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Les orgues de la région de Benfeld
Witternheim, St-Sébastien
Witternheim, l'orgue Curt Schwenkedel.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 29/10/2017.Witternheim, l'orgue Curt Schwenkedel.
Toutes les photos sont de Martin Foisset, 29/10/2017.

Cet orgue, achevé en 1957 par Curt Schwenkedel, est l'un des derniers a avoit été entièrement construits dans le style "néo-classique". Cette démarche, consistant à opérer un "retour au sources" (l'orgue du 18ème) tout en conservant les acquis ultérieurs, avait été initiée très tôt en Alsace (1901). En 1957, elle connaissait ses dernières années, et faisait aussi preuve d'une belle maturité.

Le flanc Est du centre-Alsace connut d'importantes destructions durant la seconde guerre mondiale, lors des événements de la "poche de Colmar". Cela explique qu'on y trouve beaucoup d'instruments néo-classiques datant des années 50. Ils sont souvent qualifiés de "dommages de guerre", mais présentent de nombreuses qualités et originalités. Ils démontrent surtout que la reconstruction s'est faite avec une réelle volonté d'aller de l'avant. Avant même d'examiner le premier tuyau de cet instrument, il faut se souvenir qu'il exprime la résilience d'un peuple au sortir d'un conflit d'une violence extrême, conscient des terribles pertes, mais aussi des nombreux atouts qui lui restaient. L'histoire des orgues, à Witternheim, est encore plus ancienne. Elle est marquée, on le verra, par un instrument souvent oublié - un Joseph Rinckenbach de 1926 -, aujourd'hui disparu matériellement, mais dont l'héritage intangible reste bien présent.

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L'orgue de facteur inconnu (1825)
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Historique

La présence d'un premier instrument est attestée en 1825 par la présence d'un organiste, nommé Hippolyte Hubrecht. [IHOA]

Il s'agissait probablement de l'un des innombrables instruments négociés par des spéculateurs durant la Révolution. Leur acquisition n'a souvent pas laissé de traces, et ces orgues étaient généralement inadaptés à leur nouvelle destination ; ils ont souvent été remplacés ou fortement modifiés dès que possible.

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L'orgue de facteur inconnu (1867)
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Historique

Pour remplacer l'instrument précédent, il fallut tout de même attendre jusqu'en 1867, quand les frères Wetzel amenèrent à Witternheim l'ancien orgue d'Avolsheim, Dompeter. Il y avait été placé vers 1850. [IHOA]

La composition en 1867 (après sa reconstruction) figurait sur le devis Wetzel :

Composition, 1867
Manuel
1867
Pédale, 13 n. (C-c)
1867
1867
Ancien
[PMSSTIEHR]

En 1892, lors de la visite canonique, on déclara l'instrument "in sehr schlechtem Zustand" ("en très mauvais état"). [PMSSTIEHR] [Barth]

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Historique

En 1926, Witternheim reçut son premier orgue d'envergure (13 jeux), construit spécifiquement pour son église par Joseph Rinckenbach, d'Ammerschwihr. [IHOA] [Barth]

On ne sait pas grand chose de cet instrument, qui semble même avoir été oublié dans les listes d'opus fournies par la maison. Mais Matthias (p. 38) et Barth en ont gardé la trace (II/P 13j). [Barth]

Juste après avoir achevé l'orgue de la chapelle St-Florent à Saverne (opus 174), Joseph Rinckenbach avait entrepris simultanément deux chantiers dans la région de Benfeld : Rossfeld (II/P 25j) et Witternheim. On peut donc donner à Rossfeld le numéro d'opus 175, et à Witternheim l'opus 176. Les deux instruments ont été détruits par faits de guerre, mais, à Rossfeld, des éléments ont pu être sauvegardés (et constituent assurément la plus belle part de l'orgue actuel). A Witternheim, la destruction de l'orgue Rinckenbach paraît avoir été totale : il ne reste malheureusement rien de 1926 dans l'orgue actuel.

