Le somptueux buffet de l'orgue de St-Hippolyte abrite un instrument d'une immense valeur, qui reste peu connu du public. Sûrement parce que son historique a été publié trop tôt, en l'absence de pièces essentielles, et de façon dispersée dans de nombreuses publications savantes. Il est temps de considérer l'orgue de St-Hippolyte avec un regard neuf, en abandonnant les idées préconçues.
Pour commencer, il ne faut pas aller chercher "du Silbermann" à St-Hippolyte. Il y en a ailleurs, en grande quantité, et le fait que 99% des gens ne connaissent que ce facteur d'orgues ne rend pas les réalisations des autres moins bonnes. L'orgue Jean-André Silbermann de Marbach (dont on peut ici contempler le buffet) avait été conçu pour Marbach, et il faut être lucide : il n'est jamais vraiment arrivé à St-Hippolyte. Il n'y aurait même pas été adapté : une paroisse n'est pas une abbaye. La localité s'est retrouvée dans la même situation que les autres communes qui ont acquis des biens confisqués par la Révolution : l'instrument avait été endommagé, mal déménagé. Il était pratiquement impossible à entretenir, et surtout ne correspondait pas à son nouvel usage. Un orgue n'est pas un assemblage de bois et de métal, mais le fruit des efforts qu'une collectivité a consentis pour l'imaginer, le concevoir et le concrétiser. Les éléments construits par Jean-André Silbermann (rappelons qu'il sous-traitait ses buffets) ont tous été remplacés par différents facteurs entre 1791 et 1908, à l'exception des tuyaux de façade... lesquels ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. Il n'y a donc rien de Silbermann à St-Hippolyte.
C'est en 1908, à la Belle époque, que St-Hippolyte reçut "son" orgue. Son vrai orgue, celui que l'on voulait, et qui était adapté à l'usage local. C'est Martin Rinckenbach, le plus grand facteur d'orgues alsacien - n'en déplaise à ceux qui n'en connaissent qu'un - qui l'a construit, assisté de son fils Joseph, en installant une partie instrumentale neuve dans le buffet de Marbach. On ira voir et écouter les orgues de Martin et Joseph Rinckenbach construits au début du 20ème siècle (qui ont été préservés) pour se faire une opinion. L'orgue de St-Hippolyte a donc été construit à l'apogée de la facture d'orgues "post-romantique", parfois appelée "symphonique". Cette époque fut, en facture d'orgues comme dans d'autres domaines, une des plus fécondes qui soient.
L'église, consacrée à Saint-Hippolyte, remonte pour partie du 14ème siècle : certains éléments (comme le chœur) sont authentiquement gothiques. Une partie du mobilier est baroque : tableaux (dont "l'ascension de St-Hippolyte", 1786), statutaire (dont deux statues processionnelles du 18ème), ainsi que les trois autels. C'est pourquoi le buffet de 1739 est parfaitement adapté à l'édifice. Et un certain éclectisme caractérise aussi le lieu.
Historique
Un premier orgue fut construit en 1660 par Hans Jacob Aebi. [IHOA] [HOIE]
Cet instrument a été réparé par (Jean-)Daniel Cräner en 1747 (l'année de sa mort). [IHOA] [HOIE] [PMSAS1975]
Il est probable que ce fut une grosse réparation, car les orgues du 16ème n'étaient pas vraiment faits pour affronter les siècles. Mais c'est apparemment cet instrument qui était encore en usage au début de la Révolution.
L'orgue a été utilisé sans arrêt entre 1789 et 1793 : le service des organistes - l'un d'eux s'appelait Samuel Ludwig - en atteste. [IHOA]
Historique
En 1791, Mathias Thirion, le maire de St-Hippolyte, procéda pour sa commune à l'acquisition de l'orgue Jean-André Silbermann, 1739, d'Obermorschwihr, Abbaye de Marbach. [IHOA] [IHOA] [HOIE] [Barth]
Cet orgue était doté de 23 jeux (ce n'était donc pas un très grand instrument), sur trois manuels. [IHOA] [HOIE] [ITOA]
Le grand buffet "en 8 pieds" s'inspire de celui dessiné par André Silbermann pour Ebersmunster (lui-même inspiré par celui de St-Germain-des-Prés à Paris). Mais le positif de dos était muni de la fameuse "signature" visuelle de Jean-André : la tourelle centrale tri-lobée. Fait unique : le buffet est "signé" (monogramme de JAS sur le cartouche surmontant la tourelle centrale du positif). La composition (qu'on peut trouver dans l'article consacré à l'abbaye de Marbach) était sans surprise (on pourra la comparer à celles des derniers instruments d'André, par exemple celui de Rosheim) : Silbermann brillait décidément plus par la qualité de ses réalisations que par son imagination ou son sens de l'innovation.
