Située au fond de la vallée de Munster, juste sous le Hohneck et le col de la Schlucht, la localité d'Ampfersbach fait à présent partie de la commune de Stosswihr. Son orgue post-symphonique est l'œuvre de Joseph Rinckenbach, et date de 1927.
Historique
Le premier orgue d'Ampfersbach est venu de Baldersheim, Sts-Pierre-et-Paul en 1872 (trois ans après l'achèvement de l'église). L'instrument y avait été posé en 1790 par le fameux Joachim Henry, qui se livra à bon nombre de trafics d'orgues pendant la Révolution. [IHOA]
Historique
A la Belle époque (1906), Ampfersbach reçut un orgue construit par Martin et Joseph Rinckenbach. [IHOA]
C'est Henri Wiltberger qui assura la réception de l'instrument, en juin 1906 : celle-ci fut d'ailleurs élogieuse ! Cet orgue de 13 jeux était contemporain des instruments de Kogenheim, du Hohwald, de Murbach ou de Waldighoffen.
On ne sait pas grand chose de cet instrument, et on ne peut qu'essayer d'en déduire les caractéristiques à l'aide de ses contemporains qui ont été conservés. Sa disparition, après 1918, est associée à un autre mystère : celui de la console de l'orgue de la chapelle Notre-Dame des Chênes d'Ermont (95). L'historique de cet instrument (jusqu'ici non attribué) indique une construction en 1864, et deux déménagements successifs, par Edmond-Alexandre Roethinger (1904 vers Paris) et Max Roethinger (1965 vers Ermont). Or, la console, quoique modifiée, ressemble tellement à une console Martin et Joseph Rinckenbach que son origine paraît ne faire aucun doute. Il n'y a pas d'autre console d'Ammerschwihr de cette époque dont on ignore le destin. Il est donc tout à fait possible que ce soit elle qui se trouve aujourd'hui à Ermont.
L'instrument fut victime de la guerre, en 1915 : l'église, située juste sur la ligne de front, a été entièrement détruite. Seule la statue de la Vierge du parvis fut épargnée. On reconstruisit une nouvelle église, qui fut inaugurée le 21/10/1926. [IHOA]
Historique
Pour la nouvelle église, Joseph Rinckenbach construisit en 1927 l'opus 182 de la maison d'Ammerschwihr. [IHOA] [ITOA] [Barth]
C'était donc le deuxième Rinckenbach d'Ampfersbach. Mais, depuis 1906, le contexte avait bien changé : la réception, effectuée par François-Xavier Mathias le 06/08/1927, fut assez incompréhensible. Il lança : "Orgue brutal, criard, grossier, insupportable ; effet de cinéma." [IHOA]
Comme tout ce qui est excessif, cela n'est pas très significatif, et semble plutôt indiquer qu'il devait y avoir une partie de "politique" dans cette évaluation. Si on veut bien admettre que le nouvel instrument était plus "néo-classique" que les orgues d'avant guerre, cette réaction sur-jouée trahit probablement des enjeux étrangers au contexte artistique. On sait que l'autre Mathias (Martin) était un ardent un supporter d'Edmond-Alexandre Roethinger : peut-être y a-t-il eu confusion entre les deux ? Si c'est bien de François-Xavier qu'il s'agit, il est possible que l'évolution de la facture de Rinckenbach, avec sa part de ce que l'on appellera plus tard "néo-classique" ne convenait pas à ce que souhaitait Mathias. Mais justement, le "néo-classique" de Rinckenbach était beaucoup plus doux (et en tous cas moins criard) que ce qui se pratiquait déjà dans les années 20. Il est fréquent de reprocher aux autres ses propres défauts, et le terme "criard" a peut-être été utilisé pour un orgue promu par Mathias. En tous cas, l'examen de la tuyauterie ne semble pas montrer de ré-harmonisation, et il est fort probable que l'orgue d'Ampfersbach (à l'exception des 3 jeux de 1974, qui pour le coup, peuvent être qualifiés de criards...) sonne toujours comme en 1927.
Cela reste intéressant (quoique mystérieux), car l'année suivante, Joseph Rinckenbach signa à Schweighouse-près-Thann un instrument à l'harmonisation beaucoup plus vigoureuse (surtout depuis la tribune : comme souvent, il faut l'écouter d'en bas). On se demande quels mots Mathias aurait utilisés à l'examen de cet orgue. Et surtout comment il aurait qualifié les jeux ajoutés à Ampfersbach en 1974...
