L'orgue du temple réformé de Ste-Marie-aux-Mines.L'édifice qui abrite cet instrument est absolument exceptionnel : il date de 1634, et a toujours été un temple réformé, malgré toutes les calamités, la révocation de l'Edit de Nantes, la Révolution, les guerres, et la réforme des régions. Il est construit spécifiquement pour le culte protestant, sur le modèle d'une "Breitsaalkirche" ; il a été classé le 13/01/1994. Le nom de son architecte n'est pas connu.
On y trouve un des crève-cœurs de l'orgue alsacien : un instrument de la maison Dalstein-Haerpfer, construit en 1911, mais démonté depuis les années 1980. C'est parce que son buffet - récupéré d'un instrument précédent datant de 1847 - était tellement mal conçu qu'il a servi de pilier au plafond de la tribune. Quand ce plafond s'est légèrement affaissé, l'orgue a été pris dans une sorte de presse. Mais entre 1911 et 1980, cet édifice était musicalement doté d'un très bel orgue.
Voici une histoire qui a aujourd'hui peu de chances de bien finir, mais qui reste pleine d'enseignements. Après tout, si on s'intéresse à l'Histoire, c'est pour éviter de répéter les erreurs du passé, et pour se souvenir des belles choses aujourd'hui disparues pour pouvoir s'en inspirer à l'avenir.
Historique
Un premier orgue a été installé dans cet édifice en 1788 par Joseph Rabiny. [IHOA] [PMSCS149]
En 1847, l'instrument a été vendu à l'église protestante de Kirrwiller-Bosselshausen. [IHOA] [PMSCS149]
Historique
En 1847, Joseph Callinet fournit un orgue neuf, dont il reste le buffet. Le devis date du 19/08/1846 et le traité du 25/08/1846. [IHOA] [PMSCS149]
Il y a dans ce devis de Callinet un élément marquant : il est précisé que la soufflerie sera constituée d'un "soufflet système anglais à doubles pompe". C'est l'une des premières fois où l'orgue alsacien s'affranchit des soufflets cunéiformes pour passer à un réservoir à plis parallèles ("anglais") : c'était un progrès considérable ! [PMSCS149]
Les deux orgues 'protestants' de Ste-Marie-aux-Mines
Les orgues du temple réformé et de l'église Luthérienne des Chaînes sont liés. En 1847, il est probable qu'il n'y avait qu'un seul projet global pour les deux instruments, impliquant donc les deux communautés. Une partie de l'entretien semble avoir été faite en commun. Et les deux instruments ont été totalement renouvelés, par la même maison : Dalstein-Haerpfer. (A 16 ans d'écart : 1895 et 1911.) S'il y a des points communs, il y a aussi des différences fondamentales : l'église des chaînes est plus spacieuse, dotée d'une meilleure acoustique, et probablement de moyens financiers plus importants.
Les lettres de Callinet
Le devis est accompagné de deux lettres de Joseph Callinet, dont une bonne partie porte sur la façon de réduire les coûts : cela paraît avoir été la première préoccupation lors de l'achat de cet instrument. On peut même avancer, à la lecture de ces courriers, que non seulement l'opération manquait d'ambition, mais qu'elle été faite un peu à l'économie. D'ailleurs, le buffet est en sapin. C'est une des seules fois (la seule ?) où les ateliers de Rouffach ont construit un buffet en sapin. [PMSCS149] [ITOA]
Ce qui est frappant à la lecture de ce devis et des deux lettres qui l'accompagnent, c'est qu'on a aucune idée de comment l'orgue va être utilisé. Les deux claviers sont justifiés par la mission d'accompagnement (et le fait que c'est plus facile pour l'organiste de changer de clavier que de registration). Mais il ne semble y avoir eu aucun cahier de charges, aucune expression de besoins. L'acquéreur n'a apparemment aucune idée de ce qu'il veut : juste "un orgue", le meilleur possible, et le moins cher possible. Alors, Callinet fait usage de mots "techniques" décrivant l'harmonisation des jeux, mais totalement indépendamment de tout répertoire. Ce qui est décrit est un orgue "théorique" et "raisonnable", mais on a aucune idée d'à quoi il va servir.