En l'absence de conseiller spécifique qui aurait orienté la logique différemment, la composition de cet instrument forcément post-romantique alsacien devait être voisine de celle que l'on trouve à la chapelle St-Florent (II/P 14j, resté tout à fait authentique), probablement sans la Quinte 2'2/3 :

Bien sûr, on ne peut se fonder que sur ses contemporains survivants pour se faire une idée de ce que fut l'orgue Joseph Rinckenbach de Witternheim. Mais cela suffit amplement pour affirmer qu'il s'agissait d'un très bel instrument !

Dès le 13 décembre 1944, lors de l'assaut des troupes françaises sur Witternheim, la localité fut victime d'un intense bombardement, puis le théâtre d'affrontements qui firent de lourdes pertes. Le 7 janvier 1945, une contre-attaque allemande reprit Witternheim, et plusieurs localités voisines. Ce n'est qu'en février, après de tragiques combats, que Witternheim fut définitivement libérée. L'église était détruite, ainsi que son orgue Rinckenbach. [IHOA]

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Historique

En 1957, l'église reconstruite fut dotée d'un orgue construit par Curt Schwenkedel, l'opus 137 de la maison strasbourgeoise. [IHOA]

Remplacer un instrument de la valeur d'un Joseph Rinckenbach n'est pas une chose facile. Le facteur d'Ammerschwihr, mort en 1949 après avoir vu la destruction de ses ateliers, n'avait pas de successeur. Ce sont les maisons Schwenkedel et Roethinger qui ont beaucoup contribué à la reconstruction après la guerre. Toutes deux connaissaient une phase de transition entre leur fondateur et leur fils, successeur désigné. Edmond-Alexandre Roethinger avait pris sa retraite en 1943, mais continua à intervenir jusqu'en 1953, et passa la main à Max, qui était plutôt conservateur. Georges Schwenkedel prit sa retraite en 1955, et laissa son entreprise à son fils Curt, qui, lui, était extrêmement progressiste. Si Joseph Rinckenbach, Edmond-Alexandre Roethinger et Georges Schwenkedel connaissaient bien le style post-symphonique spécifiquement alsacien (puisqu'il l'avaient créé), la jeune génération devait, par choix ou pour respecter les influences globales, "passer à autre chose". Car, pour le domaine de l'orgue, la Mondialisation avait déjà commencé, et il s'était tourné de façon globale vers une esthétique néo-classique "mainstream". En oubliant totalement l'orgue spécifiquement alsacien, qui avait brillé entre 1880 et 1939. Depuis Sand (1955, opus 124), Curt Schwenkedel construisait donc ses orgues seul (contrairement à ce que laisse supposer la plaque d'adresse).

Le nouvel instrument, fruit de l'effort de reconstruction, allait se conformer aux Standards, et donc être très différent du Rinckenbach perdu. Mais, comme en de nombreux endroits qui ont connu un orgue d'exception, le bénéfice culturel local était resté bien vivant. Malgré les "tâtonnements" caractéristiques des années 50, ce fut ici un sans-faute, et c'est probablement au souvenir de l'orgue Rinckenbach de 1926 que l'on doit cela.

L'opus 137 de Schwenkedel adopte la plupart des traits caractéristiques de l'esthétique néo-classique. Le plus évident est l'absence de buffet : la façade repose sur un simple soubassement, et la forme est donnée en jouant leur les lignes sommitales des tuyaux, qui sont ici particulièrement complexes. Une autre tendance consiste à placer des tuyaux en bois en façade.

Le grand-orgue est relativement limité en nombre de jeux (c'est une tendance qui s'est affirmée depuis les années 30). On n'y trouve que l'essentiel : deux Principaux (8', 4'), un Bourdon 8', et la Fourniture. La Trompette est au récit, et l'orgue n'est pas fondé sur un 16', malgré ses 17 jeux. Mais on retrouve les accouplements à l'octave, héritage de l'esthétique post-symphonique : celui à l'octave grave du récit sur le grand-orgue permet de faire sonner l'orgue en 16'.