Mathias étant d'évidence de mauvaise foi, Joseph Rinckenbach fit simplement faire une contre-expertise par Auguste Schmidlin. [IHOA]
Il s'agissait d'Auguste Schmidlin (Blotzheim, 27/04/1878 - Strasbourg, 30/06/1943). Ordonné en 1901, il a été professeur de chant au collège de Zillisheim, et, à partir de 1925, aumônier de l'hôpital Ste-Odile à Strasbourg. Compositeur, il est l'auteur de nombreuses œuvres vocales. [RMuller]
Il est difficile de savoir s'il est apparenté à Georges Schmidlin (Bartenheim, 09/02/1861 - Colmar, 09/01/1950), qui fit ses études musicales à Munich, Leipzig et Bâle, puis exerça comme professeur à St-Brieuc et Graz. En 1894, Georges devint organiste à Colmar-St-Martin, et connut de chef d'œuvre de Joseph Rinckenbach construit là-bas en 1911 (et sacrifié en 1979 sur l'autel du néo-baroque et des lubies "nordiques"). On vit intervenir Georges Schmidlin à plusieurs reprises : par exemple à Bartenheim en 1909 (pour recevoir l'orgue Martin et Joseph Rinckenbach du lieu, malheureusement détruit en 1934 lors d'un incendie), en 1924 à St-Hippolyte, mais aussi à Muhlbach-sur-Munster ou Winkel en 1930. [RMuller]
Il est aussi difficile de voir s'ils sont apparentés à l'historien et théologien Joseph Schmidlin (1876 - mort assassiné au camp de Schirmeck en 1944). Ce dernier était le fils d' Augustin Schmidlin (1841-1915), instituteur dans le Sundgau. Mais il est fort probable qu'Auguste était le frère de Joseph. [RMuller]
Voici la belle composition de l'orgue Rinckenbach, caractéristique du style post-symphonique alsacien :
Hélas, ce bel orgue, comme beaucoup d'autres, ne traversa pas la "période noire" (1960-2000) sans mutilations : en 1974, on demanda à Alfred Kern de supprimer trois jeux d'origine pour les remplacer par des "petits jeux". Depuis lors, cet orgue qui était 100% authentique, ne l'est plus. [IHOA] [ITOA]
Alfred Kern retira malheureusement le Bourdon 16', la Voix céleste et le Nasard, pour les remplacer par des jeux à la mode et étrangers à l'esthétique de l'instrument : une Fourniture 3 rgs, une Sesquialtera (le fameux "orgue nordique" sévissait), et une Doublette. [IHOA] [ITOA]
Le buffet
Le buffet de 1927 est l'œuvre de la maison Rudmann et Guthmann, de Logelbach. Cette maison a construit plusieurs buffets d'orgue à cette époque, comme par exemple celui de Bisel. De style néo-classique, il est en parfaite harmonie avec l'édifice (pour lequel il a été conçu en 1927), en particulier avec les fresques ornant les coins du plafond.
Dans les années 20 et 30, de nombreux orgues ont été logés dans des buffets venant d'un instrument précédent, souvent de qualité inégale. Les buffets originaux des années 20 et 30 illustrent le talent des menuisiers de l'époque, qui n'ont décidément rien à envier à leur prédécesseurs. Ici, l'orgue et son buffet sont contemporains et en parfaite harmonie, non seulement ensemble, mais avec l'édifice.
Les tourelles latérales, rondes à 5 tuyaux et à entablements, sont d'inspiration classique française. L'ornementation est constituée de jouées, claires-voies, et de riches couronnements finement ajourés. La grande plate-face centrale, elle, rappelle plutôt le 19ème, comme la largeur du soubassement, égale à celle des superstructures. Les tuyaux de façade sont d'origine, puisqu'ils sont postérieurs à 1917.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines de couleur, placés en ligne au-dessus du second clavier. Les porcelaines sont à fond blanc pour le grand-orgue, bleu clair pour la pédale, et rose pour le récit.
Claviers blancs, à frontons biseautés.
Commande des accouplements par pédales à accrocher. De gauche à droite : "II-I oct.grave" (II/I 16'), "II-P", "I-P", "II a.-I". Suivent la pédale à bascule de l'expression du récit ("Expression") et la commande du trémolo du récit par pédale à accrocher ("Tremolo II"). Les porcelaines rondes repérant les tirasses sont d'origine, mais réalisées avec une fonte "sans serif" plus moderne.
Commande des combinaisons fixes par pistons blancs, placés sous le premier clavier. De gauche à droite : "P", "F.", "T" (tutti), "O" (annulateur).
Banc d'origine, modern style, où la lyre "historique" de la maison Rinckenbach a évolué en 4 échancrures verticales allongées.
Plaque d'adresse située à droite, à hauteur du premier clavier, sur la partie inclinée, en laiton incrusté :
Cette console est de type Ingersheim / Scherwiller (conçues juste après-guerre). Mais la raison sociale de l'entreprise a changé en 1926 : c'est ici "J. Rinckenbach et Cie". C'était déjà le cas à Kintzheim (opus 173, 1926), et jusqu'en 1928. (Par exemple sur la console du Bonhomme, 1928.) On retrouve aussi cette plaque (portant le numéro d'opus 183) à Montebourg (Manche).
Pneumatique tubulaire, notes et jeux, très précise et agréable.
A membranes, de Rinckenbach. Les sommiers du grand-orgue sont diatoniques en "M" (basses aux extrémités). Deux sommiers diatoniques au récit, également en "M".
La tuyauterie est très belle et homogène, à l'exception des trois jeux "verrues" de 1974 : comment peut-on faire ça un un bel orgue de cette classe ? La tuyauterie d'origine a toutes les caractéristiques de la facture romantique : entailles de timbre, Bourdons à calottes mobiles, biseaux à dents.
Normalement, les tuyaux graves de la Montre ne pouvant pas prendre place en façade sont construits en bois et intégrés au reste de la tuyauterie intérieure. Mais là, ce sont deux tuyaux métalliques (un de chaque côté) qui ont été "mis en scène". Evidemment, cette disposition est bonne d'un point de vue acoustique, mais cela n'était pas indispensable. Joseph Rinckenbach voulait rendre ses orgues intéressants vus de l'intérieur : il était coutumier du fait "d'exposer" un ou deux tuyaux. (Par exemple le "C" de l'Octave 4' à Bourbach-le-Haut.) C'est sûrement une fantaisie de facteur, à une époque où on pouvait encore se les permettre. Cela démontre surtout le soin et l'intérêt portés à la réalisation de ses instruments.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Bernard Jaeglin.
Photos du 11/07/2020.
Photos du 11/07/2020.
Pour les Schmidlin.
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