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Les orgues de la région de Bouxwiller
Pfaffenhoffen, Sts-Pierre-et-Paul
1917 degr > Dégâts
L'orgue de Pfaffenhoffen dans son état de 2012.
Photo de Franck Lechêne, 10/06/2012.L'orgue de Pfaffenhoffen dans son état de 2012.
Photo de Franck Lechêne, 10/06/2012.

La localité de Pfaffenhoffen, dans le domaine de l'orgue, est connue pour avoir été le lieu de rencontre entre Albert Schweitzer et Frédéric Haerpfer, évidemment autour de l'orgue de l'église protestante. Pfaffenhoffen est également une terre de facteurs d'orgues, accueillant l'atelier de Rémy Mahler. Quentin Blumenroeder y travailla longtemps et y développa le sien. L'église catholique est un édifice est assez exceptionnel : à la vue du maître-autel orné de statues représentant Léon IX et Sainte Odile, on sait tout de suite qu'on est en Alsace ! Les vitraux sont des frères Ott et de Théophile Bohl, et le chemin de croix de Louis Beau et Louis Chovet. Il y a aussi un autel du Rosaire, un Saint-Sépulcre et un autel où la Vierge apparaît avec ses parents. De plus, ce patrimoine ne cesse de s'enrichir, puisque l'on trouve un Christ de Jean-Luc Hattemer datant de la fin du 20ème. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant pour une localité sensible à l'iconographie, puisqu'elle accueille le musée de l'Image populaire. Celui-ci est essentiellement consacré au milieu rural du 19ème, qui, décidément, ne cesse de surprendre par sa richesse et sa faculté d'échapper aux clichés. On l'appelait autrefois "Musée de l'Image triste et populaire alsacienne". Mais "triste", sûrement considéré comme non "politiquement correct", fut supprimé. Pourquoi ne pas assumer que la vie, au 19ème, était souvent difficile, et qu'une partie de ces œuvres d'art ont été inspirées par une conscription forcée (tirée au sort) ou un éloge funèbre ?

L'histoire des orgues de l'église catholique de Pfaffenhoffen est une autre Image triste. Car le bel instrument symphonique de 1896, construit spécifiquement pour l'édifice, et en totale harmonie avec celui-ci, a été remplacé en 1985 par un néo-baroque "standard" sans personnalité. Ce n'est donc plus qu'un souvenir. Mais c'est sûrement grâce à ces (beaux) souvenirs que l'on pourra à nouveau aller de l'avant et construire un vrai orgue du 21ème siècle, qui ne soit pas du "simili-quelque chose". Cet instrument mérite donc pleinement qu'on s'y intéresse, tout comme il faut s'interroger sur les événements qui ont conduit à la destruction d'un élément représentatif du style d'orgue alsacien, dans une localité pourtant si sensible au patrimoine et à l'héritage du 19ème. Une preuve de plus, s'il en fallait encore, qu'il est urgent que le public - qui paye - se ré-approprie les orgues, et ne laisse pas des théoriciens obnubilés par leurs modes prendre toutes les décisions à sa place.

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Historique

La belle église Sts-Pierre-et-Paul date de 1884. Elle a été construite sur la base d'éléments plus anciens. De style néo-gothique, donc faisant la part belle à la lumière, elle est représentative de l'architecture alsacienne du la fin du 19ème, avec son clocher en grès des Vosges munis de clochetons. On voulut bien sûr la doter d'un orgue spécifiquement alsacien, en totale harmonie avec son style et son ambiance : ce fut fait en 1896, quand Edmond-Alexandre Roethinger vint poser un instrument symphonique (post-romantique) de 17 jeux sur deux claviers et pédale. [IHOA] [PaysAlsace89] [Barth]

St-Léon IX, l'adoration des Bergers,
le Sacrifice d'Isaac, et Sainte Odile.
Photo Wikimedia Commons, de Ralph Hammann, 17/12/2012.St-Léon IX, l'adoration des Bergers,
le Sacrifice d'Isaac, et Sainte Odile.
Photo Wikimedia Commons, de Ralph Hammann, 17/12/2012.