Le buffet de cet orgue, et un émouvant narthex roman resté debout sur place, constituent tout ce qui est resté de la prestigieuse abbaye de Marbach après le passage du cortège de profiteurs et de spéculateurs adoubés par la Révolution.
Il n'y a que très peu d'exemples relatant le succès de rachats d'orgues confisqués aux congrégations religieuses à la Révolution. (Peut-être celui de Pairis racheté par Turckheim ?) Ces ventes étaient censées être de "bonnes affaires", mais les faits ont démontré le contraire : il y a une grande quantité d'exemples de "reventes" qui se soldèrent par la disparition immédiate de l'instrument (les orgues des Augustins de Wissembourg, de l'oratoire des Jésuites à Molsheim, des Chanoinesses d'Ottmarsheim, de Notre-Dame du Bon Secours à Lauterbourg, des Franciscaines (Tiercelines) d'Ensisheim, et de nombreux autres). La cause la plus probable était que ces instruments avaient été démontés de telle façon que leur remontage n'était tout simplement plus possible.
Car ces déménagements ont souvent été réalisés par des spéculateurs n'ayant pratiquement aucune compétence en facture d'orgues (ou qui les ont "oubliées" par appât du gain) : Lucelle (par le fameux Stephan Flum), l'orgue des Dominicaines (Unterlinden) de Colmar, des Franciscains de Kaysersberg (par Henry, coutumier de la "vente par appartements"), tout comme ceux des Dominicaines (Engelpforten) de Guebwiller ou des Clarisses d'Alspach, ou encore de l'abbaye de Neubourg, du couvent de Luppach, etc... partout, les tracas commencèrent rapidement, et la plupart de ces instruments ont dû être totalement rénovés. Ce qui entraîna de grosses dépenses (souvent équivalentes à l'acquisition d'un orgue neuf). Par la suite, à la fin du 20ème siècle, comble de l'ironie, on accusa ces communes d'avoir "démoli" des orgues historiques !
Pour en revenir à St-Hippolyte, l'inventaire des orgues d'Alsace (1986) rappelle sobrement les faits : "1793 : l'orgue de MARBACH est transféré à SAINT-HIPPOLYTE, après avoir subi les outrages de la Révolution (l'acte d'achat date de 1791)". [ITOA]
St-Hippolyte ne fit pas exception : une réparation fut nécessaire dès 1803, menée par François Callinet. [IHOA]
Une autre réparation eut lieu l'année suivante, en 1804, à nouveau confiée à François Callinet. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Barth]
Dans une lettre du 04/06/1805, le maire laisse un témoignage éloquent sur l'état de l'orgue, et le travail de François Callinet : les "mécanismes étaient tellement dérangés qu'il a dû y travailler bien au-delà de ce qu'il avait cru nécessaire".
Nouvelle intervention de François Callinet en 1818 (mais ce n'était peut-être un simple accord). [HOIE]
En 1821 s'achevèrent d'importants travaux à l'édifice (le clocher et la façade datent de cette époque). On avait évidemment démonté l'orgue. En 1822, un certain Johann Baptist Krembser remonta ce qui restait de l'orgue Silbermann dans l'église rénovée. Mais l'instrument ne donnait toujours pas satisfaction : en 1837 fut élaboré un nouveau projet de réparation, qui traîna ; il aboutit en 1843 à un simple nettoyage. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Barth] [RLopes]
Il fallut procéder à une nouvelle réparation, en 1855, menée par Valentin Rinkenbach, qui travailla à St-Hippolyte du 16 avril au 1er juin. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Barth]
Il posa un Bourdon de 16 pieds (sans octave grave) et une Gambe neufs, et supprima la Tierce 1'3/5, ainsi que la Cymbale du Grand-orgue. Une Bombarde de pédale avait été ajoutée, mais on ne sait pas quand, ni par qui.
