Saverne ayant été la résidence des évêques (de Strasbourg) pendant plusieurs siècles, l'histoire des orgues y est bien sûr très riche. De fait, elle commence dès le 15ème siècle. Voici donc un instrument de musique absolument exceptionnel, par son histoire, son ornementation et son environnement.
Historique
L'histoire des orgues de Saverne semble commencer avant 1489. On ne sait à peu près rien sur ce ou ces premier(s) instrument(s), sauf qu'en 1500, l'organiste épiscopal (et instituteur) s'appelait maître Peter. [IHOA] [Vogeleis] [HOIE]
Il y eut une réparation, en 1628 par Johann Faber, facteur alors établi à Saverne (de 1616 à 1634 au moins). [HOIE]
C'est peut-être Faber qui avait été l'auteur du premier orgue de
l'église des Récollets (1609).
En 1663 (et jusqu'à sa mort
en 1667), l'organiste de Saverne était un certain Franz Mudderer. Il était
peut-être apparenté au facteur Hans Werner Mudderer, qui avait été un des
acteurs les plus marquants de l'orgue alsacien au début du 17ème.
L'orgue fut réparé en 1673 par le facteur Christoph Aebi ("Ebij"), qui fut aussi organiste à Saverne. [HOIE] [Vogeleis]
Historique
En 1717, Joseph Waltrin posa un orgue neuf. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [PMSAEA85]
L'accord avec Waltrin fut conclu le 01/08/1716. Il put récupérer le vieil instrument. L'orgue neuf avait 22 jeux, et un des item de son devis était : "Le Secret des orgues de Bois de Chesne sec". [HOIE] [Palissy] [PMSAEA85]
En 1723, Waltrin compléta son instrument avec un positif de dos. [HOIE] [PMSAEA85]
C'est donc bien l'orgue Waltrin qui fut déménagé à l'église protestante de Ribeauvillé en 1784. [IHOA] [ITOA] [HOIE]
Historique
En 1784, Sébastien Krämer construisit un orgue neuf. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [PMSKRAEMER] [Vogeleis] [Palissy] [Barth]
C'était très certainement le couronnement de la carrière du facteur originaire de Mutzig. L'accord fut passé le 27/01/1784. L'orgue était doté de 4 soufflets (3 prévus à l'origine) et 5 sommiers. Il y avait 1 an de garantie. [Vogeleis]
Sur un tuyau a été retrouvé l'inscription suivante : "AETATIS SUAE XIII MEN. XAV. FRANCIS. FILIA FRAN ADAMI MEYER ORGANISTAE ET MARIA MAGDA. DE WATTEVILLE HANC IMAM FISTULAM POSUIT DIE IMA XBRIS 1784 ET KRAEMER ORGANUM FECIT" [Palissy]
En 1827, Xavery Mockers fit une réparation. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Palissy] [PMSSTIEHR]
En 1844, ce fut Nicolas-Antoine Lété qui fut appelé. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Palissy]
Comme Xavery Mockers en 1827, Lété travailla aussi, pratiquement en même temps, à l'église des Récollets. Les deux orgues semblent avoir été entretenus "en parallèle".
En 1866, il y eut ue nouvelle réparation, effectuée par la maison Stiehr. La pédale passa à 20 notes. C'est probablement soit à cette occasion, soit en 1827 que fut posé un Cornet (puisque l'actuel est de Stiehr). [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Palissy]
En 1881, c'est la maison Wetzel qui vint entretenir l'instrument. [IHOA] [ITOA] [HOIE]
En 1909, il y eut des gégâts causés par la foudre. En 1912, l'orgue était muet et nécessitait une réparation, probablement d'envergure. [Palissy]
Historique
C'est en 1922 qu'Edmond-Alexandre Roethinger posa à Saverne un grand instrument fidèle aux principes de la Réforme alsacienne de l'orgue, dont il était l'un des porte-drapeaux. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Palissy]
Ce fut l'opus 86 de la maison Roethinger. Cet instrument mérite qu'on s'y arrête quelques instants, car, comme beaucoup de ses contemporains, il n'a pas reçu l'attention qu'il méritait (les années 1970-1990 dédaignaient à dessein les orgues du début du 20ème). L'orgue Roethinger était directement issu de la Réforme alsacienne de l'Orgue, chose qu'Emile Rupp, le mentor de ce courant, confirma à l'achèvement de l'instrument. L'orgue était donc apparenté au chef d'oeuvre d'Erstein. C'était un 3-claviers (dont deux expressifs), électro-pneumatique à console indépendante, qui devait être plein de possibilités :
...quand on connaît les instruments contemporains de celui ci (qui ont survécu), on ne peut s'empêcher de penser que ce devait être un orgue fabuleux. On ne pouvait le qualifier de "néo-classique" (malgré son Jeu de tierce au récit) : il est encore résolument post-symphonique, avec ses deux ondulants, ses fonds pléthoriques, son Plein-jeu au récit, et son impressionnante dotation en anches (5 rien qu'au récit). Le récit, justement, est doté de jeux "sonores" pour pouvoir donner une amplitude remarquable à l'expression. Dans le tutti, il sert de couronnement au grand-orgue, avec ses anches coniques et sa Mixture. C'est caractéristique de cette esthétique, et les idées ici mises en pratique étaient l'aboutissement de décennies de recherches.
