Il y avait à Hirsingue, entre 1922 et 1983, un orgue exceptionnel, un des fleurons de la facture alsacienne, signé par Joseph Rinckenbach. Malheureusement, comme en de nombreux autres endroits, il ne survécût pas à la "période noire", et fut impitoyablement remplacé par un instrument "générique" caractéristique de son époque.
Historique
Il y avait déjà un orgue à Hirsingue en avant 1772. [IHOA]
...mais on n'en connaît la présence qu'en raison de la vente du mobilier de l'ancienne église, en 1772. [IHOA]
Historique
En 1787, Joseph Franz installa à Hirsingue l'ancien orgue de chœur (récent mais doté seulement de 9 registres) du couvent de Mariastein (CH). [IHOA] [PMSSUND1983]
En 1811, un instituteur fut nommé à Hirtzbach. Il était également organiste, chef de chœur, et sacristain. [Barth]
En 1825, le petit instrument reprit la route, celle fois pour être placé à St-Rémi de Hégenheim. [IHOA] [PMSSUND1983] [PMSCALL]
Historique
Car en 1825, Hirsingue acquit un orgue Joseph Callinet. [IHOA]
On connaît le nom de son organiste en 1843 : Georges Artzet. [IHOA]
Dès 1865, l'instrument était "tellement délabré" qu'il n'était quà peine utilisable. [Barth]
Durant le premier conflit mondial, la localité de Hirsingue, située près de la ligne de front, a été évacuée. Les infiltrations d'eau eurent raison de la partie instrumentale. La tuyauterie métallique a été réquisitionnée par les autorités en 1917, mais, après-guerre, il n'y avait plus rien de récupérable dans la partie instrumentale. [IHOA] [PMSCALL]
Historique
C'est en 1922 que Joseph Rinckenbach installa à Hirsingue l'opus 156 de la grande maison d'Ammerschwihr. [IHOA]
Voici la magnifique composition de cet instrument :
Une facture en renouveau
L'instrument est directement issu des réflexions menées par Joseph Rinckenbach durant l'arrêt des activités causées par le conflit mondial. Il avait été rappelé du front en 1917, pour... participer à la réquisition des tuyaux d'orgues. Confier la besogne à un facteur d'orgues n'était pas en soi une mauvaise idée, car cela évitait sûrement des dégâts supplémentaires, comme c'est arrivé à Hirsingue en 1917 (où bien sûr ce n'est pas Rinckenbach qui effectua les "travaux"). Mais on peut imaginer l'effet que la participation forcée, à ce saccage devait produire sur un homme de l'art... De fait, Rinckenbach infléchit fortement son style : ses orgues d'après-guerre sont fondamentalement différents de ceux qu'il élabora avec son père Martin (décédé en 1917, décidément une année noire).
Doublette et Cornet
Visionnaire, il fut un des premier à aller dans le sens de ce qu'on a plus tard appelé le "néo-classique". Bien sûr, au début des années 1920, cela ne s'appelait pas comme ça. Le néo-classique "officiel" commence - pour l'orgue français - en 1930. L'idée était de ré-introduire, de façon consistante avec le reste de l'orgue, des jeux "anciens" permettant d'élargir le répertoire. Pour Joseph Rinckenbach, les jeux "signature" de cette évolution sont la Doublette et le Cornet du grand-orgue. Ses orgues n'en ont pas avant-guerre, et en sont souvent dotés après guerre. L'acte fondateur fut le (magnifique) orgue d'Ingersheim (1920, sur la page duquel on peut trouver d'autres détails). D'autres exemples enthousiasmants se trouvent à Scherwiller (1921) ou Hindisheim (1922).
Le trio de Flûtes harmoniques
L'orgue Rinckenbach de Hirsingue était donc contemporain de quelques uns des plus beaux orgues alsaciens - toutes époques confondues. Il est caractérisé par une exceptionnelle richesse en fonds (cinq 8' au grand-orgue, quatre, sans compter la Voix-céleste au récit). Le tout sur de solides fondamentales : tous les plans sonores ont leur 16', et il y en a trois à la pédale, dont l'anche de 16'.
L'instrument se distinguait aussi par son trio de Flûtes harmoniques au récit : la Flûte harmonique 8', la Flûte octaviante 4', et l'Octavin 2'. Le tout jouable en triple à partir du grand-orgue, par la magie des accouplements à l'octave (II/I 16', II/I et II/I 4'). On trouve aussi ce grandiose chœur de Flûtes à Sondersdorf (1923) et Saales (tous deux de 1923), mais aussi dans le somptueux orgue de Wuenheim (1925)/ ces instruments nous donnent une bonne idée de ce que que serait toujours l'orgue de Hirsingue s'il n'avait pas été démoli en 1983.
Et bien sûr, il y avait les traits caractéristiques de l'orgue alsacien : l'incontournable Voix céleste et le Violoncelle de pédale. Les fondements sont là : le "carré d'or romantique" des jeux de 8' (un Principal, une Gambe, une Flûte ouverte, un Bourdon) était bien là au grand-orgue, accompagné d'un 5ème, puisqu'il y avait même un Salicional.
Cet instrument n'avait qu'un seul défaut : il avait été logé dans un buffet de 1825. On sait que la console - évidemment indépendante - était tournée vers l'orgue.
