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Les orgues de la région de Bouxwiller
Bouxwiller, église protestante
Buffet classé Monument Historique, 11/01/1977.
L'orgue Kern de Bouxwiller, dans son buffet probablement dû à Anton II Ketterer (1778).
(Voir l'attribution des .)
Photo de Nicolas Haslé, 13/08/2006.L'orgue Kern de Bouxwiller, dans son buffet probablement dû à Anton II Ketterer (1778).
(Voir l'attribution des buffets des orgues Silbermann.)
Photo de Nicolas Haslé, 13/08/2006.

Il y a des orgues à l'église protestante de Bouxwiller depuis le début du 17ème siècle. L'instrument actuel a été construit par Alfred Kern en 1968.

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L'orgue de facteur inconnu (1615)
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Historique

Un premier orgue est attesté en 1615 par la présence d'un souffleur. C'est Hans Ott, de Haguenau qui en avait l'entretien. [IHOA] [Barth]

Hans Ott père était originaire de Lonnerstadt. Il semble avoir été actif en Alsace après 1614 et avoir travaillé avec son fils. C'est à ce dernier auquel est attribué l'orgue de St-Léger de 1614. Ils étaient installés à Hauguenau. Il n'est pas exclu, mais non prouvé, que Hans Ott fut l'auteur du premier orgue de l'église protestante de Bouxwiller. [IHOA]

L'instrument a été réparé en 1648 par Hans Jacob Baldner, de Strasbourg. [Barth]

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L'orgue Hans Jacob Baldner,
1668
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Historique

Le 25/06/1668, Hans Jacob Baldner construisit un orgue neuf. [IHOA] [Mathias] [Elsassland]

Il a été réparé en 1698 par J. C. Besthorn. [Mathias] [Barth]

Apparemment, cette dernière réparation avait un caractère urgent, puisqu'en 1699, André Silbermann démonta et remonta l'instrument, fort probablement à l'occasion de travaux à l'édifice. (En conservant donc évidemment le buffet de Baldner : c'était le grand buffet, car l'instrument n'avait alors pas de positif de dos.) [IHOA] [Mathias] [Barth]

En 1704, c'est Georg Friederich Merckel qui est intervenu. [Barth]

En 1737, un certain Schild ajouta un positif de dos. [IHOA] [Mathias]

Il y eut à nouveau une réparation en 1756 (ou 1765) par Nicolas Martin Möller, d'Oberbronn. [Mathias]

En 1775, l'organiste Hesse dressa le constat (très coloré) suivant : "So bedächtiglich, behutsam und sorgfältig ich meine Orgel behandle, so wenig kann ich verhüten, dass ihr Alter nicht überhand nimmt, und sie somit immer unbrauchbarer wird. Sonderheitlich weiss ich in Ansehung der Windbälge keinen Rat mehr. Ich lasse sie flicken, aber dennoch werden sie immer schlechter und berauben mein sehr baufälliges Werk der Gleichförmigkeit des Tones. Ganz unvermittelt unter dem sichersten Spielen bleibt etwas henken und verursacht mir einen diabolum in musica. Ich glaube also, der Gedanke von einem neu aufzustellenden Werk sei nicht vorwitzig oder überflüssig. Ansonsten ein Aufschub meines Mahnens ohn erachtet machen könnte, dass ich unversehens tacitus auf der Orgel werde!" [Elsassland]

"Aussi précautionneux, minutieux et attentionné que je sois avec mon orgue, je ne peux empêcher son vieillissement, et il devient de moins en moins utilisable. Je ne sais plus quoi faire, en particulier pour les soufflets. Ils continuent à se détériorer après chaque réparation, et le son de mon vieil instrument en est très dégradé. Tout à coup, lors d'une interprétation bien allante, quelque chose reste accroché, et cause un diabolum in musica. Je pense donc que l'idée d'un remplacement de l'instrument n'est ni exagérée ni infondée. Si mon avertissement n'était pas pris en compte, il se pourrait bien, sans que je m'en rende compte, que je devienne complètement muet à l'orgue !"

