> Accueil du site
Les orgues de la région de Bouxwiller
Neuwiller-lès-Saverne, Sts-Pierre-et-Paul
1917 degr > Dégâts
Partie instrumentale classée Monument Historique, 21/02/1973.
Buffet classé Monument Historique, 06/12/1972.
Neuwiller, l'orgue Koulen dans son buffet du 18 ème.
Les photos sont de Martin Foisset, 05/06/2021.Neuwiller, l'orgue Koulen dans son buffet du 18 ème.
Les photos sont de Martin Foisset, 05/06/2021.

Les orgues de Neuwiller ont fait l'objet d'une documentation très abondante. Il n'est donc pas question, ici, de répéter les mêmes histoires, les mêmes commentaires, qui finissent invariablement par des soupirs et des "Ah si..." regrettant un hypothétique chef d'œuvre perdu du 18ème siècle. Il n'est surtout pas question d'attribuer l'orgue actuel à Nicolas Dupont. Ce serait un non-sens avec les critères actuels. Car, même s'il contient des tuyaux dont le bois ou le métal ont appartenu à l'instrument du 18ème, ils font partie d'un orgue résolument inscrit dans la tradition de la fin du 19ème. Un orgue dont on n'a jusqu'ici ni su ni voulu évaluer l'intérêt. Il est donc temps de procéder à une interprétation plus objective de l'histoire de cet instrument.

D'abord, et avant tout, il y a l'édifice. Exceptionnel, c'est le produit d'une longue et subtile alliance de styles. Il y a des éléments romans, gothiques, renaissance et classiques. Le mobilier s'illustre par la présence de statues et du fameux Saint-Sépulcre du 15ème. Le buffet de l'orgue, sa tribune et tout l'habillage du portail constituent un ensemble remarquable. C'est probablement probablement l'œuvre du sculpteur Jean-Etienne Malade.

---
L'orgue de facteur inconnu (1769)
---

Historique

La présence d'un premier orgue est attestée à Neuwiller en 1769 par le projet de son remplacement par Jean-André Silbermann. L'instrument était sûrement placé dans le transept, à l'endroit portant la trace d'une porte d'accès. [IHOA]

---
L'orgue Nicolas Dupont,
1778
---

Historique

En 1778, le facteur lorrain Nicolas Dupont fournit un orgue neuf. [IHOA] [HOIE] [ITOA]

Passions et préjugés

Dans son ouvrage intitulé "Historische Orgeln im Elsass", Pie Meyer-Siat consacre une page à Neuwiller. Sa savoureuse introduction est la suivante : "Das ist wohl die elsässische Orgel, die am meisten Geld gekostet und am meisten Schreibereien verursacht hat ; sie ist deshalb nicht besser gewesen und geworden." ("C'est sûrement l'orgue d'Alsace qui a coûté le plus cher et qui a fait coulé le plus d'encre ; il n'en est pas meilleur pour autant.") [HOIE]

Evidemment, un instrument du 18ème aussi grand ne pouvait que déclencher les passions et fantasmes de l'organologie "baroque" de la fin du 20ème siècle. On répéta, émerveillé, qu'il s'agissait d'un "quaaatre claviers !". En passant sous silence que deux d'entre eux étaient de simples dessus de Cornets, et que la pédale (de 12 notes) était limitée à une Flûte 4' et quelques emprunts ! On postula qu'il s'agissait d'un "chef d'œuvre", sans bien sûr l'avoir entendu, puisqu'il a de fait été remplacé en 1888, et que même les tuyaux conservés ont été complètement ré-harmonisés. En fait, dans un total aveuglement, on se permit de balayer du revers de la main la reconstruction de 1888 - forcément mauvaise puisqu'issue de la "période allemande". Et on continua comme si elle n'avait jamais existé. Or, ce n'est pas parce qu'on ferme très fort les yeux qu'une réalité disparaît.

Au sujet de Neuwiller, les historiens se sont beaucoup intéressés aux rapports entre Dupont, le chapitre, et... Jean-André Silbermann. D'abord parce que Silbermann servait de source "primaire" (il avait noté son interprétation des faits dans ses archives), mais aussi parce qu'en Alsace, quand on parlait d'orgue, il fallait toujours tout ramener à Silbermann. Sinon, on avait aucune chance d'être lu. Une question obsédait le monde de l'orgue alsacien : mais, pourquoi n'ont-ils donc pas choisi Silbermann, à Neuwiller ? Pourquoi ce Dupont ? [PMSCS63]

Toujours dans le même article, Meyer-Siat explique avec une évidente d'ironie : "6 Jahre laborierte Meister Dupont an dieser Orgel ; so lang hat Silbermann nie gebraucht." ("Maître Dupont a trimé à cet orgue pendant 6 ans ; plus qu'il n'en a jamais fallu à Silbermann".) [HOIE]

En Alsace, on ne badine pas avec la suprématie Silbermanienne ! Voici le pauvre Dupont dépeint comme un besogneux, un lent à la tâche, un opiniâtre, qui s'échina péniblement à décanter un orgue que son génial concurrent aurait expédié avec brio en quelques mois...

