 10/02/2019.L'orgue Dalstein-Haerpfer de l'église protestante de Benfeld, dans son buffet Wetzel.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 10/02/2019.

Cet instrument a été construit par la maison Dalstein-Haerpfer juste avant la première Guerre mondiale, et fut livré, dit-on, en 1916, soit en plein cœur du conflit ! C'est donc un des derniers de la "Belle époque", mais aussi l'un des premiers pour lesquels on voit se dessiner les grandes tendances esthétiques et techniques caractéristiques de la profonde évolution qu'allait connaître la facture d'orgues après guerre.

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Historique

Un premier orgue fut placé ici en 1869 par les frères Wetzel. Le devis était daté du 02/11/1868. C'était un petit instrument de 7 jeux seulement, présentant la particularité - assez commune pour les orgues Wetzel - de disposer de deux Flûtes 4' : [IHOA] [ITOA] [PMSRHW]

Composition, 1869
Manuel, 54 n. (C-f''')
Pédale, 15 n. (C-d)
I/P
Accrochée
[IHOA] [PMSRHW]

Il est clair que ce petit orgue devait tout de même être "un peu juste". Son unique manuel et son pédalier "d'appoint" de 15 notes seulement en limitaient aussi considérablement les possibilités. Son remplacement ou son agrandissement étaient donc à prévoir.

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Historique

C'est en 1916, donc en pleine guerre, qu'aurait été livré l'orgue actuel, construit par la maison Dalstein-Haerpfer de Boulay. [IHOA] [ITOA] [Barth]

La date fait tout de même débat, car on imagine mal un orgue être livré en 1916. Il est sûr que l'orgue ne date pas d'avant 1913. Peut-être a-t-il été livré, au moins partiellement, juste avant le conflit, et finalement rendu pleinement jouable en 1916 ?

Si l'orgue précédent était à l'évidence sous-dimensionné pour l'édifice, on n'a pas voulu commettre deux fois la même erreur : avec ses 16 jeux (et deux accouplements à l'octave !) cet instrument a vraiment été généreusement doté.

Selon certaines sources (Guggenbühl-Griess, repris par Médard Barth), l'orgue Wetzel aurait été revendu et remplacé. Peut-être qu'un projet en ce sens avait été envisagé, mais comme le buffet actuel provient de l'orgue Wetzel, tout comme une partie de la tuyauterie, on voit mal comment le reste de l'instrument de 1869 aurait pu être revendu. Il s'agissait peut-être d'une "reprise" par la maison de Boulay, laquelle a alors cherché à valoriser les éléments dans l'orgue neuf. [Barth] [Visite]

Il faut d'ailleurs se garder d'attacher trop d'importance à la présence de tuyaux "anciens" : ils ont évidemment été totalement réharmonisés, et la maison Wetzel a - in fine - simplement servi de "tuyautier". Charles Wetzel lui-même avait inventé l'expression "tuyaux de rencontre" : un tuyau d'orgue en bon état n'est évidemment pas plus mauvais parce qu'il servait dans un instrument antérieur. Une fois intégrés dans un autre instrument, ces jeux, généralement, sonnent totalement différemment, comme s'ils avaient été faits à neuf.

Cette "chasse aux tuyaux anciens" (associée aux vieux préjugés "Plus c'est ancien, mieux c'est", ou "Les tuyaux se bonifient avec l'âge") reste un sport apprécié par l'organologie. Elle est parfois motivée pour justifier des projets de "restauration", et on peut aussi comprendre la nécessité de dresser un inventaire exhaustif d'une tuyauterie, incluant la provenance. Mais souvent, à part le côté anecdotique, on n'en voit pas l'utilité pratique. Les risques en termes de communication, eux, sont bien réels ("Oh ! Il y a des tuyaux d'occase dans l'orgue"). Or, passés entre les mains de Frédéric Haerpfer, ces jeux deviennent évidemment des jeux Dalstein-Haerpfer, même si leur métal a été fondu quelques dizaines d'années plus tôt, et s'ils ont été mis en façon par un tuyautier travaillant pour Wetzel. Les tuyaux qui ne convenaient pas au nouvel instrument, logiquement, n'y étaient pas intégrés.

