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Les orgues de la région de Villé
Villé, église de l'Assomption de la B.V.M.
Villé, le 18/09/2004. Photo de Roland Lopes.Noter que l'orgue n'a plus de soubassement, remplacé par des poutres. Villé, le 18/09/2004. Photo de Roland Lopes.
Noter que l'orgue n'a plus de soubassement, remplacé par des poutres.

L'édifice date de 1767, et on ne s'étonnera donc pas d'y trouver un buffet du 18 ème siècle. L'histoire des orgues de Villé est en soi exemplaire, car son orgue a été tant de fois remanié, reconstruit et modifié au gré de toutes les mutations esthétiques, qu'il retrace l'évolution de la facture d'orgues sur deux siècles et demi.

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Historique

L'édifice fut achevé en 1757. On fit faire des devis par Nicolas Toussaint, Jaque Besançon et Jean-André Silbermann. Ce dernier joignit à sa proposition le dessin d'un buffet. Il ne fut pas retenu, mais les commanditaires avaient apprécié le dessin, puisqu'ils le fournirent à Jacque Besançon, qui avait été retenu, pour qu'il l'utilise comme modèle. La décision fut prise en 1759, mais l'instrument ne fut achevé que 8 ans plus tard, en 1767, et on ne sait pas exactement ce qui causa ce délai : Besançon livra en effet d'autres instruments entre temps. [ITOA] [IHOA] [PMSAEA83]

Besançon n'avait pas l'envergure d'un Silbermann. C'était même, à Villé, son premier marché conséquent. Elève de Dubois, il ne devait toutefois pas être dépourvu de talent dans le domaine des buffets (il en fera même plutôt sa spécialité). Et il fut plutôt satisfait du résultat façonné d'après le dessin de Silbermann : il construisit sur le même modèle au moins deux de ses orgues : celui de la Collégiale de Saint-Ursanne (CH, sa ville natale) en 1776, et celui de Maîche (Doubs) en 1779.

L'avis de Silbermann sur Besançon

On le sait, Jean-André Silbermann n'était pas tendre avec ses concurrents. Il ne ratait jamais une occasion de les évaluer bien bas. Johann Georg Rohrer et Joseph Waltrin étaient probablement ses cibles préférées ; mais voici une traduction de ce qu'il pensait de Besançon : "Besançon - Aussi un Lorrain, qui a appris le métier et travaillé chez Dubois pendant 10 à 12 ans. Il a racheté l'outillage à la veuve Dubois, et habite Kaysersberg. En 1768 : il a achevé son premier travail, à Villé (il a dû coûter 1000 Thalers). Mr Eppel de Sélestat l'a essayé. Quand j'ai fait l'orgue de la cathédrale de Sélestat, le recteur Fuchs de Scherwiller et Mr Schultz de Châtenois m'en ont parlé de façon très défavorable. En 1769 : il a fini l'orgue des Dominicains de Sélestat. Mr Eppel m'a dit que non seulement il fait un mauvais effet dans une église pourtant très favorable, mais qu'en plus n'est pas de la meilleure facture. Les pères Dominicains que j'ai rencontré par ailleurs à Colmar et à Guebwiller m'ont dit qu'ils n'en sont pas contents, qu'il est très difficile à jouer et s'altérait énormément. Malgré tout cela, Mr Eppel l'a quand même trouvé bon lors de son examen, ce pour quoi les Dominicains ne lui en savent pas gré. De Villé, Silbermann dira qu'il avait soumissionné, que le travail a été attribué à Besançon, achevé en 1767-68, et qu'on en était pas content." (Il rapporte, pour étayer, une réparation, par "Büheler", qui est probablement Johann Martin Biehler, en 1782.) [ArchSilb]

L'orgue Besançon n'a pas été apprécié à Villé : pour preuve, Barth, dans son inventaire, écrit "Elende Orgel von Besançon von Kaysersberg". Le mauvais souvenir semble donc encore avoir été encore bien vivace en 1965. [Barth]

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Historique

En 1840, la partie instrumentale de Besançon fut pratiquement entièrement refaite par Martin Wetzel. [ITOA] [IHOA] [PMSAEA83]

La maison Wetzel était particulièrement douée pour rendre du souffle aux instruments classiques. Tant et si bien que ce fut Martin Wetzel qui introduira en Alsace la soufflerie moderne à plis parallèles ("système anglais"), en 1848.

