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Les orgues de la région de Thann
Vieux-Thann, St-Dominique
vers 1790 dest > Destruction
1914 degr > Dégâts
Opus 191 de la maison Rinckenbach;Orgue entièrement authentique.
Vieux-Thann, l'orgue Joseph Rinckenbach, le 17/12/2011.Vieux-Thann, l'orgue Joseph Rinckenbach, le 17/12/2011.

L'église de Vieux-Thann est un édifice exceptionnel. Par son architecture d'abord, avec son chœur légèrement hors axe et son aspect marqué par les nombreuses destructions et reconstructions. Mais aussi par les trésors qu'il abrite : les restes du calendrier liturgique du 14ème siècle, la Vierge au Tilleul (vers 1399), la Vierge du Contrefort (nimbée de légendes), le vitrail de 1466, la peinture de Pierrat (1877) figurant la Vierge des Ménétriers (dont c'était un lieu de pèlerinage), et surtout le célèbre Saint-Sépulcre du 15ème siècle. Ce patrimoine a encore été enrichi par la très symbolique cloche de la Réconciliation, offerte par la ville allemande de Rammersweier. L'ancien jubé du 15ème siècle supporte aujourd'hui la tribune de l'orgue. Ce dernier est parfaitement en harmonie avec les autres trésors de l'église Saint-Dominique : c'est l'opus 191 de la maison Rinckenbach, d'Ammerschwihr.

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L'orgue de facteur inconnu (1711)
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Historique

Originellement consacré à Notre-Dame (qui peut y être vénérée de quatre façons), l'édifice devint l'église du couvent des Dominicaines. Dans un lieu pareil, on ne s'étonnera pas qu'il y ait eu des orgues dès l'ancien régime. Un premier instrument est attesté dès 1711. [ChronGueb]

Dès le 18ème siècle, lorsque la tribune fut construite sur la base de l'ancien jubé,on devait pouvoir voir le Saint-Sépulcre sous cet angle, comme aujourd'hui.Dès le 18ème siècle, lorsque la tribune fut construite sur la base de l'ancien jubé,
on devait pouvoir voir le Saint-Sépulcre sous cet angle, comme aujourd'hui.

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Historique

On ne s'étonnera pas non plus du fait, qu'en cette première moitié du 18 ème siècle florissante, on voulut d'un orgue des plus grands facteurs que l'on ait pu trouver à l'époque : André Silbermann et Jean-André, son fils. Ils construisirent pour les Dominicaines un orgue de chœur de 8 jeux, achevé le 23/06/1729. L'orgue ne fut pas placé dans la chapelle du couvent, mais dans l'église. [Barth] [ArchSilb]

Durant les deux semaines que dura leur séjour, Jean-André et son père avaient été cordialement reçus et installés à Vieux-Thann par le sympathique Reginaldus Steyer. Cet accueil, associé à l'ambiance de la région, faite de légendes et de mystères, a beaucoup marqué Jean-André, qui fut non seulement facteur d'orgues, mais aussi historien. Et c'est peut-être ici que naquit cette vocation, car c'est pendant le montage de l'orgue de Dominicaines qu'il commença a rédiger ses fameuses "archives", en commençant par décrire dans un cahier les orgues construits par son père. [ArchSilb]

Composition, 1729
Manuel, 48 n. (CD-c''')
(c'-c''')
Echo, 25 n. (c'-c''')
Emprunt de I
[ArchSilb]

Cette composition est bien sûr sans surprise (s'il y avait eu un 9ème jeu, c'eût été un Cromorne), mais la disposition est plus originale, avec ce dessus d'écho qui permet (à l'aide d'un tirant spécifique) de jouer le Cornet du "grand-orgue".

