Martin Bergäntzel (06/10/1722-07/07/1803), et Joseph (17/12/1754-14/10/1819), son fils, sont deux figures marquantes de la facture suisse et alsacienne du 18ème siècle. Ils sont les témoins d'un époque charnière où les maîtres de cet art cessèrent d'être des itinérants (voire des organistes construisant leur propre instrument) pour fonder de véritables entreprises. Ils ont construit une vingtaine d'instruments neufs, généralement au rythme d'un par an, sur une période allant de 1776 à 1818.
Martin était ébéniste de formation. Il semble venu à la facture d'orgues lors de sa collaboration avec Louis Dubois, à l'occasion de la construction de son orgue d'Ammerschwihr. Cet orgue fut à l'origine de sa vocation, mais provoqua aussi son installation à dans la localité haut-rhinoise, qui fut le haut-lieu de la facture d'orgues alsacienne jusque dans les années 1940.
Dans l'entourage de Dubois, il y avait aussi Weinbert Bussy, et surtout Jaque Besançon. Ce dernier s'était mis à son compte avant la mort de Dubois, mais était "officiellement" son successeur. Mais lorsqu'il quitta l'Alsace, en 1776, Martin Bergäntzel se lança pour de bon. Il rappela auprès de lui son fils Joseph. Ce dernier avait 22 ans et était alors séminariste, et il vécut probablement cet appel comme un sacerdoce, d'un type certes différent de ce qu'il avait prévu... C'est pourquoi on peut attribuer tous les orgues Bergäntzel construits jusqu'à Wihr-au-Val (1790) à Martin et Joseph. C'est aussi pourquoi en Alsace, les Bergäntzel devinrent les seuls dépositaires de l'héritage des Waltrin, par l'intermédiaire de Louis Dubois.
Pendant la Révolution, Joseph trouva du travail en Suisse et dans le Vorarlberg (Autriche), où il a peut-être travaillé avec Carl Josef Maria Bossart. En Autriche, Bergäntzel (Josef Birgaentzle) était considéré comme rapide et fiable, et ses travaux furent appréciés.
Les vicissitudes du temps n'ont pas épargné les travaux des Bergäntzel. Du fils, il ne reste plus que deux buffets. De la première période, un peu plus, mais pas grand-chose des parties instrumentales : de ce point de vue, les Bergäntzel étaient des "artisans locaux" ne pouvant rivaliser des hommes de l'art tels Jean-André Silbermann.
Mais leur héritage est d'un autre ordre. Il concerne d'abord le style des buffets, où ils excellèrent : le langage ornemental de la fin de l'époque classique et du début du 19ème leur doit beaucoup. Ensuite, dans l'atelier d'Ammerschwihr furent formés (à l'occasion de la construction de l'orgue de Tschagguns AU) trois neveux, dont l'un allait profondément marquer la facture d'orgues alsacienne : Valentin Rinkenbach.
En 1792 à Bartholomäberg (Vorarlberg, AU), Joseph probablement le premier orgue neuf de sa période d'exil ; il y a cependant doute, cet instrument étant parfois attribué à Johann Michael Graß (1746 Bürserberg - 1809 Lommis). Il fut fortement modifié entre 1858 et 1874. En 1795, Joseph travailla à St-Gerold (Walsertal, AU) et effectua le déménagement d'un orgue du couvent Gnadenthal (Niederwil) à Reiden (Lucerne, CH), St-Bartholomäus (suivi de travaux à Reiden en 1796). En 1797, on parle de lui à Einsiedeln (Schwytz, CH). [OFSG] [HSLUZOF]
En 1798, Joseph posa un orgue neuf à Acladira (Grisons, CH). Ensuite, il revint une première fois en Alsace. [OFSG]
En 1800, ce fut un orgue pour Schlins (Voralrberg, AU). L'instrument a été modifié en 1858 par Alois Schönach (Rankweil), et reconstruit en 1982 par Martin Pflüger (Feldkirch) (17 jeux sur 2 manuels).