Il s'agit du dernier "Dalstein-Haerpfer" alsacien (les suivants devant plutôt être attribués à Frédéric Haerpfer). Après guerre, Paul Dalstein (le fils de Nicolas, un des deux fondateurs) quitta en effet l'entreprise, la laissant à Frédéric Haerpfer, le fils de Charles (le second fondateur, qui était décédé en 1909).

Depuis 1886, la maison de Boulay avait réalisé en Alsace plus d'une trentaine de travaux conséquents (des orgues neufs, mais aussi des reconstructions). Parmi ceux-ci se distinguent les instruments de Strasbourg, St-Thomas (1905 - l'orgue d'accompagnement idéal selon Albert Schweitzer), le chef d'œuvre de Cronenbourg, St-Sauveur (1907) et le grand et fameux orgue de concert du Palais des fêtes à Strasbourg (1909, qui avait eu un retentissement musical et culturel considérable). Sur son papier à entête en 1905, la maison de Boulay cite 7 instruments comme références : trois à Metz, Hayange, Luxembourg, Nancy et... Mulhouse, St-Paul.

D'un point de vue esthétique, l'instrument est directement issu de l'influence d'Albert Schweitzer. Son ouvrage, "J. S. Bach, le musicien-poète", paru en 1905, donne le détail de sa pensée. On y note l'intérêt qu'il portait aux Mixtures. De ce point de vue, il est fort dommage que la "Mixtur-Cornett" de l'orgue de Benfeld ait été altérée. L'influence de Schweitzer est très présente à la console, où une grande attention a été donnée à l'ergonomie : la console d'un orgue "Schweitzerien" est avant tout au service de son organiste, pour que celui-ci soit à son tour entièrement au service de sa musique (et pas de l'instrument). Mais le trait le plus marquant est probablement la Soubasse expressive (comme à Cronenbourg) : ce jeu de pédale est en effet logé dans la boîte du récit, une disposition qui répond à une préoccupation constante - dans cette esthétique - de pouvoir agir finement sur l'intensité des basses.

Du point de vue du répertoire, l'instrument est rigoureusement contemporain des "Trente petits Préludes-Choral" de Max Reger (op135a, 1914). Les 11 préludes de choral de Johannes Brahms (op122) avait été publiés en 1902. Réciproquement, les instruments de cette époque allaient servir, dans l'immédiat après-guerre, pour des créations forts différentes : les "7 Pastels du Lac de Constance" de Karg-Elert (op96) datent de 1921. Et les "24 Pièces en style libre" de Louis Vierne datent de 1913-1914.

Les tuyaux de façade (tout neufs !) ont été réquisitionnés en 1917. Ils ont été remplacés quelques années plus tard par une façade neuve, en zinc et très réussie (très bien intégrée à l'esthétique de l'instrument). [Visite]

En 1983, la maison Muhleisen fit un relevage. Il est probable - mais non établi - que ce soit de cette époque que date la malheureuse transformation de la Mixture. [ITOA]

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2019
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
C-h en bois
En partie Wetzel ? ; f'-g''' sur le vent
En partie Wetzel ? C-H en bois
Bois, puis fis''-g''' métalliques et harmoniques
En partie Wetzel ? C-H en zinc
En partie Wetzel ?
Tuyaux en partie de Wetzel ?
Significativement altérée, probablement en 1983 ; encoches d'accord ou entailles de timbre
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
C-H en bois
Bois, puis f'-g''' harmoniques et métalliques
C-H en zinc
(c-g''')
c'-g''' harmoniques
c'''-g''' harmoniques
Pédale, 30 n. (C-f')
Dans la boîte expressive
I/P
Retrait des jeux sélectionnés par domino pour les plans sonores où la combinaison libre est activée
[ITOA] [Visite]
Console:
La console de Dalstein-Haerpfer.
A droite, il y a une note rédigée par un facteur bienveillant de passage,
qui a fait ce qu'il a pu avant une célébration, et donne quelques conseils pour
utiliser l'orgue au mieux, en attente d'un relevage.La console de Dalstein-Haerpfer.
A droite, il y a une note rédigée par un facteur bienveillant de passage,
qui a fait ce qu'il a pu avant une célébration, et donne quelques conseils pour
utiliser l'orgue au mieux, en attente d'un relevage.

Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Le bois utilisé est plutôt clair, ce qui était courant à la Belle époque (on retrouve la même teinte sur les consoles Gebrüder Link). Tirage des jeux par dominos munis de porcelaines, placés en ligne au-dessus du second clavier, groupés et colorés par plan sonore : à gauche, les dominos de la pédale (verts), puis ceux du récit (oranges), et à droite ceux du grand-orgue (blancs). Les dominos étant colorés, les porcelaines ont toutes un fond blanc. Claviers blancs, avec frontons biseautés pour le récit.

Commande manuelle des tirasses, accouplements et accessoires de registration par petits poussoirs à accrocher, en matière translucide jaune, repérés par des porcelaines rectangulaires, munies du code de couleur des plans sonores lorsque cela s'applique. De gauche à droite : "I-P" (blanche et verte), "II-P" (rose et verte), "II-I" (rose et blanche), "Sbc II-I" (II/I 16', pour SuBoctavCoppel, rose et blanche), "Tutti" (blanche), "F. C. I + P" (Combinaison libre grand-orgue et pédale, blanche et verte), "F. C. II" (Combinaison libre récit, rose) et "H.A." (retrait des jeux sélectionnés par domino pour les plans sonores où la combinaison libre est activée - c'est le même principe à Cronenbourg -, pour Handregister Ab, blanche). La pédale basculante d'expression du récit est la seule commande à pied. Elle est placée légèrement à droite (au-dessus des e et f du pédalier).

Programmation des combinaisons libres par picots disposés au-dessus de chaque domino, respectant le code de couleur mais avec des teintes plus saturées (ceux du récit sont rouges). Les accouplements et tirasses et ne sont pas programmables.

Plaque d'adresse noire en laiton, placée au centre et en haut de la console, entre les dominos du récit et ceux du grand-orgue, et disant :

DALSTEIN-HAERPFER
Orgelbau-Anstalt
BOLCHEN Loth.

Cette plaque est du même modèle que celle de Cronenbourg (1907). Comme souvent chez Dalstein-Haerpfer, la plaque comporte les représentations des deux faces d'une médaille récompensant en prix d'exposition : à gauche, une figure féminine drapée portant (ou distribuant) des fleurs (ce n'est pas la "semeuse" d'Oscar Roty, bien qu'elle y fasse penser !), à droite, le blason couronné de la ville de Metz ("Parti d'argent et de sable") muni d'une légende circulaire : "Kunst Gewerbe Ausstellung. Exposition des Arts et Métiers - Metz 1892".

Une fois de plus, une facette intéressante de l'histoire locale est évoquée par un détail figurant sur un orgue. Il s'agit du contexte culturel en Alsace-Moselle à la fin du 19ème. Une époque où Metz voulait se débarrasser d'une image peu reluisante de "ville de garnison". Une petite phrase du critique d'art Belge Octave Maus (1894) avait fait très mal : il a avait dit, en parlant de Metz "Hélas, nous n'y avons vu que des casernes". Ces expositions étaient de fait destinées à promouvoir une vie artistique, culturelle et industrielle (le tout étant étroitement lié, à l'époque) qui avait dans un premier temps eu à souffrir du conflit et de l'annexion, mais était alors en total renouveau. Retrouver en 1914-1916 l'évocation de cette médaille de 1892 est un fait révélateur : la fierté (légitime) des acteurs du renouveau culturel des années 1880-1910. Evidemment, on ne peut pas raisonnablement associer les orgues au mouvement dit de la "Bohème messine" ; mais un des leaders du renouveau artistique de Metz porte un nom de famille fort connu des amateurs d'orgue : Edmond Rinckenbach (Barr 01/03/1862 - Metz 13/08/1902).

Sommiers:

Les sommiers sont à membranes. Deux sommiers diatoniques pour le grand-orgue, en "M" (basses aux extrémités). Le faux-sommiers de la Mixture a l'air récent ; tout le reste semble entièrement d'origine. Le récit est également diatonique, mais en mitre (basses aux centre).

