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Les orgues de la région d'Erstein
Bolsenheim, St-Martin
1917 degr > Dégâts
A part la façade (joliment restituée), cet orgue est entièrement authentique.
L'orgue Franz Xaver Kriess de Bolsenheim.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 13/01/2019.L'orgue Franz Xaver Kriess de Bolsenheim.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 13/01/2019.

On trouve à Bolsenheim le plus ancien orgue restant du facteur Molshémien Franz Xaver Kriess. Ce n'est pas son opus 1 (celui-ci se trouvait à Strasbourg, Notre-Dame des Mineurs), mais son deuxième instrument neuf ; il l'a construit en 1889. Il est parvenu jusqu'à nous pratiquement intact.

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L'orgue de facteur inconnu (1769)
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Historique

Un premier instrument est attesté en 1769. On en ignore la provenance et les caractéristiques. [IHOA]

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Historique

En 1811, Blaise Chaxel installa ici le petit orgue qu'André Silbermann avait construit en 1722 pour Altenheim (D). [IHOA]

Il s'agit d'Altenheim au Pays de Bade (D) - aujourd'hui intégré à la commune de Neuried - et non de l'Altenheim alsacien. Sa composition est connue, et on sait qu'il était construit comme un positif de dos. Il était identique à celui de Geudertheim, mais avec un tremblant en plus et une Soubasse limitée à une seule octave, et une Cymbale à 2 rangs seulement (au lieu de 3). La console était à l'arrière.

Composition, 1722
Manuel, 49 n. (C-c''')
D-gis en façade
Basses bouchées
Pédale, 13 n. (C-c)
[ArchSilb]

Lors de l'agrandissement de son église, en 1808, Altenheim passa commande auprès de Blaise Chaxel d'un instrument plus grand. Ce dernier fit une reprise du petit orgue, et parvint à le vendre à Bolsenheim. (Notons que cela semble lui avoir pris 3 ans.)

Quand Bolsenheim à son tour agrandit son église, il était évident que le petit instrument allait à nouveau être insuffisant. Un devis pour un orgue neuf fut fourni en août 1871 par les frères Wetzel (I/P 13j, avec reprise de l'ancien). [PMSRHW]

Mais en 1872, les frères Wetzel installèrent finalement le petit orgue dans le nouvel édifice. [PMSRHW]

De fait, ces petits instruments n'étaient souvent pas appréciés : rappelons qu'à Weiterswiller où avait échoué après une histoire analogue le "presque jumeau" de cet instrument (celui construit pour Geudertheim), on préféra s'en débarrasser et acheter... un harmonium. Du coup, Kriess a été moins chanceux que Chaxel : il ne semble pas avoir réussi revendre l'orgue repris à Bolsenheim.

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Historique

C'est en 1889 que Franz Xaver Kriess plaça à Bolsenheim l'orgue actuel, qui était son deuxième instrument neuf. [IHOA] [ITOA] [Barth]

Si l'opus 1 de Kriess, à Strasbourg, avait encore une console en fenêtre, celui-ci propose une console indépendante, "retournée" (face à la nef) et à fleur de tribune (il y a même des portes qui s'ouvrent à l'extérieur). On retrouve la même disposition en 1890 à Fouday. Il faut dire que pour l'organiste, c'est quand même plus agréable de ne pas jouer la tête plongée dans une armoire !

La composition est joliment romantique-allemande, et ne contient qu'un seul jeu d'anche : la Trompette du grand-orgue. C'est probablement avec ce type d'instruments que Kriess attira l'attention d'Adolphe Gessner, directeur de la musique impériale, et professeur d'orgue de la classe catholique de Strasbourg. En 1890, l'orgue Kriess de Kilstett fut reçu par Gessner et Ernst Münch.

