L'orgue Schwenkedel de Holtzwihr.Les photos sont de Martin Foisset, 12/09/2021.
L'orgue principal est en haut à droite.
La console est au sol, au tiers gauche de l'image.
A gauche, la cloison vitrée donnant sur la chapelle "de semaine"
contre laquelle se trouve le second orgue.
On trouve à Holtzwihr un orgue passionnant qui illustre une fois de plus la diversité et le talent de la facture d'orgues alsacienne. Il s'agit d'un instrument construit par Georges et Curt Schwenkedel en 1956, pour lequel ces facteurs ont bénéficié d'une grande liberté. Loin des clichés et du "convenu", cet instrument recèle beaucoup de spécificités. Pour commencer, il s'agit presque de deux orgues.
Historique
Un premier orgue est attesté à Holtzwihr en 1770, soit 4 ans après l'achèvement de l'église (détruite en 1945). Il devait être d'occasion, ou de mauvaise qualité, puisqu'il fut remplacé moins de 20 ans plus tard. [IHOA]
Historique
Un 1789, Martin Bergäntzel construisit un orgue neuf. [IHOA] [Barth] [PMSBERGANTZEL]
La date ne doit pas surprendre : on a beau fréquemment appeler "Histoire de France" celle de Paris, les deux ne se recouvrent pas totalement... En fait, de nombreux orgues ont été posés en Alsace au tout début de la Révolution.
L'accord fut conclu le 19/12/1788. On connaît le nom de l'organiste en 1825 : François-Joseph Simon. [PMSBERGANTZEL] [IHOA]
En mai 1890, l'orgue a été démonté par Joseph Antoine Berger en vue des travaux d'agrandissement de l'église, et remonté fin 1892, après avoir été muni d'une console indépendante. [PMSBERGANTZEL] [Barth]
Les 35 tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 28/03/1917. [PMSBERGANTZEL]
C'est probablement Jules Besserer qui les remplaça, en 1930. L'orgue avait alors 2 claviers et 20 jeux. [PMSBERGANTZEL]
Mais il faut noter que certaines sources parlent, à ce moment, de la construction d'un orgue neuf. [Barth]
L'orgue et l'église furent totalement anéantis lors du bombardement de janvier 1945. [IHOA]
Historique
En 1956, Georges et Curt Schwenkedel placèrent à Holtzwihr leur opus 130. [IHOA]
La nouvelle église a été construite sur une base octogonale, suivant un projet architectural novateur et virtuose. Elle a été consacrée le 11/11/1956. L'autel est central. (Rappelons que l'édifice est pré-conciliaire : cela n'allait pas de soi.) Le clocher est en campanile, séparé du reste de l'édifice. Dès l'achèvement de la structure, il devait être évident que l'acoustique allait être celle d'une cathédrale. De plus, il n'y avait pas de tribune, et l'église était complétée par une une chapelle "de semaine" contiguë. Pour l'orgue, il allait falloir faire preuve d'imagination. Et c'est ce trait qui resta dans son ADN : imagination et innovation.
On sait que Georges, le père de Curt et fondateur de la maison, contribua beaucoup à cet instrument (en tous cas son dessin). Et c'est vrai qu'on y admire encore la dynamique issue des années 1920, celle qui offrit à l'Alsace quelques unes de ses plus belles réalisations. Le "souffle" de l'auteur des orgues de Mutzig ou Hirtzbach est encore là. Une dernière fois. Après cela, ce ne fut plus pareil : l'opus 132 de la maison Schwenkedel, à Wickerschwihr (1957), avec son harmonisation à plein-vent, était déjà tombé dans le piège du "mainstream" et du pseudo-baroque-nordique... L'orgue de Holtzwihr marque vraiment la fin d'une époque : celle d'une facture alsacienne libre, originale, enthousiaste, et proche de son public.
L'orgue a été inauguré le 02/12/1956, soit seulement 3 semaines après l'édifice. [Barth]
Dire que certains ont parlé d'orgues "dommages de guerre"... On ne peut pas faire pire contre-sens. Car ce serait gravement sous-estimer la résilience des communautés après les deux conflits mondiaux. Il ne s'agissait pas juste de "réparer", mais de lutter contre la fatalité des destructions, en faisant "encore mieux", à partir d'une page blanche. Certains de ces projets d'après-guerre ont bénéficié d'une motivation et d'une ambition extraordinaires dont on ressent encore aujourd'hui la dynamique.
Il y a ici deux orgues, deux consoles, mais l'ensemble fait un tout. Une question se pose : faut-il les traiter comme deux instruments, ou un seul, avec Fernwerk et console satellite ? La réponse, finalement, a été donnée par ses facteurs sur les plaques d'adresse, en faisant figurer un seul numéro d'opus : 130. Il s'agit donc bien d'un seul et même opus, en deux parties.
