La localité de Mittlach est nichée presque au fond de la vallée de Munster, "Do wo d'Wält met Bratter züe genägelt esch" ("Là où on a cloué des planches pour fermer le monde"). Ce n'est une commune indépendante que depuis 1908. L'église catholique a été construite en 1928, et bénie le dimanche de Pentecôte 1929. Le clocher est couvert d'un toit à deux pentes, ce qui n'est pas courant dans la vallée. L'édifice a presque immédiatement été doté d'un orgue : il a été construit en 1929 par Edmond-Alexandre Roethinger, et a été inauguré le 21/04/1930.
Historique
En 1929, Edmond-Alexandre Roethinger plaça à Mittlach son opus 123. [IHOA] [ITOA] [Barth] [SWernain]
C'est François-Xavier Mathias qui fut chargé de l'inauguration, le lundi de Pâques 1930. [SWernain]
En 1926, Mittlach comptait 512 habitants : un orgue de cette importance (II/P 17 jeux avec toutes les options) était clairement "a Koleümes", selon l'expression locale qui signifie "une petite folie". En tous cas, un effort considérable. Rien n'a été fait à l'économie : le buffet en chêne, son ornementation, ainsi que certaines données techniques (octaves aiguës réelles) sont là pour en témoigner.
Dans l'œuvre de Roethinger, cet orgue fait partie d'une génération d'instruments qui aboutiront, en 1933 au grand quatre-claviers de Bischheim, St-Laurent. Depuis 1927 (Ecole St-Sigisbert de Nancy), Roethinger maîtrisait la transmission électro-pneumatique. Il lui associait volontiers ses sommiers préférés : à cônes. En 1929 à Liebsdorf, Roethinger construisit un instrument fort voisin de celui de Mittlach : mêmes techniques, console analogue, même appel "Harmonia aetheria", même pédale, et les compositions sont très voisines, à une différence près : à Liebsdorf, le récit est fondé sur 16' et pas le grand-orgue. Muhlbach-sur-Munster (opus 122) et Mittlach (opus 123) en sont les directs héritiers. A Muhlbach, toutefois, il n'y a pas les mutations au récit, aucun manuel n'est fondé sur 16', mais il y a une anche 16' de pédale. Les consoles voient l'arrivée des plaques d'adresse à fond doré (on en retrouve une à Pulversheim) et... de l'acajou. L'utilisation par la maison Roethinger de cette essence, pourtant précieuse, sera intensive jusque dans les années 60.
Il y avait aussi dans la vallée un autre orgue Roethinger remarquable et pratiquement contemporain : celui de l'église St-Léger à Munster (1929). Dans un buffet néo-gothique somptueux, il regroupait 35 jeux sur trois claviers et pédale. Ainsi que 13 accouplements. Il a malheureusement été détruit en 1974, victime de la vague "néo-baroque" qui a tant appauvri notre patrimoine.
On est donc en présence d'un véritable style, cohérent, fait d'influences et d'évolutions : les "modèles" sont déclinés, partagent des caractéristiques communes fortes, mais ne sont jamais reproduits à l'identique.
Après la seconde guerre mondiale, il y eut une réparation, en 1958, par Ernest Muhleisen. L'orgue fut par la suite régulièrement et respectueusement entretenu : [IHOA]
En 1987, il y eut un relevage par la maison Alfred et Daniel Kern. Hubert Brayé, à qui l'instrument sera confié plus tard, a fait partie de l'équipe chargée des travaux en 1986-87. [IHOA] [Visite]
L'inauguration a eu lieu le 04/10/1987, Gérard Wisson tenant l'orgue, avec le concours de la chorale cantonale sous la direction d'Alfred Ansel. [SWernain]
En 1996, Richard Dott posa un nouveau soufflet. [IHOA] [SWernain]
En 2017, Hubert Brayé effectua un relevage. [Visite]
Les claviers ont été re-plaqués, avec de l'os repris sur des touches d'un piano ancien dont le cadre était fendu (cela explique à la fois leur état impeccable et leur patine). [Visite]
Suite à ces travaux, l'orgue a été inauguré le 01/10/2017 par Bernard Ott et Samuel Wernain, avec David Goltzene (trompette), et les chorales Ste-Cécile de la région, réunies sous la direction de Jean-Paul Wernain. Au programme, des œuvres de Büsser, Bach, Gandrille, Fauré, Boëllmann, Franck, Bohn, Mozart, Kempf, de Grigny et Zwart. [Visite]
Le buffet
Le buffet est en chêne, de style néo-roman comme l'édifice. Il est l'œuvre de Joseph Driesbach, de Munster (auquel on doit également le buffet de Muhlbach-sur-Munster ou celui de l'orgue Rinckenbach d'Eglingen.) Trois tourelles plates sont séparées par deux plates-faces doubles. Des arcades surplombent les tourelles latérales, tandis que la centrale, moins haute, reçoit un chevron et une croix (comme les couronnements du chemin de croix de l'édifice). L'origine du dessin de ce buffet paraît se situer à Climbach (1899). Là-bas, le buffet de l'orgue Roethinger est (très) néo-gothique, mais le dessin de Mittlach paraît en être la déclinaison néo-romane : la tourelle centrale a été abaissée, les tourelles latérales sont devenues plates, et l'ornementation adaptée (galeries supérieures venant remplacer les gâbles néo-gothiques). De plus, des podiums triangulaires ont été disposés à la base des tourelles latérales, ce qui, avec la ligne des bouches en chevron, donne l'impression de tourelles en tiers-point : c'est le cas à Climbach, et paraît donc confirmer la parenté. On a même probablement cherché à l'accentuer avec cette disposition des tuyaux.