A la même époque, Kriess assemblait ses premières transmissions pneumatiques, puisqu'en 1890, son opus 3, pour Kilstett en fut muni à l'origine. Mais en 1890 ces techniques innovantes n'étaient pas encore bien maîtrisées. Après avoir réparé son orgue en 1893, Kriess construisit une transmission mécanique en 1897, à ses frais, preuve qu'il était vraiment honnête.

Malgré cela, ces problèmes techniques, pourtant habituels quand on déploie une nouvelle technologie, ont été "montés en épingle" par l'organologie de la fin du 20ème siècle, obnubilée par sa croisade visant à éliminer des orgues toute technique qui n'était pas pratiquée au 18ème. Le remplacement de l'opus 3 de Kriess (Kilstett) par un orgue à Larigot, en 1977, compta d'ailleurs parmi les nombreux faits d'armes de cette opération de discrédit. Ses "dégâts collatéraux" furent d'ailleurs encore plus regrettables : Kleingoeft, Saint Jean de Bassel (57), Coume (57)... Les propriétaires d'orgues Kriess n'avaient souvent plus aucune idée de la valeur de leur instrument.

En 1917, les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités. [IHOA]

Il y eut une réparation en 1944. [IHOA]

Et un relevage en 1974, mené par Paul Adam. [IHOA] [ITOA]

Cet instrument n'a donc jamais été modifié. A part sa façade - fort réussie et respectueuse du style -, il est entièrement authentique.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2019
Grand-orgue, 54 n. (C-f''')
Tout en bois
Toute en bois
Freins/oreilles, sauf dernière octave ; entailles de timbre en forme de trou de serrure
Récit expressif, 54 n. (C-f''')
C-H en bois
Ouverte ; C-f' en bois, puis fis''-f''' métalliques
Pédale, 30 n. (C-f')
Freins-rouleaux en bois
I/P
[ITOA] [Visite]
Console:

Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde, disposés en deux gradins de part et d'autre des claviers, à pommeaux tournés noirs, munis de porcelaines. Elles sont blanches pour le grand-orgue (dont les tirants sont à droite), roses pour le récit (à gauche) et bleues turquoise pour la pédale (à gauche en bas). Il y a également un tirant non utilisé (en bas à gauche, donc a priori pour un jeu de pédale - sûrement un Violoncelle). Le nom des jeux apparaît en lettres gothiques. Claviers blancs, celui du récit a les frontons biseautés.

Commande de la tirasse et de l'accouplement par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé, disposées de part et d'autre de la console. La pédale basculante commandant l'expression du récit est au milieu. Les pédales sont repérées par des porcelaines rondes placées au-dessus du second clavier : de gauche à droite "Pedal coppel", "Expression" et "Manual coppel".

La plaque d'adresse n'est pas installée à la console, mais derrière elle, sur la ceinture du buffet, au centre (comme l'a fait Voit à Steige en 1872). Elle est blanche, rectangulaire, à lettres noires gothiques, et dit :

Diese Orgel wurde unter der Verwaltung des
Bürgermeisters Rohmer Pfarrer Kapp
und den Organisten Fourno von
F.Kriess i/ Molsheim i/y. 1889 erbaut.
Transmission:

Mécanique à équerres.

Sommiers:

A gravures, d'origine. La disposition est encore très "classique". Le grand-orgue est à l'avant, derrière la façade, pour être commandé par une mécanique suspendue et un abrégé disposé de façon habituelle sous la façade ; il y a deux sommiers diatoniques, en "M" (basses aux extrémités). Le récit est logé à l'arrière, à la même hauteur. Il est chromatique, basses à droite. La pédale, également chromatique avec les basses à droite, est au fond et commence dans le soubassement.

Tuyauterie:

La tuyauterie est de belle facture, homogène, poinçonnée, avec des aplatissages ovales en règle générale. Elle est en bon état et a été bien entretenue. Bourdons à calottes mobiles, entailles de timbre, biseaux à dents. A la pédale, les bouches sont très peu arquées. Les 12 tuyaux du centre de la façade sont muets.

