La construction du magnifique édifice néo-gothique qu'est l'actuelle église Notre-Dame de l'Ascension a commencé en mars 1874. L'orgue, lui, est daté de 1896 : c'est l'œuvre de Martin Rinckenbach, et il s'agit de l'un des instruments les mieux conservés du talentueux facteur d'Ammerschwihr.
Historique
Le premier orgue de Phalsbourg a été construit (dans l'ancienne église de 1741) par Nicolas Dupont, de Nancy, en 1746. Il s'agissait probablement du premier orgue neuf de ce facteur. [PMSCS78Phalsb] [PMSCS63] [ArchSilb] [IOLMO]
Historique
Un peu avant 1790, Sébastien Krämer remplaça l'orgue Dupont par un instrument neuf. [PMSCS78Phalsb] [IOLMO]
On ne sait pas grand chose de cet orgue, mais, vu ce qui a été rapporté sur la production de Krämer à Bischoffsheim, on ne s'étonnera pas du fait qu'il ait été déclaré "délabré" en 1844. La commune chercha à nouveau à acquérir un instrument neuf, pour lequel il y eut trois offres : une d'un facteur qui n'était pas jugé "digne de notre ville" (!), une autre de Pierre Rivinach d'Insming, et une troisième de Stiehr. [PMSCS78Phalsb]
En 1846, l'orgue Krämer, repris par la maison Stiehr, a été déménagé à l'église protestante (Altdorf) d'Alteckendorf. [PMSCS78Phalsb] [IOLMO]
Comme il y avait deux édifices à doter d'un orgue, l'instrument fut séparé en deux lots. Le positif à l'église protestante d'Eckendorf et le grand-orgue, le dessus d'écho et la pédale à l'église protestante (Altdorf). De façon peu surprenante, aucune des deux moitiés ne fit long feu. [PMSCS78Phalsb] [IOLMO]
Historique
C'est la maison Stiehr, de Seltz, qui posa un orgue neuf, en 1844. [PMSCS78Phalsb] [IOLMO]
Vu son prix, l'instrument devait être doté d'une trentaine de jeux. Il devait - du point de vue de la partie instrumentale - ressembler à celui de Wingen (II/P 28 jeux de 1845).
Il fut totalement détruit, par faits de guerre, le 14/08/1870. L'église actuelle date de 1876. [PMSCS78Phalsb] [IOLMO]
Historique
L'opus 49 de Martin Rinckenbach, destiné à la nouvelle église de Phalsbourg, a été achevé en 1896. [PMSCS78Phalsb] [LR1907]
Rinckenbach avait été en concurrence avec Charles Wetzel (lequel avait fourni deux devis, datés 01/04/1886 et du 31/08/1887), et la maison Dalstein-Haerpfer, qui proposait un instrument un peu plus grand (27 jeux au lieu de 25). [PMSCS78Phalsb] [IOLMO]
L'orgue Rinckenbach de Phalsbourg est pratiquement contemporain de celui de Selestat, St-Georges (III/P 43j), mais aussi ceux d'Eichhoffen ou Fouchy. On peut aussi imaginer que l'orgue de Phalsbourg a partagé les ateliers d'Ammerschwihr avec celui de St-Amarin, très voisin en taille, bien qu'un peu plus petit (II/P 23j).
Cette composition à 25 jeux (II/P25j, 12+8+5) s'écarte de celle de Koetzingue (1885) qui servait un peu de "modèle" jusque là. La comparaison avec un instrument contemporain un peu plus petit permet de déterminer l' "architecture" de la composition : les jeux prioritaires, puis dans quel ordre on enrichit l'instrument quand plus de ressources sont disponibles. Par rapport aux 19 jeux (9+6+4) d'Eichhoffen, on note :
- que tous les jeux présents à Eichhoffen le sont également ici. (La Flûte 8' de pédale est devenue un Principal, mais cela relève plutôt du détail.)
- Un des ajouts les plus significatifs est grand Cornet à 5 rangs, posté, commençant au deuxième sol.
C'est un trait très "Alsacien". En tout cas, il n'est pas très "romantique français", même si Joseph Merklin aimait à en doter ses instruments alsaciens.
- Une Doublette 2'.
On constate que ce jeu n'est pas absent des instruments symphoniques : c'est simplement qu'il est moins prioritaire que les fonds de 8' et 4'. La Doublette ne participe à cette esthétique que lorsque les fondamentales sont correctement établies. Ce qui est totalement étranger à l'esthétique symphonique, c'est de trouver une Doublette alors qu'il n'y a qu'un ou deux 8' : elle n'a donc pas sa place dans les petites compositions.
