L'église St-Etienne de Rosheim abrite un orgue passionnant, un des plus grands et des plus importants d'Alsace. Avant tout, ce n'est PAS un orgue Stiehr. C'est le buffet qui est de la maison Stiehr : il provient de l'orgue précédent. De fait, cette majestueuse machine n'a jusqu'ici été que peu étudiée. Si bien que sa découverte offre de belles surprises ! Car souvent, la réalité est bien plus belle que ce qu'on lit dans les vieux livres traitant d'orgues "historiques". L'histoire des orgues, à l'église de l'Oberstadt de Rosheim, commence certes avant 1665, mais nous livre surtout aujourd'hui un instrument qui mérite vraiment une place significative dans l'avenir de l'orgue alsacien.
Historique
Un premier instrument, qui n'était qu'un positif, est attesté en 1665. [IHOA]
Historique
Le deuxième instrument de l'Obere Kirche n'était également qu'un positif. Il a été fourni par André Silbermann en 1725, et venait de Strasbourg, Eglise protestante St-Pierre-le-Jeune. Il y avait été loué ou prêté de 1719 à 1725, dans l'espoir d'obtenir le marché pour un instrument neuf. Il y resta de 1719 à 1725, date à laquelle c'est finalement avec Joseph Waltrin, le principal concurrent de Silbermann, que fut conclu le marché pour la construction d'un orgue neuf à St-Pierre-le-Jeune. Le "quatrième positif" Silbermann, comme on l'appelle parfois, avait 4 jeux (Bourdon, Flûte, Doublette, Fourniture 3 rangs) et a été construit en 1718. [IHOA] [Barth]
Le petit instrument partit pour à Sts-Philippe-et-Jacques de Grendelbruch le 16/07/1760, où il disparut en 1837. [IHOA] [Barth]
Historique
En 1760, Jean-André Silbermann livra un nouvel orgue, toujours assez petit (à peine plus qu'un positif mais en 8'), de 11 jeux, sur un seul manuel (et sans pédale). [IHOA] [ITOA] [HOIE] [Barth] [PMSSTIEHR]
En 1786, Michel Stiehr démonta l'orgue et le remonta dans la nouvelle église de Rosheim. [PMSSTIEHR75]
En 1860, Joseph Stiehr déménagea l'instrument à St-Laurent de Hessenheim. (Où on peut encore le voir.) [IHOA] [HOIE] [Barth] [PMSSTIEHR]
Historique
En 1860, la maison Stiehr-Mockers plaça ici un de ses plus grands instruments, puisqu'il était doté de 42 jeux sur 3 manuels et pédale. Le devis est daté du 16/06/1857, et le procès-verbal de réception du 02/08/1860. [IHOA] [ITOA] [Barth] [PMSSTIEHR]
Douze ans après Bischoffsheim, et huit après Barr, la maison Stiehr construisait donc un troisième orgue de grande envergure. Le deuxième par la taille, juste après celui de Barr. Le positif était placé au-dessus du grand-orgue (à l'emplacement de la façade supérieure actuelle), comme à Bischoffsheim. Le clavier d'écho était expressif.
En 1898, c'est Franz Xaver Kriess qui fut appelé pour faire des réparations. [PMSSTIEHR] [Barth]
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités le 18/04/1917. Il y en avait pour plus de 314 kg d'étain. [HOIE]
Historique
En 1925, Joseph Rinckenbach construisit pour Rosheim son opus 171, qu'il logea dans le buffet Stiehr de 1860. [IHOA] [Barth]
Marie-Joseph Erb et Joseph Kuntz
Le projet de remplacement de l'instrument de 1860 a dû voir le jour tout de suite après-guerre, car le 28/05/1924, le conseil municipal eut à faire le choix final entre deux devis. On peut en conclure que l'orgue ne donnait pas satisfaction, et on se doute que la console en fenêtre et la dureté de la traction étaient les principaux arguments pour opter pour un orgue neuf.