L'histoire de cet instrument (remplacé parce que mauvais) a donc été fortement bruitée par les passions et l'excitation des organologues de la vieille école face à un supposé "rarissime ensemble monumental du 18 ème". Toujours dans le même article, Meyer-Siat met le doigt sur le problème : "Man wollte eine französische Orgel ; man bekam sie (siehe Pedal !)." ("On a voulu un orgue français, on l'a eu. Voyez la pédale...") [HOIE]

C'est révélateur de la pensée alsacienne : tout ce qui est allemand est fondamentalement mauvais. Mais ce qui est français est pire.

L'histoire contemporaine de l'orgue de Neuwiller est un peu analogue à celle du Dubois de Wissembourg à la fin du 20 ème : on nous promet que, quand il sera restauré, ce sera le retour de l'Age d'Or. Sauf qu'à Wissembourg, l'orgue du 18ème, certes abandonné, était toujours là. Et aujourd'hui, justement, on dispose de l'expérience liée à la "résurrection" du Dubois de Wissembourg. Un orgue du 18 ème n'est pas adapté partout, et, si certains ont été abandonnés ou remplacés, c'est peut être parce qu'ils ne donnaient pas satisfaction. Certes, on sait que des erreurs on pu être commises, mais il n'est pas sage de prendre tous nos prédécesseurs pour des incompétents sans goût.

Tout reprendre au début

Les clichés, les querelles de chapelle et la mauvaise foi s'étant infiltrés de partout, il faut tout sortir au soleil et reprendre au début. En commençant par répondre à la vraie question que tout le monde se pose : ici, "Dupont" s'écrit avec un "T".

Ceci étant fait, que sait-on réellement de l'orgue "Dupont de Neuwiller" ? Pas grand chose, en regard des efforts considérables qui ont été déployés ! Et l'essentiel de ce qu'on en sait a été déduit, non constaté. Cela commença par une analyse méticuleuse des sources les plus ténues, mais surtout par celle des fameuses étiquettes conservées dans l'ancienne console en fenêtre. On dispose donc la composition, même si les experts se querellent encore pour savoir si elle est de Dupont ou de Clicquot...

Un orgue parisien

Une chose est sûre : il s'agissait d'un orgue classique français. Pur sucre. Parisien, même. Et une autre l'est tout autant : ce n'était pas un orgue paroissial. L'église était une collégiale avant la Révolution. Il s'agissait donc, de fait, d'un orgue "d'élite", commandé par une élite à destination d'une élite. (Sans que cela ne soit en rien un jugement de valeur. Il en résulte juste que le "cahier des charges" était radicalement différent de celui qu'aurait produit une paroisse.)

Voici cette fameuse composition. Bien entendu, il convient de la trouver "formidable" en société. Mais il faut bien reconnaître, entre nous, qu'à moins d'être un fan exclusif de l'orgue parisien du 18 ème qui a fait vœu de ne jouer que ça, il y a vraiment de quoi être refroidi :

Bref, une machine qu'on n'imagine que dans les pièces de combat d'André Raison...

Une construction laborieuse

Au sujet de la genèse de cet orgue, les témoignages sont formels : elle fut laborieuse. Elle commença en 1772. En mai 1777, seul le positif était en place, et encore sa mécanique était trop dure. Les chanoines "désespéraient". En octobre, un témoignage de Frédéric Grosch déplore que l'outillage de Dupont est insuffisant, qu'il travaille sans plans et "sans ordre". Dupont se serait fâché avec son neveu (Nicolas Tollay) qui serait parti en le laissant seul avec un jeune apprenti. Les soufflets ne fonctionnaient pas bien, et il n'y avait pas d'anches - un comble pour un orgue "parisien" ! En mai 1877, Joseph Koehl ayant vu la façade de Neuwiller, puis ensuite celle du nouvel orgue (Silbermann) de Bouxwiller, trouva cette dernière de bien meilleure qualité. C'est sûrement le même Koehl qui rapporta que Dupont utilisait du vieux bois de pressoirs et de palissades. [PMSCS63]

Notons que Jean-André Silbermann rapporte à peu de choses près la même histoire (bois de palissades ou récupéré sur des chantiers de démolition) au sujet de Toussaint de Westhoffen.

