On trouve à Magstatt-le-Bas l'opus 25 du plus grand facteur d'orgues alsacien : Martin Rinckenbach. La construction de l'instrument actuel a été achevée en 1890, et c'est déjà le troisième orgue de Magstatt-le-Bas : leur histoire commence en effet dès l'Ancien régime.
Historique
Le premier instrument du lieu à été fourni en 1745 par Jean-Baptiste Waltrin. [IHOA] [PMSAEA85]
On le sait, tous les orgues du 18ème n'étaient pas des chefs d'œuvre, loin s'en faut. De fait, Waltrin, "toujours à court d'argent", revendit sa créance avant d'avoir été payé ; et l'orgue ne dura que 25 ans. [PMSAEA85]
Le banc de Waltrin a été conservé (on peut toujours le voir à la tribune). La qualité des assemblages atteste que, si le reste de l'orgue était construit de la même façon, les 25 ans de durée de vie tenaient déjà du miracle.
Historique
C'est Weinbert Bussy, de Pfaffenheim, qui remplaça l'instrument de Waltrin, et ce dès 1770. L'accord fut conclu le 27/09/1770. [IHOA] [PMSAEA85]
On le sait, tous les facteurs d'orgues du 18ème n'étaient pas des génies, loin s'en faut. Dès 1774, Christian Langes dut y faire des transformations significatives. [PMSAEA85]
Et ce n'étaient pas des améliorations "voulues", mais ("um die Orgel zu stimmen und so brauchbar zu machen als es von Nöthen") nécessaires pour le rendre jouable. Le pédalier a sûrement été étendu, car le banc de Bussy (conservé à la tribune) est plus étroit que celui de Langes. [PMSAEA85]
L'instrument a été démonté en 1881 par Meinrad Burger. [PMSAEA85]
L'organologie de la fin du 20ème siècle, toujours désespérément à l'affût de "chefs-d'œuvre oubliés du 18ème" se demanda si cet instrument n'avait pas été remonté ailleurs. Mais c'est oublier que : 1) on voit mal qui, en 1881, aurait accepté - même gratuitement - de récupérer ce matériel probablement totalement délabré et 2) le banc (de Christian Langes) est toujours sur place ; or si l'orgue avait été vendu, cela aurait probablement été avec.
Historique
En 1890, Martin Rinckenbach plaça à Magstatt-le-Bas son 25ème orgue neuf, de 16 jeux sur deux claviers et pédale, logé dans un superbe buffet réalisé par la maison Klem. [LR1907] [IHOA] [ITOA]
Si, jusque là, la localité n'avait pas eu la main très heureuse en ce qui concerne le choix des facteurs d'orgues, il en fut autrement en 1890, où l'on s'dressa au plus grand de la facture romantique alsacienne. L'instrument est pratiquement contemporain de celui de Niederhergheim (qui est un peu plus grand) et de celui de Werentzhouse (qui a également 16 jeux et la même composition). Tous sont contemporains du petit bijou que Rinckenbach livra au pensionnat Ste-Marie de Ribeauvillé.
Comme à Werentzhouse, la composition de 16 jeux respecte totalement les standards de l'orgue post-romantique français décliné par Rinckenbach (avec un enrichissement des fonds). Il y a 8 jeux au grand-orgue : avec le 16', les deux 4', la Mixture et la Trompette, il restait donc trois 8' : il a fallu renoncer à la Flûte harmonique 8'. Le récit de 4 jeux comporte le Salicional et sa Voix céleste (puisque le récit est expressif ; elle n'y est pas à Muttersholtz ou Mussig, et c'est donc un choix), un 4' et l'indispensable Flûte à cheminées 8'. Pas de Hautbois. Si, au grand-orgue, une concession a été faite (la Flûte ouverte 8'), il n'en va pas de même à la pédale : malgré les 4 jeux, il y a une anche (Ophicléide 8'). Un fait est significatif : l'anche de pédale a la priorité sur celle du récit. Peut-il faut-il y voir un attachement particulier, dans la région, à la musique très contrapuntique.
Si l'architecture de l'instrument, mais aussi la console, la Voix céleste, les jeux harmoniques et l'harmonisation de la Trompette manuelle témoignent de l'influence "romantique parisienne" (Cavaillé-Coll, Merklin), l'esthétique sonore s'en écarte finalement de façon significative, et c'est bien un style romantique alsacien que l'on rencontre ici.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces choix esthétiques.
Comme tous les orgues restés authentiques, celui de Magstatt-le-Bas a un historique plutôt court. Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités 1917. [ITOA]
En 1922, Théophile Rinckenbach vint faire un entretien, et les tuyaux de façade ont peut-être été remplacés en 1925 par Joseph Rinckenbach. [IHOA] [ITOA]
Dans les années 1950, l'entretien a été confié à Pierre Huguin, de Champs-le-Duc (que l'on vit travailler en Alsace à Ingersheim, Herrlisheim-près-Colmar, Traubach-le-Haut ou Husseren-Wesserling). Heureusement, il n'effectua aucune modification. [ITOA]
Il y eut un relevage en 1985, par Antoine Bois. [IHOA] [ITOA]
Un nouveau relevage a été mené en 2011 par Hubert Brayé. Une façade neuve a été posée. [Visite]
Le buffet
L'exceptionnel buffet néo-gothique de l'orgue de Magstatt-le-Bas a été construit par la maison Klem, de Colmar. Les années 1890 constituent certainement l'apogée de ce style.