C'est comme ça et pis c'est tout
A l'étude de ce projet, on éprouve un certain malaise : on a l'impression que l'acquéreur n'a aucun choix. Déjà pas celui du facteur (on prend celui dont c'est le territoire). Et après, on signe pour l'orgue "comme il faut" défini par ce facteur. Nulle part les spécificités de ce temple réformé ne semblent avoir été évoquées. Les anches "à la française" ou les Cornets éclatants étaient ils adaptés ? Est-ce-que ça ne faisait pas déjà (dans les années 1840) un peu "Cour du Roi Soleil", en totale contradiction avec le contexte ? Mais de toute façon, il n'y avait pas d'alternative. C'était à prendre ou à laisser.
Ce n'est pas qu'une impression, car Joseph Callinet, explicitement, dans sa lettre du 19/08/1846, commente sa propre "autocratie esthétique" : "Il y a des organistes qui préfèrent tels ou tels jeux ; d'autres en préfèrent d'autres. Ceci fait que les uns composeront très bien un orgue, et d'autres fort mal, et pensent les uns et les autres être de bons organistes. Enfin les goûts diffèrent pour ceci comme pour autre chose. Un facteur d'orgues de goût et d'expérience doit tenir à ce que son orgue soit composé de jeux qui méritent et reçoivent l'approbation de la majorité des organistes et autres amateurs. En observant cela, le facteur qui a vu et entendu le pour et le contre dans son pays et les pays étrangers doit être nécessairement expert pour le composé d'un orgue." [PMSCS149]
Autrement dit, l'avis des organistes ne compte pas, et il faut produire des instruments "génériques", issus d'un bon goût décidé par une autorité auto-proclamée (ici, le facteur). Et ce sans tenir aucun compte du projet local. Des instruments qu'on qualifierait aujourd'hui de "standardisés". En plus, le choix de la console latérale, conséquence du manque de hauteur disponible, laissait un orgue peu évolutif.
Il n'est pas étonnant que, plus tard, des organistes bien formés, connaissant le répertoire et ses évolutions, aient cherché à faire entendre leur voix, et ont osé affirmer que ces instruments étaient inadaptés. Ce sont d'ailleurs eux qui, à la fin du 20ème siècle, ont été appelés "experts" avec dédain par les historiens officiels de l'orgue. Alors que le mot "conseillers" aurait été plus judicieux. Ces conseillers n'avaient bien sûr rien à voir avec les "experts" au sens qu'a pris ce mot plus tard, justement à la fin du 20ème siècle.
On s'est donc peu à peu rendu compte qu'en 1847, on avait construit un orgue inadapté. C'est caractéristique des projets pour lesquels on a voulu en obtenir un maximum pour le moins cher possible. Il y avait de sérieuses limitations : par exemple, les deux manuels étaient en fait un unique plan sonore (deux sommiers diatoniques partagés) ; et il n'y avait que 20 notes seulement à la pédale. (C'est 20 de trop ou 5 de pas assez...) Des défauts de conception sont encore patents aujourd'hui : par exemple la façade du buffet sert de pilier à la tribune ! On voulait donc compléter l'instrument. On peut comprendre qu'on rêvait surtout d'un beau récit expressif.
La suite des événements est assez difficile à établir : les "historiens officiels" ont démissionné, car pour eux la cause était entendue : des sauvages ont "tué" le chef d'œuvre de Callinet, et l'ensemble n'a donc plus aucun intérêt. Pie Meyer-Siat parle d' "histoire lamentable" : "Cette histoire lamentable - qu'on retrouve identique en bien d'autres endroits - n'empêche nullement la célébration éperdue de Dalstein-Haerpfer et de son "treuer Apportierhund"". Or, ce qui est vraiment lamentable, c'est d'avoir décrédibilisé ces instruments post-romantiques, au point que leurs propriétaires ont considéré qu'il ne fallait plus les entretenir ! (En salissant de façon éhontée la réputation de facteurs de grand talent comme ceux de la maison Dalstein-Haerpfer, qui ont fait tant de choses extraordinaires, et qui, oui, méritent qu'on honore leur mémoire.) [PMSCS149]
Des travaux en 1880 ?