Le 02/07/1788, Jean-André Silbermann alla visiter l'orgue de Neuwiller, et releva une longue liste de défauts, tant liés à l'esthétique qu'à la conception. La Flûte 8' limitée au dessus, c'est était vraiment le genre de choses qui avaient le don d'irriter Jean-André Silbermann, qui considérait cela comme une aberration, tout comme l'absence de Do# grave, et... les deux Trompettes au grand orgue ! En plus, le métal des tuyaux était trop fin, la Voix humaine mal proportionnée, et le Cromorne trop fort. L'établissement de la liste de défauts fut interrompu par l'arrivée opportune de l'heure du déjeuner. Par la suite, quand le prévôt demanda à Silbermann si, parmi ces défauts, il y en avait un majeur, la réponse fut évasive : Silbermann n'avait aucune envie de faire plus de commentaires, et surtout refusait d'être considéré comme l'auteur d'une expertise : il avait flairé le piège ! [PMSCS63]

Bouxwiller n'est pas loin de Neuwiller, et au fur et à mesure que les comparaisons entre les deux instruments devenaient possibles, l'orgue Dupont était évalué de plus en plus bas. Dom Grégoire, pour sauver le soldat Dupont, incrimina le constructeur du buffet : "L'orgue créé par Dupont à Nancy est impeccable. Seul [l'architecte de l'édifice, Jean Baptiste] Pertois qui a proposé ce buffet, est responsable de tout." En fait, il y aurait eu deux dessins du buffet, l'un de Dupont et l'autre de l'architecte, et c'est ce dernier qui a été choisi. Mais là, Silbermann se lâche : Pertois lui aurait dit que c'est François-Henri Clicquot lui-même qui a préféré son dessin, et ajoute que Clicquot aurait commenté que la composition de Dupont a été conçue à son avantage propre. Il en avait fourni une qui lui semblait meilleure. Bref, la situation était totalement embrouillée ! [PMSCS63]

En conclusion

Que ressort-il de cet amoncellement de confidences rapportées ? On a beaucoup souligné que la plupart des informations viennent de Silbermann, concurrent - évincé - de Dupont. Pas forcément un gage de neutralité. Mais, s'il est possible que Silbermann ait choisi de taire certains faits qui auraient pu être favorables à Dupont, et de consigner avec délectation les autres, il ne faut pas oublier qu'il n'avait aucune raison de mentir : ses archives étaient personnelles, et non destinées à être publiées.

On peut donc croire Silbermann quand il dépeint un Dupont vieillissant, utilisant un outillage déficient, sans méthode, puis souffrant d'un grand manque de motivation. Fatigué par les querelles avec le chapitre, il préférait parfois se promener pendant des jours, son orgue inachevé, comme en atteste le doyen Lantz : cela ne s'invente pas. Bref, il s'agissait d'un projet mal planifié, mal engagé, probablement trop ambitieux, décevant pour toutes les parties et très mal mené. L'orgue de 1778 était fort décevant. En 1885, Wetzel confirma que les tuyaux de Montre étaient de tellement mauvaise qualité qu'ils ne pouvaient même plus être nettoyés... [PMSCS63] [HOIE]

Il y eut une réparation en 1813. [HOIE] [PMSSTIEHR] [ITOA]

En 1843, la maison Stiehr retira les Tierces pour placer un Salicional et une Gambe. On note aussi une réparation en 1866. [HOIE] [ITOA] [PMSSTIEHR]

Le biseau de la Montre 16'

Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'orgue de Dupont n'a pas eu un impact significatif en Alsace. Son neveu Nicolas Tollay ne parvint, bien qu'il fut quelque part son successeur, à poser qu'un seul instrument en Alsace, à Wingersheim. En 1887, on avait complètement oublié qui était l'auteur de l'orgue de Neuwiller. En effet, c'est lors de la dépose des tuyaux de façade (notons bien : pour les refondre), le 25/07, que fut retrouvée une inscription sur un biseau :

Dupont de Nancy
1776
G[o] 16 pedum
Factum per Dominum Dupont
Organarium Nancycnscm
Anno Domini
MDCCLXXVI
F.

C'était d'un Fa (F ; de la Montre 16' du grand-orgue). La façade est en 12'.