En clair, il ne voulait plus de son orgue (Baldner / Schild), et ce n'était pas négociable ! Son appel au secours fut entendu :

En 1778, Nicolas Martin Moeller déménagea l'orgue à St-Léger de Bouxwiller. [IHOA]

Pour le remplacer, on s'adressa d'abord à Johann Peter Toussaint (qui travaillait alors avec son fils). Mais l'organiste Hesse connaissait bien le monde de l'orgue : "Der alte Toussaint ist ein blosser empiricus und kein gelernter Orgelmacher, sondern Schreiner, der aber vermöge seines natürlich-guten Genie zur Mechanik hie und da etwas abgesehen, und so durch manche nachgemachte Versuche sich endlich in vorliegender affaire, vielleicht auch durch einnehmdes Plaudern bei in dergleichen Bauart unwissenden Personen, an manchen Orten bekannt worden und Adresse gefunden." [Elsassland]

"Le vieux Toussaint n'est qu'un autodidacte, pas un facteur d'orgues de formation. C'est un menuisier qui, grâce à un don inné pour la mécanique, a appris de-ci de-là quelques rudiments et qui, à force d'expériences et de tâtonnements, a réussi à se faire connaître dans notre milieu, peut-être aussi grâce à son bagout face à des personnes incompétentes en matière de facture" Ensuite, il doute fortement de la faculté des Toussaint de construire une alimentation en vent convenable.

Alors, le Consistoire s'adressa à Johann Georg Geib, de Saarbruck. Geib vint à Bouxwiller le 07/01/1777 et s'y installa pendant une semaine pour bien préparer l'affaire. [Elsassland]

Suite à cela, le Consistoire s'empressa de solliciter Jean-André Silbermann.

Apparemment, Hesse n'a même pas eu le temps de reprendre sa plume alerte, et ça, c'est bien dommage.

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Historique

Jean-André Silbermann fournit un orgue neuf de 25 jeux, qui fut reçu le 12/07/1778. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Mathias] [Barth] [Elsassland]

Jean-André Silbermann était présenté au Consistoire comme étant le fils d'André Silbermann, constructeur de l'orgue de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, natif de Frauenstein (Saxe), marié depuis 1708 à Anne-Marie Schmid, père de 12 enfants, et constructeur de 30 orgues. [Elsassland]

En fait, les Silbermanologues en comptent 34. (Des orgues, pas des gamins.)

La présentation de Jean-André se poursuit : il avait des goûts éclectiques, allant des antiquités à la littérature et l'histoire. Il était aussi facteur d'orgues : et le futur orgue pour Bouxwiller serait son 54ème instrument. [Elsassland]

51ème. (Ils sont formels...) Cela tend à faire croire que l'organologie de 1778 attribuait à Jean-André les 3 ou 4 derniers d'André. Il y a encore 1 de décalage, mais ça peut être un positif. (Pour les positifs, il y a tolérance, parce que personne n'a jamais pu y voir clair.) Cependant, quand on sait qu'Ebersmunster était l'opus 31 d'André Silbermann, et qu'il est donc ici attribué à son fils, on se dit qu'une guerre civile dans le monde de l'orgue silbermannien a été évitée de justesse.)

Johann Georg Geib essaya de négocier. En vain. [Elsassland]

Avant de faire venir l'orgue, on procéda aux travaux de création de la fameuse loge seigneuriale. (Qui date aussi de 1778.)

La composition, évidemment, ne laisse pas la moindre place à une quelconque surprise :

Et l'organiste Hesse, dans tout cela ? Il n'avait jamais été très favorable à Silbermann, mais un fait est révélateur : en 1779, il demanda au Consistoire l'autorisation de rédiger un manuscrit pour un recueil de chorals avec de nouvelles mélodies, et d'acheter le papier à musique nécessaire. C'est donc qu'il avait retrouvé une certaine motivation. Plus tard, il essaya de le faire graver son recueil pour le publier, mais n'en eut pas l'autorisation. Il obtint le droit de vendre les chorals à l'unité ; il en vendit 18. [Elsassland]

Notons qu'il ne s'agit PAS du Choralbuch d'Adolf Friedrich Hesse (ce dernier est né en 1809).