L'un des devis avait été rédigé par Franz Xaver Kriess, de Molsheim (88035 Francs), et l'autre par Joseph Rinckenbach, d'Ammerschwihr. Ce dernier était plus cher de 19% (104536 Francs). Kriess était clairement le "régional" de l'affaire (il n'y a que 7km de Rosheim à Molsheim). Or l'expert qui assistait Rosheim n'était autre que Marie-Joseph Erb (Strasbourg, St-Jean), qui, on le sait, appréciait particulièrement la facture de Rinckenbach. Et Joseph Kuntz, instituteur, jeune organiste et chef de choeur à Rosheim, était élève de Marie-Joseph Erb. Ensemble, ils avaient expertisé l'orgue Rinckenbach d'Altkirch en octobre 1924. On comprend donc comment Erb parvint à convaincre le conseil d'opter pour un orgue plus cher, et venant de bien plus loin.
Et quel orgue ! Rinckenbach n'était pas doué comme homme d'affaires, mais un vrai passionné d'orgues. A chaque fois, on sent qu'il veut construire l'instrument de ses rêves, même si l'affaire devait se solder par des pertes. (Ce fut le cas à Scherwiller.) Son projet pour Rosheim - que l'on peut rapprocher de celui qu'il mena en 1908 avec son père à St-Hippolyte - n'eut à souffrir d'aucune concession : deux plans sonores expressifs, grand-orgue sur 16' ouvert (5 fonds de 8'), positif expressif - comme il se doit - en 16' bouché (4 fonds de 8' et un ondulant) et doté de toutes les Flûtes du 16' au 1', récit expressif doté du traditionnel Quintaton 16' avec 4 fonds de 8' et le second ondulant, plus les anches de 16', 8', 4' et le Basson/Hautbois, quatre 16' à la pédale, dont une anche. Le tout avec des accouplements à l'octave, dont les aiguës réelles (sommier du récit étendu d'une octave).
Un orgue néo-classique alsacien
Sur une base symphonique parfaitement adaptée à l'essentiel du répertoire romantique français, Joseph Rinckenbach a ajouté les idées mûries depuis les années 1910. Elles ont été plus tard qualifiées de "néo-classiques", mais sont vraiment l'expression d'un style propre : leur "signature" sur les compositions est la présence d'une Doublette et d'un Cornet au grand-orgue, ainsi que de l'Octavin et du Plein-jeu au récit. Il y a donc, contrairement aux canons de l'orgue romantique, deux pleins-jeux. Mais ici Rinckenbach voulut aller plus loin dans cet esprit : la Clarinette (au positif, comme il se doit) est devenue un Cromorne. C'est nouveau : il y avait encore une Clarinette à Altkirch en 1924.
Comment Rinckenbach a-t-il pu proposer un pareil orgue de cathédrale à un prix (tout juste) abordable ? En reprenant des tuyaux de l'orgue Stiehr. Ceux-ci ont évidemment été totalement reconfigurés (systèmes d'accord, bouches, biseaux). Il serait très exagéré d'affirmer qu'il y a des "jeux Stiehr" dans cet instrument : les tuyaux de 1860 ont simplement servi de base aux ateliers d'Ammerschwihr pour construire des jeux post-romantiques sans qu'il n'en résulte une facture top élevée due aux matériaux. Par exemple, les jeux d'anches de 1926 (pied, anche, pointe) ont été munis de résonateurs repris sur des jeux de 1860.
Etiquettes
A l'intérieur de l'orgue, il y a deux étiquettes de transport pré-imprimées : l'une complétée à la machine à écrire, identifiant l'expéditeur et le destinataire : "Envoi de J. Rinckenbach, Manufacture de grandes orgues AMMERSCHWIHR (HAUT-RHIN) Monsieur le MAIRE de la ville de ROSHEIM (Bas-Rhin)" et l'autre, complétée à la main, est l'étiquette pour la Régie Départementale des Chemins de fer de la Vallée de Kaysersberg.
Cette ligne de train à voie étroite, ouverte en janvier 1885, a probablement contribué à l'essor de la maison Rinckenbach.
