L'opus 135 de Martin et Joseph Rinckenbach a été posé à Biederthal en 1912-1913. Il fait partie d'une lignée d'instruments d'une exceptionnelle qualité, construits juste "avant guerre", dont font partie, par exemple, ceux de Lapoutroie, Zimmerbach ou Hégenheim. Après 1918, de nombreux éléments esthétiques vont considérablement évoluer : c'est caractéristique des mouvements artistiques et culturels suivant les conflits. Les orgues de 1913 marquent donc l'aboutissement d'un style post-symphonique arrivé à maturité.
Historique
C'est en 1888 que Joseph Antoine Berger construisit le premier orgue de Biederthal, dans un "buffet-caisse" caractéristique du troisième quart du 19ème siècle : c'était une étape "minimaliste" avant l'apogée des buffets néo-gothiques et néo-classiques souvent très richement ornés. [IHOA] [Barth]
Biederthal apparaît dans une liste de travaux fournie par Joseph Antoine Berger comme "références" au curé Thomas de Ste-Marie-aux-mines, et datée du 04/12/1895. Il y détaille une vingtaine de réparations ou remontages, ainsi que trois orgues neufs : Bouxwiller (HR) (ce qui montre qu'il le considérait bien comme un orgue neuf), Sengern, et Biederthal. Comme les prix s'établissaient respectivement à 4000, 3400 et 2100 Francs, (et que pour Bouxwiller, il n'y avait pas eu besoin de buffet), on peut en conclure que l'instrument construit pour Biederthal était plutôt petit, avec probablement un seul manuel. Le banc de Berger est conservé à la tribune, il est étroit, et donc conçu pour un petit pédalier (probablement C-f).
L'édifice a été agrandi en 1912. [ITOA]
Historique
En 1913, Martin et Joseph Rinckenbach placèrent ici leur opus 135. [IHOA] [ITOA] [Barth]
On décida, sûrement pour des raisons de coût, de conserver le buffet de l'instrument de Berger. Malheureusement, ce buffet de 1888, déjà pas très seyant, n'était pas inadapté : l'installation d'orgue complet s'y fit au prix de contorsions techniques : la place disponible est très limitée !
La partie instrumentale s'inspire de celle de l'orgue de Blienschwiller, un joli petit instrument de 1911 de taille comparable (13j, 6+5+2). L'orgue de Blienschwiller a malheureusement été victime de la tragédie "néo-baroque" (il était authentique à sa destruction ; il y a aujourd'hui là-bas un instrument aux claviers noirs de 51 notes, dont la composition du second est 8', 4', 2'... pour "faire Rohrer"). Mais sa composition est connue. C'est la même qu'à Biederthal, mais il y a une Flûte 4' en plus au grand-orgue, et la Flûte 8' du récit était harmonique. (Et tout cela a été impitoyablement détruit en 1993 !) C'est donc à Biederthal qu'il faut aller pour se rendre compte de ce qu'a été le bel orgue perdu de Blienschwiller.
La Trompette "solo" est au récit, avec les Flûtes romantiques et la Gambe. Du coup, le Salicional est au grand-orgue, avec les deux autres 8', le Principal 4', et la Mixture grave (2'2/3 ; originellement pourvue d'un rang de tierce). L'orgue de Blienschwiller avait deux Bourdons 16' à la pédale (qui étaient bien des jeux réels, pas un rang partagé à alimentation différente). Mais à Biederthal, on préféra un seul 16', accompagnée par un Violoncelle 8', décidément emblématique de l'orgue alsacien. Enfin - et c'est d'autant plus important que le grand-orgue est dépourvu de 16' - il y a un accouplement à l'octave grave II/I 16'.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin et Joseph Rinckenbach de 1899 à 1917 comment cet instrument se situe par rapport à ses contemporains.
Les tuyaux de façade (muets) ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. [IHOA]
L'orgue a été relevé en 2021 par Sébastien Braillon. [Visite]
Cet orgue est donc, d'un point de vue instrumental, entièrement authentique (à l'exception d'un petit décalage d'un rang de Mixture, de 3 tuyaux vers l'aigu, pour transformer le rang de tierce en rang de quinte).
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirants de jeux de section ronde, placés en ligne au-dessus du second clavier, à pommeaux tournés munis de porcelaines. Elles ont un fond bleu pastel pour la pédale, rose pour le récit, et blanc pour le grand-orgue. Claviers blancs.
Commande manuelle des tirasses et accouplements par petits taquets à accrocher, disposés sous le premier clavier, à gauche. De gauche à droite : "Sub-octav-koppel II a I." (II/I 16'), "II a P." (II/P), "I a. P." (I/P), "II a I". Les porcelaines rondes repérant les taquets respectent le code de couleur des plans sonores : ainsi "II/P" a un fond rose dans la moitié supérieure, et bleu dans la moitié inférieure.
Ce système est très efficace et rapide à manœuvrer.
Commande des combinaisons fixes par pistons blancs, placés sous le premier clavier, à droite. De gauche à droite : "P.", "MF.", "F.", "0." (annulateur).
Toute la console est absolument authentique.
Plaque d'adresse placée horizontalement sous les tirants de jeux, au centre, disant :
Ce modèle de plaque, faisant apparaître le numéro d'opus, a déjà été rencontré à Kiffis en 1912, mais avec une fonte de caractères un peu différente.
Cette disposition des consoles (avec tirants en ligne et taquets à accrocher) est apparue en 1912, (Wackenbach, Schirmeck). On la retrouve à Bootzheim, Oberlarg, Villé, Dieffenbach-lès-Woerth, Thannenkirch. Mais également à Muespach en 1914 (le dernier orgue Rinckenbach d'avant-guerre). Après-guerre, et pendant une dizaine d'années, on assiste au retour des consoles à dominos. Ce modèle semble avoir inspiré celui de la fin des années 20, décliné de façon différente (joues des claviers, position de la plaque, commandes au pied), qui présente à nouveau des tirants (Vieux-Thann).
Pneumatique tubulaire.
Sommiers à membranes. Le grand-orgue est diatonique en "M", et placé dans le soubassement. Le récit, lui aussi diatonique en "M", est à l'arrière, un peu plus haut.
Depuis son récent relevage, cet orgue est vraiment enthousiasmant. Il est riche de plusieurs spécificités, dont sa "Concert-flöte" exceptionnelle. Comme souvent chez les Rinckenbach, c'est l'homogénéité et la souplesse de l'ensemble qui impressionne : même s'il n'y a pas beaucoup de moyens engagés (12 jeux seulement ; sur le papier, c'est un petit orgue), les possibilités et le répertoire adressable sont immenses.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Joseph Pfiffer.
Photos du 07/09/2019 et du 03/10/2021. Données techniques.
Localisation :