Un troisième clavier aurait été ajouté vers 1880 par la maison Dalstein-Haerpfer. C'est l'inventaire technique des orgues d'Alsace qui l'évoque, en précisant qu'il n'y a pas de trace de ce travail dans les archives. [ITOA]
La date (1880) surprend un peu : l'entreprise de Boulay existait déjà (depuis le 29/07/1862), mais son premier opus connu en Alsace connu est celui d'Illzach, en 1886. Il est vrai que dans les années 1880, la maison de Boulay construisait un orgue tous les 3 mois environ, et elle aurait pu faire un travail "ponctuel" en Alsace.
Cela peut peut-être contribuer à éclaircir mystère de la plaque d'adresse, qui n'a pas l'air de dater de 1911 : elle n'est pas comme celles des orgues de l'époque (Sundhouse, Westhoffen, Rott) qui sont toutes du même type que celle de Cronenbourg. Elle n'est pas non plus du même style que celle de Pfaffenhoffen (1889) ou de l'église Luthérienne des Chaînes (1895). En plus, celle du temple réformé est en français : cela peut à la rigueur s'envisager pour une plaque de 1880, mais avant 1918, c'est beaucoup plus surprenant. En tous cas, puisqu'il y figure l'appellation "Dalstein & Haerpfer", elle est d'avant 1917.
Mais ce qui fait vraiment douter de cette opération en 1880, c'est qu'une console latérale mécanique à 3 manuels, c'est vraiment une prouesse technique ! (Il en existe, par exemple à Sausheim, mais celle-ci a été réalisée avec des moyens modernes ; et c'est un prodige de conception. A la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, Joseph Merklin a réalisé en 1878 une console latérale, mais finalement à 2 claviers seulement.) On voit quand même assez mal la maison de Boulay se lancer dans une pareille opération "sur un coin de table". Le plus probable est qu'en 1880, la pose d'un troisième clavier ait été envisagée, mais que :
- soit le projet a été remis à plus tard (et il est devenu possible grâce au développement des transmissions pneumatiques),
- soit que le nouveau plus sonore était commandé par un des deux claviers existants.
Le récit actuel a des sommiers à cônes, qui peuvent aussi bien être actionnés mécaniquement aux pneumatiquement.
Historique
En 1911, la maison Dalstein-Haerpfer installa un orgue neuf, en réutilisant le buffet de 1847 et quelques jeux. L'instrument est donné pour 3 manuels et 23 jeux, ce qui correspond à (ce qui reste de) l'existant. [IHOA] [PMSCS149]
Le papier à entête de la maison Dalstein-Haerpfer en 1905.
Ce devait être un très bel instrument ! Le plus marquant, bien sûr, c'est ce récit expressif de 5 jeux, qui était la raison même de cette reconstruction. Remarquable aussi est la Flûte 8' du positif, associée avec une Flûte octaviante 4'. Notons qu'il y a pas d'anche 16' de pédale : elle serait fort prétentieuse dans le contexte.
Cette fois, avec la souplesse des tubulures, réaliser une console latérale à 3 manuels n'était plus un problème. Le tirage des jeux est resté manuel.
L'intervention de Georges Schwenkedel
Dans l'historique de cet orgue, on ne note... aucun entretien d'envergure. L'instrument aurait été "revu" par Georges Schwenkedel en 1930. [PMSCS149]
Le mot "revu" ne voulant rien dire (et on comprend de plus qu'il est utilisé de façon péjorative par Pie Meyer-Siat pour dé-crédibiliser les orgues Dalstein-Haerpfer, qu'il faudrait soit-disant "revoir"), il est assez difficile de savoir si Schwenkedel a entretenu l'instrument ou pas. Ce qui est sûr, c'est que le 15/06/1926, il visita deux orgues de Ste-Marie-aux-Mines : celui-ci et celui de l'église Luthérienne des Chaînes. Mais c'était dans les deux cas pour produire un devis pour un ventilateur électrique. Les deux ventilateurs ont été posés le 10/08/1926. Cela n'implique pas forcément que Schwenkedel avait l'entretien des deux orgues. Peut-être juste un contrat d'accord. [SchwenkedelNB]
En 1961, pour préparer son ouvrage sur les Callinet, Pie Meyer-Sait visita l'orgue, et trouva la composition de 1911, sauf que le Salicional (du positif) avait été remplacé par une Quinte 2'2/3 "récente".