Le 20/07/1732, Jean-André et son père retournèrent à Vieux-Thann (à l'occasion de la construction de l'orgue des Dominicains de Colmar). La diligence fut victime d'un incident lié à la présence d'une vache sur la chaussée et les chevaux tombèrent l'un sur l'autre. Le cocher fut formel quant à son origine surnaturelle : il affirma qu'il s'agissait d'un méfait provoqué par une sorcière. [ArchSilb]

Il est communément admis que l'instrument disparut pendant la révolution, donc vers 1790. Mais un orgue est attesté en 1808 et surtout en 1892 (enquête-inventaire de 1892). S'agissait-il du Silbermann ou d'un autre orgue "rencontré" après les troubles de la Révolution (une époque au cours de laquelle les orgues bougèrent beaucoup) ? Le mystère reste entier. [IHOA] [Barth]

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Historique

Pour redonner une voix au vénérable édifice, on s'adressa bien sûr aux plus grands facteurs que l'on ait pu trouver à l'époque : Martin Rinckenbach et son fils Joseph, qui posèrent ici en 1899 le dernier orgue mécanique sorti de la célèbre maison d'Ammerschwihr, portant le numéro d'opus 62. [LR1907] [IHOA]

La tourelle en tiers-point (1899).La tourelle en tiers-point (1899).

L'orgue était logé dans un buffet de Klem. Il s'agit du buffet encore visible aujourd'hui, bien qu'on ne connaisse pas en détail les modifications qui y ont été apportées. Il y avait 20 jeux sur deux manuels, et... on ne sait pas grand-chose d'autre sur cet instrument. Il devait néanmoins ressembler, en un peu plus grand, à ceux de Richwiller ou St-Louis-Bourgfelden.

En 1899, à Vieux-Thann, eut lieu la fin d'une époque, commencée en 1872 à Cellule dans le Puy-de-Dôme : celle de la première manière (sommiers à gravures) de la maison Rinckenbach. Si Martin Rinckenbach n'avait pas rivalisé en quantité avec les grandes maisons de l'époque, qu'elles soient françaises ou allemandes, il les égalait en qualité, et souvent les dépassait nettement. Mais au moment où les commanditaires voulaient des console indépendantes avec de nombreux accouplements, ainsi que de nombreuses innovations destinées à rendre l'orgue plus "dynamique", il était devenu évident que continuer à construire des instruments à traction mécanique n'était plus possible. Cet orgue fut le dernier de sa lignée : par la suite, tous les opus de la maison Rinckenbach (sauf un, très spécifique) furent pneumatiques.

Toute la région de Thann eut un lourd tribut à payer aux guerres, et en particulier celle de 1914-1918, qui fut d'une violence inouïe, car le front passait à deux pas. La partie instrumentale du dernier orgue mécanique de la maison Rinckenbach fut perdue, et ce vraisemblablement dès le début du conflit. [IHOA]

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Historique

En 1929, Joseph Rinckenbach reconstruisit un orgue dans le buffet de l'opus 62 ruiné. [IHOA]

Le nouvel instrument porta le numéro d'opus 191, et fut reçu le 19 janvier par un Marie-Joseph Erb transporté de joie. [IHOA]

Veuf en 1923, le célèbre professeur au conservatoire de Strasbourg (classes d'orgue et de composition depuis 1910, et de 1919 à 1937 piano et de théorie musicale), s'était remarié avec une de ses élèves, Juliette Fey à l'automne 1925. L'auteur des "Bilder und Sagen aus dem Elsass" (dédicacés à Franz Liszt dont il avait été l'élève) était un musicien très influent, qui avait contribué à son retour de l'école Niedermeyer à l'introduction de l'école d'orgue romantique française en Alsace. Il avait une affinité particulière pour la maison d'Ammerschwihr : pour preuve, la "Missa Solemnis de St-Jean Baptiste" avait été créée en 1910 à Strasbourg, St-Jean, sur l'opus 68 de Martin Rinckenbach auquel il avait tant contribué en 1902.

Cette magnifique applique semble d'origine (1929?).Elle a peut-être éclairé Erb lors de l'inauguration.Cette magnifique applique semble d'origine (1929?).
Elle a peut-être éclairé Erb lors de l'inauguration.