Historique
Après avoir considéré la liste des événements survenus jusque là, on peut être certain que l'orgue de Marbach avait été déjà été totalement ré-harmonisé et transformé. On a longtemps qualifié de "désastreuse transformation" l'opération menée par les frères Wetzel en 1868. Mais en fait, l'instrument fut presque totalement reconstruit. [IHOA] [ITOA] [HOIE]
L'inventaire de 1986 est clair à ce sujet : "1868 : nouvel orgue WETZEL". [ITOA]
Un premier devis des frères Wetzel est daté de fin 1867. Il consistait à : [PMSRHW] [PMSAS1975]
- remplacer les sommiers de pédale (25 notes, et les placer 2m plus haut).
- remplacer 3 jeux de pédale par des neufs : Violoncelle 8', Flûte 4', Clairon.
- Construire un récit expressif complet (sommier neuf) sur la base de l'écho : ajouter les basses du Bourdon 8' et de Prestant, ajouter une Flûte à cheminée 4', une Flûte harmonique 4' (en fait, octaviante, à reprise), et un Basson/Hautbois (coupé en basse+dessus).
- Au positif, remplacer la Tierce par un Jeu céleste 4' (Salicional 4') en étoffe.
Le traité d'octobre 1867 propose une autre transformation :
- remplacement de la Fourniture du positif par un Salicional 4'.
- remplacement de la Tierce du positif par un Jeu céleste 4'.
- remplacement du Nasard du positif par une Flûte traverse 4'.
- remplacement du Nasard du grand-orgue par un Salicional 8'.
Puis ce devis fut complété d'un remplacement de la pédale, analogue au premier devis (sommiers neufs et surélevés, Violoncelle, Flûte 4', nouvelle Trompette, Clairon) mais allant encore plus loin : Soubasse et Flûte devaient être renouvelées (les nouvelles étant dotées de tailles plus larges). Remplacement du pédalier. [PMSRHW] [PMSAS1975]
Sur le papier, on pourrait croire que les frères Wetzel ont "tué le Silbermann". Mais à y regarder de plus près, leurs travaux étaient probablement la seule chose raisonnable à faire, surtout dans le contexte de l'époque : on voulait tout simplement un orgue qui fonctionne, et adapté à son utilisation à St-Hippolyte.
Historique
En 1908, Martin et Joseph Rinckenbach construisirent pour St-Hippolyte leur opus 108. [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Barth]
L'orgue de 34 jeux sur trois claviers et pédale (récit et positif expressifs),a été conçu dans le cadre d'un grand projet paroissial mené par le curé Kolb. Deux combinaisons libres, crescendo (qu'un bouton permettait de piloter depuis la pédale d'expression du positif) : l'orgue avait tout pour plaire aux organistes. Et les commentateurs - dont l'avis comptait beaucoup à l'époque - ont été très élogieux. C'est surtout l'harmonisation qui était louée, en particulier celle des anches, pour lesquelles, bien après 1870, l'Alsace continuait d'apprécier la "French touch". La réception eut lieu le lundi de Pentecôte (08/06/1908). Le rapport de François-Xavier Mathias et Marie-Joseph Erb est daté du 22/06 ; il souligne la qualité de harmonisation "Ganz besondere Bewunderung aber erregte die herrliche Intonation des Werkes, speziell der Zungenstimmen, durch die sich Rinckenbach ebenbürtig neben die französischen Intonateure stellt". "Simon", qui signe l'article de "Caecilia" en 1908, reprend la même phrase. [Caecilia1908] [Barth]
St-Hippolyte avait voulu et à obtenu un orgue exceptionnel. Il y a déjà son incroyable console, avec un dispositif très original pour visualiser les jeux : de petites plaquettes émergeant dans une fente horizontale.
On retrouvera une disposition analogue à Waldwisse (57) sur une console de Franz Staudt construite en 1913. Le facteur de Puttelange s'est-il inspiré de celle de St-Hippolyte (comment ?), ou d'une autre console ?