Une vue plongeante sur la tuyauterie du grand-orgue.
De bas (passerelle d'accès) en haut (façade) :
la Trompette, la Mixture-cornet (avec un rang de 8' bouché),
le Prestant, la Gambe, la grande Flûte majeure (en bois, ouverte),
le Bourdon 16' (en bois, bouché), et la Montre 8'.
Les 12 tuyaux centraux de la façade sont muets, mais d'autres parlent,
et on distingue leurs postages.
Les pièces rectilignes au milieu solidarisent les registres des deux sommiers.Une vue plongeante sur la tuyauterie du grand-orgue.
De bas (passerelle d'accès) en haut (façade) :
la Trompette, la Mixture-cornet (avec un rang de 8' bouché),
le Prestant, la Gambe, la grande Flûte majeure (en bois, ouverte),
le Bourdon 16' (en bois, bouché), et la Montre 8'.
Les 12 tuyaux centraux de la façade sont muets, mais d'autres parlent,
et on distingue leurs postages.
Les pièces rectilignes au milieu solidarisent les registres des deux sommiers.
La tuyauterie du récit.
depuis l'accès (en bas à gauche) vers le fond :
la Flûte 4, le Bourdon, la Voix céleste, puis le Salicional.La tuyauterie du récit.
depuis l'accès (en bas à gauche) vers le fond :
la Flûte 4, le Bourdon, la Voix céleste, puis le Salicional.

Par la qualité de ses jeux de fonds et son exceptionnelle authenticité, l'orgue Kriess de Bolsenheim est un des précieux témoins de l'évolution de l'esthétique romantique allemande dans la région. Ces orgues ont compté parmi les sources d'inspiration qui ont mené, entre 1900 et 1939, à l'émergence d'un style d'orgue alsacien spécifique - et aujourd'hui encore peu connu.

Cet orgue fait preuve d'une grande fidélité à son style, résolument germanique avec sa Trompette au grand-orgue (l'unique anche), sa Mixture-tierce et son récit constitué de jeux reprenant les couleurs du grand-orgue, mais en plus doux. Il est arrivé en Alsace au moment où elle s'ouvrait enfin à de nombreuses autres influences : le symphonisme français (Joseph Merklin, Charles et Edgard Wetzel), le post-romantisme allemand (Gebrüder Link), mais aussi l'approche originale des Mosellans Dalstein-Haerpfer.

Sites Franz Xaver Kriess (1850 - 1937)

L'orgue Kriess de Wangenbourg (1891).L'orgue Kriess de Wangenbourg (1891).

Le fondateur de l'entreprise, Franz Xaver Kriess, est né en Allemagne, non loin d'Achern, en 1850. Il s'installa à son compte Molsheim en 1886, et obtint rapidement le précieux soutien d'Adolphe Gessner (1864-1919), qui souhaitait promouvoir le style romantique allemand en Alsace.

La liste des travaux Kriess, parue dans Caecilia 1924 et reprise dans l'ouvrage de Médard Barth cite 40 orgues neufs (de Strasbourg, Notre-Dame des Mineurs en 1886 à Niederbetschdorf), ainsi que 33 reconstructions. Force est de constater qu'en dehors de l'ouvrage cité, l'organologie de la fin du 20ème siècle n'a pas accordé beaucoup d'attention à ces instruments. Il faut dire qu'après 1945, la maison de Molsheim connut une baisse significative de ses critères de qualité. Et fut ensuite surtout citée à l'occasion de transformations d'instruments historiques, certes souvent malheureuses, mais ayant généralement consisté en des reconstructions, conduisant à des orgues certes modifiés, mais cohérents. [Barth]