Pendant la Révolution, l'instrument a été plutôt épargné, mais son buffet a été dépouillé de son fleuron. Un nouveau fleuron a été placé en 1812. [HOIE]

Le fleuron, version 1812.
On peut le décrire comme étant de style Louis XVI / Empire. (Mais "Empire" en deux mots serait plus pertinent.)
Les lions des Lichtenberg encadrant les armes de Bouxwiller
ont été transformés en une sorte de lyre avec une guirlande, et le phénix en soleil.
(Décision du Consistoire du 03/02/1812.)
Notons que le fleuron actuel représente les armes *actuelles* de Bouxwiller,
auxquelles, par rapport à l'armorial Louis XVI, l'évêque Saint-Léger a été supprimé.Le fleuron, version 1812.
On peut le décrire comme étant de style Louis XVI / Empire. (Mais "Empire" en deux mots serait plus pertinent.)
Les lions des Lichtenberg encadrant les armes de Bouxwiller
ont été transformés en une sorte de lyre avec une guirlande, et le phénix en soleil.
(Décision du Consistoire du 03/02/1812.)
Notons que le fleuron actuel représente les armes *actuelles* de Bouxwiller,
auxquelles, par rapport à l'armorial Louis XVI, l'évêque Saint-Léger a été supprimé.

Le 17/04/1804 (27 Germinal XII selon les promoteurs des Lumières, de la barre à mine et des couperets), Louis Geib effectua des réparations et un relevage complet. [Elsassland] [PMSCS96] [Barth]

Ce qui est encore plus révélateur que les modifications effectuées par la suite, c'est l'insistance avec laquelle elles ont été réclamées. George Wegmann rédigea deux devis le 23/09/1934. Il relève avec pertinence un des principaux défauts de l'instrument de 1778 : l'absence de Flûte 4' au grand-orgue. [PMSCS90]

Il n'y a qu'un 4', et c'est un Principal. Les hagiographes de Silbermann répondent ceci à ceux qui évoquent le problème : "Ah oui, il n'y a pas de Flûte 4' au grand-orgue. C'est pour ça que c'est génial !"

De plus, au sujet de la Tierce (du grand-orgue), il la qualifie d'inutilisable. ("unbrauchbar"). [PMSCS90]

Ce n'est pas qu'elle avait un problème technique, c'est qu'à l'époque les organistes ne pouvaient pas tirer un tel jeu sans risquer de perdre leur place.

En 1835, le Consistoire décida de faire faire les réparations nécessaires, et - peut-être - de mettre une Flûte 4' à la place de la Tierce. On ne confia pas le travail à Wegmann, mais à Martin Wetzel. [PMSCS90]

Car Wetzel avait été recommandé par Théophile Stern. En fait, Wetzel avait proposé une Flûte 4' et un Salicional 8' à la place de la Cymbale et de la Tierce du grand-orgue, et une Gambe à la place de la Tierce du positif. [PMSCS90]

Car sa première idée était de sortir la Cymbale pour y mettre une Flûte 4' (que l'on sait d'ailleurs être son jeu préféré : il en mettait parfois deux à un même clavier). C'est du moins ce qu'on peut comprendre à la lecture de ceci : "Die orgel welche im Manual keine flötte hat die Cymbal wech zu nehmen und mit Einer gutt Verferdigten flötte von zin un blei Ersetz werden dieses Register mit Enderung am Register zug zu Vünfunninzig franken kann webvleiben"". (Issu du "Devis über Rebarasion der Prodistandische Kirchen Orgel in Buchsweiler.)" [PMSCS90]

La maison Wetzel obtint au moins un relevage et l'entretien de l'instrument. [PMSCS90]

L'instrument a été modifié en 1876 par Emile Wetzel. On rapporte que trois jeux d'anches ont été remplacés à cette occasion, probablement engagée suite à des travaux à l'édifice. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [PMSCS90]

En conséquence, entre 1804 et 1877, à chaque fois qu'on entend parler de l'orgue, cela concerne sa réparation et les modifications souhaitées.

