Voici l'opus 98 de Martin et Joseph Rinckenbach, construit en 1907, au cœur de la belle époque, et qui illustre parfaitement l'élaboration de ce style post-symphonique spécifique à l'Alsace issu de l'émulation entre la maison d'Ammerschwihr et leur concurrent strasbourgeois, Edmond-Alexandre Roethinger. Ici, Martin et Joseph Rinckenbach signent un instrument caractéristique de leur credo organistique.
Historique
La présence d'un orgue est attestée en 1840 par les recherches du curé Alphonse Ditner. L'origine de cet instrument est inconnue, mais, évidemment, l'hypothèse d'une construction par les Callinet - tellement séduisante aux yeux des experts de la fin du 20ème siècle - est souvent retenue ; sans preuve d'archive. Il y avait aussi un orgue en 1863, - sûrement le même - car il nécessitait une "réparation urgente", et dans les années 1880-1890, car la maison Berger y ajouta un Salicional. [IHOA] [Barth]
En 1905, l'abbé Alphonse Ditner fit reconstruire l'église. La nouvelle nef étant considérablement plus grande, le remplacement du vieil orgue fut une conséquence directe de l'opération. [Barth]
Historique
L'orgue actuel a été construit en 1907 par Martin et Joseph Rinckenbach, dont ce fut l'opus 98. [IHOA]
L'orgue fut reçu le 30/08/1907 par Henri Wiltberger. Ce fut un grand succès, et l'instrument reçut beaucoup de louanges, surtout concernant son harmonisation. [IHOA] [Barth]
Dans la production de la maison d'Ammerschwihr, cet orgue s'inscrit dans un cycle initié à l'articulation entre les deux siècles, et marquée par l'association de Martin Rinckenbach avec son fils Joseph. Ce dernier a significativement influencé le style, en particulier en aidant l'adoption des nouvelles techniques. Depuis 1899, tous les orgues Rinckenbach sont pneumatiques, ce qui permet de réaliser des transmission très souples, d'organiser les plans sonores avec grande liberté (ici, pour les placer dans deux buffets, c'était idéal) et surtout pour doter la console d'accouplements à l'octave, qui transfigurent ces instruments.
Caractéristiques de ces évolutions sont les exceptionnels orgues de Mitzach et Dessenheim (1901). L'orgue de Waldighoffen est contemporain de celui de Murbach (opus 91, 1906).
On peut aussi apprécier deux autres superbes instruments caractéristiques de cette époque qui sont restés authentiques : celui d'Urschenheim (1904) et celui du Hohwald (1905 ; lui aussi en deux buffets). La beauté de leurs timbres fait encore plus regretter leurs nombreux contemporains victimes de la période noire de l'orgue alsacien : Ribeauvillé dès 1966, Schweighouse-Lautenbach en 1978, Gildwiller en 1981, Selestat - Ste-Foy (console arrachée et mise à la décharge) en 1991, Allenwiller en 2004, et, bien sûr, le malheureux orgue de Muttersholtz, éliminé en 2021.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 15/03/1917. Mais comme il n'y avait que 13 tuyaux parlants (E-e), l'impact sonore fut limité. [IHOA]
Malheureusement, en 1983, on demanda à Christian Guerrier de modifier l'Aeoline - pourtant un des jeux les plus emblématiques de cette esthétique - pour en faire un Nasard. 5 tuyaux de l'Aeoline sont conservés dans le soubassement. Les autres ont été recoupés et décalés. [IHOA] [Visite]
Le buffet
Le buffet, de style néo-gothique, est vraiment magnifique. Il a été conçu pour encadrer la grande baie située au fond de la tribune, et dont le thème est "les quatre éléments". Il y a deux corps, reliés par une partie en demi-cercle, qui épouse la rosace dans sa moitié inférieure. Chaque corps est constitué de trois plates-faces face à la nef, la plus grande au centre. Sous les plates-faces latérales, il y a des panneaux sculptés de motifs géométriques. Mais il y a aussi des façades tournées vers le centre de la tribune, encore plus développées : 4 plates-faces symétriques, les deux centrales étant plus grandes.
A chaque fois, les claires-voies sont des volutes néo-gothiques finement ciselées. Les couronnements sont constitués de frises et de pinacles. La partie centrale reprend les motifs géométriques, complétés par des tri-lobes, et l'arc est souligné par une dentelle de sculptures. La balustrade est du même style, constituée d'une succession d'ogives doubles.
A la tribune, l'ensemble est très immersif, car il y a l'orgue sur deux côtés, la rosace sur le troisième, et le dernier ouvert sur la nef. L'ensemble baigne dans les lumières multicolores de la baie, ce qui crée une ambiance exceptionnelle.
Caractéristiques instrumentales
C | Gis |
- | 4' |
2'2/3 | 2'2/3 |
2' | 2' |
2'2/3 | 2'2/3 |
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos blancs crème, placés en ligne au-dessus du second clavier. Noms des jeux figurant sur des porcelaines placées sur les dominos, à fond blanc pour le grand-orgue, rose pour le récit, et bleu pour la pédale. Les accouplements et tirasses sont commandés par dominos.
Ce sont ces dominos que Joseph Rinckenbach utilisera plus tard (après une nouvelle période avec tirants) pour la plupart de ses instruments : couleur crème, avec une porcelaine ronde centrale. Ils diffèrent du premier modèle, utilisé après 1904 (jusque là, il y avait encore des tirants : voir Stotzheim et même Kogenheim), que l'on retrouvait à Muttersholtz (orgue détruit) ou Murbach. On peut encore les voir sur la console du Hohwald.
Claviers blancs, à frontons galbés et non biseautés. Commande des combinaisons fixes par pistons blancs, placés sous le premier clavier, et repérés par de petites porcelaines rondes, disposées entre les deux claviers : "PP.", "P.", "MF.", "F." et "Tutti". Celle de l'annulateur (retour à la registration par dominos) est désignée par "0". Commande de l'expression par pédale basculante, située à droite de la console, au-dessus du "a" du pédalier. Il n'y a pas d'autre commande à pied : les accouplements et tirasses se font uniquement par dominos, et il n'y a pas de trémolo.
Banc d'origine, dont les montants figurent une lyre, avec aussi un tri-lobe.
Les montants de la console étant tous galbés, la plaque d'adresse a été placée sur le plateau de la console, à plat (horizontalement), dans une position fort originale, contre le flanc gauche, occupant tout l'espace jusqu'à la joue du clavier. Il y en avait une du même style à Muttersholtz. Elle omet la date de construction. Les lettres et le cadre sont en laiton incrusté dans un bois sombre, et disent :
Si le meuble est analogue à celui que l'on trouve à Oberschaeffolsheim, ces deux consoles diffèrent sur deux points très importants : le tirage des jeux, et la commande des accouplements (pédales à Oberschaeffolsheim).
Pneumatique tubulaire, très précise et agréable.
Le grand-orgue est chromatique, basses en avant, logé dans le corps gauche du buffet. La pédale longe le mur gauche, avec un retour sur le mur du fond.
Le récit, logé dans le buffet droit, est diatonique, en "M" (basses aux extrémités).
Le système de pompage à pied a été conservé.
Les qualités sonores de cet orgue sont en rapport avec son magnifique buffet : l'ensemble est idéalement adapté à l'édifice. Décidément, ces orgues de la Belle-époque (quand ils ont été bien conservés) sont de vrais trésors à découvrir et à mettre en valeur.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Jean-Luc Laborde.
Photos du 24/10/2020 et données techniques.
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