C'était l'opus 10 de Roethinger. Pour se faire une idée, le numéro 11 est celui de Woerth, qui a été classé Monument historique le 13/09/1982. Les deux instruments ont été logés dans des buffets néo-gothiques réalisés par Oscar Hettich (de Haguenau, qui construisit également le buffet de l'orgue d'Ohlungen). L'orgue de Woerth est un peu plus grand (II/P 23j), mais permet de se faire une bonne idée de ce qu'a été l'orgue Roethinger de Pfaffenhoffen. [PaysAlsace89] [Barth]

On peut aussi aller à Climbach (opus 23, 1899), qui a exactement le même nombre de jeux (17) qu'avait celui de Pfaffenhoffen. Hubert Brayé l'a récemment (2011) et respectueusement entretenu. Il y a toutefois une différence de taille : l'orgue de Climbach est doté d'un accouplement à l'octave.

L'instrument fut reçu le 07/01/1897 par Edouard Ignace Andlauer (Haguenau, St-Georges, ami de Guilmant et Widor), Charles Hamm (fondateur avec Marie-Joseph Erb de l'Union Sainte-Cécile, directeur de la revue "Caecilia", qui fut curé à Eichhoffen de 1894 à 1895, puis chef chœur à la cathédrale de Strasbourg) et J. Goehlinger, curé de Steinbourg. L'appréciation, lors de la réception, fut très élogieuse : "Tonsprache edel, reich an Mannigfaltigkeit. Ein sehr gelungenes Werk des noch jungen Künstlers Roethinger", "Un son noble, riche en couleurs variées. Une œuvre très réussie de cet artiste encore jeune qu'est Roethinger". [PaysAlsace89] [Barth]

Ce fut visionnaire, car, en 1896, il n'était pas évident de prévoir l'impressionnante carrière d'Edmond-Alexandre Roethinger, l'ampleur qu'allait prendre son entreprise et son influence sur l'orgue français. C'est à Pfaffenhoffen et à Woerth que Roethinger rencontra réellement le succès, et s'imposa comme un facteur qui compte. Il deviendra par la suite le porte-drapeau de la Réforme alsacienne de l'orgue (des idées en parfaite continuité avec ce qu'il montra à Pfaffenhoffen), et cette maison est, rappelons-le, directement ou indirectement à l'origine de la formation de tous les facteurs alsaciens marquants du 20ème.

Cette orgue était donc très réussi. Il était doté de grands claviers de 56 notes. La pédale n'en avait que 27, et s'arrêtait donc au Ré (d'). Voici sa composition avant sa destruction, qui est aussi celle d'origine : même si le nom des jeux avait été traduit à la console (sauf les anches qui avaient un nom français dès l'origine), il n'a jamais été altéré ! [PaysAlsace89]

Les jeux que l'on trouve en plus à Woerth sont les suivants : (I) Flûte octaviante 4', II/I 16', (II) Geigenprincipal 8', Flûte octaviante 8', Flageolet 2', Voix humaine, tremblant, (P) Gambe 16' au lieu de 8' et Posaune.

On le voit, tous les jeux de Pfaffenhoffen, à l'exception du Violoncelle 8' de pédale sont aussi présents à Woerth : les compositions obéissent à une logique de "complément", où, partant d'un noyau initial, on continue selon un schéma précis, en respectant la part prise par les Flûtes, les Gambes et les anches. La Flûte octaviante 4' du récit et son Basson/Hautbois montrent l'influence romantique française, alors que la Trompette au grand-orgue et la Mixture-tierce sont plutôt germaniques. Mais ce style n'est absolument pas limité à une "synthèse" : il s'agit d'un style original, spécifiquement alsacien, avec des caractéristiques partagées avec Joseph Rinckenbach et, plus tard, Georges Schwenkedel.