Inauguration
L'opus 171 de la maison Rinckenbach a été inauguré le 18/04/1926 par Paul Munck (Haguenau, St-Georges), Marie-Joseph Erb (Strasbourg, St-Jean), Joseph Ringeissen (Strasbourg, St-Maurice), Victor Dusch (Erstein) et bien sûr Joseph Kuntz (Rosheim). Josef Scharwatt, Recteur de Rosheim, fit paraître une plaquette intitulée "Rosheim, bénédiction solennelle de l'orgue de l'église St-Etienne, 18. IV. 1926". Marie-Joseph Erb était conquis : "L'instrument de St-Etienne de Rosheim, tel qu'il sort des mains du grand artiste, son facteur, proclame derechef la haute valeur de la facture Rinckenbach" [Barth]
Le "Nouvel Alsacien" rend ainsi compte de l'événement : "Das vierstimmige 'Assumpta est' vom bekannten Orgel- und Musikkünstler, Herrn Jos. Kuntz-Rosheim selbst komponiert, begleitete auf der Orgel Herr Prof. Erb, nicht Herr Kuntz, der die Direktion der Chöre übernommen hatte. Herr Jos. Kuntz brachte jedoch anschliessend mit seiner gewohnten Kunstferigkeit zwei Orgelstücke zu Gehör, worunter das genannte 'Magnificat' von Erb.".
"Bien que composée par le célèbre organiste et musicien Joseph Kuntz de Rosheim, son « Assumpta est » à quatre voix a été accompagnée à l'orgue par le professeur Erb, et non par M. Kuntz, qui assura la direction des chœurs. Mais par la suite, Mr. Kuntz a tenu les claviers, pour interpréter avec son talent habituel deux pièces pour orgue, dont le fameux « Magnificat » d'Erb." [NouvelAlsacien]
La pièce « Assumpta est », pour choeur d'hommes (TTBB), composée en 1925-1926 a par la suite été publiée en 1938.
Puis, toujours dans le même article : "Ergänzend sei hinzugefügt, dass das neue Rosheimer Kunstwerk heute nicht nur der Stadt Rosheim zum Ruhme gereicht es zu besitzen, sondern, da dies vollendete Kunstwerk wenig ebenbürtige in unsern elsässischen Kirchen aufzuweisen hat, zugleich unseren elsässichen Orgelbau all Ehre einlegt. Das Prachtwerk der Orgelfirma Rinckenbach wird um so mehr zur Geltung kommen, da es einem [der] ersten Orgelkünstler des Elsass, Herrn Organisten Joseph Kunst, anvertraut ist, der befähigt ist, aus der grossen Rosheimer Kunstorgel alle darin enthaltenen Eigenschaft hervorzubringen." [NouvelAlsacien]
"Il faut ajouter que cette nouvelle œuvre d'art, en plus d'enrichir le patrimoine de la ville de Rosheim, honore aussi la facture d'orgues alsacienne par son caractère exceptionnellement abouti. Cette splendide œuvre d'art construite par la maison Rinckenbach pour Rosheim sera d'autant mieux mise en valeur qu'elle sera confiée à un organiste de premier plan, en la personne de Joseph Kuntz, qui saura en exploiter toutes les spécificités artistiques." L'auteur de l'article fait un jeu de mots entre "Kunst" : "art", et "Kuntz".
Cet article de 1926 confirme qu'une inauguration d'orgue laissait une bonne place au chant choral. Peut-être parce que les musiciens d'église constituaient une seule grande famille, non cloisonnée entre le vocal et l'instrumental. Plusieurs choses sont marquantes, à commencer par le rôle de l'organiste, décrit exactement à l'opposé de ce qui se passe souvent depuis les années 1960 : l'orgue n'est pas conçu pour mettre en valeur l'organiste ; c'est l'organiste qui est au service de l'orgue. Ensuite, il y a clairement le sentiment d'appartenance à une unité culturelle régionale : on œuvre pour le rayonnement de la commune, certes, mais aussi, pour celui de la facture d'orgues alsacienne. Quel contraste avec le modèle actuel, où, finalement, il n'y a plus rien entre l'échelon très local et un monde "globalisé". Il y a aussi une fierté assumée ; elle est sûrement un peu surprenante pour le lecteur d'aujourd'hui, habitué à entendre les auteurs "relativiser" les qualités de leur propre culture pour ne pas risquer d'être accusés de la préférer à celle des autres. Cela a conduit à interpréter les bonnes critiques comme une exagération : les compliments de l'époque étaient souvent qualifiés de "dithyrambiques". Cependant, il faut sûrement y voir surtout de l'enthousiasme de la part des commentateurs.