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Historique

En 1913, la maison Dalstein-Haerpfer, de Boulay, construit un orgue neuf, en conservant les buffets de 1778. [IHOA] [ITOA] [HOIE]

L'orgue dans les années 1920.
Image restituée d'après une photo parue en 1927 dans "Elsassland", non datée et non créditée.
Notons que le fleuron de 1812 a été coupé par le cadrage du photographe...L'orgue dans les années 1920.
Image restituée d'après une photo parue en 1927 dans "Elsassland", non datée et non créditée.
Notons que le fleuron de 1812 a été coupé par le cadrage du photographe...

C'est la rénovation de l'édifice, menée par l'architecte Théo Berst en 1912 et 1913 qui fut le déclencheur. Les tribunes étaient encore à deux étages (le second n'a été supprimé, comme beaucoup de choses - que dans les années 1960). Pour conseiller cette reconstruction, on s'adressa à l'organiste de la cathédrale de Bâle, Adolf Hamm. [Elsassland]

Adolf Hamm (1882 - 1938) avait été un élève d'Ernest Münch à Strasbourg. Organiste à la cathédrale de Bâle depuis 1906, il devint aussi professeur d'orgue au conservatoire de la ville. C'est le fondateur, en 1911, du Basler Bach-Chor.

La composition de l'orgue Dalstein-Haerpfer de 1913 a été soigneusement "escamotée" par l'organologie alsacienne. Et donc, avec un plaisir non dissimulé, la voici :

Ladite organologie de la seconde moitié du 20ème siècle était terrifiée à l'idée que quoi que ce soit puisse faire de l'ombre aux "chefs-d'œuvre" décrétés du 18ème. En particulier, la période post-romantique était honnie des experts, vu que la comparaison n'était vraiment pas en faveur des orgues stéréotypés parisiens... Alors, ils ont censuré, et soigneusement discrédité les magnifiques instruments de la première moitié du 20ème siècle. Car l'orgue Dalstein-Haerpfer avait tout pour faire rêver :

Un orgue exceptionnel

Adolf Hamm s'était surpassé : cinq fonds de 8' au grand-orgue, dont le "carré d'or" romantique (un Principal, une Flûte ouverte, un Bourdon et une Gambe). Et un Salicional en plus.

Sept fonds de 8' (en plus de la Voix céleste) au récit expressif, dont une Flûte harmonique 8'.

Un solide fondement : 16' bouché au grand-orgue, Contrebasse 16' et Soubasse 16' à la pédale.

Et surtout, des caractéristiques très alsaciennes : Violoncelle de pédale, Mixture-cornet, Trompette au grand-orgue (façon germanique) et pas au récit. Mais les Flûtes harmoniques, ça, oui ! Avec une Voix céleste. Pendant des décennies, un orgue alsacien sans Voix céleste était juste inconcevable.

Notons qu'il n'y a qu'un seul jeu d'anche : la Trompette du grand-orgue. Cela s'explique quand on connaît la genèse de cet instrument, et les motivations de sa construction.

Car c'était un choix. Un choix esthétique, qu'on discerne très bien dans les nombreux appels au secours des organistes, pour lesquels l'instrument de 1778, même très modifié, ne convenait absolument pas. Pourquoi ne pas prendre leur avis en compte autrement que pour essayer de les tourner en dérision. Pourquoi ne pas respecter ces musiciens, qui avait des goûts au moins aussi valables que les intégristes de la fin du 20ème siècle ? Pourquoi toujours obéir aveuglément aux diktats de ces experts, au lieu d'ouvrir ses propres oreilles ?

