La paroisse de Mitzach est devenue indépendante en 1899, et l'église y avait été achevée l'année précédente. L'édifice fut doté d'un orgue dès 1901. Il s'agit de l'opus 65 de Martin Rinckenbach et de son fils Joseph, un instrument typiquement post-romantique alsacien, qui nous est parvenu absolument intact.
Historique
L'orgue Martin et Joseph Rinckenbach fut reçu en juillet 1901. [IHOA] [ITOA] [Barth]
Un des premiers post-romantiques
Cet instrument est doté des récents perfectionnements techniques issus des progrès de la fin du 19ème : par exemple des combinaisons fixes, proposant des registrations préparées en fonction de l'intensité voulue (p, mf, f...). Mais aussi des sommiers à membranes. Leur avantage est de donner plus de liberté à l'harmoniste, en éliminant les effets de gravure, car ce sont les tuyaux d'un même jeu (et non d'une même note) qui partagent le même canal. L'expression du récit est progressive, car commandée par une grande pédale basculante, que l'on peut mettre dans toutes les positions intermédiaires entre "fermé" et "tout ouvert". Il y a aussi une transmission pneumatique, rendant le toucher plus léger, surtout appréciable dans le cas d'une console indépendante. Ces transmissions existaient déjà depuis plusieurs années, mais n'ont commencé à être vraiment fiables qu'à la fin des années 1890.
Cette "lignée" d'orgues nouveaux commença pour la maison Rinckenbach en 1899, quand les innovations se révélèrent parfaitement éprouvées. Ce fut un franc succès, comme en attestent les procès-verbaux de réception de l'époque. Ces instruments correspondaient parfaitement aux aspirations des organistes. Ceux d'entre eux qui nous sont parvenus dans un bon état d'authenticité (celui de Mitzach en fait assurément partie) sont des instruments très réussis et très attachants. Un des principaux acteurs de cette dynamique fut assurément Marie-Joseph Erb, le célèbre compositeur et organiste à Strasbourg, St-Jean, où il fera construire un grand instrument dans ce style en 1902.
Beaucoup d'orgues de cette époque ont malheureusement été détruits ou gravement défigurés. Le premier Rinckenbach de la lignée, celui d'Ensisheim (chapelle catholique de la maison d'arrêt, 1899) a disparu lors de la mutinerie du 16/04/1988. Celui de Walbach (1900) a impitoyablement été éliminé car il occupait un buffet "ancien". Il a dû céder sa place à un essai de reconstitution d'un "Silbermann" en 1999. Celui de Folgensbourg connut un destin analogue : il a cédé la place à un instrument "néo-baroque" (comme on en compte aujourd'hui des centaines), avec 8' 4' 2' + Trompette au second clavier, évidement non expressif - cela ne s'invente pas... Ceux de Zellwiller (1899) et d'Uhrwiller (1901, une version "de poche") sont encore là, mais ils ont été gravement baroquisés, c'est-à-dire mis au "goût du jour" dans les années 1960 à 80 ; et personne ne semble conscient de la nécessité qu'il y aurait à remettre ces beaux instruments mutilés dans leurs configuration d'origine.
Il faut aller jusqu'à Dessenheim pour trouver un Rinckenbach contemporain de l'orgue Mitzach qu soit resté authentique.
La Belle époque
Depuis 1897 (à Bréchaumont), Joseph Rinckenbach, le fils de Martin, co-signait les œuvres de la maison d'Ammerschwihr sur les plaques d'adresses des consoles. Cela souligne l'importance qu'avait prise la "nouvelle génération" de facteurs, rêvant d'un style que l'on appellera plus tard "post-romantique". La composition de 16 jeux est caractéristique de son époque :
- le grand-orgue est constitué du "carré d'or" de jeux romantiques (un Principal, une Flûte ouverte, un Bourdon, une Gambe), adossé dans les graves par un Bourdon 16' et dans les aigus par un Principal 4'. Le tout est couronné par une Trompette puis une Mixture (plutôt grave : 2'2/3).
- Le récit porte 3 fonds de 8', dont une Gambe obligée (ici le Salicional) destiné à jouer avec la Voix céleste. Le plan sonore est donc expressif, puisqu'il abrite ce jeu. Le seul 4' est un Gemshorn, conique, qui enrichit les harmoniques déjà fournies amenées par le Geigenprincipal. Il n'y a pas de Hautbois : cela aurait été pour le "modèle au-dessus". La Trompette du grand-orgue est donc le seul jeu à anches de l'instrument.
- A la pédale, il n'y a que 3 jeux, et ce sont les "incontournables" : une Soubasse pour fonder l'instrument, une Flûte 8', et une Gambe. Cette dernière est fondamentale dans cette esthétique, et on a ici choisi la version "haut de gamme" en 16'. En effet, avec la tirasse du grand-orgue (I/P), la Gambe 8' parle aussi à la pédale, et ce "Violon 16'" en est alors le complément idéal.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin et Joseph Rinckenbach de 1899 à 1917 plus de détails sur ces évolutions.
Comme tous les orgues authentiques, son historique est très court :
En 1998, Christian Guerrier fit un relevage. [IHOA]
Le buffet
Le dessin du buffet est une déclinaison de la structure de base définie à Buethwiller en 1883 : trois tourelles séparées par des plates-faces doubles. On en trouve des versions néo-classiques à Meistratzheim (1894), Buschwiller (1894), Fouchy (1896), Bréchaumont (1897), Richwiller (1898), Zellwiller (1899).