A nouveau endommagé pendant la seconde guerre mondiale, l'orgue fut réparé par la maison Schwenkedel en 1954. [ITOA] [Barth]

La transmission pneumatique a du bon : grâce à elle, Schwenkedel était dans l'impossibilité de trop baisser la pression, chose qu'il a probablement commise en de nombreux endroits. Notons qu'une telle action aurait à coup sûr expliqué le dysfonctionnement affectant l'appel des jeux constaté par Pie Meyer-Siat lors de sa visite en 1981. [IHOA]

En 2005, l'orgue a bénéficié d'un relevage particulièrement soigné et réussi d'Hubert Brayé et de son équipe (Mortzwiller). L'inauguration eut lieu le 14/05/2005 avec Pascal Reber à la console : œuvres de Mendelssohn, Guilmant, Franck, C.M. Widor et Vierne. [YMerlin]

Cet orgue est entièrement authentique (sauf les porcelaines des pédales, remplacées). C'est un témoin très attachant de la facture des années 1920-1930, qui prouve une fois de plus que la facture d'orgue, associée à un goût très sûr, était capable à cette époque de créer de vrais chefs d'œuvre. Ce n'est pas du "néo-classique", et plus vraiment du "symphonique". Joseph Rinckenbach échappe aux étiquettes : il a son style à lui. En particulier, l'acoustique du lieu, associée à l'architecture interne très particulière de l'instrument permet de créer des ambiances musicales très spécifiques.

Le buffet

Le buffet néo-gothique est de Théophile Klem, de Colmar, construit en 1899 pour l'opus 62 de Martin Rinckenbach. Trois tourelles en tiers-point (la petite au centre) encadrent deux plates-faces doubles. Des lignes en paraboles amènent au couronnement, qui est constitué d'une galerie ajourée de grande ampleur avec petits piliers, orifices tri-lobés et créneaux. Une frise rehausse les plates-faces à la hauteur de la ceinture. Une galerie ajourée en haut du soubassement (découpée, non sculptée) est peut-être être plus tardive (1929 ?).

L'ensemble montre une forte parenté avec le buffet (Klem) de l'orgue Dalstein-Haerpfer, 1910, de Gorze (57). Bien que la boiserie y soit plus grande et plus richement décorée (polychrome et dorée), les éléments de langage sont les mêmes. Ce buffet mosellan présente la particularité d'être signé par Klem (chose qu'il ne fit pas en Alsace, sauf à Ensisheim) : "Favente R.D. Laurent Archipresbytero erexerunt Hermüller H architectus Th. Klem sculptor 1910". [IOLMO]

Caractéristiques instrumentales

Console:
La console indépendante.Juste derrière, le vitrail de 1466, et les couronnements du Saint-Sépulcre.La console indépendante.
Juste derrière, le vitrail de 1466, et les couronnements du Saint-Sépulcre.

Console indépendante face à la nef, fermée par un volet coulissant. Tirage des jeux par tirants (pneumatiques) à pastilles, disposés en ligne au-dessus des claviers. Accouplements et trémolo par pédales à accrocher. Combinaisons fixes par poussoirs blancs situés sous les claviers. Claviers à frontons biseautés. Ordre des pédales : "II-I O.a", "II-I O.g", "II-P", "I-P", "GO", "Expression", Crescendo (pas de pastille), "Tremolo" et I/I 16' (pas de pastille). Plaque d'adresse incrustée dans le bois, en laiton, avec cadre arrondi :

JOSEPH RINCKENBACH
Manufacture de Grandes Orgues
Opus 191
La plaque d'adresse.Comme à  (l'opus précédent), le mot "Ammerschwihr" ne figure plus.La plaque d'adresse.
Comme à Wattwiller (l'opus précédent), le mot "Ammerschwihr" ne figure plus.
Les pédales d'expression, de crescendo, de trémolo, et la pédale sans nom (grand-orgue en 16 pieds).Les pédales d'expression, de crescendo, de trémolo, et la pédale sans nom (grand-orgue en 16 pieds).
Transmission:

pneumatique tubulaire.