---
---

Historique

En 1888, Heinrich Koulen construisit un orgue neuf dans le buffet Pertois/Malade, en utilisant des tuyaux du 18 ème pour créer de nouveaux jeux. [IHOA] [ITOA]

On sait que Charles Wetzel était également en lisse, car il a fourni deux ou trois devis, datés du 27/04/1884 et du 19/08/1885. [PMSCS73]

De son côté, Martin Rinckenbach avait aussi rédigé un devis, le 01/05/1884, consistant à doter l'orgue existant d'une vraie pédale (Soubasse, Flûte 8', Violoncelle 8', Quinte 5'1/3, Bombarde et Trompette).

Mais c'est une opération de plus grande envergure qui fut retenue, et confiée à Koulen :

D'abord, le plus évident : cette composition est... très intéressante, et riche en possibilités. Elle est symphonique, ce qui cadre bien avec l'évolution musicale de l'Alsace à la fin du 19ème. Cette composante romantique, post-romantique même, dans un buffet du 18ème est parfaitement dans l'esprit de la "synthèse de styles" qui illustre l'ensemble de l'édifice. Mais en fait, ce n'est pas une synthèse, c'est un style en soi.

L'histoire officielle prétend que l'orgue Koulen était "rapidement devenu injouable" (après 4 ans de service, en 1892), qu'il y eut un procès à Saverne, et que l'instrument fut réparé en 1895 par Martin Rinckenbach. [IHOA] [ITOA]

Le même scénario nous a été plusieurs fois raconté alors qu'il était inexact : par exemple pour Heiteren (1875) ou Fessenheim (1899). Certes, quand on appelait Rinckenbach pour "faire marcher" un orgue mal fini, il pouvait réaliser de très importants travaux (de quasi-reconstructions) sans en revendiquer l'attribution. Mais ici, vu l'absence de matériel Rinckenbach dans l'orgue actuel, et jusqu'à preuve du contraire, une simple réparation a suffi. Et bien sûr, cela ne cadre pas avec l'image d'une "grosse machine inutilisable" généralement présentée pour discréditer pour l'orgue Koulen.

L'orgue Koulen était-il vraiment 'fragile' ?

Rinckenbach a donc "remis l'orgue en marche" sans travaux d'envergure. Est-il possible que l'instrument nécessitait seulement quelques réglages par un facteur compétent ? Souvenons-nous qu'il y avait une Machine Barker, et que peu de facteurs alsaciens étaient à l'aise avec ce type d'équipement dans les années 1890. Rinckenbach l'était, puisqu'il en construisait (Geispolsheim, Mulhouse). Il y avait aussi une Barker à Wisches (1873), mais celle-ci a été posée par le lorrain Théodore Jacquot. Et, depuis 1866 et 1881, il y avait les Barker de Dambach-la-Ville et Obernai... construites par le parisien Joseph Merklin. La seule maison bas-rhinoise qui pourrait avoir été compétente à l'époque était peut-être celle de Charles et Edgard Wetzel. D'ailleurs, ils construisirent effectivement une Machine Barker, à Strasbourg, St-Louis. Mais seulement en 1896.

Il est donc probable que la soit-disante "fragilité" de l'orgue Koulen, érigée en dogme par l'organologie alsacienne, n'ait été en fait qu'une difficulté de maintenance. Et que sa source ne se trouvait pas dans l'orgue lui-même (qui, en 1888, était finalement plutôt bien inscrit dans son temps) mais dans les graves lacunes de la plupart des facteurs alsaciens des années 1880-1900, confrontés à un vrai problème de compétences. En fait, tous sauf Rinckenbach.

Un intérêt en soi

Pendant longtemps, le monde de l'orgue n'a apporté d'intérêt qu'aux instruments dits "homogènes". Toute transformation apportée à un orgue du 18ème, même si elle était intelligente, était condamnée sans procès ; il était systématique de "vendre" une "restauration à l'identique". C'est à dire : systématiquement effacer les contributions ultérieures pour retrouver la "pureté originelle" de l'instrument (du 18ème). Mais cette "pureté originelle" est souvent un pur fantasme : rien ne prouve la valeur supposée de l'instrument à son origine. Et encore moins qu'il sera adapté à un usage contemporain. Comme argument, on affirme que "une grande partie de la tuyauterie d'origine est encore là", en passant sous silence le fait que le tout à été complètement ré-harmonisé : oui, le métal ou le bois ont servi dans l'orgue "d'origine", mais le rendu sonore actuel n'a plus rien à voir. On nous impose encore aujourd'hui parfois des orgues sans 16' (même à la pédale), sous prétexte que "l'Orgue Français n'en a pas besoin". Mais l'orgue d'aujourd'hui en a besoin.