Le buffet fut confié à Auguste Stieber pour restauration. A une époque indéterminée (avant 1967), il est possible que les mutations aient été déplacées du récit vers le grand-orgue. (Ca, c'est néo-classique...) [Palissy]
Malheureusement, puisqu'il occupait un buffet "historique", l'orgue Roethinger, qui n'était plus du tout à la mode dans les années 1970, était évidemment condamné, et ce indépendamment de toutes les qualités qu'il avait pu avoir, vu qu'il est probable que personne ne se risqua à le défendre. Il "fallait" bien sûr du néo-baroque. Ce fut, comme ailleurs, radical et impitoyable.
En 1972, on passa de 39 à 28 jeux seulement, en perdant un clavier au passage (et la pédale, fondée sur 16' ouvert, se retrouva sur une seule Soubasse 16'). L'article des "Cahiers de Saverne" (1974) décrit le nouvel orgue, les jeux restant de Krämer, et même le Cornet provenant de la maison Stiehr, mais... ne cite même pas le nom de Roethinger ! Le monde de l'orgue de l'époque était complètement enfermé dans une pensée unique, qui pratiquait jusqu'à la "damnatio nominem" ciblant les plus grands facteurs du début du 20 ème siècle. Même la console (qui devait être exceptionnelle) semble avoir disparu.
Historique
En 1972, l'orgue a été reconstruit par Alfred Kern. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [CS85] [Palissy]
L'inauguration a eu lieu le 16/04/1972, avec Michel Chapuis aux claviers. [CS85]
Le 23/11/1983, des pierres tombant de la voûte endommagèrent une partie du grand-orgue et de la pédale. [ITOA]
En 1984, Daniel Kern répara les dégâts. Il ré-harmonisa aussi l'instrument, dans un esprit fort différent de celui de 1972. [ITOA]
Le buffet
Il s'agit du buffet, en chêne, de l'orgue Sébastien Krämer de 1784, muni de ses tuyaux de façade d'origine. Le grand buffet est constitué de trois tourelles classiques, la plus grande au milieu, séparée par des plates faces "retombantes", et complétées par des plates-faces latérales en encorbellement. Ces plates-faces sont cintrées vers l'avant. Il n'y a pas vraiment de jouées, mais des motifs floraux, retombant depuis le sommet. Palmes, volutes, roses et trophées végétaux constituent l'essentiel du thème ornemental, avec des colonnes corinthiennes engagées dans le soubassement sous les tourelles latérales. Le positif est constitué de trois tourelles, la plus petite au milieu. Un angelot surmontant la tourelle centrale du positif constitue la "signature visuelle" de ce buffet. Il a les bras écartés, et désigne le ciel du doigt en levant le regard. Les panneaux en bas-relief jouxtant le positif sont aussi fort intéressants (trophées d'instruments de musique, lampe suspendue, blason). Une guirlande orne le bas du positif, accrochée aux culots.
Caractéristiques instrumentales
Console en fenêtre frontale. Tirants de jeux de section carrée à pommeaux tournés. Ceux du positif sont légèrement moins foncés. Jeux repérés par étiquettes blanches. Claviers à naturelles noires. Commande des tirasses et de l'accouplement par pédales à accrocher : "TIRASSE I", "TIRASSE II", "COPULA II/I". Commande du tremblant par pédale à accrocher (à droite).
Ordre et orthographe des tirants à la console :
Sébastien Krämer (17/09/1751 - 28/10/1830)
Sébastien Krämer fait partie de ces facteurs dont la carrière a été fauchée par la Révolution. D'après Jean-André Silbermann, Krämer, vitrier de formation, était allé Paris s'initier à la facture d'orgues. Voici une liste de ses principaux travaux répertoriés :
Marcel Ungerer (1823-1875)
Marcel Ungerer, instituteur-organiste à Saverne sur cet orgue Krämer a eu une forte activité d'expert dans les années 1850-1870. Il a procédé à la réception de plusieurs orgues, par exemple :
Sources et bibliographie :
Remerciements à Guillaume Schaefer et Rémy Kalck.
On a longtemps pensé que c'était l'orgue Dubois des Récollets qui a été transféré à Ribeauvillé. Et ce Dubois fut alors attribué à Silbermann, en raison de la numérotation des tuyaux de Montre et du projet de 1734. Les historiens s'acharnèrent alors à trouver d'où pouvait bien venir ce Silbermann... sans succès, bien entendu, puisqu'il n'a jamais existé. C'est bien l'orgue Waltrin qui fut déménagé en 1785 à l'église protestante de Ribeauvillé.
im67004339 ; les deux dossiers sur Saverne sont d'une richesse peu commune. Il y a de nombreuses photographies, en particulier des ornements, et une vue de l'inventaire "Pervieux" montrant l'orgue Roethinger, occupant tout le fond de la tribune..
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