Ce malheureux orgue de Martin Rinckenbach, son Opus 31, datant de 1891, a été complètement dénaturé par Max Roethinger. Il s'agit de l'une des pages les plus tristes de l'histoire de l'orgue alsacien.
Historique
L'édifice a été achevé en 1888, et l'orgue fut posé en 1891 : c'est l'Opus 31 de Martin Rinckenbach. [LR1907] [IHOA]
La réception eut lieu le 10/08/1891. Edouard Ignace Andlauer, qui en était responsable, appela par la suite l'instrument "Wunderwerk" ("oeuvre merveilleuse"). Il avait été conquis par la facture de Rinckenbach, et en particulier les jeux et l'harmonisation.
Le 11/10/1891 Edouard Ignace Andlauer écrivit au curé de Masevaux une lettre qui resta célèbre dans le monde de l'orgue. Il paraît clair qu'Andlauer n'apprécie pas beaucoup les prestations de Koulen (en particulier son travail à Reichshoffen). A la maison strasbourgeoise, trop favorisée selon lui par Friedrich Wilhelm Sering, il préfère nettement celle d'Ammerschwihr, en donnant pour exemple l'instrument d'Oberbronn : "Au mois d'août dernier, Monsieur le Supérieur Simonis m'a prié d'examiner son orgue de la chapelle d'Oberbronn, construit cet été par M. Rinckenbach, d'en faire la réception. Je l'ai trouvé parfaitement réussi. C'est dommage que M. Sering ne le connaisse pas ; mais il connaît un orgue semblable, de M. Rinckenbach, à Offendorf. Bref, M. Rinckenbach travaille bien, et pour les registres et l'intonation, il vaut bien Koulen, il a même plus de caractéristique. Sa soufflerie est excellente ; de plus c'est un homme qui mérite toute confiance, et c'est là l'essentiel, car les devis sont bien élastiques, et dans ce cas c'est tout affaire de confiance entre la partie traitante et le facteur. Mais ce qui manque à M. Rinckenbach c'est l'appui près de l'administration..." [Masevaux]
C'est ici que fut commise une des plus effroyables "baroquisations" de l'histoire de l'orgue alsacien. En 1960, la maison Max Roethinger chamboula complètement cet instrument magnifique pour lui donner une composition... qui est objectivement le triomphe du mauvais goût appliqué à l'Orgue... [ITOA]
Pour faire simple, cela revient à "taguer" un Renoir au marqueur pour en faire une "oeuvre moderne". Qui autoriserait cela ? Eh bien dans le monde de l'Orgue, on l'autorise. Ce fut inexplicable, extrême et radical. D'une rare violence : Cymbale, Larigot et Cromorne dans le récit d'un orgue romantique ! Seconde Cymbale au grand orgue ! Ce malheureux instrument, un des chefs d'oeuvre de la production alsacienne du 19ème, a été totalement défiguré... Sans que personne, apparemment, n'ose protester, ou même seulement dire la vérité.
Le "Wunderwerk" était mort, et notre Patrimoine privé d'un élément essentiel. Sera-t-il restauré un jour ? Est-ce encore possible techniquement ? On aura-t-on encore les moyens ? En aura-t-on seulement envie, et comprend-on pourquoi ce serait nécessaire, indispensable ? Ou alors, le désintérêt a-t-il définitivement gagné ? Autant de questions auxquelles il est difficile de trouver une réponse aujourd'hui. Tout comme il est difficile de trouver la réponse à la question fondamentale : "Quel plaisir peut-on trouver à défigurer une oeuvre d'art d'exception, qui ne demandait rien d'autre que d'être préservée et léguée aux générations futures ?"
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle incliné. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés et munis de porcelaines, placés en gradins de part et d'autre des claviers. Claviers blancs, blocs-claviers noirs. Pédale d'expression basculante, en position centrale. Plaque d'adresse, sur fond noir, "Martin Rinckenbach Orgelbauer in Ammerschweier. Ober-Elsass". C'est le modèle avec "Ammerschwihr" ondulant sur deux lignes, avec un point. Comme à Muttersholtz (1892, donc pratiquement contemporain), une faute d'orthographe (un seul "s" à Elsass) a été corrigée : le second "s" a été ajouté sur la base du point.
Les Andlauer
Dans la littérature, souvent à propos d'expertises, le nom "Andlauer" revient souvent. Souvent sans prénom, d'ailleurs (ou juste avec l'initiale ce qui, on le verra, n'aide guère). Si on laisse de côté Auguste Andlauer (Paris) (que l'on retrouve à Andlau à propos de l'orgue Koulen) et Joseph Andlauer (1837 - 1884 ; en 1867, il répara l'orgue Toussaint d'Andlau, et en 1874, il était facteur d'orgues installé au 9, Kuppelhof, 9 : "harmoniums et orgues mécaniques"), il reste deux Andlauer organistes : Edouard Ignace et Eugène. [Barth] [PMSSTIEHR]
Edouard Ignace Andlauer (14/12/1830 - 12/11/1909) reste le plus marquant. Il est resté organiste à Haguenau, St-Georges pendant 60 ans ! On lui doit - entre autres évidemment - les réceptions / expertises suivantes :
- En 1863 à Waldolwisheim.
- En 1872 à Marienthal.
- En 1889 à Reichshoffen.
- En 1891 à Oberbronn (le "Wunderwerk").
- En 1895 à Monswiller.
- En 1896 à Pfaffenhoffen.
Edouard Ignace Andlauer fut élève de Conrad Berg (piano) et Joseph Wackenthaler (orgue), puis au conservatoire de Bruxelles, où il obtint les premiers prix d'orgue et d'harmonie. Il a été élève de Lemmens. Pour des raisons financières il ne put continuer son parcours, et devint organiste à Haguenau, St-Georges, à partir de 1848 (donc à 18 ans). Andlauer fut aussi chef de choeur, professeur de musique et compositeur. Parmi ses élèves, on compte Clément Lippacher, Ducret et Balthasar Waizenecker (1er prix de l'école Niedermeyer). Ami de Guilmant et Widor, Andlauer a composé de nombreux cantiques, dont "Marienthalerlied : Erhebt in vollen Chören", dont le thème a servi pour une fantaisie pour orgue. [PMSSTIEHR] [RMuller] [Sitzmann] [PMSDBO1976]
Eugène Andlauer, fils d'Edouard Ignace, était prêtre et organiste à Selestat. C'est lui qui, en 1893, reçut l'orgue de Cernay. C'est aussi de lui que semble être le rapport de 1897 sur Masevaux. [Barth] [PMSSTIEHR] [PMSDBO1976]
Sources et bibliographie :
"Balgau i. Els. 14 [jeux] anno 1874"
Avec certaines des photos de cette page.
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