Il faut noter que le 25/10/1931, les trois mêmes organistes (Erb, J. Ringeissen et J. Kuntz) ont inauguré l'orgue de Mutzig. Cette collaboration avait donc duré. Le 17/10/1926, Joseph Kuntz participa aussi (avec d'autres) à l'inauguration de l'orgue de Haguenau, St-Georges. Et, en 1928, à celle de Cernay.
La musique malgré la guerre
Treize ans plus tard, un autre article du Nouvel Alsacien, daté le 14/12/1939, nous apprend que Joseph Kuntz (vétéran de la première guerre mondiale) est revenu à Rosheim au début de la (seconde) guerre, pour donner un concert dont le programme était le suivant :
- 1 Sonate pour orgue de Marie-Joseph Erb
- 2 Kyrie de Rheinberger (choeur féminin)
- 3 Panis angelicus de C. Frank (Soprano solo)
- 4 "Mélodie pour Hautbois et orgues", J. Bordier
- 5 Intermezzo de la 1ère symphonie de Widor
- 6 De profundis de Rehm (choeur mixte)
- 7 Andante pour violon et orgue de J.S. Bach ; Allegro de Haendel
- 8 Chœurs mixtes de la Passion, de Mendelssohn
- 9 Carillon de Westminster de Vierne
- 10 Gloria de Rheinberger (choeur féminin)
- 11 Tollite hostias de Saint-Saëns (choeur mixte)
- 12 Agnus Dei de la messe 'Dona nobis pacem' de Marie-Joseph Erb
Le buffet
Il s'agit du buffet qui avait abrité l'orgue Stiehr de 1860.
Pour éviter toute confusion à propos du mot "positif" : il s'agit de la façade supérieure du buffet (derrière laquelle il n'y a rien actuellement), et qui avait été déplacée à fleur de tribune en 1953 pour constituer un positif de dos postiche. Il existe d'ailleurs une photo datant du début des années 60, montrant le buffet dans cette configuration. Du coup, on y voit la boîte expressive du récit. En couronnement central, il y avait une grande statue. Ces éléments de façade et leurs tuyaux ont repris leur place en hauteur en 1965. Mais rien de la partie instrumentale n'a été bougé ; le positif expressif de l'orgue Rinckenbach, situé au fond derrière le grand-orgue, a toujours été à cette place. Vu son volume, il serait absolument impossible de le faire tenir entre la façade et le récit.
Caractéristiques instrumentales
C | f | c'' | gis''' |
2'2/3 | 4' | 5'1/3 | 8' |
2' | 2'2/3 | 4' | 5'1/3 |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 | 4' |
1' | 1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
2/3' | 1' | 1'1/3 | 2' |
Console indépendante frontale, dos à la nef, fermée par un rideau coulissant. Tirage des jeux par dominos à porcelaines de couleur, placés en 2 blocs de 3 lignes, de part et d'autre des claviers. Les porcelaines sont à fond blanc pour le grand-orgue, bleu clair pour la pédale, rose pour le positif, et vert pour le récit.
Claviers blancs, à frontons biseautés.
La configuration des accouplements "à l'unisson" est visualisée au-dessus des graves du clavier du récit, par de petites fenêtres rondes derrière lesquelles monte un indicateur blanc quand l'accouplement est engagé. Les petites fenêtres rondes sont repérées par des porcelaines rondes blanches : "III-II", "III-I", "II-I", "III-P.", "II-P.", "I-P.", "G.O." (I/I).