La partie sonore se distinguait par deux plans sonores expressifs (ce qui est très rare en Alsace), et des fondamentales très affirmées et variées : deux 16' manuels, et il y en avait quatre à la pédale. Car aucune concession n'a été faite sur la qualité : par exemple, le second Bourdon 16' ("Echobass") de pédale est souvent "virtuel" (réalisé avec les tuyaux de la Soubasse alimentés différemment), mais ici, il correspondait à un vrai jeu supplémentaire. L'esthétique symphonique française, tant appréciée en 1908, est donc épaulée par une pédale permettant d'ajuster très finement son intensité à celle des manuels. Il ne s'agit pas d'une "synthèse" entre les influences symphoniques françaises et le "spätromantik" allemand : il s'agit bien d'un style original, alsacien, qui a pu s'exprimer en totale liberté à St-Hippolyte.
Voici une restitution de la composition d'origine :
C | c | c' |
2'2/3 | 4' | 8' |
2' | 2'2/3 | 4' |
1'3/5' | 2' | 2'2/3 |
1'1/3 | 1'3/5' | 2' |
1' | 1'1/3 | 1'3/5' |
C | c | c' | c'' |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' |
1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
2/3' | 1' | 1'1/3 | 2' |
En 1909, la maison Rinckenbach publia sa plaquette "Orgelbauerei M. J. Rinckenbach Ammerschweier", ainsi que des planches montrant certains instruments récents, que la maison tenait donc à mettre en valeur. On y trouve l'Opus 100, l'orgue du jubilé, le fameux instrument du couvent de la Providence à Ribeauvillé (reçu le 02/05/1907, malheureusement démoli en 1966). Il y a aussi celui de Horbourg-Wihr (opus 104 à la console, et 103 sur les listes). Et, bien sûr, le grand orgue de St-Hippolyte. Au verso de la gravure, se trouve le texte suivant : [Orgelbauerei1909] [PlanchesRinckenbach]
"Orgue à 3 claviers avec 34 jeux réels construit en 1907 pour l'église paroissiale de St-Hippolyte par M. & J. Rinckenbach d'Ammerschwihr, en adoptant le système pneumatique tubulaire, avec une soufflerie à haute pression mue par l'électricité." [PlanchesRinckenbach]
On observe qu'en 1909, la transmission pneumatique était mise en avant, présentée comme un avantage déterminant (comme la soufflerie électrique). C'était, évidemment, avant la campagne de désinformation menée à la fin du 20ème siècle, essentiellement causée par la perte de compétence des facteurs. Comme la plupart des facteurs ne savaient plus l'entretenir et la régler, la transmission pneumatique a été "diabolisée" par les experts, d'autant plus volontiers que cela permettait d'imposer de juteux projets de "mécanisation". Aujourd'hui, une transmission pneumatique peut être au moins aussi bonne et fiable qu'une mécanique, à condition d'être entretenue par un facteur compétent. Exactement comme les autres types de transmission, d'ailleurs.
En 1917, les autorités réquisitionnèrent les tuyaux de façade, qui étaient les derniers éléments Silbermann de l'orgue. [IHOA] [ITOA]
A partir de là, un ensemble de querelles partisanes dont le monde de l'orgue est familier s'emparèrent de l'histoire de l'orgue de St-Hippolyte, et force est de constater que la "littérature" concernant ces événements confère au grand n'importe-quoi. Propos outranciers, termes exagérés, concours de superlatifs... C'est d'autant plus regrettable qu'à cause de toutes ces querelles, on a fini par oublier l'essentiel : l'exceptionnelle qualité de l'Opus 108 de la maison d'Ammerschwihr.
En 1924, on demanda une expertise à E. Andlauer (Sélestat, St. Georges) et G. Schmidlin (Colmar, St-Martin). Suite à cela, Edmond-Alexandre Roethinger procéda au remplacement de la façade et des membranes de la transmission. L'orgue donnait totale satisfaction, et faisait l'objet de nombreux compliments. [RLopes]
Dans les années 60, la transmission accusait des retards, qui pourraient bien trouver leur origine dans ces travaux de 1924. De toutes façons,Les orgues dotés de sommiers à membranes nécessitent le remplacement de ces dernières, environ tous les 30-40 ans. Il s'agit de pièces d'usure. En 1984, elles avaient... 60 ans. Mais au lieu de noter la longévité d'une traction pneumatique, et de procéder aux travaux utiles, on ne pensait à l'époque qu'à mettre les orgues au "goût du jour".