Le papier à entête de Koulen, à la fin du siècle. (Oppenau.)
Il montre l'orgue de la cathédrale de Strasbourg, dont on raconte qu'il lui coûta sa réputation.
Même si c'est vrai, Koulen n'a pas renié son bel épisode alsacien.Le papier à entête de Koulen, à la fin du siècle. (Oppenau.)
Il montre l'orgue de la cathédrale de Strasbourg, dont on raconte qu'il lui coûta sa réputation.
Même si c'est vrai, Koulen n'a pas renié son bel épisode alsacien.

L'entretien passa en 1905 à Edmond-Alexandre Roethinger. [IHOA]

La maison strasbourgeoise était assurément plus proche de Neuwiller que celle d'Ammerschwihr, et cela semble confirmer que Rinckenbach n'a pas fait de gros travaux en 1895. En 1905, une maison comme Roethinger était tout à fait compétente pour entretenir l'orgue Koulen. D'ailleurs, on ne rapporte plus de problèmes particuliers.

Les tuyaux de façade ont été réquisitionnés par les autorités en 1917. Rappelons qu'il s'agissait de la Montre de Koulen (1888), et non celle de Dupont ; cette dernière avait été re-fondue, car de mauvaise qualité. [IHOA]

En 1926, la maison Edmond-Alexandre Roethinger fournit une façade neuve. [IHOA]

En 1953, Ernest Muhleisen transforma l'instrument. [IHOA]

Ce fut, comme beaucoup de ces modifications "néo-classiques", extrêmement préjudiciable à l'instrument, même si seulement 2 jeux semblent avoir été affectés : au positif, la Clarinette (assurément le jeu le plus logique, intéressant et nécessaire de sa composition) qui a été supprimée pour céder la place à une absurde Cymbale. Et à la pédale, pour placer un Clairon, c'est - évidemment - le jeu le plus emblématique de Koulen qui fut supprimé : le Tuba 32'. On peut lire que les résonateurs ont été conservés, et c'est heureux, car l'autre Tuba 32' de Koulen, qui était à Westhoffen, a été perdu. [ITOA]

Un orgue de 1888 miraculeusement préservé

Les instruments issus de grands projets de transformation (dit de "reconstruction") ont parfois, eux aussi, un intérêt historique. Souvent plus que les "restaurations" qui sont venues les remplacer, et qui ne sont souvent que des orgues neufs "inspirés" de l'original, et dont l'authenticité se limite à la composition. Finalement, cet orgue Koulen, élaboré dans un somptueux buffet du 18ème en conservant une partie de l'existant a bien plus à raconter qu'un hypothétique instrument du 18ème ! Et infiniment plus qu'un futur orgue mécanique neuf, vendu comme une "restauration", ramenant d'absurdes limitations (gageons que des soufflets "cunéiformes" seraient de la partie) sans aucun respect pour l'orgue alsacien - le vrai, celui du 19ème et du début du 20ème. L'instrument "restauré" est sûrement dans les cartons depuis longtemps, et nul doute que, s'il y avait eu de l'argent, il nous aurait déjà été imposé, avec la destruction éhontée de l'héritage Koulen. Heureusement, ce ne fut pas le cas.

Un orgue à découvrir

Si l'instrument précédent a fait couler beaucoup d'encre, celui-ci, par contre, a été soigneusement méprisé par l'organologie alsacienne. Forcément : la messe était dite : il fallait absolument "restaurer" l'orgue Dupont. Aucune contestation n'était possible, car il faut se souvenir que Koulen, facteur emblématique de la période "germanique" de l'Alsace était clairement un "mal aimé". La cible favorite de Pie Meyer-Siat, qui en faisait un des principaux acteurs de la "décadence" germanique de l'orgue alsacien, survenue après 1870, et qui a sévi jusqu'à un salutaire "renouveau" néo-baroque. Dans les années 1960-1980, encore proches du second conflit mondial, cela se "racontait bien". Sauf que Koulen - certes d'origine allemande - était issu de l'école Merklin ! Donc de l'école française... On lui reprochait de concevoir de grandes machines "éphémères", et, en bref, de privilégier l'innovation à la tradition. On l'accusait d'avoir "massacré" plusieurs beaux orgues historiques français...