L'orgue Dalstein-Haerpfer de Bouxwiller était un magnifique instrument. On le sait grâce aux (rares) instruments analogues qui ont survécu à l'intégrisme néo-baroque. Parfois, il faut connaître plusieurs orgues du style pour imaginer une configuration qui n'existe plus. Les "années noires" de la facture d'orgues ont été une véritable catastrophe, et la "dialectique" utilisée dans les publications concernant l'orgue de Bouxwiller est absolument révélatrice de leur mauvaise foi. Elle a d'ailleurs un intérêt historique en soi, car elle constitue un parfait exemple de désinformation, répétée ad nauseam, sans que jamais ne se soit élevé une seule voix pour exprimer une quelconque résistance.

Morceaux choisis de rhétorique néo-baroque

Voici quelques exemples de cette rhétorique imposée au public par un petit monde de l'orgue marqué par le snobisme, et surtout l'entrisme des années 1952-2000. Le problème est que bon nombre de ces propos délétères sont encore répétés de nos jours, par des gens mal renseignés par ces sources orientées et partisanes. Il est donc fortement souhaitable de les revoir et les commenter.

Ignorance, prétention et mépris...

1979. Dans l'annuaire d'une des principales "Sociétés savantes" d'Alsace - que nous ne référencerons pas, pas plus que l'auteur (c'est facile à retrouver pour qui souhaite faire la démarche) : [Pour conclure l'historique de l'orgue de Bouxwiller] "Quant à la suite de l'histoire au XXè siècle, en particulier la pneumatisation par Dalstein en 1913 - "unter Wahrung des Silbermann-Charakters" (!!!), elles [sic] est connue. Il faut une forte dose d'ignorance, de prétention et de mépris du lecteur, pour oser dire qu'on garde l'esprit de Silbermann en pneumatisant un instrument."

Le lecteur ? Il est assez grand pour juger. Le mot "pneumatisation" est un réel marqueur de propagande. Il ramène le tout à une affaire technique de transmission, et perpétue la désinformation affirmant que la pneumatique est fragile et mauvaise. Si elle a effectivement été délicate à entretenir pendant un moment (ce qui, oui, fit souffrir les orgues équipés d'une telle transmission), c'était en raison de la perte de compétence des facteurs dans le domaine, et les préjugés d' "experts" dont beaucoup étaient leurs VRPs. Car tout "refaire" en mécanique est tellement juteux.

Le fait qu'on ait, en 1913 - donc encore dans la "période allemande" - cherché en toute bonne foi à conserver ce qu'on avait ressenti comme un caractère ancien est un fait. Il ne nécessite pas de triple point d'exclamation. Que cela ait réussi ou pas est un autre débat, mais cette intention, on ne peut pas la mettre en doute. Les gens, en 1913, n'étaient pas plus idiots qu'aujourd'hui. En l'occurrence, l'ignorance, la prétention et le mépris ne sont pas du tout là où ils sont signalés. On voit la paille dans l'œil du prochain...

'Ça commence à entrer dans le public'

Dans la même publication, qui se veut pourtant de nature "historique" (et devrait donc exposer des faits), il y a encore pire : "Ce jugement, reconnu depuis trente ans par les professionnels, commence à entrer dans le public : en Alsace il coûtera leur réputation aux plus grands noms de la musique."

Et voilà des menaces ! Des menaces adressées à ceux qui ne penseraient pas correctement, c'est-à-dire comme leur enjoignent de penser les "professionnels" pendant 30 ans. (Il en coûtera votre réputation !) Quelle est la mission de ces "professionnels" ? Sont-ils censés être au service du public qui les paye, ou jouer le rôle de maîtres à penser chargés de former l'opinion ? Quels sont ces vertueux professionnels auxquels il faut obéir aveuglément ? Ceux qui rêvaient d'éradiquer tous les orgues pneumatiques pour placer des dizaines de juteux devis de "mécanisation" ?

Et le curieux : "Commence à entrer dans le public"... voici un aveu éclatant qu'il s'agit d'une propagande. Et enfin, l'insinuation... Qui peuvent bien être ces "grands noms de la musique" qu'il faut couvrir d'opprobre car ils ne réfléchissent pas bien ?