C'est de 1984 que date la regrettable transformation qui a malheureusement défiguré l'orgue de St-Hippolyte. [ITOA]
Pour certains "experts" du 20ème siècle, tout était fort simple : "Avant 1870=Génie. Après 1870=Décadence". Et vu la confusion apportée par la littérature organistique de l'époque, et la "pensée unique" pro-baroque qui sévissait, il ne faut pas s'étonner que des erreurs dramatiques aient été commises. Evidemment, il se trouva même une poignée d'extrémistes du tout-baroque pour proposer la reconstruction d'un simili-Silbermann dans ce buffet... Cela ne les aurait pas du tout dérangés d'envoyer à la chaudière l'orgue historique de St-Hippolyte, sans même essayer de savoir ce qu'il valait. Heureusement, l'argent manqua ! (La richesse est souvent la pire ennemie des orgues.)
Certaines modifications de 1984 font peine à voir. Mais le bilan technique est moins grave qu'il n'y paraît. Il est donc utile d'entrer dans les détails : [GFerber]
- Au grand-orgue, la Dulciane (Dolce) a été remplacée par une Quinte. Mais ses tuyaux graves en bois (C-H) se trouvent au dessus du soufflet. 2ème octave a servi à faire une partie de la Quinte 2'2/3, et le dessus (c'-g''') a été préservé et entreposé. Le jeu est donc restituable.
- La Mixture au grand-orgue a toujours été à 5 rangs. (Contrairement à ce que l'on pensait jusqu'à récemment.) C'était une Mixture-Cornet, avec Tierce sur toute l'étendue. Elle a été transformée en 1984, mais surtout par décalage, dans le but de la rendre plus aigues et d'enlever la Tierce. Malheureusement, de nombreux tuyaux ont probablement été réharmonisés.
- Au positif, le Gemshorn 4' a été remplacé par un absude Flageolet 1'. Mais le Gemshorn est aujourd'hui au récit (sur la chape du Basson/Hautbois), et n'a pas été reharmonisé, bien qu'il soit appelé "Flûte 4'". Il est donc intact. C'est un jeu emblématique de cette esthétique : on le retrouve dnas l'orgue du Hohwald (1905), de Waldighoffen (1907) ou de Lapoutroie (1913).
De plus, la Mixture du positif ("Progressiv harmonica 3 rgs 2'") est totalement d'origine. Le positif dispose donc de l'intégralité de sa tuyauterie d'origine. Mais, malheureusement, il n'est plus expressif.
- Le Basson-Hautbois du récit a été la perte la plus cruelle de l'opération de 1984. Remplacé par le Gemshorn 4' du positif, il a tout d'abord été envoyé à Wittenheim, Ste-Barbe (dans un environnement totalement étranger à son esthétique). Depuis, il a été récupéré, et il est actuellement entreposé dans l'attente de pouvoir rejoindre l'orgue de St-Hippolyte. Ce jeu est poinçonné comme celui de Stotzheim : "BASSON MUSETTE 8 56N C". [GFerber]
- Toujours au récit, le "découpage" de la malheureuse Aeoline en "Doublette" est fort préjudiciable. Beaucoup de tuyaux manquent, mais il existe des modèles, par exemple à Murbach (1906), Bourg-Bruche (1908) ou Ettendorf (1908). Il serait intéressant de voir si celle de Schweighouse-Lautenbach (1908) est encore là. Il y en avait une Gildwiller (1906), et bien sûr dans l'Opus 100 à Ribeauvillé.
- À la pedale, le Bourdon 16' a été décalé en Quinte 10'2/3. Mais les 7 premiers tuyaux (C-Fis) sont entreposés au dessus du soufflet.
L'appel grand-orgue (I/I) a été supprimé, et remplacé par une pédale d'annulation le la combinaison.