Ce dispositif rappelle celui - élargi aux jeux - que l'on trouve sur un autre orgue exceptionnel d'Alsace, celui de St-Hippolyte (malheureusement lui aussi aujourd'hui muet et également à l'abandon).
Commande des accouplements par pédales à accrocher. De gauche à droite : "P.O.a." (P/P 4'), "III-I O.a." (III/I 4'), "III-I O.g." (III/I 16'), "I O.g." (I/I 16'), "III-II." (III/II), "III-I." (III/I), "II-I." (II/I), "III-P." (III/P), "II-P." (II/P), "I-P." (I/P), "I/I" (G.O.). Suivent les pédales à bascule de l'expression du positif "Expression II", du récit "Expression III", et du crescendo ("Crescendo"). Puis viennent, tout à droite, la pédale cuiller à accrocher de l'accouplement général "A.G.", et les deux pédales cuillers à accrocher commandant le trémolo du positif "Tremolo II", et du récit "Tremolo III".
Commande des combinaisons par 7 pistons blancs, placés sous le premier clavier. La position du crescendo est indiquée par un cadran / fenêtre linéaire, placé au centre au-dessus du troisième clavier, et muni d'un curseur blanc. Le cadran est accompagné de deux petites porcelaines rondes : en bas à gauche "PP." et à droite "Tutti".
Banc d'origine, donc les flancs figurent une lyre stylisée.
Plaque d'adresse située en haut au centre, en lettres dorées :
Electro-pneumatique. Traction des jeux pneumatique.
Les sommiers sont à membranes, de Rinckenbach.
Ceux du grand-orgue, diatoniques, sont au nombre de quatre. Ils sont derrière la façade, environ 40cm en contrebas. Il y en a deux sur les côtés pour les "grands jeux" (8' et plus, sauf Bourdon 8'), basses contre les flancs. Et deux au centre, pour les "petits jeux", en "M" (basses aux extrémités).
Le positif est logé derrière le grand-orgue, environ 80cm plus bas ; il y a deux grands sommiers diatoniques en "M". Les jalousies de la boîte du positif donnent à l'avant sur le grand-orgue.
Il y a quatre sommiers pour le récit, placés en hauteur, parallèles au grand-orgue, et également diatoniques en "M" : deux à l'avant pour les "petits jeux", et deux contre le fond, de l'autre côté d'une passerelle le long de laquelle on trouve les jeux d'anches. Comme souvent chez Joseph Rinckenbach, la boîte expressive est constituée de deux niveaux de jalousies, avec un décrochement.
A la pédale, il y a quatre sommiers diatoniques, orthogonaux à la façade, longeant les flancs, aigus vers l'avant. La Bombarde, le Bourdon 8', la Contrebasse, et la Flûte 16' occupent deux sommiers côté intérieur de l'orgue, et le Violoncelle 8', la Flûte 4', la Flûte 8' et la Soubasse sont sur les sommiers le long des flancs du buffet.
Une partie des tuyaux est issue de l'orgue Stiehr précédent. Cette tuyauterie de 1860 a été entièrement retravaillée : décalage pour élargir des tailles et pratiquer les entailles/encoches, dents affirmées et nombreuses sur les biseaux, installation de freins harmoniques, tampons des Bourdons en bois refaits. Même si leur métal ou leur bois a été façonné par la maison Stiehr, on ne peut décemment pas attribuer ces jeux à Stiehr : ce sont des jeux de Joseph Rinckenbach, harmonisés avec son exceptionnel talent. Ce n'est pas ici qu'il faut venir pour "voir du Stiehr" (il y en a ailleurs à profusion... y-compris à l'église romane de Rosheim). D'autres jeux sont entièrement issus des ateliers d'Ammerschwihr : Flûte 8' du grand-orgue, Flûte 4', Quintaton, Nasard, Unda maris, Cromorne et Voix humaine du positif, presque tout le récit, Flûte 8', Bourdon 8' et Contrebasse de pédale : tout ceci est de 1925.
Le tout est totalement cohérent et intègre. L'orgue de 1925 est totalement authentique. Il ne manque que le rang grave du Plein-Jeu du récit, qui a été déposé.