La mutilation du récit
C'est entre 1961 et 1986 qu'il faut situer une intervention désastreuse, n'apparaissant pas dans les historiques publiés, mais ayant laissé des traces évidentes : des jeux du récit ont été remplacés, dans le sens "néo-classique" (ou "néo-baroque" ; disons "néo-quelquechose"). On ne connaît pas la date, ni l'auteur du forfait. Trois jeux d'origine - évidemment parmi les plus intéressants et les plus importants dans l'esthétique de l'instrument - ont été remplacés : l'Aeoline par un 2' de récupération, la Voix céleste - un jeu très apprécié de l'orgue alsacien - par une Tierce, et la Clarinette (qui était sûrement à anches libres, comme celle de l'église luthérienne) par un vulgaire Nasard. Remplacer des éléments rares, coûteux et raffinés par des petits jeux bon marché qu'on trouve partout... comment peut-on ? Evidemment, pour le facteur, il faut bien payer ses factures, mais personne n'a trop envie de laisser son nom associé à ces travaux calamiteux. Car même officiellement mandaté et "couvert" par un "expert" enfermé dans ses lubies, n'importe quel facteur digne de ce nom se rendait quand même compte de l'absurdité de la chose : un pareil massacre pour un Nasard, une Tierce et un 2' sorti d'une poubelle, c'est injustifiable !
Le démontage
C'est vers 1980 que l'orgue a été démonté. [PMSCS149] [ITOA]
L'inventaire technique des orgues d'Alsace (1986) présente la chose de la façon suivante : "pour des raisons obscures et alors qu'un projet de restauration avait été établi par Alfred Kern, l'orgue a été partiellement démonté et entreposé au grenier et sur les tribunes, sans protection particulière. Un orgue électronique est installé à proximité." Notons que ce qui est dit, c'est qu'il y avait un projet établi par Alfred Kern, et pas que c'est la maison Kern a procédé au démontage. [ITOA]
Entre 1911 et les années 1980, cet orgue ne semble donc avoir bénéficié d'aucun entretien majeur. (La seule intervention ayant laissé des traces, c'est la mutilation de son récit... or altération ne vaut pas entretien.) C'est donc soit qu'il était extrêmement fiable, soit qu'il a été entretenu de façon invisible (ça arrive), soit qu'il n'était pas utilisé. La première hypothèse reste la plus crédible. Mais voilà que l'article de Pie Meyer-Siat nous assène : "Vers 1980, la pneumatique Dalstein-Haerpfer étant délabrée, on enclencha Alfred Kern. Mais les pourparlers n'aboutissant pas, l'orgue fut sauvagement démonté." [PMSCS149]
Tout à coup, c'est le système de transmission qui est coupable ! "Délabrée" ? Déjà, dans quel état aurait été une transmission mécanique qui n'aurait bénéficié d'aucun entretien entre 1911 et 1980 ? "Délabrée" ? Disons : "nécessitant une bonne réparation". Cela correspond à faire en une fois ce qui aurait dû être fait en 4 ou 5 fois, plus les inévitables dégradations résultant de l'usure prématurée causée par un fonctionnement sans entretien préventif.
Mais cela ne correspond pas à ce qu'on constate sur place : les éléments de transmission encore présents dans l'orgue à la visite (2023) présentent un état tout à fait satisfaisant. Sales, certes, mais en aucun cas "délabrés". Or, les choses ne se dé-délabrent pas toutes seules... D'où la question : la personne ayant déclaré la transmission "délabrée" a-t-elle vraiment visité l'orgue ? [Visite]
En fait, ce qui semble avoir justifié le démontage, c'est probablement et avant tout des travaux de charpente destinés à arrêter l'affaissement du plafond. [Visite]
Une vue du dessous du sommier à cônes du récit (10/06/2023).L'autre chose qui interpelle, c'est l'insinuation "sauvagement démonté". On aurait aimé en savoir plus : en particulier, par qui ? Surtout quand on vient de déclarer qu'il y avait à l'époque un projet de la maison Kern. Or, on voit très mal la maison Kern démonter un orgue de façon "sauvage". Les gens qui font ce métier - qui en demande beaucoup pour une rétribution bien faible - sont des passionnés qui ne bâclent pas le travail. (Même quand ce qu'on leur demande est absurde.) On ne sait pas ce qui s'est passé, mais le plus probable est qu'ils ont commencé le démontage, sûrement dans l'urgence, puis qu'on leur a demandé de ne plus revenir.