L'orgue Roethinger de Woerth, 05/08/2012.L'orgue Roethinger de Woerth, 05/08/2012.

L'inventaire technique de 1986 accorde une grande place à l'orgue Roethinger de Pfaffenhoffen. Alors que la grande majorité des instruments inventoriés n'avaient droit qu'à une page (ou moins) et une photo, il y a ici quatre photos, preuve que l'instrument avait impressionné son visiteur. Nous ne pouvons pas ici les reprendre, mais elles montrent un orgue extraordinaire, avec une console aux joues sculptées (les mêmes motifs qu'à Woerth), un magnifique buffet, et une tuyauterie fort bien disposée avec des dessus harmoniques. [ITOA]

Le buffet était en deux corps. Cette architecture avait été rendue possible grâce à la transmission pneumatique. La grande baie du fond de la nef était donc dégagée et laissait entrer la lumière. (C'est ce que recherche le style néo-gothique.) Mais l'orgue entier n'était pas visible depuis la nef : le récit et les dessus du grand-orgue étaient logés dans les tours, respectivement à gauche et à droite. Cette architecture exceptionnelle avait à l'évidence été conçue pour des raisons acoustiques. [ITOA]

Les sommiers étaient disposés ainsi : les basses du grand-orgue dans le corps gauche, derrière la façade, la Trompette à l'arrière, où se situait l'accès. La boîte expressive (à jalousies) du récit était logée dans la tour gauche, donc à l'arrière du buffet. La pédale était située derrière la façade du corps droit, et les dessus du grand-orgue dans la tour droite, symétriquement au récit. L'effet devait être saisissant, avec ce grand-orgue qui s'éloignait quand on grimpait dans les aigus (c'était probablement rendu progressif par l'harmonisation). [ITOA]

La console, une superbe pièce d'ébénisterie aux joues sculptées et fermée par un rideau coulissant, trônait au milieu de la tribune, entre les buffets et un peu en avant, dos à la nef. Elle baignait dans la lumière de la grande baie et des deux oculus supérieurs. Le tirage des jeux se faisait par dominos, disposés en ligne au-dessus du second clavier. Les combinaisons libres étaient actionnés par 4 pistons, situés sous le premier clavier. [ITOA]

La transmission était évidemment pneumatique, commandant des sommiers à membranes. [ITOA]

Un des superbes anges musiciens, vestige du buffet de 1896.
Photo Wikimedia Commons, de Ralph Hammann, 17/12/2012.Un des superbes anges musiciens, vestige du buffet de 1896.
Photo Wikimedia Commons, de Ralph Hammann, 17/12/2012.

Le buffet était, lui aussi, exceptionnel, et évoquait la collégiale de Thann ou d'autres chef d'œuvres du néo-gothique. Les deux corps étaient munis de galeries, soutenues par des piliers doubles. Le bas des plates faces, doté d'ornements en arcs plein cintre, accentuait le côté éclectique. Cette ornementation répondait à celle du reste de l'édifice, en particulier du clocher : l'instrument avait été conçu spécifiquement pour cette église, et y était idéalement adapté. Les buffets se développaient vers le haut par un foisonnement de pinacles à crochets, surmontant de nombreux gâbles. Enfin, deux grandes statues d'anges musiciens aux ailes relevées occupaient logiquement les angles saillants des buffets, en avant et sur la face intérieure, comme des figures de proue. [ITOA]

La disposition rappelle beaucoup l'instrument que Roethinger construira pour Strasbourg, St-Pierre-le-Jeune cath. en 1910. C'était un grand instrument (III/P 37 ou 40j), logé dans le magnifique buffet Klem de l'orgue Koulen (1894) qui l'a précédé, et qui encadrait une rosace. Cette disposition était donc fortement ancrée dans une tradition locale.

