L'église catholique de Muhlbach-sur-Munster a été consacrée le 26/05/1929. L'orgue arriva seulement quelques mois plus tard, et on peut donc dire que l'édifice et l'instrument sont contemporains. En tous cas, il sont idéalement assortis. Cet orgue, exceptionnellement réussi et conservé, fait partie d'un arc de créations de la maison Roethinger allant de l'ancienne Synagogue (place des Halles) de Strasbourg (1925) à Bischheim (1933), qui décrit une évolution de ce que l'on a appelé "la réforme alsacienne de l'orgue".
Historique
En 1929, Edmond-Alexandre Roethinger construisit pour Muhlbach son opus 122. [IHOA] [Barth] [AMun1960] [Muhlbach2005]
L'inauguration eut lieu le lundi de Pâques (21/04/1930), le même jour (!) que celle de l'orgue de Mittlach. Elle a été assurée par Georges Schmidlin. [Muhlbach2005]
Georges Schmidlin était organiste à Colmar, St-Martin, donc du somptueux instrument de Martin et Joseph Rinckenbach, 1911, le plus grand des Rinckenbach, massacré en 1976 sur l'autel du "néo-baroque" et des lubies "nordiques". On vit intervenir Georges Schmidlin à plusieurs reprises : par exemple à Bartenheim en 1909, en 1924 à St-Hippolyte, mais aussi à Muhlbach-sur-Munster ou Winkel en 1930. Certainement aussi à Petit-Landau. [RMuller]
Schmidlin était enthousiasmé. Dans son rapport d'expertise, il déclare "Cet orgue en somme de dimensions restreintes est dans le Tutti, grâce aux nombreux accouplements, d'un effet vraiment imposant."
(Et dire qu'à l'origine, il n'y avait pas encore la Bombarde 16' de pédale !) C'est un peu ce qui caractérise ces instruments : une certaine économie de moyens, conjuguée avec une mise en valeur optimale des ressources disponibles. C'est une démarche résolument "moderne" !
L'orgue de Muhlbach, s'il est l'exact contemporain de celui de Mittlach, l'était aussi de la merveille construite par Roethinger à Munster. (Aujourd'hui disparue, car également massacrée sur l'autel du néo-baroque, cette fois en 1974.) Ces instruments ont été construits dans la même dynamique, et constituaient un style original, une évolution des travaux menés par Emile Rupp et Albert Schweitzer dès le début du siècle.
Il extste une photo de 1949 montrant Albert Schweitzer à la console de cet orgue : il vint le jouer à l'occasion de la consécration des cloches. [Muhlbach2005]
Il faut noter qu'à l'origine, il était prévu d'utiliser une traction pneumatique tubulaire. Mais en cours de projet, on opta pour l'électro-pneumatique, sur proposition de Roethinger. S'il n'y avait pas d'anche de 16' de pédale à l'origine, d'autres jeux étaient envisagés (comme par exemple une Clarinette). [Muhlbach2005]
La Flûte pastorale 4'
L'instrument met en valeur un jeu spécifique à la maison Roethinger, que l'on retrouve par exemple à Wittelsheim, Liebsdorf, Saint-Bernard, ou Marlenheim : il s'agit d'une Flûte 4' étroite, aux bouches retroussées, bouchée (sauf dans l'extrême aigu), et qui quintoie un peu. (Mais moins que ne le ferait un Quintaton 4'.) Le son est vraiment très "pastoral", si bien qu'elle n'usurpe pas son nom.
L'abbé Gérédis
En 1936, un curé musicien fort célèbre dans le monde de l'orgue prit ses fonctions à Muhlbach : l'abbé Raymond Gérédis.
Dès 1938, l'abbé Gérédis parvint à doter l'orgue de son complément indispensable : une anche 16' de pédale. [SWernain] [Muhlbach2005]
Il donnait des concerts d'orgue à Muhlbach. On connaît les compositeurs au programme de ceux du 25/07/1937 et du 25/08/1938 : respectivement Bach, Widor, Vierne, et Bach, Mozart, Franck, Gounod, Pierné... [Muhlbach2005]
Par la suite, l'instrument n'a subi aucune modification : il a simplement été soigneusement entretenu. Il n'a nécessité aucune réparation majeure en 70 ans ! [Muhlbach2005]
L'instrument a été confié en 2005 à Jean-Christian Guerrier pour un relevage. [Muhlbach2005]
Le concert inaugural a eu lieu le 28/08/2005, avec Maurice Moerlen aux claviers. Au programme : Henri Busser (1872-1974), Eugène Gigout, Charles-Marie Widor (Andante de la 4ème, Pastorale de la 2ème), Louis Vierne (Allegro vivace de la 1ère), et Charles Tournemire (la fameuse improvisation sur le Te Deum reconstituée par Maurice Duruflé). [Muhlbach2005]
Le buffet
Le buffet, en chêne, de style néo-classique, est dû au sculpteur Joseph Driesbach (Munster), qui fournit également une bonne partie du mobilier de l'église. [SWernain]
Ces buffets sont inspirés par l'orgue classique français (tourelles rondes à entablements, ornementation "canonique" constituée de claires-voies, jouées, culots sculptés). Mais le nombre de tuyaux dans les tourelles, supérieur à 5, et surtout la largeur du soubassement égale à celle de la super-structure font que ce buffet n'est pas un simple pastiche du style parisien du 18ème. Au sommet des plates-faces, les sculptures font à la fois claires-voies (destinées à masquer le haut des tuyaux) et rinceaux (destinés à surmonter la plate-face et éviter une ligne droite). On peut y voir l'influence esthétique de Jacque Besançon. (Voir Bergholtz.)