Deux autres sommiers diatoniques portent les "grands jeux" du grand-orgue. Ils sont latéraux (placés de chaque côté des deux précédents).
L'orgue Rinckenbach de Rosheim incarne une certaine vision de ce que l'on a - plus tard - appelé le "néo-classique". En fait, il s'agit d'un style à part entière, spécifiquement alsacien, et auquel appartient aussi une bonne partie de l'œuvre d'Edmond-Alexandre Roethinger (après 1918) et Georges Schwenkedel. Cela dépasse de loin l'intégration de quelques jeux "anciens" (Cromorne, Mutations, deux Plein-jeux) à un instrument symphonique : ici, tout est pensé pour offrir un orgue cohérent, nouveau, différent, doté de nombreuses capacités, et surtout "inspirant" pour les créateurs.
Reste que cet orgue (qui sonnait encore somptueusement en 2018) est aujourd'hui à l'abandon. Or, c'est un des plus beaux d'Alsace, et de loin. Cela constitue pour le patrimoine alsacien un effroyable gâchis, et c'est à la fois absurde et prévisible : le monde de l'orgue issu du 20ème siècle, crispé sur ses vieux préjugés, n'a eu de cesse de vouloir discréditer ces orgues. Tout cela pour construire des dizaines de simili-Silbermann, compatibles-Callinets ou pseudo-Stiehr. (Il n'y a finalement pas grande différence, sauf pour les spécialistes : ce sont des instruments neufs, mécaniques, standards, pour lesquels l'imitation a remplacé l'innovation.) Cette vision rétrograde de l'orgue reste bien ancrée, tout comme les absurdes préjugés qui y sont associés ("le pneumatique ne vaut rien", "le zinc ne vaut rien", "la pédale d'expression est un effet mièvre et facile", etc...)
Aujourd'hui, le monde de l'orgue est - qu'on le veuille ou non - à l'aube d'un fondamental aggiornamento. Parce qu'il en va de sa survie. Parce qu'il néglige son public, rend les choses inutilement compliquées, et le pousse ainsi à une délétère auto-censure ("Oh, moi, vous savez, l'orgue, je n'y comprends rien"). Au lieu d'écouter les aspirations locales, l'expert impose ses "solutions évidentes". Du coup, on ne compte plus les projets de "restaurations", applaudis et encensés par les experts et la presse, mais qui, après quelques semaines, font long-feu. De fait, ils n'apportent pas aux collectivités la valeur promise. Le public ne suit plus, tout comme nombre de ses élus, qui sentent bien que "quelque chose ne va pas" : concerts sans audience, organistes découragés, clergé démissionnaire sur le sujet, célébrations accompagnées à la batterie ou à l'accordéon... Tout ceci est la conséquence inévitable de l'uniformisation et de la standardisation des orgues, depuis maintenant 40 ans, centrées sur ce que sont capables de produire les "techniques héritées du 18ème". Il est temps qu'à l'image des années 1920-1930, le public se ré-approprie le sujet, pour remettre l'orgue à sa place : pas celle d'un jouet pour "experts", mais celle d'un instrument de musique collectif, destiné à l'accompagnement - au sens large, à l'enseignement et surtout à la création.
Il y a à Rosheim, magnifiquement bien conservé et absolument authentique, une pièce maîtresse de notre patrimoine, capable de contribuer à l'avenir de l'orgue européen. Non, ce n'est pas "un Stiehr". Cela n'a même rien à voir avec "un Stiehr". A Rosheim, il y a un orgue Joseph Rinckenbach, alsacien, somptueux, rare, indispensable. Muet.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Richard Muller.
Photos du 22/08/2020 et du 21/08/2021, et données techniques.
Dans cet ouvrage, paru en 1973, les faits sont clairement énoncés : "Réparé en 1898 par Kriess, l'orgue fut *remplacé* dans le beau buffet de Stiehr par Joseph Rinckenbach".
Mais dans celui-ci, paru en 1983, p.266, l'orgue est arbitrairement attribué à Stiehr : la source de bien des confusions ultérieures !
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