La composition de l'orgue Wetzel est connue. Il devait ressembler à son presque contemporain de Walbourg. Villé eut donc son orgue post-classique. A la lecture de ces compositions, rien n'indique une facture radicalement différente du 18 ème siècle. Juste quelques 8 pieds supplémentaires, et une alimentation en vent plus vigoureuse.

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Historique

En 1913, la partie instrumentale fut à nouveau remplacée, cette fois par un orgue neuf de Martin et Joseph Rinckenbach, qui avaient été en concurrence avec la maison Kriess, de Molsheim. Le récit et la pédale furent placés en dehors du buffet, beaucoup trop petit pour contenir un orgue de 20 jeux riche de nombreux 8 pieds. [ITOA] [IHOA] [PMSAEA83]

La plaque Rinckenbach. Photo de Julie Dollé. Le tirant rose est d'origine, les autres sont bien entendu postérieurs. Le numéro d'opus est 134.La plaque Rinckenbach. Photo de Julie Dollé.
Le tirant rose est d'origine, les autres sont bien entendu postérieurs. Le numéro d'opus est 134.

L'orgue classique de Villé n'avait pas été un Silbermann. Son orgue post-classique n'a été construit ni par Stiehr ni par Callinet. Mais pour son orgue romantique, Villé s'adressa cette fois au meilleur. Martin Rinckenbach avait été formé chez Cavaillé-Coll, et s'il était à cette époque sûrement à la retraite, son fils Joseph tenait haut le flambeau de la maison d'Ammerschwihr.

Pie Meyer-Siat, dans son étude sur Besançon, ne cache pas son aversion pour ce style. "Le bel été de 1911 (pour le vin, ce fut un millésime fameux) sonna le glas de l'orgue mécanique de Villé." Il en donne la "composition approximative", qu'il qualifie avec une ironie non dissimulée de "romantique, paraît-il" (et la suite de l'histoire ne l'intéresse pas):

De fait, c'était du romantique de la meilleure veine, malgré son nombre de jeux d'anches limité à deux seulement (illustrant l'influence germanique). On est bien entre Cavaillé-Coll (il y a un grand récit avec Voix céleste, Hautbois et Flûtes) et Walcker (prédominance des fonds et pédale indépendante avec deux 16 pieds). Cette magnifique composition regroupait tout ce qu'il était de bon ton de dénigrer dans les années 1960, et surtout, la transmission était pneumatique, chose considérée comme une tare définitive, tout orgue de qualité devant disposer d'une mécanique suspendue. Comme plus personne ne savait régler une transmission pneumatique, il était facile de faire taire tout imprudent qui osait suggérer qu'il valait mieux une bonne pneumatique qu'une mauvaise mécanique.

L'orgue de Villé avait à ce moment là une esthétique cohérente et intègre, et adapté à un vaste répertoire. Issu de l'âge romantique, il était le témoin d'une facture influencée par Emile Rupp ("Réforme Alsacienne de l'Orgue", refus des excès de pression) puis Albert Schweitzer (un orgue ergonomique et dynamique, aux racines romantiques, mais éclairci pour une meilleure lisibilité de la polyphonie, redécouverte sur les deux instruments survivants d'André Silbermann).

L'orgue Rinckenbach a été entretenu en 1935 par Georges Schwenkedel. [ITOA]

En 1917, lors de la grande réquisition des tuyaux d'orgues par les autorités allemandes, la façade fut épargnée parce que n'étant "pas en étain". [ITOA] [IHOA]

C'est à nouveau Georges Schwenkedel qui vint faire un entretien en 1947. [ITOA]

?L'inventaire historique attribue l'électrification de la traction à Schwenkedel, dès 1946. [ITOA] [IHOA]

En 1963, Ernest Muhleisen a été mandaté pour accomplir une transformation d'envergure. La transmission fut électrifiée (si elle ne l'avait pas été en 1946, voir plus haut), et au moins 8 jeux furent remplacés. [ITOA] [IHOA] [Muhleisen]

Le soubassement de l'orgue, à gauche a disparu... Photo de Julie Dollé.Le soubassement de l'orgue, à gauche a disparu... Photo de Julie Dollé.

