L'opus 31 de Georges Schwenkedel est resté entièrement authentique, et c'est un précieux témoin de la pensée organistique des années 30. Aujourd'hui, malheureusement, cet instrument contemporain de certaines des plus belles pièces du patrimoine alsacien est à l'abandon, et totalement injouable. Qu'a-t-il bien pu se passer ?
Historique
Après un projet refusé par la préfecture (initié en 1848 dès l'achèvement de l'église et ayant donné lieu à un devis de la maison Callinet), Rimbach se dota de son premier orgue en 1868 ; on ne sait pas qui l'a construit. [IHOA] [Barth]
La visite-inventaire de 1892 trouva déjà l'instrument en mauvais état : c'était peut-être un orgue d'occasion. [Barth]
Il y eut des réparations, menées par Berger, en 1893 ou 1895. [IHOA] [PMSCALL]
L'instrument fut détruit par faits de guerre vers 1916. [IHOA]
L'église de Rimbach fut reconstruite en 1928.
Historique
En 1931 (ou 1936 selon l'inventaire technique, mais le numéro d'opus tend à confirmer 1931), Georges Schwenkedel posa un orgue neuf dans l'église reconstruite. [IHOA] [ITOA] [PMSCALL] [Barth]
Ce fut son opus 31, logé dans un superbe buffet de la maison Rudmann et Guthmann. Cet instrument est pratiquement contemporain du magnifique orgue de Seppois-le-Bas (1930) mais aussi de celui de Manspach, lui aussi resté très authentique. Dans l'histoire de la maison Schwenkedel, ces opus correspondent à la période 'avant-Mutzig' (1931), où pratiquement tous les orgues étaient livrés dans le Haut-Rhin, à l'évidence promus par le bouche à oreille : ils étaient très appréciés, et tous ceux qui les entendaient voulaient le même ! De la même période (1929-1930) datent aussi les instruments de Bernwiller et Hartmannswiller, où l'on retrouve les magnifiques couleurs des jeux Schwenkedel.
Le buffet
Le buffet néo-gothique, en chêne, a été construit par la maison Rudmann et Guthmann. Il est constitué de deux tourelles prismatiques (demi-hexagone à la base) encadrant une partie centrale de 3 plates-faces en ogives, la centrale étant la plus grande (et presque en plein cintre). Les couronnements à pinacles et les fines jouées sont également caractéristiques du style. Au-dessus des plates-faces, trois tympans en chevron permettent de mettre en valeur des représentations de Sainte Cécile et de deux anges chanteurs (symétriques). Le reste de la thématique de l'ornementation est essentiellement végétale : fleurs, fruits (grappes).
Le style rappelle celui de Manspach (bien que l'architecture intérieure y soit totalement différente) : une grande scène à étages, surmontée d'une galerie, et encadrée de tourelles latérales avec des jouées. On sait que Schwenkedel, associé aux architectes et aux ébénistes de talent, était capable de conférer à ses orgues une virtuosité visuelle étonnante, comme à Burnhaupt-le-Haut.
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' | c'' | c''' | gis''' |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' | 8' | - |
1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' | 8' |
2/3' | 1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' |
1/2' | 2/3' | 1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos (axés au centre), à porcelaines centrales, disposés en ligne au-dessus du second clavier, et groupés par plan sonore. Les accouplements et tirasses sont également commandés par dominos, et constituent le groupe de droite. Les porcelaines ont un fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et jaune pour la pédale. Celles des accouplements sont bicolores pour respecter le code de couleur.
Claviers blancs, aux frontons légèrement biseautés, joues moulurées. Commande des aides à la registration par pistons blancs, situés à gauche sous le premier clavier. Viennent d'abord deux "pistons à accrocher" : celui appelant la registration manuelle avec les combinaisons ("HR.") et l'appel de la combinaison libre ("Comb.libre"). Viennent ensuite les combinaisons fixes : "P.", mezzo-forte (la porcelaine a disparu), et tutti "TT.", puis leur annulateur. La combinaison libre se programme par des picots basculants rouges, situés au-dessus de chaque domino ; les accouplements et tirasses sont donc programmables.
Les commandes à pied sont du côté droit : la pédale basculante de la boîte expressive (repérée par une porcelaine ronde rose "Boite expressive II"), celle du crescendo (porcelaine ronde blanche "Crescendo"), puis la pédale-cuiller à accrocher du trémolo du récit (porcelaine ronde rose "Tremolo II"). L'indicateur du crescendo est une porcelaine ovale blanche à lettres noires, située en haut au centre, numérotée de 0 à 12, sous laquelle se déplace un point rouge. (Qui en fait est un picot de combinaison.)
Le banc n'est pas d'origine, trop bas, de mauvaise qualité, et parait plus ancien que la console.
Comme souvent sur les orgues de Georges Schwenkedel, la plaque d'adresse est composée de plusieurs porcelaines rectangulaires blanches à lettres noires. La plaque principale est à gauche, à hauteur des dominos :
On retrouve la même plaque à Manspach (opus 34). Sous les dominos du grand-orgue, il y a le numéro d'opus :
Il n'y a pas de plaque donnant l'année de construction, comme on en voit souvent chez Georges Schwenkedel.
Pneumatique tubulaire.
Les sommiers sont à membranes, et diatoniques pour les manuels. Le grand-orgue est derrière la façade, environ 1m50 en-dessous de la base de la Montre. Les sommiers sont disposés en "M" (basses aux extrémités), avec une petite passerelle entre les deux. Le récit est en hauteur, juste sous la voûte, et lui aussi diatonique en "M". La pédale, chromatique, est logée au fond dans le soubassement, du côté droit, basses à droite, "C" contre le flanc du buffet.