Reste la question la plus importante : pourquoi ce projet a-t-il capoté ? On en est réduit aux conjectures, mais il est probable que, vu la date (les années 1980) ce qui était envisagé était une reconstruction en mécanique. Et là, l'éléphant au milieu de la pièce, que tout le monde faisait semblant de ne pas voir, a commencé à s'imposer : il allait falloir construire une console mécanique latérale à 3 manuels... Ça allait être cher. Et le couplet-marketing habituel "Au moins vous allez être tranquilles pour longtemps ; le pneumatique, c'est pas fiable, et ça vous coûtera à terme beaucoup plus cher", allait être difficile à placer dans un endroit où la pneumatique de 1912 n'avait rien coûté !
Certes, le grand-orgue et le positif partagent les mêmes sommiers, donc le chemin de traction est à peu près le même pour deux claviers. Mais il faut quand même les passer, ces éléments. Le récit n'est pas dans l'axe de la console : il est à sa gauche de bien 1 mètre ; il faut donc tourner 2 fois. Et il y a le problème des accouplements : avec les 3 tirasses, II/I et III/I, cela représente un travail considérable !
La "reconstruction en mécanique" impliquait donc, de fait, la suppression du récit. Difficile à accepter à l'issue d'un effort financier aussi considérable...
Il était devenu flagrant que, dans ce cas d'une console latérale à 3 claviers, la transmission pneumatique était non seulement idéale, mais qu'on ne pouvait pas vraiment lui trouver d'alternative. Car la seule "accroche" pour vendre le projet, c'était la "Restauration de l'orgue Callinet". Un orgue qui n'existait plus (ça, c'était pas gênant du tout ; à l'époque, on faisait ça tout le temps), mais qu'on pouvait difficilement doter d'une console électrique sans voir se soulever quelques sourcils...
Le buffet
Le dessin de la façade de ce buffet est typique de la production des Callinet.
C'est aussi la seule chose qui permet à certains de parler de l'orgue "Callinet" du lieu. Mais il est objectivement fort mal adapté à son contexte. Vu à contre-jour et dans son état actuel (écrasé par le plafond) ou de côté (d'où ce n'est guère qu'une palissade), on peut dire qu'il ne paye pas de mine. Quand on a fait vœu de ne plus dire que la vérité en matière d'orgues, et qu'on est 100% honnête, il faut bien avouer qu'il est... vraiment très moche ! Attention, ça ne veut pas dire qu'il n'est pas classé. Il l'est, a priori, ce qui n'est pas étonnant : beaucoup de choses moches sont classées, tout comme certains des plus beaux éléments de notre patrimoine ne le sont pas. N'empêche qu'avec son soubassement-bavette débordant du garde corps de la tribune, ses lignes droites dont aucune n'est parallèle à une autre (elles ont l'intérêt de permettre d'expliquer facilement ce qu'est une géométrie elliptique), et ses prétentieuses tourelles à entablement qui ne correspondent à rien à l'intérieur, il a un côté "décalé", "déplacé". En clair, on se dit qu'il n'a rien à faire là, dans cet édifice chargé d'histoire... qui en raconte une autre.
Vu de côté, la façade est bombée : le tout fait penser à une grosse pomme de terre serrée dans un presse-purée. On a l'impression que les tuyaux de façade ne vont pas tarder à être projetés de l'autre côté de l'édifice, à cause de la pression ou par simple volonté d'en finir pour de bon. Ce buffet sombre, écrasé, souffreteux, comprimé, mutilé, qui ne contient que des pièces inutiles car muettes fait vraiment pitié.