Il n'est pas étonnant que cette transformation fut qualifiée de "regrettable" par l'inventaire des orgues de 1986. A peine deux ans plus tard. Deux ans trop tard. Le libellé du devis fait d'ailleurs froid dans le dos : "Modification des jeux et de l'harmonie par décalage et recoupe des tuyaux : modification des fournitures pour obtenir des plein-jeux plus brillants. Le détail des travaux sera à définir plus précisément avec les responsables."
Maurice Moerlen procéda à la réception des travaux et signa le procès verbal le 17 novembre 1984. L'orgue a été inauguré le 06/01/1985 par Maurice Moerlen (J.S. Bach, mais aussi... Daquin et Pachelbel ! - cela ne s'invente pas...) et Michel Gaillard. [RLopes]
Vingt ans passèrent. Un rapport d'expertise, mené par Marc Baumann et Robert Pfrimmer est daté du 09/01/2004. Il clarifie heureusement la situation, redonne de l'espoir, en confirmant la qualité de l'orgue Rinckenbach, en "détourant" l'intervention de 1984, et mettant définitivement un terme (on l'espère) aux élucubrations absurdes, genre "Oh! Si on 'reconstruisait' un Silbermann dans le buffet ?!" : "L'instrument fonctionne bien et ne nécessite aucune transformation majeure, bien au contraire. Pour préserver l'instrument et lui assurer le meilleur fonctionnement dans le futur, il y a lieu de conserver l'ensemble tel qu'il nous est parvenu. Les éléments de transmissions ainsi que la tuyauterie sont sains. Toute intervention serait inutile et causerait plus d'ennuis qu'elle apporterait d'améliorations."
Il expose aussi l'état fort préoccupant de la soufflerie.
14 ans ont passé. Heureusement, sûrement grâce à l'expertise de 2004, rien d'irréparable n'a été commis. Mais le temps a continué son œuvre, et l'instrument nécessiterait un bon relevage, et, surtout, la réparation des dégâts causés par l'absurde opération de 1984.
Le buffet
Les couronnements du grand buffet ont été éliminés, par manque de hauteur sous plafond, en 1791, mais le reste y est, caractéristique du style rocaille, à son apogée dans le dernier tiers du 18ème.
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
1' | 1'1/3 | 2' |
2/3' | 1' | 1'1/3 |
1/2' | 2/3' | 1' |
1/3' | 1/2' | 2/3' |
C | c | c' | c'' |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' |
1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
2/3' | 1' | 1'1/3 | 2' |
Console indépendante dos à la nef. Tirage des jeux par dominos placés en 3 gradins, de part et d'autre des claviers. Les dominos sont munis de porcelaines à fond coloré identifiant le plan sonore : blanc pour le grand-orgue, rose pour le positif, bleu pour le récit et vert pour la pédale. Claviers blancs.
Commande des combinaisons et du crescendo par poussoirs blancs, situés en ligne sous le premier clavier, et repérés par de petites porcelaines rondes placées entre le premier et le deuxième clavier : "PP.", "P", "MF", "F", [effacée], [effacée], "0" ; suit un espace, 4 effacées, "0", puis un espace, "Crescd" et "0.". Commande des accouplements et tirasses par pédales-cuillers à accrocher, en fer, repérées par des porcelaines rondes avec le code de couleur des plans sonores : de gauche à droite : "Collectiv koppel", "Pedal koppel III", "Pedal koppel II", "Pedal koppel I", "Koppel III à II", "Koppel III à I", "Manual Koppel II à I", "Suboctav III à I", "Super octav II à I". La dernière porcelaine a disparu et a été remplacée par un rond en papier manuscrit figurant "ANNUL. COMB." : la pédale correspondait fort probablement à l'appel grand-orgue, car celle-ci est toujours à droite dans les orgues Rinckenbach pneumatiques. A l'origine, il y avait deux pédales d'expression : celle du récit et celle du positif, cette dernière pouvant aussi contrôler le crescendo. (Il y a un autre exemple de pédale commune expression/crescendo à Sentheim.) Aujourd'hui, la pédale basculante de gauche commande le crescendo et celle de droite l'expression du récit ; on relève les traces du coin en bois qui supportait la porcelaine (disparue) de l'ancien repérage.
Large plaque d'adresse (1 octave et demi du clavier) sur fond noir à lettres en laiton, située au-dessus du troisième clavier :
Elle est du même modèle qu'à Bourbach-le-Haut et Sentheim.