Les sommiers ont l'air parfaitement conservés, et ne présentent aucune trace de dégâts.
Aujourd'hui (2020), ce malheureux instrument est totalement à l'abandon et dans un état préoccupant. On sait que de nombreux orgues réputés "injouables" ne le sont pas. (Sûrement pour justifier de gaspillage de dizaines de milliers d'Euros dans des instruments neufs "comme il faut", mécaniques et avec une composition "baroque"). Mais celui de Rimbach est réellement injouable. D'ailleurs, il y avait une échelle sur le réservoir principal (!), c'est dire...
Quand on pense que Thierenbach est à 5 kilomètres de là... et aux sommes qui y ont été englouties pour ajouter à l'orgue un positif de dos, dont le moins qu'on puisse dire, est que son utilité est plus que discutable...
On dit que la municipalité précédente de Rimbach aurait voulu... vendre l'orgue. Si c'est exact, le fait est révélateur : dans cet état, on se demande bien qui pourrait en vouloir ! Et on se demande qui, à l'avenir, pourrait avoir plus à cœur de préserver ce patrimoine que les héritiers de ceux qui ont fait les sacrifices nécessaires pour l'acquérir.
De bonnes volontés locales s'efforcent courageusement de préserver ce qui peut l'être, mais Rimbach compte moins de 200 habitants. En l'absence d'une politique globale favorisant l'entretien des orgues, on va donc directement au désastre. Car il faut être lucide : une partie fondamentale de notre patrimoine (peut-être la meilleure) n'a pas fait l'objet de classements, est à peine connue, à peine inventoriée, et méprisée par les vieux "experts" qui n'y sont pourtant jamais allés voir. Ce patrimoine est totalement à la charge de communautés certes engagées et aujourd'hui conscientes de sa valeur, mais totalement abandonnées à elles-mêmes. Mais l'espoir subsiste : de nombreuses communes pas plus grandes ont trouvé le moyen de sauvegarder et de faire vivre leur orgue, et il n'est pas exclu que le Schwenkedel de Rimbach retrouve un jour la place qu'il mérite dans la vie culturelle alsacienne. Lors de la construction de cet instrument (1931), il y avait 203 habitants à Rimbach.
Les jeux emblématiques de Georges Schwenkedel
Georges Schwenkedel a travaillé à son compte de 1924 au milieu des années 1950. Il a ensuite laissé son entreprise à son fils Curt, qui a opéré un virage radical vers le "néo-baroque". Les "commentateurs" ont donc un peu oublié les débuts de cette extraordinaire maison alsacienne.
Georges Schwenkedel a énormément contribué, après Joseph Rinckenbach et Edmond-Alexandre Roethinger, à définir un style alsacien spécifique. Il s'agit d'une interprétation tout à fait locale de la tendance que l'on a plus tard appelée "néo-classique". Mais c'est, en Alsace, un néo-classique très local, proche du symphonisme, et nourri de l'intense vie culturelle qui a animé la région entre 1872 et 1914.
Les orgues de Georges Schwenkedel qui sont parvenus jusqu'à nous (essentiellement dans le Haut-Rhin, d'ailleurs, alors que ses ateliers étaient situés à Koenigshoffen) ont un charme et une originalité tout à fait étonnants. Cette facture est encore mal connue, peu et mal étudiée, mais très riche en enseignements.
Des jeux et des mots
Une contribution fondamentale de Georges Schwenkedel à la facture d'orgues aura été une incessante recherche sur les jeux, leur construction et leur harmonisation. Le plus évident, à la lecture des inventaires, est la recherche de noms de jeux originaux et poétiques, qui se démarquent des autres : Ocarina (parfois avec deux "c"), Musikgedackt, Jubalfloete, Flûte pastorale, Cremona, Harmonica, Harpe éolienne... Ces noms existent chez d'autres facteurs, mais leur usage est ici révélateur d'une vraie recherche sur les tuyaux et les sonorités : ce n'est absolument pas un "procédé de marketing" comme on en a vu à la fin du 20ème siècle.
From Ludwigsburg (ou Weikersheim), with Love
La "parenté" de ces techniques est souvent à chercher chez Eberhard Friedrich Walcker, mais les innovations sont incessantes. On peut citer les Cornets complétés dans les basses par 2 ou 3 rangs, la présence habituelle de Flûtes à cheminées entrantes, de jeux fortement coniques (Nachthörnlein), des Mixtures à Tierce et même à Septième (Hirtzbach, et dans les basses à Hartmannswiller), des Gambes très étroites (Crémona) ou coniques (Grentzingen), des jeux à bouche circulaire (Rimbach-près-Guebwiller). Une des méthodes d'innovation consiste à acheter des jeux "peu communs" chez des fournisseurs de tuyaux, pour les adapter et les faire chanter de façon originale.
Un réservoir d'idées pour l'avenir
On trouve dans ces instruments de nombreux éléments originaux. Ils sont aujourd'hui très rares dans l'orgue alsacien, qui a sombré depuis 1970 dans une affreuse standardisation. C'est donc bien dans les instruments des années 1920-1939 qu'il faut chercher les idées qui donneront un avenir à la facture d'orgue. Leur étude - et le charme de ceux qui peuvent encore être joués - démontre qu'il y a eu à cette époque l'émergence d'un style organal alsacien spécifique. Ce sont ces instruments qu'il faut visiter et faire visiter, et qui devraient être étudiés par les facteurs. Celui de Rimbach, tout comme celui de Mutzig devraient être classés d'urgence, et leur relevage devrait être une priorité pour l'orgue alsacien.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Viviane Galliath.
Photos du 10/10/2020 et données techniques.
La date de 1936 est probablement fausse.
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