La perception de l'œuvre de Koulen changea fondamentalement dans les années 2000, suite aux travaux d'Hubert Brayé à Lampertheim : lors de ce relevage exemplaire, on s'aperçut que la facture de Koulen n'avait rien à voir avec la catastrophe décrétée dans les années 60. La réhabilitation de Koulen continua à Buhl en 2015. Aujourd'hui (2020) on peut aller à Andlau découvrir un orgue Koulen remarquable, très bien construit, délicieusement harmonisé, mais dans un état pitoyable : on a tant discrédité Koulen que plus personne ne voulait entretenir ses instruments ! Oui, cette "pensée unique" qui sclérose l'orgue alsacien depuis 40 ans, a fait beaucoup de dégâts.

Il faut donc approcher cet orgue en se débarrassant de cette gangue de préjugés. Déjà, cet orgue n'est pas si "novateur" que ça : des claviers de 54 notes (au fa), une expression du récit "tout ou rien"... en 1888. Il passe assurément pour "révolutionnaire" face à la production des facteurs "historiques" alsaciens, dont certains ont construit des positifs de dos jusqu'en 1878 (et auraient sûrement bien continué...) Mais déjà sept ans plus tôt (1881), Joseph Merklin avait livré à Obernai un "vrai" orgue symphonique. En comparaison de la production du reste de l'Europe ou de celle de Rinckenbach à Ammerschwihr, l'orgue Koulen n'est pas si novateur. En fait, avec sa Machine Barker et ses jeux de combinaisons, c'est tout simplement un orgue "de son temps", parfaitement inscrit dans son contexte musical.

L'orgue Koulen : une oeuvre originale

Mais il y a un autre point intéressant, de nature esthétique : Koulen a gardé les anches françaises. Ce fait fondamental n'a pourtant pas été relevé comme il le méritait par ceux qui accusaient Koulen d'être la cheville ouvrière de la "décadence germanique", manipulé par les méchants experts allemands dans de sombres desseins impérialistes... Lorsque, plus tard, la "Réforme alsacienne de l'orgue" a été théorisée, elle était interprétée comme l'affrontement entre ces instruments post-romantiques de la fin du 19ème avec une vue plus "historisante", volontiers plus française, théorisée par Rupp. Or, en gardant ces anches "françaises", Koulen démontre qu'il en a reconnu l'intérêt, et a réalisé un instrument original, faisant de valeur avec l'acquis, tout en remplaçant ce qui, vraiment, n'allait pas. De ce point de vue - non technique - Koulen était cette fois résolument novateur !

Le buffet

Le pendentif du positif, avec sa tête d'angelot nimbée.Le pendentif du positif, avec sa tête d'angelot nimbée.

Ce buffet est exceptionnel, et compte parmi les plus beaux laissés par le 18ème siècle en Alsace.

Le buffet de l'orgue et la tribune-portail sont généralement attribués à Jean-Etienne Malade (1738 à Mayence - 1818 à Strasbourg). On sait qu'il a travaillé à Neuwiller entre 1772 et 1777, et il est l'auteur de sculptures extérieures, des statues équestres et de plusieurs autres statuettes. Les musiciens de la façade seraient aussi de lui.

De part et d'autre de la porte, il y a les médaillons du Roi David et de Sainte Cécile, ainsi que des trophées d'instruments de musique.

Le grand buffet est très "parisien", à 5 tourelles rondes à entablements, dont la hauteur décroît en allant vers le côtés. L'ensemble est cintré, et les tourelles reposent sur des consoles-culots, les latérales figurant des têtes d'anges. Les plates-faces sont munies de rinceaux, mais pas vraiment de claires-voies. Il y a aussi des mini jouées, seulement dans la partie supérieure. Deux vases ornent les tourelles intermédiaires, et une horloge - jouxtée de deux angelots - couronne la tourelle centrale ; elle est surmontée des armes de Saint-Pierre. La ceinture du buffet est cannelée.

La mitre et les clés de Saint-Pierre.
L'horloge est à l'heure deux fois par jour.
      La mitre et les clés de Saint-Pierre.
L'horloge est à l'heure deux fois par jour.

Le buffet de positif (en bord de tribune) est à trois tourelles, la plus petite au centre, dont le couronnement est un vase. En pendentif, il y a une figure d'angelot et une guirlande finie par deux pommes de pin.

L'ensemble est également orné de guirlandes végétales.