Comme souvent pour les orgues Rinckenbach, il y a trois tourelles séparées par deux plates faces. La tourelle centrale est la plus grande, elle est plate, alors que les tourelles latérales sont en tiers-point. On avait déjà vu de telles tourelles en tiers-point à Mulhouse, St-Joseph (1887), et on les retrouve à Ensisheim (1897) et Vieux-Thann (1899). Elles ont connu un développement spectaculaire (en trois parties) à Oberbronn (1891), sur le malheureux "Wunderwerk" mutilé en 1960, au début de la "période noire" de l'orgue alsacien.
Les tourelles ont des culots constitués de volutes retombantes. Sur les orgues Rinckenbach, les places-faces sont souvent doubles. Ici, cela est juste esquissé par les claires-voies, qui divisent les plates-faces en deux par le haut. Le bas des plates-faces est ajouré. Les couronnements sont particulièrement développés, et s'étendent jusqu'à la voûte, avec des galerie et des fleurons pour les tourelles latérale, ainsi que des créneaux. Deux impressionnants rinceaux finement sculptés surmontent les places faces. Le retour du rinceau droit a malheureusement disparu.
Enfin, comme c'est souvent le cas pour les buffets néo-gothiques (mais pas toujours), il y a des jouées, finement ajourées, et surmontées de pinacles et de crochets.
On retrouve donc l'essentiel du langage ornemental du style, avec en plus deux particularités : des "quatre-feuilles" inscrits dans un carré au bas des jouées, et une base torsadée des colonnettes engagées.
Caractéristiques instrumentales
C | c' |
2'2/3 | 4' |
2' | 2'2/3 |
1'1/3 | 2' |
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés munis de porcelaines, disposés en deux gradins de part et d'autre des claviers. Les jeux du grand-orgue sont repérés par des caractères noirs, ceux du récit sont en rouge, et en bleu pour la pédale. Comme souvent chez Martin Rinckenbach, on trouve le grand-orgue en bas, la pédale en haut à gauche, et le récit en haut à droite. Claviers blancs, les deux à frontons droits. Joues moulurées.
Commande de la tirasse et de l'accouplement par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé piqué, et repérées par des porcelaines rectangulaires blanches. Du côté gauche : "Kopel I u. P." (sic, un seul "p" ; I/P, transitive, i.e. la pédale tire le récit quand II/I est engagé), au centre : "Kopel II u. I." (II/I). Plus à droite, la pédale-cuiller de commande de l'expression du récit (porcelaine "Expression."), qui est à trois positions (ouvert/moyen/fermé).
Plaque d'adresse placée en haut au centre de la console, constituée de lettres en laiton incrustées dans un rectangle de bois clair. Le texte est encadré :
Le mot "Ammerschweier" ondule entre les deux dernières lignes. Comme à Niederhergheim ou Werentzhouse, il y a la faute d'orthographe "Elsas" avec un seul "s".
Banc d'origine, dont les flancs figurent une lyre.
Les modillons ornant l'angle droit formé par le bas de la table et le montant de la console, lorsqu'il existent (c'est réservé aux consoles "haut de gamme"), constituent une façon supplémentaire de personnaliser l'instrument. Ici, ce sont des volutes néo-gothiques avec un crochet central ; on trouve les mêmes à Selestat. A Werentzhouse, ce sont des motifs végétaux. A Niederhergheim et Mulhouse, St-Joseph, ce sont des vaguelettes. A Ribeauvillé, ce sont des anges (très élaborés). A Hoenheim, c'est une volute ajourée. A Ste-Marie-aux-Mines, une grande volute en feuille d'acanthe.
Mécanique à équerres.
A gravures, d'origine. La disposition du grand-orgue et de la pédale sont habituelles : grand-orgue diatonique derrière la façade, et pédale diatonique, à l'arrière et parallèle au grand-orgue. Le récit est chromatique, et disposé orthogonalement et en hauteur, basses à l'arrière, avec des vergettes horizontales longeant le dessous.
La tuyauterie est de très grande qualité. Les Bourdons ont des calottes mobiles, les Gambes des entailles de timbre en forme de trou de serrure. Biseaux à dents.
A la pédale, l'ordre des chapes est (de l'avant vers le fond) : l'Ophicléide 8', le Violoncelle 8', l'Octave 8' et la Soubasse 16'.
Cet orgue est dans un état de conservation exceptionnel. A part la façade et le trémolo (qui n'est qu'un ajout), tout est entièrement d'origine. Comme son authenticité et l'état impeccable de sa tuyauterie le laissait prévoir, le résultat sonore est caractéristique de la facture de Martin Rinckenbach, avec l'harmonisation toute distinguée qu'on lui connaît.
En tous cas, c'est un instrument à découvrir, tant pour son intérêt historique que musical.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Martine et Hubert Kelbert.
Photos du 15/05/2021 et données techniques.
"Niedermagstatt 16"
im68004595
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