La ceinture du buffet s'orne d'une frise cannelée (élément caractéristique du style néo-roman), et les couronnements sont finement sculptés de motifs floraux.
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines, disposés en ligne au-dessus du second clavier. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale. Le mot "pieds" est abrégé en "pds" (en indice) et non avec l'apostrophe, sauf pour les Mutations. Clavier blancs, replaqués en 2017.
Tous les accouplements sont commandés au pied, au moyen de pédales en bois protégées par une plaque métallique vissée. Le repérage est assuré par des plaques blanches à lettres noires, et "en toutes lettres". De gauche à droite : "Pédale-Récit" (II/P), "Pédale-Grand Orgue" (I/P), "Octaves aiguës Réc.-Grand Orgue" (II/I 4'), "Octaves graves Réc.-Grand Orgue" (II/I 16'), "Grand Orgue Octaves aiguës" (I/I 4'), "Octaves graves-Grand Orgue" (I/I 16'), "Grand Orgue-Récit" (II/I). Viennent ensuite les deux grandes pédales basculantes : "Pédale dynamique" (Crescendo), et "Expression" (boîte du récit). A leur droite, une pédale du même modèle que celles pour les accouplements, repérée "Trémolo" commande le trémolo du récit. Pas d'indicateur de position du crescendo, ni d'appel/annulateur (les jeux s'ajoutent simplement à la registration manuelle s'ils ne sont pas déjà tirés).
Commande des combinaisons fixes par pistons, situés au centre, sous le premier clavier. Ils sont repérés par de petites porcelaines rondes. De gauche à droite : "P" (le piston d'origine a été remplacé par un champignon, façon années 50), "MF", "F", "Tutti ohne Zungen", "Tutti mit Zungen", et "A" pour l'annulateur (piston noir).
Plaque d'adresse constituée de deux éléments à fond doré et lettres noires, placés à gauche et à droite, à la hauteur de la base des dominos, et disant, à gauche :
Et à droite :
L'année de construction ne figure pas.
Electro-pneumatique, d'origine.
Sommiers à cônes.
Le grand-orgue, chromatique, est placé en avant, derrière la façade, légèrement décalé vers la gauche, basses à gauche. Les tuyaux de façade (29 de la Montre 8' et 14 du Prestant) sont alimentés par des relais pneumatiques (des tubulures en plomb relient les relais au sommier, et ils sont alimentés spécifiquement par des porte-vents cylindriques. Il n'y a que 6 chanoines.
La pédale est logée du côté droit. Les deux rangs (le Bourdon doux et la Soubasse partagent les mêmes tuyaux) sont disposés orthogonalement à la façade. Les tuyaux bouchés commencent (pour les plus graves) dans le coin arrière droit, et remontent chromatiquement vers l'avant, puis font demi-tour et repartent vers l'arrière, où l'on trouve donc à la fois les plus grands et les plus petits (le medium étant vers l'avant). Le Violoncelle est à gauche, et adopte la même logique, mais cette fois sur une seule ligne, si bien que l'on trouve les graves et les aigus "en quinconce".
Le récit est placé de façon traditionnelle, au fond et un peu en hauteur. Il est chromatique, avec les basses à gauche. Pour permettre d'entendre les octaves aiguës (II/I 4') dans la dernière octave, le sommier du récit est doté de 12 notes supplémentaires : C-g'''', soit 68 notes (alors que le clavier n'en a que 56). Tous les jeux sont dotés de ce complément, sauf la Tierce et la Trompette.
Réservoir à plis parallèles, placé dans un local à droite de l'orgue. La soufflerie a été rénovée en 1996. Il y a un anti-secousses au centre du soubassement.
La tuyauterie est de belle facture, entièrement homogène, et en parfait état. Un grande majorité des tuyaux métalliques sont en Spotted, avec des basses en zinc. Etoffe pour les aigus des Bourdons. Une fois de plus, on ne peut que s'enthousiasmer pour la qualité de l'harmonisation des jeux en Spotted et en zinc : il faut absolument reconnaître la grande valeur de ces matériaux en facture d'orgues.
