Il ne reste plus beaucoup d'orgues construits par le facteur Adolphe Blanarsch : celui de Fegersheim-Ohnheim est le seul qu'il nous reste en Alsace, où son travail le plus marquant (mais non conservé) restera finalement sa reconstruction de l'orgue de Ribeauvillé en 1933.
Historique
C'est en 1866 qu'Ohnheim acquit son premier instrument. Il venait d'Asswiller, Eglise protestante. Il fut déménagé, modifié et et installé par les frères Wetzel. [IHOA] [PMSCS78] [PMSRHW] [ITOA]
On ignore l'origine de cet orgue. Il a été construit avant 1837, puisqu'il été réparé cette année-là (ainsi qu'en 1839, 1843, 1850). La présence de tuyaux anciens (conservés dans l'orgue actuel) laisse à penser qu'il s'agissait du produit d'une des spoliations opérées par la Révolution au détriment des congrégations religieuses. Asswiller aurait donc acquis cet orgue au tout début du 19ème, et Pie Meyer-Siat pense que c'est (Johann Jacob) Moeller qui a effectué le déménagement (on a retrouvé des tuyaux correspondant à sa facture). Asswiller se fit construire un orgue neuf par les frères Wetzel en 1864. [IHOA] [ITOA] [PMSCS78]
Après le déménagement à Ohnheim, l'instrument, logé dans un buffet en chêne et peint, avait la composition suivante :
Les frères Wetzel ont réparé les sommiers, ajouté deux notes à la pédale (pour la porter à 15 notes alors qu'il n'y en avait que 13 à l'origine) et refait la mécanique et la soufflerie. L'instrument était logé dans un buffet peint. [PMSRHW]
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917, comme en atteste la demande d'indemnisation adressée par Eugène Jost, le curé de Fegersheim et Ohnheim à l'office des réclamations de guerre à Strasbourg, le 05/11/1919. (13 kg d'étain pour Ohnheim et 6 kg pour Fegersheim.) [MAntz]
Franz Heinrich Kriess, dans sa liste publiée en 1924, affirme avoir "reconstruit" cet instrument. Mais il a probablement vendu la peau de l'ours avant de l'avoir pneumatisé, et cette reconstruction est visiblement restée au stade de projet (12 jeux). Quand Georges Schwenkedel visita l'instrument, le 06/01/1928, il trouva bien un orgue ancien, de 9 jeux, accordé en Sib 440Hz. [PMSCS78] [Barth]
22 tuyaux de façade ont été facturés le 05/04/1928 par les établissements E.G. Leau Fils, de Paris, ce qui atteste que l'orgue était effectivement resté en l'état de 1918. [MAntz]
Le banc de l'ancien instrument a été conservé à la tribune. [Visite]
Historique
En 1938, Adolphe Blanarsch construisit un instrument neuf, en réutilisant une partie de la tuyauterie ancienne. [IHOA] [ITOA]
Cela explique probablement la composition un peu éloignée des canons post-romantiques. Ce n'était probablement pas l'esthétique néo-classique qui était recherchée (on aurait gardé le Cornet), mais l'objectif était visiblement de tirer le meilleur des moyens disponibles, donc des jeux récupérés.
Il n'y avait pas de Trompette dans l'ancien orgue, mais la basse de la Trompette de récit de l'orgue de 1938 était ancienne (et les dessus en spotted). Ceci fait penser à la récupération d'une Trompette de pédale venue d'ailleurs.
L'entretien fut confié à la maison Muhleisen, qui fit une réparation en 1962. [IHOA]
En 1984, la maison Muhleisen, au cours d'en entretien, remplaça les pavillons (en étain) l'octave grave de la Trompette de récit. [IHOA] [ITOA]
En 1999 la maison Muhleisen procéda à un petit relevage (soufflets de commande) et à un accord général. [IHOA]
Le buffet
Comme souvent entre 1935 et 1950, le buffet est réduit à sa plus simple expression : un soubassement portant la façade "libre" et un enclos pour le reste.
Sur le flanc côté droit est accrochée une gravure de Sainte Cécile, dédicacée ainsi : "A Monsieur Schildknecht Théodore, en reconnaissance de son dévouement pour le chant de l'Eglise pendant 45 années". La date figurée est le 26 octobre 1928, et l'ensemble est signé par Joseph Victori, en qualité de président de l'Union Sainte Cécile du diocèse de Strasbourg.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines blanches pour le grand-orgue, roses pour le récit, et bleues pour la pédale. De droite à gauche, on trouve les trois jeux du grand-orgue (Montre, Bourdon, Fugara), puis trois dominos sans porcelaine (laissant penser que des jeux additionnels étaient prévus au grand-orgue (où il y a de la place). Il y a ensuite les six jeux du récit (Salicional, Flûte 8, Flûte 4, Doublette, Quinte 2'2/3, Trompette), puis les deux jeux de pédale (Bourdon 16', Flûte basse). Un autre domino sans porcelaine aurait permis d'ajouter un jeu de pédale.
Viennent ensuite, à droite, les dominos commandant les accouplements, avec des porcelaines bicolores pour respecter le code de couleur, sauf pour les accouplements à l'octave, qui sont signalés par un fond jaune au lieu de blanc sur la partie "grand-orgue". De gauche à droite : "Octave-Aiguë II à I", "Octave grave II à I", "Manual II à I", "Pedal à I Manual", "Pedal à II Manual".
Commande des combinaisons fixes par pistons, disposés au centre sous le premier clavier, et repérés par de petites porcelaines rondes fixées à la table : de gauche à droite "Piano", "M.Forte", "Fort" (pistons blancs), puis un espace, le piston "Tutti" est rouge (!), et celui du retour à la registration manuelle est bleu ("Annulateur").