Mais parmi les orgues de la Belle époque construits à Molsheim, il s'en trouve plusieurs de très grande qualité, qui ont su amener une belle diversité dans un paysage où l'on trouvait fort majoritairement des "pré-romantiques" tardifs. Outre celui de Bolsenheim, il y a - par exemple - Fouday (1890), Wangenbourg (1891), Uttenheim (1892), Ranrupt (1900), Ohlungen (1905), Heiligenberg (1906), Maisonsgoutte (1917). Ils constituent autant de bonnes surprises pour leurs visiteurs. De nombreux autres ont payé un lourd tribut à la vague "néo-baroque", et ont été gravement mutilés, leurs grands jeux romantiques se faisant remplacer par des "petits jeux" (aigus). Vu l'ampleur des dégâts, on peut se dire qu'ils sont bien supérieurs à ceux commis sur les orgues "classiques" par la maison de Molsheim après le premier conflit mondial. Car après la mort de Gessner (1919), les choses furent plus difficiles. Franz Kriess francisa son nom en "François", et on trouve parfois la plaque d'adresse "François Kriess et Fils - Manufacture de grandes orgues - Molsheim (Bas-Rhin) - Maison fondée en 1886".

La maison Kriess fait partie de celles qui ont été violemment dénigrées par des organologues du 20ème (avec George Wegmann ou Heinrich Koulen par exemple), essentiellement pour accréditer une thèse selon laquelle l'orgue alsacien d'après 1870 était "décadent". Un chouilla nationaliste (il faut bien appeler les choses par leur nom) ladite thèse était encore fort bien accueillie dans les années 1980.

Or, déclarer simplement un orgue "mauvais" pouvait être pris pour une affaire de goût, donc subjective ; il fallait donc des critères pouvant passer pour plus objectifs. On eut une idée géniale, facilement assimilable par tous : il suffisait de le dire "pneumatique", après avoir expliqué sans rougir que ce mode de transmission était fragile, nuisible au phrasé, et source de surcoûts ultérieurs. Le succès de cette désinformation fut phénoménal, car elle ouvrait un juteux marché de reconstructions en mécanique. C'était tellement facile : de nombreuses transmissions pneumatiques nécessitent le remplacement, tous les 30 ans environ, des membranes, qui sont des pièces d'usure. Il suffisait, à l'occasion du premier oubli, de déclarer irréparable le "vieil orgue pneumatique à bout de souffle" pour placer un coûteux devis, assorti d'un triomphal "Je vous l'avais bien dit !". Les organistes, obnubilés par le répertoire "baroque", ne trouvaient rien à redire, puisque ces mécanisations s'accompagnaient du "retour" des Tierces, Cymbales et autres Cromornes. En plus, on appelait ça une "restauration", offrant au journaliste de service le mot idéal pour parvenir au total consensus.

Puis s'installa un effet encore plus pervers : les facteurs, ne sachant plus régler une traction pneumatique, rendaient peu à peu vrais certains mensonges de la doctrine ! Pendant 20 ans, le pneumatique causa réellement des soucis, donnant un moment raison aux malhonnêtes, et obligeant les autres à abonder dans leur sens. Mais c'était quand même une injustice extrême !

L'organologie de la fin du 20ème siècle a donc fait de Kriess un "démolisseur d'orgues historiques" et un "pneumatiseur". En oubliant tout le reste, à commencer par l'éblouissante qualité du mouvement musical d'après 1870. Et aussi que, quelque part, les "mises au goût du jour" reprochées à Koulen ou à Kriess ont contribué à pérenniser beaucoup de (petits) instruments hérités de la première moitié du 19ème qui constituent la spécificité de l'Orgue alsacien, mais qui n'étaient pas des pièces de musée ! Ce sont des équipements, conçus pour avoir un rôle social. Et sans cela, ils auraient été purement et simplement remplacés ou éliminés.

Les orgues Kriess de la période 1886-1937 parvenus jusqu'à nous témoignent - pour peu qu'on leur accorde de l'intérêt - d'indéniables qualités. Méconnus, et n'ayant jusque là fait l'objet que de rares études publiées, ils constituent souvent de très belles surprises.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670054001P03
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