'Dans l'euphorie d'une relative prospérité'

Il n'y a pas eu que ce "dérapage". 1978 : "A la fin du 19e et au début du 20e Siècle, dans l'euphorie d'une relative prospérité due aux progrès techniques, on commença à démolir de vieux et vénérables édifices, témoins d'un grand passé, pour les remplacer par du pseudo-roman et du gothique."

Outre l'évidente germanophobie (en 1978, ça se "vendait" encore bien ; on se faisait des potes à dire que 1870-1918 était une époque de "décadence"), il y a là un problème de perception historique : cette prospérité était loin d'être partagée par tous ! Et en particulier pas par celles et ceux pour qui l'orgue était la seule source de musique, et qui contribuaient volontiers, avec leurs faibles moyens, à la construction des orgues dont ils rêvaient. Car un fait est fondamental : une considérable montée en qualité de la musique pratiquée dans les églises, populaire et appréciée, grâce au prodigieux efforts pédagogiques fournis par les écoles normales. On aimait y aller écouter l'orgue et les chants, parce que c'était beau. Alors, évidemment qu'on voulait doter les lieux de cultes d'instruments adaptés ! Ajoutons que l'opération de discrédit concernant le néo-roman et le néo-gothique a conduit à des désastres patrimoniaux, la délétère vague "minimaliste" ayant coûté plus qu'une guerre et de nombreux incendies. (Guebwiller, St-Léger pour ne citer qu'un exemple.) A force de "Mais vous avez fait n'importe quoi !" et de "Ah, ça aussi, c'est mauvais...", on a fini, dans les années 50, par ne plus construire de buffets du tout. En plus, c'était moins cher, alors... Tant qu'à être critiqué quoi qu'on fasse, autant garder ses sous dans son porte-monnaie. C'est exactement ce qui s'est généralisé.

On sait enfin pour qui sonne le glas

Toujours dans cette publication de 1978. Alors que l'orgue Dalstein-Haerpfer avait été démoli 10 ans plus tôt, et que le clan néo-baroque dégustait encore sa victoire, on en rajoute (en revenant à Bouxwiller) et on ré-écrit l'histoire : "Le début du Siècle sonna le glas d'un chef-d'œuvre, l'Orgue Silbermann de Bouxwiller sera complètement transformé. [...] Dépourvu de sa belle sonorité, l'Orgue avait perdu son charme et sa personnalité."

On en déduit que l'auteur, écrivant en 1978, avait bien connu, entendu et apprécié l'Orgue ("O" Majuscule, comme il sied pour les Chefs-d'Œuvre) de 1778 avant sa première transformation, en 1876. Des souvenirs tous frais d'il y a 102 ans, donc... Au fait, comment était-on sûr en 1978 du "charme et de la personnalité" de l'orgue avant sa modification en 1913 ? Mais parce que c'est un Silbermann, bien sûr ! Et qu'il est universellement établi qu'il n'y a rien de mieux ! Ça s'appelle un cliché - ou un préjugé. Autant, on peut écouter les orgues de Marmoutier ou d'Ebersmunster et trouver ça génial, autant il est contestable de louer les charmes - et la personnalité d'un orgue "démoli" il y a des décennies. Au moins doit-on dire qu'on estime cela par référence aux orgues qui ont survécu, et qu'on admette que le cher disparu était de la même trempe. Ça marche pour le "charme", mais en aucun cas pour la "personnalité", car si l'instrument avait des spécificités 1) ça ne se voit pas dans cette composition, complètement standard dans l'œuvre de Jean-André SIlbermann à l'époque 2) il n'y en a aucune trace, et elles sont perdues pour toujours.

Le Faîte de la Musique ?