Caractéristiques instrumentales

Composition, 2021
Grand-Orgue, 54 n. (C-f''')
En façade, sauf d''-f''' intérieurs ; entailles de timbre ; aplatissages en ogives
En bois
C-c' en façade, cis'-f''' sur le vent ; entailles de timbre
C-H bois ; calottes mobiles ; oreilles
En bois ; ouverte ; C-H conduits dans B8
C-h' à freins rouleaux en bois, c''-f''' à freins barbe ; entailles de timbre
C-h bouchés, dont C-Fis en bois (postés en hauteur)
Sur le vent ; entailles de timbre, sauf c'''-f''' au ton
Encoches d'accord dans les basses
8' à calottes mobiles ; encoches d'accord dans les basses du 4' et du 2'2/3
Déposé, en partie dans l'escalier menant au clocher ; jeu à anches libres, en bois, certainement acoustique ; pieds communs
C-d en zinc ; cis'''-f''' harmoniques
c''-f''' à bouche, encoches
Positif, 54 n. (C-f''')
C-H en bois, ouverts ; freins rouleaux en bois
C-H en bois ; calottes mobiles ; oreilles
C-H en zinc, à entailles de timbre ; C-ais à freins rouleaux en bois ; oreilles sauf fis''-f''' ; encoches d'accord, sauf c'''-f''' au ton
C-f en bois, ouverts ; fis'-c'' avec encoches d'accord ; cis''-f''' au ton ; oreilles sauf gis'-f'''
1953, chape de la Clarinette
Récit expressif, 54 n. (C-f''')
Freins bavette
C-H conduits dans B8 ; c-h' en bois, ouvert ; c''-f''' harmoniques ; entailles de timbre
C-H en bois ; oreilles
C-fis' à freins rouleaux en bois ; g'-f''' à freins barbes ; entailles de timbre sauf c'''-f''' ; encoches d'accord
(c-f''')
Freins barbes dans les aigus ; a''-d''' avec encoches d'accord ; dis'''-f''' au ton
C-h' en bois, ouvert ; c''-f''' au ton
Encoches d'accord, puis a'-f''' au ton
H.S.
Pédale, 27 n. (C-d')
Freins rouleaux en bois
En bois ; bouchée
En bois ; freins rouleaux en bois
Basses en zinc ; freins rouleaux en bois
1953, chape du 32'
I/P
[ITOA] [Visite] [MFoisset]
Console:
La magnifique console de Koulen.La magnifique console de Koulen.

Console indépendante face à la nef, munie d'un couvercle basculant, placée sur un podium plutôt élevé (60cm) derrière le positif postiche. Tirants de jeux de section ronde à pommeaux munis de porcelaines, disposés en trois gradins de part et d'autre des claviers. Les tirants du grand-orgue sont en bas (au même niveau que son clavier), avec des porcelaines à fond blanc. Les fonds de 16' et 8', ainsi que le Prestant sont à gauche. Ceux du positif et de la pédale sont sur le gradin au-dessus, avec un fond jaune pour les premiers, et bleu pastel pour les seconds. La Quinte 10'2/3 est à gauche, comme le tirant "Sonnette" de l'appel du souffleur. Les tirants du récit, à fond rose, sont sur le gradin supérieur, des deux côtés du troisième clavier, fonds 16' et 8' à gauche. Tout est disposé de façon logique et rationnelle.

Il y a 11 pédales-cuillers à accrocher, en fer forgé piqué, repérées par des porcelaines rondes blanches à lettre gothiques noires, disposées en haut de la console. De gauche à droite : "Coppel von Pedal an Manual I" (I/P), "Coppel von Pedal an Manual II" (II/P), "Coppel von Pedal an Manual III" (III/P), "Coppel von Manual I an Manual II" (II/I), "Coppel von Manual II an Manual III" (III/II, recouverte d'adhésif...), puis à droite de la plaque d'adresse : "Coppel von Manual I an Manual III" (III/I), "Introduction des jeux de combinaison Manual I" (recouverte d'adhésif), "Introduction des jeux de combinaison Manual III", "Introduction des jeux de combinaison Pedal", "Tremblant von Manual III" (recouverte d'adhésif). (Noter les mots "Introduction des jeux de combinaison" et "Tremblant" en Français, alors que le reste figure en Allemand.)
La dernière pédale, à droite commande l'expression du récit ; elle est plus longue que les autres.
Des étiquettes en papier ont été placés au-dessus des 8 premières pédales, mais sont aujourd'hui masquées, probablement suite à une modification (ou un mauvais remontage) du panneau inférieur de la console.

Banc dont l'arrière est rectiligne, conçu pour pouvoir être adossé à une paroi. L'avant est galbé (plus étroit au centre).

Plaque d'adresse ovale, en laiton incrusté sur du bois noir, placée en haut et au centre, et disant :

H. KOULEN
Orgelbaumeister
STRASSBURG.
La plaque Koulen à Neuwiller.La plaque Koulen à Neuwiller.
Transmission:

Mécanique à équerres. Machine Barker.