Caractéristiques instrumentales
La console. (Ou ce qu'il en reste.)Console latérale accolée sur le côté gauche, fermée par un couvercle basculant. Elle a clairement été réalisée en "approche pragmatique" et paraît avoir été fortement modifiée.
Le blanc-claviers n'est pas centré dans le bâti principal, qui lui-même ne s'est pas sur la table de la console. On dirait que le bâti supérieur a été décalé vers la gauche, mais pas redimensionné : on en verrait les traces sur le couvercle. Des traces d'usure indiquent qu'on pouvait sûrement accrocher un pupitre amovible au dos du couvercle levé.
Les tirants de la pédale sont en place dans la console : ils sont de section ronde, avec pommeaux tournés munis de porcelaines à fond blanc, disposés en une colonne à gauche des claviers. Cependant, la planche qu'ils traversent a l'air plus moderne que le reste : on se demande si ce n'est pas là une tentative (interrompue) pour modifier la console. Cette disposition ne paraît pas compatible avec l'autre planche percée de trous pour les tirants, figurant parmi les éléments démontés. Il y avait probablement à la fois des tirants disposés en colonnes, et d'autres horizontalement (comme à Trintange, Lux.)
Les 9 tirants du grand-orgue sont déposés : ils sont de section carrée, avec pommeaux tournés munis de porcelaines à fond rose.
Les 6 tirants du positif sont déposés : ils sont de section carrée, avec pommeaux tournés munis de porcelaines à fond bleu pastel.
Les tirants du récit ont disparu (ou sont bien cachés), sauf celui du trémolo. Ils sont de section ronde. En 1986, il y avait : Bourdon 8, Aeoline 8 (correspondant à un 2' de récupération...), Voix céleste 8 (jeu qui avait été remplacé par une Tierce), "Flûte harmonique 4" (traduction maladroite de "Harmonieflöte 4" ?), et "Clarinett 8" (qui avait été remplacée par un Nasard...) [ITOA]
Les commandes à pied ne sont plus repérées, la planche de fermeture du bas de la console ayant été déposée. De gauche à droite, il y a une grande pédale-cuiller en fer piqué, 6 petites à accrocher (les accouplements et tirasses), la pédale basculante de l'expression, et une pédale-cuiller à sa droite. Les deux grandes pédales-cuillers, à chaque extrémité, ont une action mécanique, et correspondent donc aux deux appels/retraits notés par l'inventaire de 1986 : "Jeux de fond au gr. org." et "Jeux de comb. au gr. org." [ITOA]
La plaque d'adresse (en français) est très intéressante.La transmission des notes est pneumatique pour les manuels, et mécanique pour la pédale. Le tirage des jeux est entièrement mécanique.
Les sommiers du grand-orgue et du positif sont à gravures intercalées : il n'y a donc pas deux plans sonores distincts, et les jeux partagent les même sommiers. Le récit expressif est doté de sommiers à cônes, tout comme la pédale.
La tuyauterie est déposée, sauf au récit, où il ne manque que le dessus du Bourdon 8'. Mais malheureusement, trois jeux d'origine - évidemment les plus intéressants et les plus importants dans l'esthétique de l'instrument - ont été remplacés : le 2' (de récupération) est sur la chape de l'Aeoline, la Tierce sur celle de la Voix céleste, et le Nasard sur celle de la Clarinette (!). Il n'y a donc que l'Harmonieflöte 4' (qui n'est pas harmonique ; cela ferait doublon avec celle du positif) et les basses du Bourdon qui soient à la fois d'origine et conservés dans le buffet. La mutilation de ce clavier a donc dû avoir lieu entre 1961 et 1986. On ne sait pas qui a commis ça, ni où sont passées l'Aeoline, la Voix céleste et la Clarinette.
Il y a dans la tuyauterie entreposée aux combles des choses vraiment très belles, comme cette Flûte en bois à bouches demi-circulaires.
Quel avenir pour cet orgue ?
