L'église St-Nicolas de Stotzheim date de 1765. Elle est dotée depuis 1904 de l'opus 85 de la maison Rinckenbach, d'Ammerschwihr. Bien que toujours privé de 3 jeux romantiques (au récit), cet instrument est un précieux témoin du style de facture post-romantique spécifiquement alsacien qui s'est épanoui entre 1900 et 1935.
Historique
En 1800, Michel Stiehr installa à Stotzheim ce qui restait de l'orgue Jean-André Silbermann, 1751, de Sélestat, Franciscains. [IHOA]
L'instrument avait été acquis par un certain Xavier Dirringer, l'un de ces spéculateurs qui ont profité de la spoliation des biens des congrégations religieuses, décidée et orchestrée par la Révolution. Cet individu avait en 1792 fait main basse sur plusieurs orgues et biens religieux à Sélestat. Il semble qu'outre l'orgue des Franciscains, celui des Dominicaines de Sylo (ancien hôpital St-Quirin) soit aussi passé par ses mains avides. Ce fut aussi probablement le cas de celui de Ste-Foy (un instrument de 1758, appelé "orgue des Jésuites de Sélestat", car Ste-Foy était à l'époque l'église des Jésuites ; mais elle ne l'était plus à la Révolution). Quoi qu'il en soit, il parvint à vendre un de ces instruments à Stotzheim ; la transaction eut lieu le 16/12/1800. [PMSSTIEHR]
L'immense majorité des orgues qui ont fait l'objet du trafic organisé par la Révolution ont été mutilés, mal entreposés et bricolés. La plupart étaient également inadaptés à une utilisation en paroisse : ils durent rapidement être partiellement ou entièrement remplacés. Celui de Stotzheim ne fit pas exception. En 1881, Emile Wetzel fit encore une réparation. (Il semble avoir assuré l'entretien de l'instrument depuis 1874.) [IHOA] [PMSRHW]
Notons qu'en 1875, Martin Feuerstein a décoré les lambris du chœur.
Historique
C'est le 28/12/1904 que fut reçu l'orgue Martin et Joseph Rinckenbach de Stotzheim. [IHOA] [PMSSTIEHR] [Barth]
Les facteurs d'Ammerschwihr ont eu la bonne idée de conserver le buffet de 1751 (avec un soubassement abaissé). Contrairement à ce que l'ont a pu lire (le terme péjoratif de "pneumatisation" était utilisé avec gourmandise par l'organologie de la fin du 20ème siècle), c'est bien d'un orgue totalement neuf, de la Belle époque, qu'il s'agit ici. Pas du tout d'une reconstruction avec du matériel ancien, et encore moins un simple remplacement de la transmission.
L'orgue de Stotzheim est contemporain de deux instruments très réussis et remarquablement préservés de la maison Rinckenbach : Urschenheim et Biltzheim. Des trois, c'est le plus grand, et une de ses spécificités intéressante est de disposer d'un Bourdon à doubles bouches.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces évolutions.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 15/05/1917. Ils ont "immédiatement" été remplacés par une façade en zinc. [IHOA]
En 1949, la maison Schwenkedel transforma malheureusement l'instrument. Au récit, un Nasard, une Doublette et une Tierce, totalement étrangers à l'esthétique de l'instrument remplacèrent de beaux jeux romantiques d'origine. [IHOA]
Un "Nasard" (en fait, une sorte de Quinte 2'2/3) a été bricolé avec les tuyaux d'une Fugara 8' (comme en témoigne le poinçon sur le "C"). Les tuyaux ont été recoupés, les oreilles et les freins coupés et limés... Pour illustrer le peu de soin mis dans l'opération, il suffit de constater que le jeu (altéré) a été laissé dans les combinaisons fixes F, FF et Tutti et dans le "Geigenchor" (!), ruinant complètement ces fonctions et les rendant totalement inutilisables, alors qu'il s'agit d'une des spécificités de l'instrument !
La "Doublette" a été constituée en recoupant une Aeoline (poinçons 'A'). Comme le 2'2/3, ce jeu a été laissé dans les combinaisons fixes, et il apparaît apparaît dès la combinaison 'P' (sic !), rendant inutilisables toutes les combinaisons sauf 'PP'.
