Martin Rinckenbach construisit pour Hoenheim son opus 10 en 1885. Le style de la grande maison d'Ammerschwihr - issu du symphonisme européen - est déjà complètement affirmé : même si, dans les années qui suivirent, la facture d'orgues évolua énormément, surtout en ce qui concerne la transmission des notes, la "base sonore" et les techniques d'harmonisation utilisées ici sont bien celles que l'on retrouve au début du 20ème siècle. Cet instrument est resté pratiquement authentique, et c'est un passionnant témoin de l'âge d'or de l'orgue alsacien.
Historique
C'est en 1885 que Martin Rinckenbach installa à Hoenheim son 10ème orgue neuf. [LR1907] [IHOA]
A proximité de Strasbourg, il n'est pas étonnant que Rinckenbach ait été mis en concurrence avec les frères Wetzel : ils proposèrent le 26/06/1884 un instrument de 19 jeux. [PMSRHW]
Rinckenbach n'avait jusque-là posé que deux orgues dans le Bas-Rhin : celui de Sélestat en 1881 et celui de Griesheim-près-Molsheim en 1884. Par la suite, il y en eut un à Ebersheim en 1885 et un autre à Rothau en 1886, avant la construction du grand instrument de Geispolsheim en 1888.
Si on considère l'ensemble de la production de la maison d'Ammerschwihr à ce moment, l'orgue de Hoenheim est contemporain de celui de Koetzingue (opus 11). L'opus 9 était un instrument d'étude (4 jeux), construit pour le curé Chrysostome Fix de Dolleren.
En 1885, Hoenheim comptait moins de 1600 habitants, et cette acquisition a dû représenter un effort considérable. La composition, de 22 jeux, est un vrai cas d'école, représentatif de la facture symphonique alsacienne. Esthétiquement inspirée par la facture parisienne des années 1860-1880 (du point de vue de la composition et des consoles), elle fait usage de techniques plutôt germaniques (pour la tuyauterie). Fondé sur 16', le grand-orgue s'organise autour du "carré d'or" des jeux de 8' (Montre, Flûte, Bourdon, Gambe).
L'ascendance "outre-Vosges", se manifeste par un récit muni d'une Voix céleste et d'un Hautbois, ou des jeux harmoniques. Ainsi qu'une console plutôt française, dont le nombre de commandes à pied est toutefois limité. Il n'y en avait que deux à l'origine : la pédale-cuiller pour l'accouplement II/I, et la pédale d'expression, qui semble avoir été à bascule (donc progressive) dès la construction. La pédale elle-même semble récente, mais l'ouverture en plein cintre est conforme à ce que l'on trouve sur les consoles Rinckenbach équipées d'une expression à bascule.
Et, pour l'ascendance "outre-Rhin", on trouve un "Geigenprincipal", la Trompette au grand-orgue, un récit complet et une pédale très fournie. Cette pédale, de 5 jeux, est si richement dotée (deux anches, une Gambe) que l'orgue n'avait pas été muni d'une tirasse à l'origine.
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces choix esthétiques.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 30/05/1917. [IHOA]
Ils ont été remplacés en 1922. [IHOA]
Il y eut un relevage en 1974, par Alfred Kern. [IHOA]
En 1980, on décida malheureusement de remplacer la façade de 1922 (qui présentait l'intérêt d'être bien plus proche de l'époque romantique, et avait un intérêt historique évident) par des tuyaux neufs. Ceux-ci ont été placés par Alfred Kern... avec une ligne de bouche fausse. [ITOA] [Visite]
Il y eut un relevage en 2018, par la maison Koenig. [VWeller] [Visite]
A cette occasion, deux tirasses - I/P et II/P - indépendantes de l'accouplement ont été ajoutées. [Visite]
Dans le cas de nombreux orgues de l'époque, la tirasse grand-orgue (I/P) est "transitive", c'est-à-dire qu'avec l'accouplement des claviers (II/I), le pédalier joue aussi le récit. Ce qui crée une tirasse récit (II/P) implicite. Il n'est dans ce cas pas possible, pour la pédale, de jouer le récit sans le grand-orgue. Ni le grand-orgue seul quand les claviers sont accouplés. Dans le cas de tirasses indépendantes, quand I/P et II/I sont activés, le pédalier ne joue pas le récit, à moins d'activer également la tirasse correspondante (II/P).
L'absence de tirasse à l'origine reste d'ailleurs surprenante.
L'orgue a été inauguré le 27/05/2018 par Thomas Kientz, avec des œuvres de Bach, Homilius, Vierne, Brahms, Widor et Duruļ¬é. [VWeller]
Le buffet
Le dessin du buffet est une évolution de celui construit pour Buethwiller en 1883. Le buffet Rinckenbach "type Buethwiller" est constitué de trois tourelles plates, la centrale étant souvent un peu plus petite que les autres (mais pas toujours), et de deux plates-faces doubles. Il présente l'intérêt de bien s'adapter aux tribunes de faible hauteur : Fouchy (1896), Bréchaumont (1897), Richwiller (1898), Zellwiller (1899). On le retrouve à Meistratzheim (1894), comme à Buschwiller (1894), et à Lauw (1893), la tourelle centrale est encore plus petite.