L'orgue a été entretenu par Curt Schwenkedel en 1958. [ITOA] [PMSCALL] [SchwenkedelDO]
Dans son carnet de notes, Schwenkedel nota la composition (qui, en 1958, était encore celle d'origine). Il nota qu'il fallait changer les peaux des relais (ce qui constitue un entretien normal après près de 50 ans de service) et un traitement du bois dans le haut de l'orgue. (Plus le remplacement éventuel de tuyaux de bois.) L'orgue était donc entièrement authentique et en excellent état après cela... [SchwenkedelDO]
Historique
En 1983, Christian Guerrier construisit un orgue neuf dans le buffet de 1825. L'essentiel de la tuyauterie provient de la "cannibalisation" du bel orgue Rinckenbach. Le résultat fut un improbable "Callinet à Larigot", sans style bien établi, représentant un catalogue des marottes et clichés des années 1960-80. [IHOA] [ITOA]
A l'époque, on appelait ça une "restauration"... Tout ce qui comptait, c'était une vague composition, que l'instrument soit "mécanique" et doté d'une console "en fenêtre". La console Rinckenbach a été supprimée, tout comme les irremplaçables sommiers, et plus généralement tout ce qui faisait l'intérêt de l'orgue de Hirsingue, au profit d'un pastiche d'orgue "de transition". Hirsingue n'est malheureusement loin d'être une exception dans le domaine.
Caractéristiques instrumentales
Console en fenêtre. Le troisième clavier n'est même pas complet : il lui manque l'octave grave, au mépris total de la tradition alsacienne, et du souvenir des organistes qui, pendant des décennies, ont milité, entre Rhin et Vosges, pour avoir des claviers complets. Il faut sûrement y voir une "imitation" de l'orgue de 1825, qui, à la sortie de la Révolution, avait été construit à l'économie.
L'instrument de 1983, tournant résolument le dos à la tradition organistique alsacienne, est directement issu de ce qu'on a plus tard appelé "la Cuisine internationale de l'orgue". Il est en ce point exemplaire : non pas pour ce qu'il est ("Ein Kind seiner Zeit" ; il y en a des dizaines d'autres semblables), mais pour se souvenir que lorsqu'on dispose d'un orgue - fut-il en mauvais état - il faut vraiment s'interroger sur sa possible valeur avant de le condamner à mort. Le bel orgue Rinckenbach, auquel il aurait probablement suffi de changer les membranes - qui sont des pièces d'usure - a été remplacé par un instrument standard, vaguement simili-Callinet. La console est en fenêtre (ce qui est loin d'être pratique et ergonomique), la transmission mécanique, et la façade en étain : c'est tout ce qui comptait à l'époque. Pour le reste, on pouvait faire n'importe quoi. Comme démolir sans vergogne un orgue historique, témoin enthousiasmant d'une vraie tradition alsacienne de l'orgue.
Hirsingue, bien sûr, ne fait nullement exception : le patrimoine de nombreuses localités a souffert de ces pratiques, qui commençaient toujours par de la désinformation : "Votre orgue est pneumatique, il ne vaut rien". Il ne saurait être question de "pointer du doigt" quiconque, car ses clichés étaient à l'époque bien ancrés. Reste qu'il ne faut surtout pas contribuer à la confusion en affirmant qu'il y a un orgue Callinet à Hirsingue. (Le buffet, oui, mais le reste, évidemment que non). Et il faut se souvenir de la tragédie de 1983 en tant que telle, afin d'éviter qu'elle ne se reproduise ailleurs.
Sources et bibliographie :
Photos du 14/05/2022.
Photo du 21/06/2008
Livre 8, chapitre 7 ; concerne l'acquisition de 1786
138. HIRSINGUE Rinckenbach, 26 Jeux, 2 Clav., Péd., sommier à boursettes et à membranes, traction électr., soufflerie électr.
HIRSINGUE, Sundgau. - H. mit den Filialen Heimersdorf u. Rüderbach. - Das Kl. Mariastein OSB bietet im Okt. 1786 seine ganz gut erhaltene, erst vor einigen Jahren durch einen O.-Macher von Mörsberg gefertigte O., die im Chor stand, feil, weil zu klein f. d. grosse Ki. Sie hatte 9 Reg. u. 2 Blasbälge. Am 11. XI. 1786 wird die O. der Gde H. für 450 Pfd. Basler Währung zugesprochen. Pf. Hell gibt dazu 300 livres. O. am 15.-16. VI. 1787 abgebrochen u. auf 3 Wagen nach H. geführt, wo sie sofort aufgeschlagen wird. VOGELEIS 729, u. Fr. J. FUES, Die Pfarrgemeinde des Cantons Hirsingen, Rixheim 1879, 336- 338. - Im J. 1811 Einstellung eines Lehrers, der noch den Dienst eines Sakristans, Organisten u. Sängers zu leisten hat. WACKER, Pages I, 292. - Neue O. von Jos. Callinet 1825. O. mit 26 Reg. MEYER-SIAT 126-132 ; in Abb. ebenda pl. 19. - Inbetreff der O. heisst es in Bericht des Kirchenrates, 1865, dass diese « tellement délabré » ist, dass sie fast nicht mehr zu gebrauchen sei, doch die Mittel fehlten. Mittlg von Rektor Bruno Diringer. - Nach MATHIAS 62 : O. Rinckenbach, 26 Reg., 2 Clav., ohne Datum. - Aufstellung der O. 1922, Liste Rinckenbach. Dieses Datum von Rektor Diringer bestätigt.
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