Dans ce superbe buffet néo-gothique, cadeau de l'empereur Guillaume II, se trouve un instrument fort intéressant, construit en 1891 par Franz Xaver Kriess, et complété - pour une partie de la tuyauterie - par Roethinger en 1928.
Historique
Un premier orgue est attesté ici en 1840. Il date probablement du premier quart du 19ème. On sait que Kriess fit une "reprise" de l'ancien orgue en 1891, mais on n'en sait guère plus. [IHOA] [Barth]
En 1890, il y eut un projet de Charles Wetzel, avec une composition très intéressante :
Ce projet nous confirme que la maison Wetzel, après des années de ce qu'il faut bien appeler un certain atavisme, avait entrepris un réel renouveau : il était prévu des claviers de 56 notes, une pédale complète, les trois accouplements, et un récit bien adapté au répertoire. Le projet semble avoir été assez loin, puisque Charles Wetzel note dans ses archives que la paroisse a passé commande. [IHOA] [PMSRHW]
Historique
En 1891, Franz Xaver Kriess posa à Wangenbourg son 6ème instrument neuf, logé dans un buffet néo-gothique offert par l'empereur Guillaume II. L'instrument n'aurait disposé que de 12 jeux à l'origine, mais était doté de 20 chapes. Dans la liste parue dans "Caecilia" en 1924, il est noté à 20 registres. [IHOA] [ITOA] [Barth] [Visite]
L'instrument semble avoir été construit en deux tranches : celle de Kriess en 1891, et un apport conséquent d'Edmond-Alexandre Roethinger. Il l'aurait passé de 12 à 20 jeux. Fort probablement, il s'agissait de chapes laissées libres.
On y trouve de nombreuses spécificités, à commencer par un nombre important de jeux de pédale (pour son esthétique ; c'était aussi le cas du projet de Charles Wetzel, ce qui paraît indiquer que c'était une volonté des commanditaires). Si la Bombarde a été ajoutée ultérieurement, il n'en reste pas moins que l'instrument a été conçu avec 5 jeux de pédale : la dotation, à l'époque, se faisait dans l'ordre de priorité suivant : une Soubasse 16', une Octavebasse, une Gambe 8', puis un 16' ouvert (Principal ou Gambe). Le cinquième jeu (dont la chape est actuellement occupée par une Flûte 4' qui date probablement de Roethinger) aurait logiquement été une Posaune 16' (comme à Flexbourg ou Coume), ou, par la suite, un Tuba 16' (Heiligenberg). S'il n'y avait vraiment que 12 jeux en 1891, on peut supposer que cette 5ème chape de pédale avait été laissée libre.
Mais si les ajouts des années 1940-1950 sont facilement identifiables (la Bombarde et les deux 2'), il faut bien avouer que les apports de Roethinger sont fort bien intégrés à l'orgue de 1891. Pourtant, à l'examen du Hautbois, qui est caractéristique de Roethinger, le doute n'est pas permis. D'ailleurs les porcelaines, homogènes sauf en ce qui concerne les modifications de 1940-1950, confirment que toute la console avait été achevée (avec le nom des jeux) : il ne restait probablement "plus" qu'à poser les tuyaux et les harmoniser en fonction du reste. C'est visiblement ce qui a été fait.
Une autre spécificité se trouve au grand-orgue : un grand Cornet de 5 rangs (contrairement à ce qu'affiche la console), posté, et donc disposé "à l'ancienne". Ce type de Cornet - fort différent des "Cornett-Mixtur" germaniques - est directement issu de la tradition classique et pré-romantique alsacienne, et trouve son origine dans le grand Cornet de l'esthétique française du 18ème. A l'époque romantique et post-romantique, ces Cornets sont devenus beaucoup plus rares, pour ré-apparaître dans les années 1930. Dans les années 1890-1920, on trouve surtout ce genre de Cornet lorsqu'il a été "hérité" de l'instrument précédent (Oberschaeffolsheim). Faut-il y voir une réminiscence de l'orgue de 1840, qui disposait sûrement d'un Cornet, et qui aurait motivé une demande spécifique de l'organiste consistant à garder ce type de jeu ?