La besogne, appelée "baroquisation", consiste à remplacer ou recouper de beaux jeux romantiques (qualifiés de "sombres" car empoussiérés) pour en faire des petits jeux aigus. Un passage à la traction mécanique, vu la disposition, était exclu. On plaça donc 8 jeux "néo-baroques", complètement étrangers à l'esthétique de l'instrument : les Doublettes, la Sesquialtera, le Nasard, la Tierce, le Larigot, la Cymbale et Jeu de 4 pieds de pédale. Le Principal 8' du récit fut aussi changé en 4 pieds.
Adieu, Bourdon 16' manuel, Flûte de Concert, Quintaton, Gambe, Aéoline, Voix céleste, Octavin et Violoncelle. Adieu aussi à l'intégrité de l'instrument.

Répétons-le, ce ne sont pas aux facteurs - qui n'avaient pas le choix - qu'il faut en vouloir : Ernest Muhleisen savait reconnaître un orgue de valeur - il l'a maintes fois prouvé - mais bel et bien aux commanditaires. Le grand facteur alsacien a d'ailleurs même laissé la plaque d'adresse de son prédécesseur.

La maison Muhleisen fit un entretien en 1974. [ITOA]

Le buffet

La tourelle centrale. Photo de Julie Dollé.La tourelle centrale. Photo de Julie Dollé.

Du buffet construit par Besançon sur les plans de Silbermann, il ne reste que les superstructures, portées par des poutres. Trois tourelles, la plus grande au milieu encadrent deux grandes plates-faces. L'ornementation est riche : couronnements, jouées, rinceaux, claires-voies, rien ne manque... sauf le bas...
La Contrebasse et la Soubasse (Rinckenbach, 1913) sont peintes en blanc pour se faire plus discrètes. Le 4 pieds de pédale, métallique (1974) est plus visible. La façade actuelle est en étain (1974 ?).

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2010
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
Tuyaux intérieurs de Rinckenbach
Rinckenbach
Rinckenbach
Rinckenbach
2'2/3 ; Rinckenbach
Rinckenbach
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
Rinckenbach
Rinckenbach
Rinckenbach
Pédale, 27 n. (C-d')
Rinckenbach
Rinckenbach
I/P
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[JDolle]
Console:
La console indépendante. Photo de Julie Dollé.La console indépendante. Photo de Julie Dollé.

Console indépendante dos à la nef, placée devant le buffet. Bien qu'électrifiée, on y trouve encore la plaque de Rinckenbach.

M. & J. Rinckenbach
Ammerschweier (Els.) Opus 134
Transmission:

électrique (1974).

Sommiers:

Sommiers à membranes. Le récit est logé sous le plafond, derrière la grande tourelle. La boîte expressive est peinte en blanc, comme les tuyaux de pédale.

[ITOA]

La suite?

Il est fort probable qu'un jour ou l'autre, les restes du buffet du 18 ème conduiront à envisager une "reconstitution" de l'orgue Besançon (dont il ne reste ni un tuyau, ni une soupape). Ce posera alors le problème des précieux éléments romantiques qui ont survécu à l'opération de 1974 : plus de 10 jeux complets, sans compter que les sommiers à membranes, bien qu'électrifiés, sont peut-être restaurables).
Mais il est aussi permis de rêver qu'on s'intéressera plutôt à l'orgue de 1913, par exemple en allant visiter celui d'Ingersheim. Les superstructures du buffet de Besançon pourraient servir d'écrin à un orgue "néo-baroque", ailleurs, et l'instrument de Rinckenbach, restauré, prendrait sa place dans un buffet de style éclectique qui s'harmoniserait bien à sa partie sonore.
Une histoire dont la suite reste donc à écrire. L'orgue fait actuellement (2010) l'objet de travaux, par Emmanuel Uhry de Neubois (récit). Ce qui est du meilleur augure pour la suite.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670507001P03
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