L'orgue 'principal'
L'orgue "principal" est situé en hauteur, sur une tribune incurvée en saillie d'une des facettes constituant les murs de cette église octogonale. Il se trouve légèrement sur la droite quand on entre par le portail.
La partie principale.L'orgue de la chapelle
A gauche en entrant dans l'édifice, se trouve la chapelle de semaine. Elle est séparée du reste de l'édifice par une grande cloison vitrée, dont la partie inférieure peut s'effacer en remontant, et en doublant ainsi la partie supérieure. Les tuyaux se trouvent du côté "chapelle" de cette cloison, en hauteur.
L'orgue de la chapelle, vu du côté chapelle.La partie principale octogonale est ici à gauche, derrière la cloison vitrée.
Le petit instrument peut servir à la fois d'orgue d'accompagnement pour la chapelle et de Fernwerk pour le grand. Vu de sa petite console (actuellement déposée), l'orgue de la chapelle est disposé ainsi :
La tuyauterie est constituée de deux rangs : un de Bourdons/Flûtes, commençant au 16' et étendu au 4', soit 12 + 56 + 12 = 80 tuyaux, et un de Principaux, commençant au 8' et étendu au 4', doit 56 + 12 = 68 tuyaux.
Notons qu'il n'y a pas de 16' manuel (alors qu'on aurait pu en réaliser un sans ajouter de tuyaux). Il n'y a pas de tirasse, vu que tous les jeux du manuel sont directement jouables à la pédale.
En 1995, Georges et Pierre Bois firent un relevage de l'orgue principal. Ils firent aussi une légère transformation, en échangeant le Cromorne et le Clairon : le Cromorne était jusque là au grand-orgue, et le Clairon au récit. [Caecilia]
Caractéristiques instrumentales
Console principale
Console indépendante et mobile, placée au sol dans la nef, et fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos, de couleur crème et aux coins arrondis, disposés en ligne au-dessus du second clavier, et légèrement espacés (non jointifs). Le groupe de gauche est pour la pédale (avec le nom des jeux écrit en vert), celui du centre pour le grand-orgue (avec le nom des jeux écrit en noir), et celui de droite pour le récit (avec le nom des jeux écrit en rouge). Le domino du Cromorne est différent des autres.
La console principale.Il y a une double commande des accouplements et tirasses, car 6 poussoirs blancs, situés sous le premier clavier, à gauche permettent d'appeler : "II/I 16'", "II/I 4'", "II/PED. 4'", "II/PED. 8'", "I/PED. 8'" et "II/I 8'". Viennent ensuite, vers la droite, les poussoirs "J.M." (Jeux à main, appelant la registration par dominos), "COMB. I" (Combinaison libre), "0" (son annulateur) et les combinaisons fixes : "CH.GR." (Chant grégorien), "I", "II", "III", "TT" (tutti) et "TT O.G." (tutti avec octaves graves). Le dernier poussoir, à droite, noté "P. PED.", appelle la pédale piano automatique.
Commandes à pied des tirasses et accouplements par pédales-cuillers à accrocher, en bois couvert de métal gaufré. De gauche à droite : "II/I 16'", "II/I 4'", "II/PED. 4'", "II/PED. 8'", "I/PED 8'", "II/I 8'". Puis viennent les grandes pédales à bascule, pour l'expression du récit "EXPRESSION II" (hors-service) et le crescendo. A leur droite, les pédales-cuillers des appels : "APPEL G.O.", "APPEL ANCHES", "APPEL MUT." et "APPEL MIXT.".
Programmation de la combinaison libre par picots blancs basculants, situés au-dessus des dominos. Pour rendre les tirasses et accouplements (qui n'ont pas de domino) programmables, un petit panneau, à gauche des dominos, regroupe 6 picots, repérés par une plaque noire : "II/I 16'", "II/I 4'", "II/PED. 4'", "I/PED. 8'", "II/I 8'".
Indicateur de crescendo placé en haut à droite ; une échelle sur fond noir est graduée de 0 à 15 (avec 1 et les multiples de 3), et un index se déplace dessous. Deux flèches vers la droite indiquent le sens de la progression. Comme souvent chez Schwenkedel (ou Roethinger), il n'y a pas d'appel ou d'annulateur du crescendo.
Voltmètre, situé en haut à gauche, et gradué jusqu'à 15 V.
Cette console est du même type que celle de Biesheim.
L'orgue de la chapelle (appelé "orgue de choeur" à la console) peut être joué depuis le premier clavier et le pédalier de la console principale. Le tirage des jeux se fait par "langues de chat" marron, placées en deux groupes, pédale à gauche et manuel à droite. Il n'y a pas d'appel/annulateur global pour l'orgue de choeur, mais l'orgue principal dispose d'un appel grand-orgue (I/I).