Pensez-vous que ce soit fini ? 2025 : page Wikipedia : "L'orgue monumental réalisé en 1778 par Jean-André Silbermann, alors au faîte de sa gloire, remplace l'orgue Baldner de 1666 jugé trop petit." (?!) "Monumental", à 28 jeux ? Les faits ("remplace l'orgue Baldner de 1666 jugé trop petit") sont faux : il n'était pas trop petit, mais inadapté et constituait un cauchemar à entretenir. Mais tout le monde peut se tromper. Ce que ne va pas du tout, c'est que dans une publication qui se veut encyclopédique, donc neutre, on avance du "alors au faîte de sa gloire" ? Déjà, le faîte n'est pas un fait, mais du baratin. En quoi Jean-André Silbermann en 1779 était-il moins glorieux qu'en 1778 ? Il a baissé en gloire, après ? Mais comment ignorer - si on se renseigne un peu - que la "gloire" des Silbermann ait été posthume ? Elle remonte à l'immédiat après-Révolution (évidemment pour "maximiser les pertes"), puis à la progressive installation de l'idée délétère d'un "âge d'or", révolu pour toujours, et ensuite à la croyance absurde que plus un orgue est ancien, meilleur il est. (Début du 20ème siècle.)

Sérieux ? Un Silbermann au zénith ?

Malgré l'absence de référence à la source, on peut retracer la provenance du "Faîte" wikipédien. Car une affirmation analogue se trouve dans le fameux article de 1978 : "En 1778, l'Orgue de Bouxwiller était terminé, cinq ans avant la mort du Maître, c'était un des derniers instruments-roi réalisé par Jean-André SILBERMANN au zénith de la gloire"

Car, voyez, c'était pas un Faîte, ni une Apogée, ni même un Boojum : c'était un Zénith !

On est content d'apprendre qu'il y a eu un Silbermann au Zénith : il n'a jamais été inventorié. Admirer aussi "Maître" avec sa Majuscule. Et le fameux "instrument-roi", le cliché des clichés. En Alsace, l'orgue n'est pas un instrument roi. Au contraire, c'est le plus populaire des instruments de musique. Peut-être à l'égal du Penny-whistle et de l'harmonica, sauf par les dimensions. En fait, il s'agissait (pour les paroisses et surtout les communes) d'une ressource culturelle publique, destinée à offrir de la musique à ceux qui n'en ont pas chez eux. Ceux qui ne peuvent pas s'offrir de piano, de cours de musique, ou de partitions. C'est ce que Médard Barth a appelé l'Orgelfreudigkeit.

"La ville a ses promenades, ses monuments, ses théâtres ; la campagne n'a que son église. Pourquoi ne lui serait-il pas permis, quand elle en a les ressources, d'en affecter une partie pour posséder au moins un "Grand Orchestre" dans son église qui, permettez moi l'expression, est le seul lieu de ses représentations dramatiques et théâtrales ?", comme disait le maire de Wittelsheim à qui on insinuait qu'un orgue, c'était un peu luxe pour ses administrés (sous-entendu qui n'avaient pas besoin de culture, vu qu'ils avaient du travail). Un orgue représente l'effort culturel d'une collectivité, acquis après de nombreuses difficultés, à la limite des possibilités. C'est une chose dé-raisonnable, irrationnelle et inutile. Comme la culture. Et indispensable aussi.

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L'orgue Alfred Kern,
1968 (instrument actuel)
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Historique

En 1968, Alfred Kern construisit un instrument neuf, logé dans les buffets de 1778, en réutilisant quelques jeux de Jean-André Silbermann. [IHOA] [ITOA] [HOIE]

Qu'aurait-on répondu à quelqu'un avançant que cela "sonna le glas d'un chef-d'œuvre, l'Orgue DALSTEIN-HAERPFER de Bouxwiller" ? Ou que "sa transmission pneumatique, de grande qualité, a été remplacée par une traction mécanique, et que dépourvu de sa belle sonorité, l'Orgue avait perdu son charme et sa personnalité" ? Pour se faire une idée personnelle et échapper aux clichés, on ira jouer et écouter les orgues Dalstein-Haerpfer survivants.