Ici, comme la hauteur disponible est plus grande, tout comme à Mussig (1894) ou Houssen (1897) on trouve une version avec la tourelle centrale plus grande.
L'ornementation est néo-classique, avec, sur la tourelle centrale, un fronton interrompu déjà vu à Ste-Marie-aux-Mines en 1882. On le retrouvera à Bréchaumont en 1897 dans une version particulièrement ornée.
Malheureusement, la ligne des bouches actuelle est fausse : dans les plates-faces doubles, elle devrait être horizontale, et non en "V".
Caractéristiques instrumentales
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés munis de porcelaines, disposés en deux gradins de part et d'autre des claviers. Les noms des jeux du grand-orgue sont écrits en noir, ceux du récit en rouge, et en bleu pour la pédale. Comme souvent chez Martin Rinckenbach, les jeux du grand-orgue sont en bas, ceux de la pédale en haut à gauche, et ceux du récit en haut à droite. Il y a un tirant supplémentaire (porcelaine blanche) en bas à droite, et, à gauche des jeux de pédale, un trou semble avoir été rebouché. (A l'église protestante de Sélestat, l'accouplement des claviers se fait par tirant. Le trou bouché correspond peut-être au déplacement de la commande vers une pédale.)
Claviers blancs, les deux à frontons biseautés. Joues droites.
Commande des tirasses et de l'accouplement par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé piqué, et repérées par des porcelaines rectangulaires blanches récentes. Du côté gauche : "Tirasse I", "Tirasse II", et "Expression". Il est dommage d'avoir utilisé les noms modernes pour les tirasses : Martin Rinckenbach utilisait plutôt : "Koppel I u. P.". A droite de la pédale basculante d'expression (récente, mais l'originale était peut-être déjà une bascule), il y a la pédale-cuiller (d'origine) commandant l'accouplement. Là aussi, le libellé est malheureusement "Accouplement" au lieu de "Koppel II u. I.".
Plaque d'adresse en métal blanc, placée en haut et au centre de la console, et disant :
Cette plaque est du même modèle que celles de Sélestat, Ste-Marie-aux-Mines, Buethwiller, Rothau ou Griesheim-près-Molsheim.
Banc d'origine, dont les flancs figurent une lyre.
Les modillons ornant l'angle droit formé par le bas de la table et le montant de la console, lorsqu'il existent (c'est réservé aux consoles "haut de gamme"), constituent une façon supplémentaire de personnaliser l'instrument. Ici, c'est une volute néo-gothique ajourée (sans crochet central). Il y a le modèle avec crochet central à Sélestat et Magstatt-le-Bas. A Werentzhouse, ce sont des motifs végétaux. A Niederhergheim et Mulhouse, St-Joseph, ce sont des vaguelettes. A Ribeauvillé, ce sont des anges (très élaborés). A Ste-Marie-aux-Mines, c'est une grande volute en feuille d'acanthe.
Mécanique à équerres.
A gravures, d'origine. La disposition du grand-orgue est standard : diatonique en "M" (bases aux extrémités) derrière la façade (à 160cm au-dessus du niveau de la tribune). Le récit est également diatonique en "M" (130cm au-dessus du grand-orgue). La pédale est 45cm au-dessus du grand-orgue.
La tuyauterie est de très grande qualité. Les Bourdons ont des calottes mobiles, les Gambes des entailles de timbre en forme de trou de serrure. Biseaux à dents.
C'est clairement un des plus beaux orgues de l'Eurométropole, et un de ses seuls instruments historiques qu'on puisse qualifier d'authentique. Associé à celui de Bischheim (1933), qui est l'autre "figure" du nord de l'agglomération strasbourgeoise, il permet de raconter et d'illustrer une bonne partie de l'histoire de l'orgue alsacien.
On peut mesurer le chemin accompli en seulement quelques années en comparant les instruments de Balgau (encore très voisin de la facture "de transition / pré-romantique" de Valentin Rinkenbach) à celui-ci, qui tient à la fois de Joseph Merklin et d'Eberhard Friedrich Walcker. En 1885, la facture alsacienne avait déjà rattrapé le retard considérable pris au cours des deux premiers tiers du 19ème, quand, sûrement victime d'une demande pléthorique, donc de la facilité, elle avait cédé à un évident "repli sur soi". Rappelons que l'amorce de la fin de l'autarcie alsacienne n'est pas à situer en 1870, mais en 1856, à Husseren-Wesserling.
Mais au-delà de cet intérêt historique, l'orgue de Hoenheim s'illustre avant tout par une harmonie pleine et idéalement adaptée à son édifice. Elle est caractéristique des œuvres préservées de Martin Rinckenbach.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Hélène Fleitz.
Photos du 29/08/2021 et données techniques.
Affiche du concert inaugural de 2018.
Photos de 2012.
Photos du 12/08/2006.
"Hoenheim 22"
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