Tuyauterie:

La tuyauterie respecte les standards de l'esthétique romantique : entailles de timbre, bourdons à calottes mobiles, biseaux à dents. Certaines bouches sont arquées. On sent déjà l'influence de Frédéric Haerpfer, qui, suite à ses voyages d'étude en Europe, militait pour l'usage de nouvelles techniques. Un exemple frappant est l'utilisation du spotted (alliage d'étain et de plomb) pour réaliser certains tuyaux : une fois de plus, on se rend compte que cela sonne vraiment très bien. De nombreux tuyaux sont poinçonnés (souvent avec le nom du jeu en toutes lettres), mais il y a aussi des marques à la pointe sèche. Une partie des tuyaux du Bourdon 8', du Salicional, du Prestant et de la Doublette du grand-orgue, et peut-être de la Flûte 4' du récit, semblent provenir de l'orgue Wetzel antérieur. Ils ont toutefois été totalement réharmonisés et intégrés à l'orgue neuf.

A l'exception de la façade, toute la tuyauterie semble authentique (1914-1916), mais la Mixture-Cornet a été altérée pour en faire une Fourniture sonnant trop haut (2'). Apparemment, cela a été fait par déplacement des tuyaux existants, et non par remplacement.

Une vue plongeante sur la tuyauterie du grand-orgue.
De bas (accès) en haut (façade) : la Mixture (constituée de nombreux tuyaux d'origine,
mais complètement dé-structurée), la Doublette (à entailles de timbre),
le Bourdon 8', le Salicional, le Prestant,
la Flûte 8' (et ses dessus métalliques harmoniques)
le Bourdon 16' et la Montre 8'.Une vue plongeante sur la tuyauterie du grand-orgue.
De bas (accès) en haut (façade) : la Mixture (constituée de nombreux tuyaux d'origine,
mais complètement dé-structurée), la Doublette (à entailles de timbre),
le Bourdon 8', le Salicional, le Prestant,
la Flûte 8' (et ses dessus métalliques harmoniques)
le Bourdon 16' et la Montre 8'.
"Et au fond se tenait une Soubasse"
Une vue sur l'intérieur de la boîte expressive.
De bas (accès et jalousies de la boîte) en haut (fond) :
(hors champ, en bas : la Trompette, la Flûte 4', la Gambe),
la Voix céleste, le Geigenprincipal, la Flûte 8'.
Et la Soubasse de pédale.
"Et au fond se tenait une Soubasse"
Une vue sur l'intérieur de la boîte expressive.
De bas (accès et jalousies de la boîte) en haut (fond) :
(hors champ, en bas : la Trompette, la Flûte 4', la Gambe),
la Voix céleste, le Geigenprincipal, la Flûte 8'.
Et la Soubasse de pédale.
Dans un orgue Dalstein-Haerpfer, tout est au service de la tuyauterie.
Les aplatissages en ogive et les bouches arquées de ces tuyaux
leur donnent vraiment un petit air de choristes appliqués !Dans un orgue Dalstein-Haerpfer, tout est au service de la tuyauterie.
Les aplatissages en ogive et les bouches arquées de ces tuyaux
leur donnent vraiment un petit air de choristes appliqués !

Aujourd'hui (2019) cet orgue fait l'objet d'un prometteur projet de relevage. N'ayant nécessité qu'un seul travail d'envergure (1983) en plus de 100 ans de service, cet instrument a fait preuve d'une excellente robustesse. Un joli pied-de-nez au détracteurs de la transmission pneumatique. Mais, évidemment, les membranes sont des pièces d'usure, et leur remplacement est aujourd'hui nécessaire. Il n'est plus possible de registrer l'instrument à sa convenance, et certains jeux sont muets (Voix céleste). Mais tout ce qu'on peut entendre témoigne de la belle qualité de l'harmonisation, et permet d'imaginer les performances de cet instrument lorsqu'il aura retrouvé sa fiabilité et aura été dépoussiéré.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670028002P02
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