Au début, la tourelle centrale était volontiers plus petite, ce qui est très marqué à Lauw (1893), mais à Hoenheim (dès 1885), Mussig (1894) ou Houssen (1897), on trouve une version avec la tourelle centrale plus grande.
Il y eut d'autres déclinaisons sur une base néo-romane très ornée à Ettendorf (1908), Bourg-Bruche (1908, plates-faces triples), ou Dessenheim (1901).
Mais c'est à Werentzhouse (1889) et St-Louis-Bourgfelden (1899) que l'on trouve les dessins les plus voisins du buffet de Mitzach.
C'est ici une version éclectique, néo-romane par ses arcs plein-cintre, mais avec des pinacles et fleurons qui seraient plutôt néo-gothiques. Il y a des jouées d'un dessin original. Une frise finement sculptée parcourt tout le haut de l'instrument.
De plus, l'orgue de Mitzach est muni d'un petit buffet à fleur de tribune, rappelant les "positifs de dos" de l'orgue classique, ici évidemment purement esthétique.
Comme il s'agit d'une des seules façade d'avant 1917 qui ait été conservée en Alsace, elle vaut la peine de s'y intéresser :
- Elle est de très belle facture, avec des soudures très régulières.
- Les évidages à arrière sont pratiquement rectangulaires, le haut le et bas des ouvertures étant arrondi, mais très aplati.
- Les tuyaux sont dotés d'écussons rapportés dans les tourelles, mais ont des aplatissages ovales dans les plates-faces.
- Les oreilles, quand elles sont présentes, ont la forme d'un "U". (L'extrémité est constitué d'un demi-cercle, il n'y a pas de méplat comme on le voit après-guerre sur les façades de Joseph Rinckenbach.)
- La ligne des bouches est horizontale dans les plates-faces, et en "V" dans les tourelles. (C'est une règle assez stricte que l'on peut vérifier à de nombreuses reprises quand on dispose d'une façade Rinckenbach d'origine, ou d'une de ses représentations.)
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirants de jeux de section ronde, disposés en trois gradins de part et d'autre des claviers, munis de porcelaines orientées vers le haut à 45°. Il sont du même modèle qu'à Zellwiller (1899), Dauendorf, Biltzheim et Stotzheim (1904), Romanswiller ou Kogenheim (1905). (Ici dans une version sans point blanc au bout.) Les porcelaines sont à fond blanc pour le grand-orgue, rose pâle pour le récit, et jaune très pâle (presque blanc) pour la pédale. Commande des accouplements et tirasses par tirants, avec des porcelaines bi-colores pour respecter le code de couleur. Claviers blancs. Joues légèrement arrondies.
La pédale basculante de commande de la boîte est au-dessus du "h" du pédalier. Commande des combinaisons fixes par 4 pistons noirs à bout blanc, situés sous le premier clavier, au centre, et repérés par de petites porcelaines rondes placées en regard, entre les deux claviers : "P.", "M.F.", "F." et "0." pour l'annulateur. Banc dont les flancs figurent une lyre.
Plaque d'adresse en position centrale, au-dessus du second clavier, constituée de lettres en laiton incrustées sur fond en bois plus sombre, et disant :
Il est spécifié "Ober-Elsass", (et non "i.Els."), et il n'y a pas de numéro d'opus.
Les sommiers sont à membranes, entièrement d'origine (1901), et fort bien conservés. La disposition est diatonique, et le récit est devant la pédale, en hauteur. Les bouches de la pédale sont en-dessous de la boîte, dans un espace non cloisonné.
A l'intérieur de l'orgue, il y a les restes d'une étiquette d'expédition, en papier, disant "von Colmar [na]ch St Amarin" ("St Amarin" est manuscrit).
Sur la charpente est inscrit au crayon, sur deux colonnes, l'ordre des chapes des manuels, mais les deux Bourdons du grand-orgue sont inversés.
La tuyauterie, d'excellente facture, est caractéristique de la période romantique : Bourdons à calottes mobiles, biseaux à dents, certaines basses aux bouches arquées, entailles de timbre. Comme souvent chez les Rinckenbach, il y a de nombreux systèmes d'accord, parfois sur une même jeu, pour bien les adapter avec la tessiture sonore.
On trouve à Mitzach une Gambe (au grand-orgue) avec des entailles de timbre de la forme de trous de serrure. En Alsace, c'était un peu la "signature" de Martin Rinckenbach. Les orgues qu'il a réalisés avec son fils Joseph (et les orgues de celui-ci) ne présentent en général pas cette technique de facture. Ce sont probablement les dernières entailles en trou de serrure de Martin Rinckenbach.
On peut difficilement rendre compte par écrit de la magie émanant d'un pareil orgue totalement authentique. Celui de Mitzach a participé à la définition d'un style post-romantique alsacien, que Joseph Rinckenbach continua à développer jusqu'en 1930, et que Georges Schwenkedel ou Edmond-Alexandre Roethinger - soumis dès leur formation à d'autres influences - ont fait évoluer encore différemment jusqu'à la seconde guerre mondiale. Cette histoire se lit ici de façon fluide, sans qu'il ne soit nécessaire de tenir compte d'éventuelles modifications ultérieures. Du point de vue de la facture d'orgues, cet instrument est aujourd'hui un vrai trésor. C'est aussi un fabuleux instrument de musique, qui donne accès à un répertoire très large.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Edouard Rieth.
Photos du 14/03/2020 et données techniques
Accouplement et tirasses manquent à la composition.
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