Avec sa composition, le répertoire accessible était immense, tandis que la console et la disposition de la structure devait en faire un paradis pour improvisateurs. A Pfaffenhoffen s'était exprimé un style d'orgue spécifique, réellement alsacien, qu'on ne trouve nulle part ailleurs.

En juillet 1917, les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités. Il y en avait tout de même pour 110 tuyaux de Montre (faces avant et faces latérales intérieures des deux buffets) : c'était vraiment une façade impressionnante ! [IHOA] [PaysAlsace89]

C'est sûrement vers 1930 que la façade fut remplacée, à l'occasion de réparations par Adolphe Blanarsch. [IHOA] [PaysAlsace89]

Blanarsch, a priori, n'a fait qu'un relevage et remplacé la façade. C'est sûrement lui qui traduisit le nom des jeux à la console. "Lieblich Gedackt" devint ainsi "Bourdon aimable", ce qui sonne un peu bizarre, et laisse à penser que les autres ne le sont pas. (En Allemand, le qualificatif ayant une autre portée, c'est différent). Il dut trouver cet instrument très réussi, car... il apposa sa plaque d'adresse à la console !

Puis, vers vers 1959 il y eut un nettoyage par Paul Adam. L'instrument était donc correctement entretenu. [IHOA]

...ce qui est finalement caractéristique des orgues qui donnent satisfaction. Ce qui rend la suite encore plus incompréhensible.

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L'orgue Gaston Kern,
1985 (instrument actuel)
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Historique

En 1985, Gaston Kern livra un orgue "néo-baroque" neuf, inauguré le 25/05/1986 par Tarcise Schmitt et Valentine Muller. Un buffet "monocorps", masquant la baie (rendu nécessaire par l'établissement d'une traction mécanique) a été constitué au moyen d'éléments de la boiserie précédente. Ce buffet n'a donc plus aucune authenticité non plus. [IHOA] [Caecilia]

Que dire de cet orgue standard, catalogue des "marottes" des années 80 (Sesquialtera...), avec sa composition totalement déséquilibrée (deux 8' au grand-orgue pour 6 rangs de Principaux, un seul 8' au positif, alors qu'il y a Doublette et 3 rangs de Cymbale) ? Pas grand-chose d'enthousiasmant, on a beau chercher... Et, avant tout, que vient faire du "néo-baroque" dans ce contexte on ne peut plus romantique ? Les deux manuels partagent les mêmes sommiers (gravures intercalées) : les plans sonores ne sont donc même pas différentiés ! En fait, c'était un orgue "comme il fallait" à l'époque : mécanique, évidemment mécanique (tout simplement parce qu'on ne savait plus faire autre chose, ni même entretenir une transmission pneumatique). Le magnifique buffet néo-gothique de 1896, a été "coupé/collé" par éléments pour lui donner une vague forme en "V", totalement étrangère au style. Il occulte à présent la baie occidentale, privant la nef de sa lumière. Et les deux pauvres statues d'anges musiciens, dépourvues de leurs instruments (celui de gauche devait, vu la position de ses mains, tenir une gambe) sont devenues orphelines de l'œuvre d'art qu'elles magnifiaient. Tristement accrochées aux murs latéraux, sur de simples équerres, elles semblent aujourd'hui "flotter" en l'air, et n'ont plus aucun sens.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2018
Grand-orgue, 54 n. (C-f''')
C c c' c''
1' 2' 4' 4'
2/3' 1'1/3 2'2/3 4'
1/2' 1' 2' 2'2/3
1/3' 2/3' 1'1/3 2'
Positif, 54 n. (C-f''')
C c g c' g'
2/3' 1' 1'1/3 2' 2'2/3
1/2' 2/3' 1' 1'1/3 2'
1/3' 1/2' 2/3' 1' 1'1/3
Pédale, 30 n. (C-f')
I/P
[Caecilia] [RLopes]

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

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Immatriculation de l'orgue actuel : F670372003P02
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