Sommiers:

Sommiers à membranes, d'origine (1929). L'architecture interne de l'instrument est très spécifique : les sommiers du grand-orgue sont chromatiques et orthogonaux à la façade : graves en avant, aigus au fond. La pédale est logée sur les côtés, les plus grands tuyaux étant recourbés. Au fond et en hauteur, la boîte expressive enfermant le récit. La soufflerie est logée en dessous.

Le récit comporte 68 notes (C-g''''), pour permettre les octaves aiguës réelles (sauf pour le Hautbois).

En rouge, l'espace dévolu au grand-orgue.En bleu, celui de la pédale.Le récit, en marron, est au fond, surplombant la soufflerie (en vert).En rouge, l'espace dévolu au grand-orgue.
En bleu, celui de la pédale.
Le récit, en marron, est au fond, surplombant la soufflerie (en vert).
Tuyauterie:

La tuyauterie est "de facture industrielle" comme on dit (dans le sens qu'elle a été construite à l'aide de machines-outils) ; elle est très étoffée et de très belle facture. Entailles de timbre (rectangulaires dans les orgues de Joseph) et Bourdons à calottes mobiles. Tuyaux ouverts en bois à glissières. Les dents sur les biseaux sont prononcées et bien régulières. Nombreux poinçons et marques d'identification.

La tuyauterie du grand-orgue.A gauche, les deux "stars" du clavier : les Do graves (C) du Bourdon 8' et du Prestant.Le mot "PRESTANT" est poinçonné en majuscules et en arc sur le tuyau. Ecusson rapporté en ogive, grandes soudures.A droite, une vue d'ensemble de la tuyauterie du grand-orgue.La tuyauterie du grand-orgue.
A gauche, les deux "stars" du clavier : les Do graves (C) du Bourdon 8' et du Prestant.
Le mot "PRESTANT" est poinçonné en majuscules et en arc sur le tuyau. Ecusson rapporté en ogive, grandes soudures.
A droite, une vue d'ensemble de la tuyauterie du grand-orgue.
Les jalousies du récit sont ouvertes, surprenant la Gambe en pleine sieste.Avec ses lèvres arquées, elle nous fait une de ces têtes...Notons que la Gambe et la Voix céleste(les deux tirées ensemble provoquant les "battements" caractéristiques de la plus célèbre registration romantique)sont généralement bien séparées sur le sommier.Ceci est probablement destiné à éviter les querelles de voisinage entre ces deux sœurs ennemies.A moins qu'il n'y ait des aspects acoustiques à prendre en compte ?Les jalousies du récit sont ouvertes, surprenant la Gambe en pleine sieste.
Avec ses lèvres arquées, elle nous fait une de ces têtes...
Notons que la Gambe et la Voix céleste
(les deux tirées ensemble provoquant les "battements" caractéristiques de la plus célèbre registration romantique)
sont généralement bien séparées sur le sommier.
Ceci est probablement destiné à éviter les querelles de voisinage entre ces deux sœurs ennemies.
A moins qu'il n'y ait des aspects acoustiques à prendre en compte ?
Une véritable invitation à la musique.Une véritable invitation à la musique.

Voilà un orgue à découvrir absolument. Après l'avoir joué, vous ne laisserez plus personne dire du mal des orgues pneumatiques. Cette approche originale du "néo-classique" est très différente de celle la "Réforme alsacienne de l'Orgue". Si, pour cette dernière, on trouve une littérature abondante expliquant les idées d'Emile Rupp et la façon dont Edmond-Alexandre Roethinger les mettait en pratique, il n'existe presque rien concernant les approches de Joseph Rinckenbach ou de Georges Schwenkedel. C'est probablement dans ces trésors cachés qu'il faudra chercher les enseignements qui conduiront à un véritable orgue du 21ème siècle.

Culture Activités culturelles :

Références Sources et bibliographie :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F680348001P04
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