La registration (et progression du crescendo) est visualisée dans une fente horizontale par des plaquettes carrées qui montent et deviennent visibles quand le jeu est appelé. Ce dispositif est extrêmement rare.
Quand on analyse l'ordre des jeux du crescendo (avec la composition d'origine), on confirme que les deux ondulants (la Voix céleste et l'Unda maris) n'en font pas partie, mais on se rend compte que la Dulciane (I) n'y est pas non plus (suite à une modification de 1984 ?).
Le Bourdon 16' du grand-orgue n'est appelé qu'à la dernière étape (16) du crescendo, mais le plan sonore sonne déjà en 16' depuis l'étape 14 en faisant entendre le Quintaton 16' du récit, puis en 32' à l'étape 15 avec l'accouplement III/I 16'. Le Principal 8' est appelé en même temps que la Gambe. La Mixture arrive tard (étape 13), et directement avec la Trompette : on ne fait pas entendre les Mixtures sans les anches. C'est en même temps que vient la "Progressiv harmonica" du positif.
Au positif, la Clarinette a certes un statut "soliste", mais elle participe aussi au chœur d'anches, à l'avant-dernière étape du crescendo, juste après que l'on ait passé le positif en 16' grâce à l'appel du Quintaton 16'.
Au récit, comme on pouvait s'y attendre, le Hautbois arrive (arrivait) tôt (étape 9). Aujourd'hui, la "Doublette" néo-baroque (sur la chape de l'Aeoline) est appelée à l'étape 10, mais l'Aeoline qu'elle remplace devait intervenir bien plus tôt : c'est un jeu très important dans l'esthétique "Spätromantik". L'étape 2 du crescendo étant aujourd'hui incohérente (Gedackt I, Lieblich gedackt II et III/I sans jeu au III), on peut en déduire que l'Aeoline devait venir dès l'étape 2.
A la pédale, la Flûte 4' est plutôt conçue comme un jeu "de couronnement" (étape 14/16 du crescendo). La Bombarde entre à l'étape 15 (l'avant dernière) avant le Clairon et le Bourdon 16' du grand-orgue.
pneumatique tubulaire, transformée en 1924 par la maison Roethinger, ainsi qu'en 1984, et dans les années suivantes.
d'origine (1908). Rappelons que ces sommiers et la transmission pneumatique sont indispensables pour parvenir à la splendide harmonisation des jeux de 1908. Les remplacer par des sommiers à gravures ou "mécaniser" la transmission signerait l'arrêt de mort de ce magnifique instrument : une erreur à éviter à tout prix.
La disposition est très spécifique :
- la pédale est logée à l'avant du buffet, partant du soubassement et rejoignant le haut de la partie centrale du buffet (là où on s'attend à trouver le grand-orgue). La disposition est diatonique, en mitre (basses au centre).
- Le grand-orgue est diatonique, les deux sommiers étant logés orthogonalement à la façade, en hauteur, en avant et sur les côtés. Les aigus sont en avant, et les basses au fond.
- Le positif est placé dans le soubassement, à l'arrière. Cette disposition s'explique probablement par le fait qu'il était expressif ; quel dommage que cette boîte expressive ait été démontée et perdue ! Deux sommiers diatoniques, basses aux extrémités.
- Le récit est logé tout en haut et dans le fond, pratiquement dans le clocher. Cela explique son magnifique effet "Fernwerk", lorsque l'éloignement (et l'acoustique du lieu) interagit avec l'expression.
La tuyauterie est de belle facture, très étoffée. Tout ce qui est d'origine (1908) est cohérent. De nombreux tuyaux métalliques sont en Spotted, un alliage qui, décidément, doit figurer parmi les plus nobles de la facture d'orgue : il est à la fois résistant, durable, et permet des harmonisations d'une grande finesse.
La Trompette solo du récit est particulièrement réussie, et constitue l'une des plus belles du genre, tout comme la Clarinette du positif (ce jeu étant devenu extrêmement rare, car ils ont souvent été transformés en "Cromornes" pour suivre la mode "néo-baroque").