Il y a quand même des endroits où il faut se poser la question. Sans vouloir conseiller ou juger qui que ce soit : juste amorcer un débat pour se demander ce qui serait pertinent. Pourquoi ? Déjà parce qu'on a le vague sentiment que si rien est fait, dans 20-30 ans, c'est l'immense majorité des orgues qui seront dans cet état affligeant. Voilà un instrument inutile. De fait : il est démonté depuis les années 80. (Ok, 1980, mais quand même...) Un instrument à l'histoire confuse et mal racontée (certains continuent d'affirmer que c'est un orgue Callinet de 1847, poussant un peu plus le camion dans l'impasse). Et même une fois son historique (un peu) clarifié, on se rend compte que l'orgue Dalstein-Haerpfer de 1911 a été gravement mutilé à une date inconnue (récit complètement défiguré).
Donc, pour résumer : inutile, faussement attribué, gravement endommagé, démonté. Ah oui : et écrasé par le plafond.
Mais les causes perdues sont attachantes, parfois.
Il faut dire qu'on a l'impression que tout s'est ligué pour rendre la situation inextricable et incompréhensible. Un orgue de 1847 avec deux claviers qui n'en sont qu'un... que les hagiographes des Callinet ont fait passer pour un chef d'œuvre "par principe", alors qu'il n'a visiblement pas donné satisfaction. Un orgue de 1911 démonté, logé dans ce buffet qui menace ruine... au sujet duquel on ne fera pas plus de commentaires.
Ne rien faire
A n'en point douter, le scénario le plus probable. L'inconvénient est que le mensonge du "Callinet 1847 du temple réformé" continuera, et que dans sa situation actuelle, cet orgue décidément inutile ne dessert ni la cause de l'Orgue, ni celle de son remarquable édifice, qu'il enlaidit clairement. ("Et ça, là, ce... c'est l'orgue ? - Oui, ils disent que c'est un Callinet mais il marche pas - Ah ? Qu'est-ce qu'il est moche... - Oui, mais c'est pas grave : il est Classé.")
Un simili-Callinet ?
Ce n'est pas 100% sûr, mais c'était probablement le but de l'opération de 1980 : construire un orgue neuf "inspiré des Callinet", mécanique (surtout mécanique !), qui sent bon le bois fraîchement raboté, en envoyant à la chaudière tout ce qui était romantique ou post-romantique. On aurait appelé ça une "restauration" parce qu'on serait allé au restaurant. La presse locale aurait fait un bel article, et tout le monde se serait déclaré content. Mais des simili-Callinet, on en a aujourd'hui à foison. (Mulhouse, Ste-Marie-Auxiliatrice en est l'exemple le plus déprimant.) On sait comment l'opération de 1980 s'est terminée. Un désastre, d'accord, mais pas une tragédie, puisque l'essentiel de l'orgue Dalstein-Haerpfer a été sauvé grâce à cela ! Renoncer au récit pour avoir une transmission mécanique, c'était vraiment absurde.
Restaurer l'orgue de 1847
On pourrait aussi envisager une "vraie" restauration. C'est-à-dire un retour à la configuration de 1847. Donc là aussi sans récit. (OK, peut-être avec une soufflerie électrique, un extincteur, et, espérons-le, pas avec une pédale de 20 notes...) L'histoire de cet orgue nous raconte qu'il a été fait "à l'économie", dans dynamique, sans projet musical. Pourquoi un instrument si typé et limité serait-il plus adapté ici à l'avenir ?
Il y a des endroits où les orgues Callinet sont adaptés, mais il en est d'autres, comme ici, où on sent bien que ce n'est pas le cas. Ce dessin à quatre tourelles et trois plates-faces (sur 4m de large seulement) est vraiment pompeux et un peu "forcé". (Le tout s'inscrit dans un rectangle, et c'est bien une simple façade rectangulaire.) Il évoque irrésistiblement le son des Cornets perçants et les anches "à la française" : des choses qui n'ont aucune chance de bien sonner dans cette acoustique. Et surtout, une composition conçue pour jouer une musique destinée à "commenter" une liturgie, à destination d'un public qui n'en est guère que le spectateur. Bref, ici, ça va pas du tout, du tout !
L'orgue de 1911 avec une transmission mécanique ?
Réaliser une console mécanique latérale à 3 claviers, voilà un projet enthousiasmant ! Pas tant d'un point de vue musical ou organistique : c'est juste enthousiasmant pour le prodige d'ingénierie que cela implique. Avec les outils de conception et la compétence d'aujourd'hui, ce serait jouable : voir la merveille de Sausheim. Mais évidemment, le grand public ne serait pas forcément sensible à cet argument très technique. On voit mal les gens donner pour ça.