Mais le pire a été atteint avec la confection de la "Tierce", qui a été réalisée avec des tuyaux de récupération : certains sont marqués 'Eolienne 8' à la pointe sèche, marque barrée, d'autres poinçonnés 'VOIX CELESTE'... Au moins deux beaux jeux romantiques (probablement issus d'un autre instrument) ont donc été sacrifiés pour bricoler cette inutile Tierce. Le jeu d'origine qui dut céder sa place était fort probablement un Bourdon (Lieblich Gedackt), puisqu'il était inclus dans le "Floetenchor". On ne peut pas en être 100% sûr, car le faux sommier a été remplacé, et il est perdu. Cette Tierce a donc coûté la disparition d'un jeu d'origine à Stotzheim, et au moins deux autres jeux romantiques "découpés" à la pince...
Rappelons que ce jeu n'a rien à faire dans un instrument de cette époque. Si les Tierces indépendantes sont revenues en Alsace très tôt (dès la fin des années 20, donc avant la mouvance "néo-classique"), comme élément d'un style spécifique, l'orgue de Stotzheim n'en fait pas encore partie. Il s'en faut de bien 15 ans. Car il s'agit là du plus important : la présence d'une Tierce dans ce genre d'instrument "brouille" complètement l'esthétique, et rend le tout complètement illisible au public. Au Bonhomme (église St-Nicolas, orgue de 1928), il y a une Tierce authentique au grand-orgue : mais comment peut-on expliquer son côté extraordinaire si on affuble les orgues de 1904 de Tierces et de Mutations diverses ?
Il en va de même pour la Doublette. Ce jeu peut certes être présent dans un orgue romantique de grande taille (au grand-orgue), à condition de disposer déjà de tous les jeux nécessaires. C'est d'ailleurs le cas ici. Ensuite, mais seulement à partir de 1919, elle est revenue en force : c'est même une des idées esthétiques fortes de Joseph Rinckenbach après guerre. Le récit, lui, reçoit comme 2' un Octavin. Il ne faut pas laisser de Doublette "bricolée" dans les orgues de 1904, car cela estompe les lignes directrices de l'évolution esthétique, et complique l'interprétation du patrimoine.
En 1974, ce fut Alfred Kern qui s'occupa de l'instrument. [IHOA]
Appelée pour une réparation, la maison Kern retira trois jeux romantiques supplémentaires ! Ce qui laissa vides les chapes de la grande Flûte harmonique 8' du grand-orgue (le jeu le plus emblématique de la composition), du Quintaton et de la Voix céleste (!). A partir de là, bien sûr, il devenait très difficile de se rendre compte de la valeur de cet instrument.
Heureusement, les tuyaux ont été conservés. Mais cet épisode est une illustration supplémentaire de la façon dont étaient traités les orgues romantiques dans les années 70-80 : priver cet instrument de sa Flûte harmonique et de sa Voix céleste - les éléments les plus caractéristiques de son style - était une totale aberration... [Visite]
L'orgue Rinckenbach a été relevé en 2018 par Hubert Brayé, de Mortzwiller. Outre un nettoyage complet et les réparations d'usage, l'instrument a vu le retour de ses trois jeux romantiques "écartés" en 1974 : la grande Flûte harmonique 8', le Quintaton et la Voix céleste. [MBaumann] [Stotzheim2018]
Les sommiers ont été restaurés en atelier, ce qui a permis de replacer tous les tuyaux dans l'instrument. L'orgue Rinckenbach a été inauguré le 29/04/2018, avec, en première partie, une présentation des intervenants et des travaux et des chants interprétés par la chorale dirigée par Cédric Metz, et accompagnés à l'orgue par Michèle Cromer, et, en seconde partie, un récital de Marc Baumann (Strasbourg, cathédrale, et Ebersmunster). [Stotzheim2018]
Caractéristiques instrumentales
C | G |
2'2/3 | 4' |
1'1/3 | 2'2/3 |
- | 1'1/3 |
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirants de jeux de section ronde, disposés en trois gradins de part et d'autre des claviers, munis de porcelaines orientées vers le haut à 45° (l'extrémité du triant, où se situe d'habitude le pommeau, est munie d'un point blanc). Il sont du même modèle qu'à Zellwiller (1899), Dauendorf et Biltzheim (1904), Romanswiller ou Kogenheim (1905). Les porcelaines sont à fond blanc pour le grand-orgue, rose pâle pour le récit, et jaune (très pastel) pour la pédale. Claviers blancs. Joues légèrement arrondies. Les gradins sont munis d'un petit chanfrein concave. (Dans lequel peut se loger un crayon !)