Quel est la différence entre la reconstruction de 1913 et celle de 1968 ? En 1913, on pensait sincèrement inscrire l'opération dans la continuité de l'histoire. "Conserver le caractère", c'était sincère. A l'époque, il n'y avait d'ailleurs personne à convaincre, pas d'argumentaire contraint : on le constate dans la presse, les devis, les PV de réception, les festivités d'inauguration. Public et conseillers voulaient la même chose. Jamais ces conseillers n'ont essayé de s'ériger en "autorité", expliquant aux autres ce qu'il faut penser. Jamais on a cherché à détruire quelque chose de valeur, même si on a - fort honnêtement - mis de côté ce que le public trouvait criard. Des polémiques, il y en avait à foison, mais entre pairs, dans les publications spécialisées, ou sur le chemin du resto ; elles étaient constructives, joyeuses et peu rancunières. En 1968 : amertume, besoin de persuader le public et d'étouffer toute contestation, justifications péremptoires qui ne seraient même pas nécessaires si la démarche avait été sincère. Si bien qu'on est passé à côté de l'essentiel : la qualité de l'orgue (bel et bien neuf) qu'on avait réalisé. Vu l'effort qu'il a représenté, c'est désespérant... On ne s'étonnera pas de trouver moins de générosité la prochaine fois. Il aurait suffit, au lieu d'écrire ces articles militants, cherchant à salir ses prédécesseurs, de dire "Merci !" au public.

Car il ne s'agit en aucune façon de minimiser la qualité de l'orgue Kern. Au contraire. Ni de critiquer le fait que beaucoup de gens ont sincèrement souhaité un tel instrument pour Bouxwiller : ce sont eux qui connaissent les projets pastoraux et culturels. Mais il faudrait quand même, par pure honnêteté intellectuelle, reconnaître que 1) on doit donner à Alfred Kern le crédit qu'il mérite pour ce bel instrument, au lieu de l'attribuer "à Silbermann" 2) que ce n'est pas en traînant dans la boue l'instrument précédent et ses commanditaires qu'on ajoute de la valeur à un projet. C'est une très mauvaise idée de semer de l'amertume pour mettre en valeur un instrument de musique. Car elle reste et se multiplie. Or, l'abondante documentation concernant l'orgue de Bouxwiller, au lieu de mettre en valeur l'orgue Kern, ne cesse de larmoyer sur la "destruction" d'un "chef-d'œuvre" supposé du 18ème par les imbéciles des années 1910. Et pendant ce temps, le public, lassé par les mensonges, celui à qui on a enseigné à mépriser les orgues pneumatiques, celui qui paye, ne trouve en fait plus aucun intérêt aux orgues en général. "Vous avez des problèmes d'orgues ? Gardez-les pour vous, je vis très bien avec mon Instagram et TikTok." Quelqu'un se risquera-t-il a comparer la fréquentation des concerts d'orgue en 1913 et en 2025 ? Ou le nombre de fidèles dans les assemblées ? A compter combien il nous reste d'orgues Dalstein-Haerpfer authentiques ? Combien on pourra en transmettre en état aux générations futures ? Il serait peut-être temps de changer radicalement de discours, mais aussi d'agir différemment.

Un peu d'espoir

L'orgue a été relevé en 2015 par la maison Quentin Blumenroeder. [SiteBlumenroeder]

L'opération a essentiellement consisté à réparer les effets d'une corrosion, qui a affecté en particulier les postages.

La connaissance de la facture du 18ème ayant considérablement progressé entre 1967 et 2015, il aurait été tentant de "Silbermaniser" certaines "erreurs" commises par Kern. Mais heureusement - preuve que les choses changent un peu - ça n'a pas été le cas, et on a laissé à l'instrument tout son caractère d'origine.

L'inauguration a eu lieu le 25/10/2015, avec plusieurs organistes locaux. Oeuvres de Buxtehude, Couperin, Pachelbel, Purcell, Böhm, Frescobaldi.

Caractéristiques instrumentales

Console:

Console en fenêtre frontale, de 1968.

Transmission:

Mécanique suspendue (1968).

Sommiers:

Sommiers à gravures (1968).

Tuyauterie:

Les tuyaux de façade n'ont pas été réquisitionnés en 1917, et sont de 1778. Diapason : Sib 440 Hz.

Sites Webographie :

Culture Activités culturelles :

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670061001P05
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