La "mauvaise réputation" du zinc, apparue à la fin du 20ème siècle, n'est absolument pas fondée. Elle vient probablement du fait que le Spotted et le zinc, plus résistants, sont plus difficiles à harmoniser, et que certains facteurs, peu compétents dans ce domaine, ont alors prétendu que les seuls métaux valables sont l'étain et l'étoffe. L'harmonisation est tellement réussie qu'on ne peut pas trouver, à l'oreille, les points de transition entre les matériaux. Cela prouve une fois de plus que l'importance de la matière avec laquelle est faite le tuyau a été largement exagérée. Ce qui compte, c'est l'harmonisation.
Les techniques de la facture romantique sont ici exploitées avec une grande maturité : biseaux à dents, bouches arquées, entailles de timbre.
Il y a au récit des entailles de timbre en forme de trou de serrure. En Alsace, on les trouve très fréquemment chez Martin Rinckenbach, dans les années 1880 à 1917, mais rarement en dehors de son œuvre. Son fils Joseph ne les a jamais pratiquées, mais on les retrouve dans des orgues de Franz Xaver Kriess (Uttenheim, 1892). Il est probable que cette technique vienne d'Allemagne (Weigle) (Il y en a à Bischwihr). Roethinger avait peut-être, dans son atelier, un employé issu de cette école.
Les Bourdons métalliques ont des calottes mobiles. Ceux en bois ont une lèvre inférieure vissée en chêne, et le débit d'air entrant dans le pied est réglé par un cylindre fileté. Toute la tuyauterie est repérée par des poinçons ou tamponnée à l'encre.
Cet instrument, comme la plupart de ses contemporains, n'a pas fait l'objet de nombreuses publications. Même les inventaires font "service minimum". A la fin du 20ème siècle, à la seule vue d'une console pneumatique, les "théoriciens" de l'orgue passaient aussitôt leur chemin, repartant à la recherche de quelque hypothétique "Silbermann perdu" qui aurait assuré leur notoriété. Pour se justifier, ils annonçaient sentencieusement que la pneumatique "est un mauvais système", "n'est pas fiable", "induit un retard au jeu", etc... Des défauts qui apparaissant sur des instruments peu ou mal entretenus. De nombreux orgues de la période post-symphonique ont été ainsi gravement altérés, ou simplement détruits et remplacés par des instruments néo-baroques "standards". Cela a conduit à un appauvrissement culturel, mais surtout à la perte d'un important patrimoine issu des années 1890-1935, qui ont pourtant vu l'émergence d'un vrai style d'orgue, spécifiquement alsacien, pratiqué par Joseph Rinckenbach ou Georges Schwenkedel (de 1924 à la guerre). Et bien sûr Edmond-Alexandre Roethinger, qui avait été le porte-drapeaux de la "Réforme alsacienne de l'orgue".
Grâce à un entretien respectueux, et en particulier un relevage absolument exemplaire en 2017, l'orgue de Mittlach est resté entièrement authentique. Il est de plus régulièrement mis en valeur. Il est ainsi devenu un précieux témoin de son époque et de ce style unique des années 30, marquées artistiquement par une ambiance souvent mystique (Charles Tournemire, Maurice Duruflé : "Prélude, Adagio et Choral varié sur le Veni Creator"), parfois tourmentée et angoissée (avec raison... ; Jehan Alain : "Choral dorien"), mais sachant aussi être dansante (Jehan Alain : "Trois Danses").
C'est avant tout un instrument de musique exceptionnel : par la magie des accouplements à l'octave, ses 17 jeux peuvent sonner comme un instrument symphonique beaucoup plus important. Il offre à son organiste une dynamique impressionnante, un grand confort de jeu, et donne accès à un très large répertoire. La transmission électro-pneumatique est agréable et précise, et les sommiers à cônes permettent cette harmonisation enthousiasmante. Cet orgue, avec ses contemporains qui ont conservé leur authenticité, offre les clés pour imaginer une facture du 21ème siècle qui cesse de tourner en rond autour de 1750, pour se nourrir de techniques et d'idées issues des années 1920. Elles ont été abandonnées en 1950 sans que tout leur potentiel ne soit révélé, et constituent des "pistes" prometteuses pour les facteurs talentueux.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Claudine Jeanmaire.
Relevé technique, photos du 15/09/2018.
Travaux de 1987 et 1996 ; photos de 2005; remerciements à Bernard Zingle. Historique de l'église et de l'orgue, affiché à l'entrée.
Le Salicional 8' du récit est réel, pas emprunté. Il manque le trémolo. Il y a 7 accouplements, et non 6.
Le Bourdon doux de pédale n'est pas un emprunt du G.O., mais la Soubasse alimentée moins fort. La transmission est électro-pneumatique.
im68011953
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