En 1800 aussi, Joseph construisit un orgue neuf pour Au (Voralrberg, AU). Il fut transformé en 1893 par Anton Neumann (Schwarzach), puis encore modifié. C'est dans l'état de 1893 qu'il a été restauré. [ODBAT]
En 1801, Joseph construisit un orgue pour Thüringen (Voralrberg, AU), St-Stéphane. L'orgue fut fortement transformé en 1932 par les frères Mayer (Feldkirch), mais contient peut-être encore quelques tuyaux de Bergäntzel. [OFSG] [ODBAT]
En 1804 fut construit l'orgue qui reste le mieux conservé des orgues de "Joseph Birgaentzle" : Bludesch (Vorarlberg, AU). Avec 21 jeux sur deux manuels à l'origine, il a été transformé par la maison Rieger (Schwarzach) en 1947, mais restauré en 1970 par Ferdinand Stemmer (CH). [OFSG] [ODBAT] [HSLUZOF]
Ayant hérité de l'atelier d'Ammerschwihr, et comme le marché alsacien était redevenu vigoureux (en raison des dommages à réparer, mais surtout du renouveau apporté par des hommes de l'art tels François Callinet ou Michel Stiehr), Joseph est retourné en Alsace (travaux à Sundhoffen 1805, Einsiedeln et Bergholtz (1806)...) De façon surprenante, il ne reste en tout et pour tout de cette dernière période - qui fut certainement une des plus fécondes sur le plan technique - qu'un seul buffet, qui n'a même pas été construit par Bergäntzel mais par Franz Joseph Gandenschwiller.
De 1815 à 1816, Joseph obtint le marché de Tschagguns (Vorarlberg, AU), non loin de Bludesch : preuve supplémentaire que ce dernier avait beaucoup plu. En fait, Tschagguns semble avoir été la cité d'adoption de Bergäntzel entre 1803 et 1816. Pour construire ce trois-clavier de 38 jeux, il s'entoura de trois de ses neveux, donc Valentin Rinkenbach. Si l'orgue a été modifié en 1903 par les frères Mayer, les 4/5 de la tuyauterie d'origine, ainsi que le buffet (construit par Werner Salzgeber) avaient été préservés. L'orgue de Tschagguns a été reconstruit dans l'esprit Bergäntzel par Ferdinand Stemmer de Zumikon (Zurich) avec Georges Lhôte (recherches historiques et techniques). Marc Schaefer a participé à l'inauguration de l'instrument le 10/09/1994. [OFSG] [ODBAT] [Caecilia]
Joseph Bergäntzel, l'ancien séminariste qui avait finalement choisi les orgues comme ouailles, était resté célibataire, et n'avait pas d'enfant. Son père Martin, par contre, avait eu trois épouses, et 9 enfants rien que de la première. Sa quatrième fille, Catherine (1753-1837) n'eut à son tour pas moins de 14 enfants avec Johann Rinkenbach (1747-1826). Le 13ème était Valentin, dont le talent et la motivation allait vite s'imposer à tous. Le 11ème enfant, Jacob (1791-1857) fut facteur d'orgues aussi, mais ne laissa pas beaucoup de traces. Son fils, par contre, né en 1834, devint à son retour de formation chez Cavaillé-Coll le plus grand facteur d'orgues alsacien de tous les temps : Martin Rinckenbach. Cet autre Martin appela son fils... Joseph.
Joseph Bergäntzel mourut à Ammerschwihr, le 14/10/1819, et ne put donc pas achever le 3-claviers (35 jeux, dessus d'écho) qu'il destinait à Olten (Christkatholischen Stadtkirche, Soleure, CH). Il devait cependant avoir le sentiment du devoir accompli (ce qui devait compter énormément chez cet homme) : c'est Valentin qui le termina, fin 1821, avant de nombreux autres. Valentin en garda toujours une affinité pour le style de facture suisse ; on peut aussi y voir un retour aux origines de leur maître à tous : Louis Dubois, né à Cerniévillers.
Les Bergäntzel avaient été formés par Louis Dubois, et construisaient comme lui et son autre "élève", Jacque Besançon, des orgues dans le style classique français introduit et développé par André et Jean-André Silbermann. Ebéniste à l'origine, Martin ne chercha pas les innovations dans les parties instrumentales. Comme Dubois avait été inspiré par les dessins de Silbermann (donc la tradition soit de Ring, soit de Thierry), l'architecture générale des instruments est très proche de Silbermann. C'est quand même le "style parisien" que Dubois, Besançon et les Bergäntzel affectionnaient le plus. On trouve presque toujours une pédale séparée ; les compositions aussi sont très "Silbermanniennes", sans recherche de fantaisie ni d'innovation.
Les buffets conservés sont de très belle construction, avec une exceptionnelle ornementation : acanthes, bouquets, rocailles et vases à fleur. A Landser, la tourelle centrale est tri-lobée (ce fut aussi une spécificité de Jean-André Silbermann). La séparation en deux des plates-faces par une colonnette est la signature de Bergäntzel, aussi sûrement que le petit écusson porté par l'orgue de Landser, et figurant une oie portant des poires : Ber-gäntzel.