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. Ces tuyaux pesaient 139 kg. [IHOA]
C'est Edmond-Alexandre Roethinger qui est intervenu sur l'instrument en 1928, pour compléter ce qui manquait - exactement selon le plan originel -, et probablement remplacer la façade. Une partie significative de la tuyauterie actuelle semble être de Roethinger, comme le Hautbois, caractéristique, avec ses calottes rotatives permettant d'ouvrir ou fermer des opercules pour faciliter l'harmonisation. [ITOA] [IHOA] [Barth] [Visite]
On peut se demander pourquoi, en 1928, ce n'est pas la maison Kriess qui fut choisie pour terminer son instrument. Franz Xaver était d'ailleurs encore vivant, puis qu'il mourut en 1937. Mais on sait qu'au moins depuis Irmstett (1922), c'est plutôt son fils Franz Heinrich qui menait l'entreprise. Laquelle n'était plus aussi florissante qu'avant 1920. Il faut dire qu'avec Roethinger dans le Bas-Rhin et Joseph Rinckenbach dans le Haut-Rhin, le post-romantisme alsacien avait énormément gagné en spécificité et en originalité. Il y avait certes encore "de la place", comme en témoigne l'enthousiasmante ascension de Georges Schwenkedel, mais uniquement pour des facteurs extrêmement motivés et capables d'innovation. Et Schwenkedel, justement, ne tarda pas à proposer une "troisième voie" qui s'avéra être très féconde : en 1928, il en était à son 12ème orgue neuf. Face à ces concurrents très doués, la maison de Molsheim ne tarda pas à se replier sur le marché des transformations d'instruments trop petits ou inadaptés.
En 1944, Ernest Muhleisen a effectué une transformation. Il remplaça la Gambe du grand-orgue par un Bourdon 8', et plaça une Quinte au récit, vraisemblablement sur la chape la Voix céleste. Il posa peut-être le 4' de pédale neuf (sur la chape avant, donc a priori celle d'un jeu d'anche qui n'a peut-être jamais été posé). Il est sûr que la Bombarde 16' date de 1944, et a été posée par Muhleisen. Ceci est cohérent avec la description des travaux de 1944 : ajout de deux jeux, et remplacement de deux autres. Ces travaux - dont l'intérêt est fort discutable - auraient été recommandés par l'organiste Franz Baum (Frankfurt-am-Main, St-Antoine). [ITOA] [IHOA] [Barth] [Visite]
Les 20 jeux de 1928 devaient se répartir ainsi : 5 à la pédale, 6 au récit, et 9 au grand-orgue. Un 21ème jeu est donc venu en 1944 par Muhleisen à la pédale (donc 9 au grand-orgue, 6 au récit et 6 à la pédale). Toutefois, les compositions notées en 1964 et 1986 donnent chacune 10 jeux au grand-orgue... alors qu'il n'y a que 9 chapes ! L'explication la plus simple est qu'un jeu a été noté en trop en 1964 (la Doublette n'a pas été présente en même temps que le Bourdon 8') et que la Gambe a été notée en 1986 à l'inventaire... parce qu'un tirant de ce nom apparaît à la console (relié à rien).
En 1964, l'orgue n'avait donc déjà plus sa Gambe de grand-orgue et sa (probable) Voix céleste. Le grand-orgue est noté à 10 jeux, avec à la fois le Bourdon 8' de Muhleisen et une Doublette. La pédale avait déjà sa configuration actuelle (Bombarde et Flûte 4'), ce qui confirme que ces changements ont eu lieu avant. [IHOA]
La maison Muhleisen revint faire un entretien en 1981, et re-changea encore un peu la composition. [ITOA] [IHOA]
Heureusement, ce sont des jeux de 1944 qui ont été remplacés (ils n'ont donc probablement pas donné satisfaction) : le Bourdon 8' (placé sur la chape de la Gambe), et la Quinte (placée au récit par Muhleisen en 1944). Tous les deux ont cédé leur place à une Octave 2'. (Qui font doublon.)
Au total, les modifications furent finalement limitées, puisque seuls 2 ou 3 jeux présents en 1928 ont disparu. Cet historique, toutefois, n'explique pas pourquoi il n'y a que 9 chapes garnies actuellement, ni pourquoi il y a toujours un tirant pour la Gambe du grand-orgue à la console. Il reste une part de mystère ! Un tirant muni d'une porcelaine Link, comme si on avait re-placé une Gambe après 1944 pour la retirer à nouveau en 1981... Y a-t-il réellement une 10ème chape au grand-orgue, difficilement visible aujourd'hui ?
L'instrument a été relevé par Gaston Kern en 1996. [IHOA]
Le buffet
Le buffet néo-gothique (en chêne) de Wangenbourg est une vraie merveille du genre. Quand il faisait des cadeaux, Guillaume II ne lésinait pas... Une grande tourelle centrale prismatique (base en demi-hexagone) est flanquée de deux éléments latéraux, constitués - du centre vers l'extérieur - d'une plate-face légèrement décalée vers le bas et en avant, d'une grande plate-face double, et d'une jouée. La ceinture du buffet est ornée de tri-lobes (comme les flancs de la console), et les jouées, finement ajourées, comportent des motifs floraux. Les couronnements atteignent une proportion peu commune, avec de nombreux pinacles, des tympans en gâble et des clochetons munis de crochets.