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines, disposés en une ligne ininterrompue au-dessus du second clavier. (Pas de groupes espacés par plan sonore.) Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale. Le mot "pieds" est abrégé en "pds" (en indice) et non avec l'apostrophe. Clavier blancs. Touches à frontons biseautés.
Tous les accouplements sont commandés au pied, au moyen de pédales à accrocher, en bois et revêtues d'une plaque métallique vissée. Le repérage est assuré par des plaques blanches à lettres noires, et en toutes lettres. Les pédales sont disposées sur deux lignes, en quinconce. Ligne supérieure, de gauche à droite : "Octaves graves Réc.-Grand Orgue" (II/I 16'), "Octaves aiguës-Grand Orgue" (I/I 4'), "Octaves graves-Grand Orgue" (I/I 16'), "Récit-Grand Orgue" (II/I). Ligne inférieure : "Pédale-Récit" (II/P), "Pédale-Grand Orgue" (I/P), "Octaves aiguës-Récit (II/II 4'), "Octaves graves-Récit (II/II 16'), "Octaves aiguës Réc.-Grand Orgue" (I/I 4'). Viennent ensuite les deux grandes pédales basculantes : "Crescendo-Général", et "Expression II." (boîte du récit). A leur droite, une pédale du même modèle que celles pour les accouplements, repérée "Trémolo II." commande le trémolo du récit. Pas d'indicateur de position du crescendo, ni d'appel/annulateur : les jeux s'ajoutent simplement à la registration existante s'ils ne sont pas déjà tirés.
Commande des combinaisons fixes par pistons, situés au centre, sous le premier clavier. Ils sont repérés par de petites porcelaines rondes. De gauche à droite : "P", "MF", "F", "Plein Jeu" (Tutti sans anches), "Grand Jeu" (Tutti), et "A" pour l'annulateur.
Plaque d'adresse constituée de deux éléments à fond doré et lettres noires, placés à gauche et à droite, un peu plus haut que les dominos, et disant, à gauche :
Et à droite :
L'année de construction ne figure pas.
Electro-pneumatique, d'origine, d'excellente qualité et très fiable.
Sommiers à cônes.
Le grand-orgue, chromatique, est placé en avant, derrière la façade, légèrement décalé vers la droite, basses à droite. Les tuyaux de façade sont alimentés par des relais pneumatiques.
La pédale est logée du côté gauche. Les trois rangs (le Bourdon doux et la Soubasse partagent les mêmes tuyaux) sont disposés orthogonalement à la façade, basses au fond.
Le récit est placé de façon traditionnelle, au fond et un peu en hauteur. Il est chromatique, avec les basses à droite. Pour permettre d'entendre les octaves aiguës (II/I 4') dans la dernière octave, le sommier du récit est doté de 12 notes supplémentaires : C-g'''', soit 68 notes (alors que le clavier n'en a que 56).
La boîte expressive du récit est extrêmement efficace, et permet de jouer p et pp avec plusieurs jeux.
La tuyauterie est de belle facture et en parfait état. Un grande majorité des tuyaux métalliques est en Spotted, et il y a également des basses en zinc, ce qui permet d'en limiter le poids. Etoffe pour les aigus des Bourdons. Une fois de plus, on ne peut que s'enthousiasmer pour la qualité de l'harmonisation des jeux en Spotted et en zinc : il faut absolument reconnaître la grande valeur de ces matériaux en facture d'orgues !
Les techniques de la facture romantique sont ici exploitées avec une grande maturité : biseaux à dents, bouches arquées, entailles de timbre.
C'est un instrument de 14 jeux... qui sonne comme un orgue de cathédrale. Non pas qu'il soit très fort : ce n'est pas un orgue pour "faire du bruit". Il se caractérise par la plénitude et la richesse de ses timbres. Evidemment, l'origine de la "magie", ce sont les accouplements à l'octave : l'instrument est conçu pour cela. On dispose, de fait, une batterie d'anches complète (16', 8', 4' au récit expressif) ! Et aussi de beaucoup de timbres caractéristiques des registrations de l'orgue symphonique français : si on peut objecter qu'il n'y a pas de Hautbois ou de Quintaton, la Trompette dans cette incroyable boîte expressive, et la Flûte 4' du récit jouée à l'octave inférieure permettent de bien s'en approcher ! On a du mal à imaginer comment on pourrait faire mieux avec 14 jeux "seulement". Et en plus de son extraordinaire tutti, les jeux sonnent magnifiquement en solo.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Bernard Ott.
Photos du 11/07/2020 et données techniques.
Photos du 11/07/2020.
Données historiques ; données sur le relevage de 2005, avec photos.
L'article donne la composition complète (avec les accouplements), et note le récit à 68 notes. Il se conclut par : "Grâce à la richesse des accouplements judicieusement disposés et à l'excellente intonation des jeux, cet instrument, à traction électrique, déploie, malgré le nombre de jeux relativement restreint, une sonorité remarquablement pleine et belle."
im68011991
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