Les fonds sont de toute beauté, et laissent imaginer comment ils sonneraient sans les problèmes de vent. Actuellement, les crescendos romantiques sont difficiles à mener, à cause des "trous" laissés par les "petits jeux" de 1984, et parce que le positif a perdu son expression.
En guise de conclusion, que l'on espère très temporaire, on peut dire qu'on trouve à St-Hippolyte un des plus beaux buffets d'orgue d'Alsace, abritant un des plus beaux orgues d'Alsace, construit par Martin et Joseph Rinckenbach en 1908, et malheureusement dénaturé en 1984. Il est aujourd'hui en assez mauvais état, et le manque de vent rend le comportement des accessoires parfois un peu aléatoire.
Mais, une fois à la console (très confortable) et après un petit temps d'adaptation, s'impose l'incroyable potentiel de cette fabuleuse machine. L'Opus 108 est aux orgues ce que le Nautilus est aux sous-marins... sauf qu'il est réel. Cet instrument est l'un des plus attachants qui soient ; un orgue qui fait aimer les orgues. Pour se faire une idée de ce que pourrait être cet orgue une fois relevé, on peut aller visiter ceux de Dessenheim (1901), Urschenheim (1904), Murbach (1906), Horbourg-Wihr (1904), Ettendorf (1908) ou Sentheim (1909). Tous ces instruments sont extrêmement attachants et disposent d'une palette sonore très riche. L'orgue de St-Hippolyte, avec ses 34 jeux, est beaucoup plus grand.
Espérons de tout cœur qu'il sera restauré dans son état de 1908, et qu'on lui rende ses jeux altérés en 1984 : il le mérite plus que tout autre.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Jean-Jacques Heyberger et à Madame Deiss.
Données historiques et techniques ; relevé de la Mixtuire GO
L'article est factuel.
L'inventaire de 1986 n'a pu que constater les dégâts de 1984. Il donne d'ailleurs la (belle) composition d'avant les faits, et note "COMPOSITION : (avant les regrettables transformations de 1984. [...])".
Historique de l'instrument, recherches documentaires
CR de visite et photos de l'instrument.
On sait que cet ouvrage, fondamental mais trop tôt paru, compte de nombreuses lacunes. Toutefois, en l'absence d'information, un peu de prudence aurait permis d'éviter de commettre de pareilles "erreurs judiciaires". L'auteur accuse la maison d'Ammerschwihr d'avoir "tué ce Silbermann" et s'étale en superlatifs et en effets de manche, d'autant plus regrettables que les affirmations concernant les faits reprochés sont fausses. La page 103 contient de nombreuses erreurs, contredites par les études ultérieures (parfois dues à l'auteur lui-même, qui a dû lourdement regretter les phrases outrancières écrites dans cet ouvrage). La page 104 est totalement absurde.
L'ouvrage du même auteur, paru en 1979, rétablit (timidement) la vérité en décrivant les travaux Wetzel, 1686, et en commentant : "Après cela, on ne s'étonne plus qu'il ait fallu remplacer ce Silbermann-Callinet par un Rinckenbach 1908". Un peu léger, tout de même, après les délires verbaux de la page 104 du "Callinet"...
Dans cet ouvrage - par ailleurs excellent - on peut lire "Cet orgue est l'un des rares orgues Silbermann a être conservé en Alsace". C'est doublement faux. Voici les faits : en acceptant les critères qui feraient de l'orgue de St-Hippolyte un orgue Silbermann (i.e. un instrument à tuyaux logé dans un buffet qui avait été construit pour un orgue Silbermann) on trouve 41 "Silbermann" en Alsace. L'article se contredit (heureusement) un peu plus tard : "Depuis 1908, le buffet de Silbermann [...] contient un orgue réalisé par la maison Rinkenbach (sic) d'Ammerschwihr". C'est exact (sauf l'orthographe du nom : Martin et Joseph écrivaient "Rinckenbach", contrairement à Valentin et aux frères, qui écrivaient "Rinkenbach". Mais la contradiction a eu le temps de causer la confusion dans l'esprit du lecteur, même s'il a lu l'article jusqu'au bout. Rappelons enfin que ni André, ni Jean-André Silbermann ne construisaient leurs buffets. Ils les dessinaient et les sous-traitaient à d'habiles menuisiers.
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