Ces couronnements sont complétés, au sommet des deux grandes plates-faces latérales, par deux statues d'anges musiciens. Ils sont polychromes, en partie dorés, ailés, et tiennent chacun une trompette naturelle.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés noirs munis de porcelaines, disposés sur deux gradins de part et d'autre des claviers. Les tirants des jeux de pédale sont en bas à gauche, avec des porcelaines à fond bleu, ceux du récit en haut à gauche, avec un fond rose (sauf le trémolo, qui se trouve à droite), et ceux du grand-orgue à droite.
Il y a un triant pour une Gambe (au grand-orgue), mais qui ne correspond à aucun jeu à l'intérieur de l'instrument. Le pommeau et la porcelaine sont différents des autres. Le nom du jeu est préfixé par "I.M.", une habitude de la maison Gebrüder Link. Le graphisme ressemble à celui de la belle console Link du Hohwald. D'ailleurs, là-bas, justement, la porcelaine de la Gambe manque ; or Muhleisen y a travaillé vers 1945 : il se pourrait fort bien que cette porcelaine atypique à Wangenbourg vienne du Hohwald.
Les porcelaines de l' "Octav 2'" du grand-orgue et de l'Octave 2' du récit, avec leurs fontes "modernes" ne sont également pas d'origine. Pour celle de la Flûte 4' de pédale, les lettres sont presque effacées. Il y est écrit "Flûte" et non "Flaute".
Claviers blancs, le second à frontons légèrement biseautés. Commande de la Bombarde par pédale-cuiller à accrocher, située à gauche et repérée par une porcelaine "Bombarde 16'" avec un liséré fait à la main à l'aide de hachures. Commande de la tirasse et de l'accouplement par pédales-cuillers en fer forgé, respectivement au-dessus du "H" et du "f" du pédalier, et repérées par deux porcelaines rectangulaires blanches placées au-dessus du second clavier : "Pedalcoppel" et "Manualcoppel". Pédale basculante pour l'expression du récit placée tout à droite.
Plaque d'adresse rectangulaire, de petites dimensions (5cm environ), blanche à liséré/chanfrein doré, disant en lettres gothiques noires :
Les flancs et le revers de la console sont ornés de tri-lobes. A l'exception de quelques porcelaines et de la commande de la Bombarde, l'intégralité de cette console semble d'origine. L'attention portée à sa réalisation, et son authenticité, lui confèrent un charme remarquable.
Mécanique, à équerres et balanciers. Pédale en éventail. L'abrégé du grand-orgue est au revers du soubassement, sous la façade, à l'endroit habituel.
Sommiers à gravures (d'origine). Le grand-orgue est situé à sa place habituelle, derrière la façade. Le récit est placé derrière, en hauteur, et la pédale au fond, entre le récit et le mur de l'édifice. Pas de plafonds.
La pédale est chromatique, aigus à gauche, avec un ravalement de 5 notes à gauche.
Le réservoir principal est situé dans le soubassement, sous le récit. Le système de pompage à pied (deux pédales) a été conservé, mais n'est pas opérationnel. Un cadran indicateur à aiguille indique au souffleur le niveau de remplissage du réservoir (comme à Bolsenheim).
Cet instrument tient les promesses de son magnifique écrin néo-gothique. Il est aujourd'hui (2019) un des témoins incontournables du post-romantisme alsacien, et plus particulièrement de la naissance de cette esthétique. Sa construction en deux phases (1892 et 1928) nous confirme qu'on matière de facture d'orgues, la conception et l'élaboration d'un projet cohérent jouent un rôle prépondérant par rapport à la réalisation elle-même. Bien que complété plus de 30 ans après son installation, cet instrument est doté d'un caractère intègre et cohérent : en 1928, Roethinger a "juste" fait ce qui était prévu à l'origine, et le résultat est là, enthousiasmant.
Bien sûr, on regrette que ce chœur de fonds soit aujourd'hui dépourvu de sa Gambe de grand-orgue, et il manque à cet instrument l'ondulant du récit, ce qui le prive de certaines des plus belles pages du répertoire. Mais il reste un des témoins - fort bien préservé - de cette esthétique, aussi agréable à jouer qu'intéressant à étudier.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Emmanuelle Cheippe.
Photos du 24/02/2019, et données techniques.
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