Commande des accouplements et tirasses par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé, et repérées par des porcelaines rondes disposées tout en haut de la console : (à gauche de la plaque d'adresse) "Superoct. koppel I." (I/I 4'), "Suboct. koppel I. z II." (II/I 16'), "Pedal koppel II." (II/P), (à droite) : "Pedal koppel I." (I/P), "Manual koppel" (II/I), "Expression" : la pédale basculante de commande de la boîte est au-dessus du "h" du pédalier. Commande des combinaisons fixes par 9 pistons blancs, situés sous le premier clavier, au centre, et repérés par de petites porcelaines rondes placées en regard, entre les deux claviers : "PP", "P", "MF", "F", "FF", [Tutti] et "0" pour l'annulateur, puis deux porcelaines rectangulaires : "Geigenchor" et "Flötenchor". Banc dont les flancs figurent une lyre. L'intégralité de la console a l'air de 1904.
Plaque d'adresse en position centrale, au-dessus du second clavier, constituée de lettres en laiton incrustées sur fond noir, et disant :
Cette plaque, comme celle de Biltzheim, est spécifique car il n'y a pas de point à "M", et il est spécifié "Ober-Elsass", (et non "i.Els.").
Les sommiers sont à membranes, entièrement d'origine (1904), et fort bien conservés. Le nom des jeux d'origine est inscrit sur les faux-sommiers.
Au récit, les modifications "néobaroques" (Nasard, Doublette, Tierce) font peine à voir. Elles en disent long sur la façon dont les orgues romantiques et post-romantiques étaient considérés en 1949.
Une fois de plus, voici un instrument de la Belle époque qui témoigne de la vitalité et de la richesse de la facture d'orgues alsacienne au début du 20ème siècle. C'est bien un style spécifiquement alsacien qui a été défini à cette époque, et s'est épanoui jusqu'au second conflit mondial. Il autorise de nombreuses variantes, si bien que chaque instrument de cette lignée est doté d'une personnalité unique. En approchant celui de Stotzheim, enthousiasmé par la qualité de l'accueil, on est d'abord intrigué par la richesse de ses combinaisons fixes, comprenant des appels pour le chœur de Gambes et le chœur de Flûtes. Il ne s'agit pas d'un anecdotique accessoire de registration : ces combinaisons viennent servir une composition qui se distingue par la présence de cinq fonds de 8' à chaque clavier. Sur un instrument de cette taille, c'est absolument exceptionnel. C'est aussi un message aux musiciens non organistes : tout est prêt pour vous aider à la registration ; et c'est un appel à s'y mettre !
Cet orgue "revient de loin", car après 1974, il avait été privé des 6 jeux comptant parmi les plus indispensables de sa composition (sur 23). Soit plus du quart de ses ressources. Après l'exemplaire relevage de 2018, trois de ces jeux ont réintégré l'instrument, lui redonnant enfin son caractère post-romantique. Cette diversité est tellement rafraîchissante, dans un monde de l'orgue qui tourne aujourd'hui un peu en rond (et au ralenti).
On ne peut qu'être enthousiasmé à la perspective de voir les trois derniers jeux encore manquants restaurés, ce qui remettrait cet orgue dans son état de 1904. Cela permettrait de faire à nouveau entendre cette exceptionnelle composition à 10 fonds de 8' manuels : elle permet un nombre considérable de combinaisons, et donc de proposer des registrations très variées et donc un jeu sans cesse renouvelé. En attendant, il faut assumer le constat : cet orgue reste abîmé par l'opération de 1949. L'essentiel des combinaisons fixes est inutilisable, et le récit souffre de "trous" de composition (deux Gambes, une Flûte, ce n'est pas rien !). Surtout, l'instrument, aujourd'hui, ne permet plus de raconter son histoire, brouillée par la "Tierce", la "Doublette" et le "Nasard", qui n'ont rien à faire dans son esthétique : il faut recourir à des explications compliquées qui détournent de l'essentiel : la superbe harmonisation de 1904.
Il reste que, depuis 2018, l'opus 85 de la maison d'Ammerschwihr a repris sa place parmi les orgues marquants de la région, ceux qui donnent accès au répertoire romantique et post-romantique. Espérons de tout cœur que cela ne soit qu'une étape. Il y a aujourd'hui à Stotzheim un instrument vraiment enthousiasmant ; il est à 3 jeux d'être un orgue absolument exceptionnel.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Marie-Louise Frindel.
Données techniques ; photos du 14/04/2019 et du 09/06/2019
Nouvelles du relevage, et photos du 21/05/2018.
Localisation :