Le second clavier est à la fois un positif expressif et un récit. Suivant les principes de l'esthétique néo-classique, il associe une partie romantique (un couple Salicional/Voix céleste), avec un cornet décomposé (Jeu de Tierce), et une anche. Ici, le choix d'une Trompette (en boîte expressive) est plutôt une influence romantique française. De façon cohérente, Schwenkedel n'a pas placé de Mixture au récit.

...comme l'avait fait Roethinger dans la localité voisine de Friesenheim en 1954. Il s'agit d'une Cymbale qui, sûrement, devait pouvoir s'entendre depuis Witternheim... On peut supposer qu'on avait en conséquence donné à Schwenkedel des instructions ressemblant à "tout ce que vous voulez, sauf la Cymbale, là..."

Une inscription, dans l'orgue, dit : "Harmonisation Witternheim / Laurent Steinmetz Facteur d'orgues / Dachstein Gare". Il y a également dans l'orgue de l'hôpital départemental de Colmar une inscription de Laurent Steinmetz indiquant qu'il a ré-harmonisé l'instrument en 1984, et qu'il l'avait déjà harmonisé une première fois en 1957, pour le compte de Schwenkedel.

Laurent et son frère assureront plus tard la "succession" de Curt Schwenkedel, en créant une entreprise relativement éphémère pratiquant un néo-baroque "radical". L'harmonisation, en effet, était la "grande affaire" des années 50. On se souvient qu'en 1957 à Wickerschwihr, Schwenkedel avait livré son premier orgue harmonisé "à plein vent", c'est-à-dire sans chercher à restreindre le débit d'air admis par un tuyau en agissant sur l'ouverture de son pied. Il n'est pas étonnant, donc, qu'il y ait un tel contraste entre la prodigieuse harmonisation que l'on peut entendre à abbaye de l'Oelenberg (1952, opus 105) et les instruments "Messiaenesques" d'après 1957.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2017
Grand-orgue, 56 n. (C-g''')
Calottes mobiles
Entailles d'accord
Tuyaux graves à entailles d'accord, aigus en étain au ton
Récit expressif, 56 n. (C-g''')
Bouché ; g'-g''' métallique, calottes mobiles
Spotted ; entailles d'accord
Freins Gavioli
Spotted ; c-g''' coniques
Spotted, ouvert, cylindrique
Spotted
Pédale, 30 n. (C-f')
Extension de la Soubasse
Extension de la Basse 8'
I/P
[IHOA] [ITOA] [Visite]
Console:

Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos blancs, rectangulaires aux coins arrondis, disposés en ligne au-dessus du second clavier. Le nom des jeux est sérigraphié sur les dominos (pas de porcelaines), en vert pour la pédale, en noir pour le grand-orgue, et en rouge pour le récit. Il y a des dominos pour les 2 accouplements à l'octave (commande simple) mais pas pour les accouplements à l'unisson. Claviers blancs. Appel des combinaisons fixes par poussoirs situés sous la deuxième octave du premier clavier : de gauche à droite : l'annulateur "AN.", le Tutti sans anches "T.T." et le Tutti proprement dit "T.A.A".

Les commandes au pied sont, de gauche à droite, d'abord 3 pédales-cuillers : "I/PED. 8'", "II/PED. 8'", "II/I 8'", puis la pédale basculante de la boîte expressive: "EXPR. RECIT". Pas de crescendo. Voltmètre, placé en haut à gauche, gradué jusqu'à 15V.

Plaque d'adresse placée en haut à droite (symétriquement au voltmètre), constituée d'une plaque en plastique noire aux lettres blanches :

MANUFACTURE DE GRANDES ORGUES
G. SCHWENKEDEL & FILS
STRASBOURG-KOENIGSHOFFEN
1957 OPUS 137

Ce modèle de console a été construit à plusieurs reprises. Par exemple la même année (1957) à Jebsheim et à l'hôpital départemental de Colmar, ou l'année suivante au couvent des Rédemporistes. Il en existe une version plus "cossue" à Elsenheim (1959). Ce sont les dernières, car déjà à l'église protestante d'Uhrwiller (1958, opus 145) ou à l'église protestante St-Jean de La Montagne-Verte (1958, opus 147) on trouve une console "néo-baroque" en fenêtre, mécanique, commandant des sommiers à gravures.