Sommiers:

A gravures (et à double laye) pour les manuels, à cônes pour la pédale.

Tuyauterie:
Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue.
De gauche à droite : le Clairon, la Trompette,
la chape vide du Basson 16', la Doublette, la Fourniture.
Il y a ensuite (non visible) la Quinte. 
A droite dans la moitié inférieure de l'image : le Cornet.
Puis la Gambe 8', le Bourdon 8', la Flûte 8' (en bois),
le Bourdon 16'  (en bois), le Prestant, la Montre 8' et le Principal 16'.Une vue sur la tuyauterie du grand-orgue.
De gauche à droite : le Clairon, la Trompette,
la chape vide du Basson 16', la Doublette, la Fourniture.
Il y a ensuite (non visible) la Quinte.
A droite dans la moitié inférieure de l'image : le Cornet.
Puis la Gambe 8', le Bourdon 8', la Flûte 8' (en bois),
le Bourdon 16' (en bois), le Prestant, la Montre 8' et le Principal 16'.
Une vue sur la tuyauterie du positif intérieur.
Quel dommage qu'il y ait cette affreuse Cymbale sur la chape de la Clarinette !
De gauche à droite, la Cymbale, la Flûte 4', le Bourdon 8',
le Salicional, et le Geigenprincipal.Une vue sur la tuyauterie du positif intérieur.
Quel dommage qu'il y ait cette affreuse Cymbale sur la chape de la Clarinette !
De gauche à droite, la Cymbale, la Flûte 4', le Bourdon 8',
le Salicional, et le Geigenprincipal.
Une vue sur la tuyauterie du récit.
De bas en haut : la Flûte 8' (tout en bas, ouverte),
le Bourdon 8', le Quintaton 16', la Voix céleste,
la Gambe 8', la Flûte 4', le Flageolet,
le Nasard, le Hautbois et la Voix humaine.Une vue sur la tuyauterie du récit.
De bas en haut : la Flûte 8' (tout en bas, ouverte),
le Bourdon 8', le Quintaton 16', la Voix céleste,
la Gambe 8', la Flûte 4', le Flageolet,
le Nasard, le Hautbois et la Voix humaine.

Que dire de l'orgue de Neuwiller après l'avoir visité ? Que c'est - clairement - un orgue Koulen de 1888, qu'il est en mauvais état, et surtout que c'est un instrument absolument exceptionnel ! Par la qualité de son harmonisation, par ses possibilités musicales (enfin, celles qu'il aurait s'il était en bon état...) et par ses originalités. Koulen a réellement mis en valeur les éléments anciens qu'il a conservés (en particulier les anches françaises) en les intégrant dans une œuvre originale, délicieusement surprenante. Loin d'être de la "récup", ils ont été les ferments de la conception d'un orgue unique.

Car l'orgue symphonique de Neuwiller est unique. Quelle chance qu'il ait été conservé en l'état ! (A part le malheureux épisode de 1953.) Quelle chance que les Savonarole du néo-baroque n'ont pas réussi - depuis les années 1960 - à mettre la main dessus pour le "restaurer" (lire : détruire) et en faire un orgue fast-food comme on en a déjà tant... La facture de cette fin du 19ème siècle, en Alsace, était décidément florissante, somptueuse. Elle reste en grande partie à découvrir, et c'est très enthousiasmant.

En tous cas, il s'agit d'un des orgues les pus passionnants et réussis du Bas-Rhin. Il mériterait vraiment un relevage, et même sa restauration dans l'état de 1888, qui permettrait d'éliminer les errements de 1953.

Références Sources et bibliographie :

Carte Localisation :

© 1999-2022. Tous droits réservés, textes et illustrations, qui restent la propriété des auteurs. Si vous recopiez des éléments ou des photos de cette page (pour des articles, plaquettes, sites internet, etc...) merci de bien vouloir demander l'autorisation et citer vos sources (y-compris cette page!). D'abord par simple honnêteté intellectuelle, mais aussi pour pouvoir pister d'éventuelles erreurs. Les données ici présentées peuvent contenir des erreurs. N'en faire aucune utilisation pouvant porter à conséquence.
Immatriculation de l'orgue actuel : F670322001P03
Pour l'intégrer à des plaquettes ou des affichettes, et donner accès à cette page, vous pouvez imprimer l'image suivante (cliquer pour en obtenir de version grand-format) :
Code-barre pour téléphone
                                portable