Plaque d'adresse noire à lettres blanches, placée en bas à droite :
G. SCHWENKEDEL & FILS
STRASBOURG-KOENIGSHOFFEN
OPUS 130 1956
La plaque d'adresse de la console principale.Juste au-dessus se trouvent les commandes de l'orgue de la chapelle.
Console de la chapelle
Une seconde console, mobile, actuellement remisée, mais qui était usuellement placée à l'entrée de la chapelle de semaine, permet(tait) de jouer l'orgue de la chapelle.
Elle est indépendante, mobile, et fermée par un couvercle basculant, à la façon d'un piano droit. Tirage des jeux par dominos à coins arrondis, placés en ligne et en deux groupes au-dessus du clavier.
La console de l'orgue de la chapelle. (Actuellement inutilisée.)Si la grande console est quand même un rien compliquée,
celle-ci se distingue par une simplicité extrême.
Plaque d'adresse noire à lettres blanches, placée en haut à droite :
G. SCHWENKEDEL & FILS
STRASBOURG-KOENIGSHOFFEN
OPUS 130 1956
La plaque de la petite console.
La tuyauterie est... difficilement accessible. Et c'est bien un problème, car la maintenance nécessite d'amener une nacelle dans l'église. Il y a bien des baies occultées dans le mur où est accroché l'instrument, mais ménager un accès par l'arrière (et donc l'extérieur) serait difficile, surtout que cela ne résoudrait pas l'évident problème de sécurité pour les intervenants travaillant là-haut... Mais une solution toute simple est à l'étude, consistant à munir la tribune d'un garde-corps et d'une échelle escamotable.
Comme souvent dans les années 50-60, le cuivre est en vedette. L'orgue n'a pas de buffet, et le dessin de la disposition des tuyaux allie des courbes et des lignes droites, avec une composition "en profondeur", car il y a des rangs sur plusieurs niveaux. L'alternance des matériaux (cuivre, bois, étain) permet de colorer l'ensemble avec un intéressant dégradé.
Quel instrument ! Et tout cela dans une acoustique magique... Lors de notre visite (09/2021), l'expression était débranchée (boîte coincée ouverte), ce qui est vraiment dommage, car on imagine l'effet de ce récit jubilatoire (commandé depuis le grand-orgue avec les trois accouplements...) boîte fermée. C'est quand même quelque chose de peu commun. Et, malheureusement, les jeux de la chapelle sont muets, ce qui fait que l'on "rate" un peu une des principales spécificités de cette merveille : un Fernwerk !
Mais, même ainsi, quel orgue exceptionnel ! Evidemment, il a été fait des concessions qui heurtent les "puristes", mais, franchement, une fois à la console, on est bien loin des observations des théoriciens. C'est un instrument aux possibilités innombrables, rare par son originalité. Et c'est le témoin d'une facture alsacienne connaissant, à la fin des années 1950, ses derniers moments de liberté. Après cela, il a fallu faire "18ème", partout, tout le temps, et pendant des dizaines d'années. L'orgue de Holtzwihr est tellement différent, tellement rafraîchissant, qu'il devrait être montré à tous les élèves organistes et tous les apprentis facteurs d'orgues. L'orgue *autrement*, ça existe. Il est aussi multi-colore que les vitraux de son étonnant édifice, et les deux vont idéalement ensemble.
Sources et bibliographie :
-
[Visite] "Visite sur place", 12/09/2021
Remerciements à Jean-Louis Fleith.
-
[MFoisset] Martin Foisset : e-mail du 15/09/2021.
Photos du 12/09/2021.
-
[JBrun] Jonathan Brun : e-mail du 12/09/2021.
Photos du 12/09/2021.
- [IHOA] Pie Meyer-Siat : "Inventaire historique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM, puis Coprur, 1985 et 2003, p. 81a
- [ITOA] "Inventaire technique des orgues d'Alsace", éditions ARDAM, vol. 2, p. 161-2
- [PMSBERGANTZEL] Pie Meyer-Siat : "Martin et Joseph Bergäntzel facteurs d'orgue", in "Archives de l'Eglise d'Alsace", vol 43., éditions de la société Haguenau, 1984, p. 247-8
- [Barth] Médard Barth : "Elsass, 'Das Land der Orgeln' im 19. Jahrhundert", in "Archives de l'Eglise d'Alsace", vol 15., éditions de la société Haguenau, 1965-66, p. 226
- [Caecilia] "Caecilia, Revue de musique liturgique du diocèse d'Alsace", éditions Union Sainte Cécile, 1996-1,2015-4
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