Transmission:

Electrique.

Sommiers:

Les sommiers sont à cônes. (Mais les électro-aimants ont l'air de tirer une vergette.) L'orgue est en deux parties, pour dégager la baie ronde du fond de la tribune. Le grand-orgue est logé dans la partie gauche, derrière la façade, diatonique en "M" (basses sur les côtés), et la pédale au fond. Le récit est placé dans la partie droite ; il est lui aussi diatonique, en M. La boîte expressive est extrêmement effciace, ce qui permet d'utiliser la Trompette même dans les Pinanissimi.

Tuyauterie:
Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue (à gauche),
avec, à droite, quelques tuyaux de pédale. Ordre des chapes du grand-orgue,
depuis la façade jusqu'à la passerelle :
Montre, Prestant, Bourdon, Fourniture.Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue (à gauche),
avec, à droite, quelques tuyaux de pédale. Ordre des chapes du grand-orgue,
depuis la façade jusqu'à la passerelle :
Montre, Prestant, Bourdon, Fourniture.
La tuyauterie du récit. De gauche (fond) à droite (accès) :
Salicional, Bourdon 8', Voix céleste, Flûte conique 4', Nasard, Doublette, Tierce, Trompette.La tuyauterie du récit. De gauche (fond) à droite (accès) :
Salicional, Bourdon 8', Voix céleste, Flûte conique 4', Nasard, Doublette, Tierce, Trompette.

Le monde de l'orgue actuel discrédite souvent les instruments issus de cette période. Sans y aller voir, on les qualifie volontiers d'orgues "dommages de guerre". Sous entendu : réalisés à l'économie, et avec des matériaux de peu de valeur. C'est faire peu de cas d'une époque où l'on assiste en fait à un foisonnement d'idées, et sans laquelle toute la suite "néo-baroque" - tant encensée par nos théoriciens - n'aurait pas été possible. Dans les années 50, on avait par exemple établi, après quelques décennies d'usage, que le zinc et le spotted donnent d'excellents résultats pour construire des tuyaux. Certes, il sont un peu plus difficiles à harmoniser, mais donnent des résultats splendides entre les mains d'un harmoniste compétent. Il était donc logique d'en faire un usage intensif. Le zinc et le spotted (alliage plomb / étain) n'avaient qu'un défaut : ils n'étaient pas assez chers ! Et voilà que l'organologie de la fin du 20ème accusa les années 50 d'avoir utilisé des "matériaux bon marché", "des tuyaux de gaz" (ou de gouttière), etc... D'autres expressions péjoratives ont été inventées, tout comme des "excuses" un peu condescendantes, expliquant qu'à l'époque, les matériaux de qualité n'étaient pas disponibles. Jamais, on ne semble avoir seulement envisagé que acteurs de l'orgue des années 50 ont fait leurs choix sur des critères esthétiques ou des spécifications techniques rigoureuses !

Une fois assis à la console, et après avoir mis de côté les idées reçues, on trouve un instrument agréable à jouer, polyvalent, et qui répond donc "partant" pour tous les styles, évidemment à sa façon. Avec leurs grands claviers et pédalier, et leur configuration ergonomique, ces orgues ne limitent pas le jeu de façon artificielle : la limite, elle vient de soi-même, de ses performances d'organiste, qui ne demandent qu'à s'accroître par le travail. L'expérience est donc très motivante. Il y a de plus un potentiel pédagogique : l'orgue est tout ouvert est facilement accessible, ou du moins à portée de vue ; la palette sonore est fort étendue, malgré le nombre début jeux. Enfin, après s'être souvenu ce que cet orgue raconte de l'histoire de notre région, on ne peut que s'enthousiasmer pour son côté cohérent, intègre et authentique : dans un paysage alsacien désormais appauvri par la mono-culture léguée par l'étouffant "Silbermann-ci, Silbermann-ça", c'est un vrai vent de fraîcheur !

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670545001P04
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