- Une Flûte "majeure" 8' (ouverte, souvent toute en bois, mais pas ici) au grand-orgue. Il s'agissait de choisir un "cinquième 8'" (de fonds au grand-orgue) pour compléter le "carré d'or romantique" (un Principal, un Bourdon, une Flûte, une Gambe), et on aurait plutôt attendu un Salicional. C'est parce que le "Dolcé" présente des couleurs très proches d'un Salicional, et donc assez éloigné d'une Flûte.
- Un récit fondé sur 16'. (Dans un total respect les canons de l'orgue symphonique, c'est un Quintaton 16'.)
- Un Geigenprincipal (Principal-violon, ou Principal gambé) au récit, qui reste par ailleurs très flûté, bien que les deux jeux "ajoutés" par rapport à la version à 4 jeux soient gambés, et donc riches en harmoniques.
- Et un Violoncelle 16' de pédale, dont la Flûte 8' devient principalisante.
La Flauto amabile, ouverte, en 4' et pour partie coupée au ton, est encore au grand-orgue ; elle deviendra plus tard un jeu de récit. (Par exemple à Fouchy (1896), mais y était déjà à Niffer en 1894, dans un "mini-récit".)
C'est donc toujours sur un "noyau de jeux communs" que Rinckenbach définit ses compositions, même si ce noyau évolue lentement. Si l'origine romantique française de l'esthétique ne fait aucun doute, on observe toutefois que la Trompette manuelle est au grand-orgue, et que les Gambes sont spécifiques. Il n'y a pas d'anche de 8' à la pédale, car, quand on en a besoin, la tirasse I/P est déjà là, et la Trompette du grand-orgue en tient le rôle. Pourtant, il y en avait encore une à Koetzingue ou Hoenheim (1885 également).
On trouvera sur la page consacrée aux compositions des orgues Martin Rinckenbach de 1874 à 1898 plus de détails sur ces évolutions.
Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. [IOLMO]
C'est probablement Frédéric Haerpfer qui remplaça la façade en 1924. [IOLMO]
Conservé dans son état d'origine, l'instrument a été classé Monument Historique le 09/08/1985, et son buffet inscrit à l'inventaire supplémentaire le 03/12/1987.
L'orgue Rinckenbach bénéficia d'un relevage par Yves Koenig en 1994. De nouveaux tuyaux de façade en étain ont été posés. [IOLMO]
Le modèle pour ces tuyaux a été pris sur l'orgue de St-Amarin (l'un des seuls, avec celui de Mitzach, à avoir conservé sa façade d'origine, et qui, de plus, est pratiquement contemporain de l'orgue de Phalsbourg). Comme il s'agissait du seul élément qui ne soit pas d'origine, l'instrument peut être considéré comme entièrement authentique. [IOLMO]
Le buffet
L'instrument est logé sur une (magnifique) tribune placée en fond de nef, de style néo-gothique, devant un arc séparant la nef du clocher. Cet arc est juste occupé dans la partie supérieure par un rideau, et l'orgue le traverse dans sa partie inférieure, la cloison arrière du buffet se trouvant dans le clocher (tout comme le poste du souffleur).
Le buffet est de style néo-gothique, avec la façade en chêne verni. Il est constitué d'un groupe central de 3 plates-faces surmontées de chevrons, la plus grande au centre, et de deux tourelles latérales prismatiques (base en demi-hexagone), plus élevées grâce à leur couronnement. C'est une version réduite en largeur de celui de Selestat, par suppression des éléments latéraux. L'élément central large et plat a déjà été vu à Koetzingue (1885) ou Rothau (1886). On retrouve l'essentiel du langage ornemental néo-gothique : tri-lobes, quadri-lobes, frises, crochets, nombreux pinacles à fleurons. Les culots des tourelles sont constitués de petites jupes.
Caractéristiques instrumentales
C | c | c' |
2' | 2'2/3 | 4' |
1'1/3 | 2' | 2'2/3 |
- | 1'1/3 | 2' |
- | - | 1'1/3 |
Console indépendante face à la nef, fermée par un couvercle basculant. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux tournés et porcelaines, disposés en trois gradins de part et d'autre des claviers. Les jeux du grand-orgue sont repérés par des caractères noirs, ceux du récit sont en rouge, et en bleu pour la pédale. Comme souvent chez Martin Rinckenbach, on trouve le grand-orgue en bas, la pédale en haut à gauche (à l'exception de la Bombarde, en haut à droite), et le récit en haut à droite. Claviers blanc ; récit à frontons légèrement biseautés.