Commande de l'expression du récit par pédale basculante "Expression", décalée sur la droite (au-dessus du g du pédalier). Il n'y a pas d'autre commande à pied.
Plaque d'adresse en métal jaune, en position centrale au-dessus du second clavier, disant :
pneumatique.
Sommiers à membranes.
Le grand-orgue est chromatique (mais sans rigueur) les basses sont à droite, et les dessus à gauche. La Montre est en façade, et son dessus est situé (curieusement) au fond, sur la première chape (en allant de l'accès vers la façade). La "Fugara 4'" est sur la chape du milieu, et le Bourdon 8' sur la troisième, côté façade.
La pédale est chromatique, et logée à droite, contre la cloison du buffet, basses au fond.
Le récit est entièrement chromatique, basses à droite. Ordre des chapes du récit depuis les jalousies vers l'arrière : Trompette 8', Quinte, Doublette, Salicional, Flûte 4', Flûte 8'.
Il y a deux réservoirs à plis parallèles dans le soubassement, mais seul l'un des deux semble servir.
coupée au ton (sauf le Salicional), calottes soudées (sauf exceptions) ou ressoudées pour la partie métallique du Bourdon et de la Flûte 4'. Biseaux à dents.
A l'usage, cet instrument constitue une bonne surprise : il fonctionne bien, sa transmission est agréable, et le tout est plutôt cohérent (ce qui n'était pas gagné, vu l'hétérogénéité de la tuyauterie). Cet orgue est surtout bien adapté à son environnement : Blanarsch, qui ne compte assurément pas parmi les facteurs les plus célèbres, a pleinement réussi à tirer le maximum des moyens disponibles dans les années 30. L'instrument n'a subi aucune altération grave depuis, et c'est devenu un intéressant témoin de cette époque très particulière. Si on peut déceler de nombreux points communs avec la facture de Georges Schwenkedel (à commencer par le grand-orgue de 3 jeux seulement, dont la dynamique s'exprime grâce aux trois accouplements), d'autres traits sont originaux (comme la Trompette).
Adolphe Blanarsch (1888-1953)
Adolphe Blanarsch était d'origine autrichienne : il est né à Bladowitz (Mladejovice, aujourd'hui en République Tchèque). Il s'installa en Moselle, où il rejoignit la maison Franz Staudt de Puttelange en 1909. Il y était spécialiste des transmissions et des consoles. Il y fit son chemin, puisqu'il devint contremaître en 1913, année de son mariage avec Marie Berg. Naturalisé Français en 1919, Blanarsch fut attiré par le marché alsacien. Il travailla pour Edmond-Alexandre Roethinger, puis s'installa à son compte, à Bischheim, en 1924. [IOLMO]
Blanarsch, grâce à ses contacts en Moselle, travailla beaucoup en Lorraine (une quinzaine de travaux importants). En 1930, il déménagea son atelier à Strasbourg-Neudorf (au numéro 30 de la rue de la Grossau). En 1931, aidé de son ancien patron Franz Staudt, il reconstruisit en pneumatique l'orgue Stiehr, 1791, de Herrlisheim près de Bischwiller (il n'en reste rien : l'orgue a été détruit en janvier 1945). Il transforma aussi l'orgue Roethinger de Gumbrechtshoffen, St-Barthélémy.
En 1932, il transforma le malheureux orgue Stiehr, 1827, de Truchtersheim, qui ne s'en remit pas (il fut remplacé en 1966.) En 1933, ce fut la fameuse reconstruction de l'orgue de Ribeauvillé, que l'organologie de la fin du 20ème, évidemment, évalua bien bas. [IOLMO]
En 1936, Blanarsch construisit un orgue neuf à l'église catholique de Gries. Cet instrument a été malheureusement altéré en 1976, et finalement remplacé en 1987. En 1937, Blanarsch démonta l'orgue Stiehr de Mertzwiller pour le mettre à l'abri ; mais ce ne fut pas une réussite, puisque la majeure partie de ses éléments ont été dispersés. Son travail à Marienthal ne permit pas d'arranger la malheureuse transformation effectuée par Roethinger sur l'orgue Stiehr de 1872.
L'atelier déménagea à nouveau en 1937, cette fois pour Illkirch. En 1939, Blanarsch entreprit la reconstruction de l'orgue de Kuttolsheim. Mais ce travail fut achevé par la maison Haerpfer.
Après la seconde guerre mondiale, Blanarsch prit sa retraite. Sa période d'activité est donc centrée sur des années plutôt méconnues de la facture d'orgues. Son entreprise fut logiquement reprise en 1946 par Pierre Berg, son beau-frère avec lequel il était associé depuis le début, ainsi que ses deux fils : Adolphe fils (on le vit travailler à Westhouse) et Jean. Ils pratiquèrent surtout des réparations de "dommages de guerre".
Blanarsch posa encore sa plaque, en 1949, sur un Stiehr à peine réparé à Matzenheim. On le vit encore poser un Violoncelle de pédale à Ohnenheim en 1950. Il mourut à Illkirch le 26/08/1953. [IOLMO]
Sources et bibliographie :
Remerciements à Bernard GUILLEUX et Maurice Antz.
Documents sur la réqusition et le remplacement des tuyaux de façade.
Le clavier de l'ancien orgue a probablement toujours eu 49 notes (et non 47) ; c'est à la pédale que les frères Wetzel ont ajouté deux notes. L'instrument actuel n'est pas de 1945, mais de 1938.
Christian LUTZ et François MENISSIER, Inventaire des Orgues de Lorraine, MoselleSc-Z (pour Blanarsch).
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