N'empêche que ça serait cool...
Restaurer l'orgue dans son état de 1911
La partie instrumentale a été refaite en 1911, et l'orgue de cet édifice est bien un Dalstein-Haerpfer de 1911. C'est-à-dire, pour ceux qui connaissent un peu autre chose que "les Silbermann" et "les Callinet", un instrument fort probablement de très grande valeur, et parfaitement adapté à l'endroit.
Mais il est démonté depuis plus de 40 ans... et on sait ce que cela signifie. Une partie importante a été gravement mutilée (récit). En plus d'être "dispersé et ventilé façon puzzle", certains de ses plus beaux éléments ont disparu. On a bien du mal à en faire la promotion, et à expliquer qu'il était pertinent dans son contexte, et devait être musicalement magnifique. Là, tout ce qu'on voit, c'est ce buffet, sombre, esquinté, sans rapport ni avec l'édifice ni avec la partie instrumentale. Ça n'aide pas à motiver un projet pour ré-assembler cet orgue Dalstein-Haerpfer. Et même si on y arrive, à la fin, visuellement, il restera moche. Bon, personne ne le dira, mais c'est quand même vrai.
Un nouveau buffet ?
On peut parier sur le fait qu'aucun conseiller patrimonial et aucun décideur n'autorisera à sortir ce buffet de là en dehors du scénario constant à tout virer "pour raison de sécurité". Au point qu'on regrette amèrement que l'orgue (de 1911) n'ait pas été logé dans un de ces magnifiques buffets que l'on savait faire à l'époque. Mais on est en Alsace, et en Alsace, on ne se débarrasse pas d'un meuble comme ça ! Un meuble, c'est la richesse d'une famille, d'une communauté. Un meuble, c'est du patrimoine, et le patrimoine... c'est la terre et les meubles. N'empêche qu'avec un beau buffet de 1911 (qui aurait pu être de la trempe de celui de la chapelle de l'Immaculée Conception à Orbey, par exemple), il n'y aurait plus eu de confusion, et plus personne pour "vendre" cet orgue comme un Callinet de 1847. Il serait peut-être toujours entier...
Si vraiment il y a des gens pour penser que ce buffet a de la valeur ("Un Callinet : vous vous rendez compte ?!!"), on pourrait peut-être le vendre sur le "bon coin" ? Puis demander à des artistes vivants et des artisans doués d'en faire un nouveau, un beau, et y remonter l'orgue de 1911 ? C'est un peu ça, aussi, la gestion du patrimoine : redonner une dynamique et de l'intérêt aux choses, échapper à la sclérose et au compassé convenu. Alors oui, ça serait très, très cher : peut-être même aussi cher qu'un rond-point.
Assumer et en finir
Sinon, si tout est coincé et impossible, le plus charitable serait de retirer de là ce qui reste de cet orgue. On ferait un "devoir de mémoire" : une vidéo YouTube, avec l'Adagio "d'Albinoni" en fond sonore. Où on dirait qu'un orgue, ici, "ben, ça allait pas". Mais une chose est sûre : il faut garder la magnifique Flûte en bois avec les bouches demi-circulaires qui est cachée au grenier. Il faut aussi garder le souvenir de l'orgue de 1911, qui devait être un très bel instrument de musique !
Sources et bibliographie :
Remerciements à Mr le Pasteur.
Photos du 05/07/2006 et données techniques. Entretien de 2004.
312. (Egl. réformée) Dalstein et Haerpfer, 24 Jeux, 3 Clav., Péd., sommier pneu., traction tub., soufflerie électr.
Reformierte Ki. - O. von Callinet, vor 1852. MEYER-SIAT 288, mit Abb. Taf. 37. - Dalstein u. Haerpfer, O. 24 Reg., 3 Clav., Ped. Ebenda u. MATHIAS 69.
im68010382 ; le dossier parle d' "électrification" de l'orgue en 1926, mais il s'agit évidemment de la pose de son ventilateur électrique
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