Commande des tirasses et de l'accouplement par pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé piqué, et repérées par des porcelaines fixées en relief sur des sortes de champignons. Du côté gauche : "Pedal Koppel II." (II/P), "Pedal Koppel I." (I/P). Du côté droit : "Manual Koppel" (II/I). Commande de l'expression du récit par pédale basculante, placée au centre (au-dessus du 'd' du pédalier). Il n'y a pas de porcelaine de repérage. Elle a l'air d'origine, et la mécanique semble conçue pour un déplacement "continu" (stable dans toutes les positions). De plus, il n'y a aucune trace d'une échancrure pour une pédale d'expression "ouvert/fermé". C'est sûrement l'une des premières expressions "à bascule" de Martin Rinckenbach.
Plaque d'adresse du type "Ammerschwihr ondulant" (entre les deux lignes), caractères incrustés en laiton. Il y avait un point à la fois après "Ammerschweier" et "Ober Elsass" (bien que l'incrustation du second ait disparu).
Mécanique à équerres. Pas de Machine Barker.
Les sommiers sont à gravures, en chêne, d'origine. Il y a deux sommiers diatoniques pour le grand-orgue, derrière la façade. Le récit est placé orthogonalement, derrière le grand-orgue, tampons de laye à gauche, et aigus en avant ; il est flanqué des deux sommiers diatoniques de pédale, qui ont également les aigus à l'avant.
Deux réservoirs à plis parallèles. Le premier est à l'arrière dans la partie du soubassement qui dépasse dans le clocher (avec les pompes et le poste du souffleur) ; il est situé sous les sommiers de pédale et celui du récit. Il y a un autre grand réservoir sous le grand-orgue, dans la partie avant du soubassement.
Ordre des chapes de la pédale, du centre (accès) vers les flancs : Posaune 16', Violoncelle 8', Principal 8', Soubasse 16', Violoncelle 16'.
Les qualités musicales et l'authenticité de cet orgue en font assurément l'un des plus beaux exemples du talent de Martin Rinckenbach. Dans les trois dernières décennies du 19ème siècle, la facture d'orgues alsacienne s'ouvrit enfin aux riches et diverses influences européennes issues de l'âge romantique. Echappant enfin au conformisme dans lequel elle s'était enfermée depuis au moins 1840, elle atteint des sommets, tant sur le plan technique que musical. Brusquement, en Alsace, c'en est fini de "l'orgue pour instituteur", construit un peu "a minima" (pédale de 18 notes ou moins) surtout pour rivaliser avec la localité voisine... Ces instruments nouveaux sont conçus pour être confiés à des organistes bien formés, pour donner aux autres la motivation pour le devenir, et pour accompagner des chorales qui sont devenues actrices incontournables de la vie musicale. Ils ont été commandités par des communautés très cultivées musicalement (c'était parfois, comme ici, déjà le 4ème orgue du lieu) et désireuses de compléter leur expérience.
Ce style d'orgues, souvent qualifié de "symphonique", résulte d'en engagement et d'un investissement exceptionnel : il exploite avec virtuosité les multiples techniques mûries au cours du 19ème siècle, pour produire des orgues dotés d'un caractère unique. Pour preuve, l'utilisation dans un même instrument de nombreuses méthodes d'accord et d'harmonisation : entailles de timbre et encoches soigneusement étudiées, bagues, calottes mobiles, dents sur les biseaux, freins harmoniques de différentes sortes, mais aussi tuyaux coupés au ton, etc... Dans cette subtile alchimie, chaque constituant a reçu une attention particulière et a été travaillé suivant la méthode jugée la plus satisfaisante, et ce jusqu'au moindre détail. De plus, on semble enfin avoir décidé que ce n'est pas l'organiste qui doit être au service de son instrument, mais l'orgue au service de ses musiciens.
A la qualité de réalisation déjà évidente dans tout le milieu du 19ème siècle, ces années ont ajouté l'ergonomie, et surtout une dose d'audace et d'ouverture culturelle. Cela permit de créer des instruments capables d'exploiter le nouveau et foisonnant répertoire, mais aussi d'inspirer les improvisateurs en leur assurant d'une dynamique jusque là inconnue, et de nombreuses ressources pour enthousiasmer son auditoire.
Sources et bibliographie :
Remerciements à Jean-Pierre Bernard.
Photos du 27/04/2019.
"Pfalzburg i. L. 24"
Il y a aussi une photo parmi les planches du cahier
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