Il y a aujourd'hui 1240 orgues (publics) en Alsace. Mais, au cours de l'histoire, ils ont été bien plus nombreux à se succéder sur nos tribunes. Certains édifices en ont connu une dizaine (sans compter les orgues de chœur). Combien y en a-t-il eu en tout ? Quelles ont été les causes de leur élimination ? Et surtout, quels sont les instruments notables qui manquent aujourd'hui à notre patrimoine ?
Ces orgues disparus, combien sont-ils ? C'est assez difficile à déterminer, car, comme souvent, tout est affaire de définitions. Il faut déjà estimer combien ils ont été en tout. Et on ne peut pas simplement ajouter les comptes issus des inventaires : le déménagement d'un orgue d'une église à une autre, par exemple, ne doit pas compter pour 2. Il faut donc se limiter aux instruments neufs ou importés. Et il reste à définir ce qu'est un instrument neuf : les reconstructions en font-elle partie ?
Il y a toujours un peu de subjectif. En simplifiant les critères adoptés (une reconstruction est un orgue neuf), on peut estimer que l'Alsace a abrité entre 2500 et 2600 orgues à tuyaux (publics) différents. La première constatation, qui peut paraître étonnante, est qu'un peu moins de la moitié de tous les orgues alsaciens de l'histoire existent encore aujourd'hui !
Qu'est-ce qui fait disparaître un orgue ? A priori, la destruction (causée par un conflit ou accidentelle), la suppression pure et simple de l'instrument (parce qu'on en a plus l'usage), ou bien son remplacement par un plus récent.
Dans les deux derniers cas, le "vieil orgue" peut trouver un avenir ailleurs, ou bien être éliminé. Le cas du remplacement causé par l'acquisition d'un nouvel orgue est le plus complexe, car la disparition de l'ancien est souvent implicite. Les chiffres sont les suivants :
- Sur 2556 acquisitions d'orgues (neufs ou occasion) :
- 1367 (53%) ont été des "primo accessions". (Il n'y avait pas d'orgue avant, et l'opération n'a donc forcément pas éliminé d'autre instrument.)
- 1189 (47%) ont été des renouvellements. Il y avait déjà un orgue au même endroit. (D'ailleurs, "endroit" ne signifie pas ici "édifice" : un orgue de chœur ne vient généralement pas remplacer un orgue de tribune ; l'acquisition d'un orgue de chœur si on garde l'orgue de tribune n'est pas un renouvellement).
Que faire du vieil orgue ?
Alors, pour les cas où il y avait déjà un "vieil orgue", qu'est-il devenu ? Pour les "reconstructions", il n'y a pas de mystère : il n'existe plus. Pour les autres cas, il a pu être soit vendu et déménagé ailleurs (directement par l'acquéreur, ou via le facteur), soit "recyclé" par le facteur pour les matériaux.
Renouvellements
Voici la distribution limitée aux renouvellements répertoriés :
- 234 des instruments remplacés par l'acquisition ont été revendus et ré-installés ailleurs (et n'ont donc pas disparu ; ou du moins pas tout de suite)
- 123 ont été explicitement déclarés "détruits" par la documentation. Ce nombre est probablement sous-évalué.
- 55 ont été déclarés "disparus" par la documentation ; mais au sens "on ne sait pas ce qu'ils sont devenus"
...ce qui nous laisse quand même 777 disparitions "implicites"... déduites par la logique, mais dont la cause n'a pas été formellement identifiée. Ces cas incluent les fameuses "reconstructions". Et on finit par se demander si ce mot a été bien choisi.
Suppression de l'orgue
Ce cas est assez marginal : il y a dans la région une quarantaine d'édifices ayant abrité un orgue qui ont été démolis, et une soixantaine qui existent encore, mais sans orgue, plus une dizaine qui ont été désacralisés. On connaît le cas des écoles normales, et de certaines chapelles d'hôpitaux. Très rares sont les orgues, dans ce cas, qui ont fini par être hébergés ailleurs. La suppression pure et simple de l'orgue (incluant les cas de destruction de l'édifice) compte finalement pour 100 à 150 disparitions d'orgues au total.
Entre 1100 et 1200 orgues disparus
En conclusion, on compte un peu plus de 120 destructions notables par faits de guerre ou sinistre (déclarés comme tels), une soixantaine dont on a perdu toute trace (et dont on ignore le destin, bien qu'il soit probable qu'ils aient fini dans quelque chaudière), 150 "suppressions" et dans les 800 "recyclages" par les facteurs, incluant probablement beaucoup de destructions de guerre non déclarées comme telles.
Il y a donc entre 1100 et 1200 orgues "disparus" d'Alsace. (Au sens "n'existant plus".)
Les victimes des conflits
Les conflits ont bien sûr réclamé un lourd tribut au patrimoine :
- La guerre de 30 ans. En pratique, tous les orgues qui existaient encore en 1618... Mais ça ne fait finalement pas beaucoup dans l'absolu.
- Les conséquences de la Révolution ont été tour à tour exagérées puis délibérément minimisées par l'organologie de la fin du 20ème siècle. La liste (que l'on retrouvera sur la page "histoire") est assez édifiante. Mais la plupart des déprédations commises à cette époque n'étaient pas des destructions : elles ont surtout été la conséquence de l'effarant trafic, purement vénal, des instruments volés aux congrégations religieuses. Les tartuffes ont appelé ça "Vendre comme Bien National"... Du coup, certains orgues paraissent avoir été simplement "déménagés". En fait, ils ont été considérablement mutilés, altérés, et surtout, leur inadéquation à leur nouvelle mission (de couvent à paroisse) s'est souvent soldée par une totale reconstruction. (Au grand dam de l'organologie "néo-baroque", qui hurlait au désastre et à la catastrophe culturelle à chaque fois qu'un Silbermann ou un Rohrer était adapté pour en faire quelque chose de plus pratique... Mais c'était la seule chose raisonnable à faire.) On a coutume de dire que 53 communes se sont "équipées" d'un orgue au cours de ces années-là... mais encore faut-il voir objectivement les conditions de cet "équipement" : l'instrument avait été purement et simplement volé ailleurs, puis fourni par un receleur. Le fait de savoir si le vol et le recèle étaient légaux à cette époque ne change rien aux faits : ces orgues n'ont pas été construits mais déplacés.
Mais une ou deux dizaines d'orgues alsaciens ont été réellement détruits pendant la Révolution. Le reste de l'impact fut un fort encouragement, au cours du 19ème, à remplacer des instruments totalement inadaptés par des nouveaux.
- Le conflit de 1870 n'a causé que des destructions marginales. Bien sûr, il y a les cas emblématiques du Temple Neuf et de Froeschwiller, mais ils restent une exception.
- Le conflit de 1914-1918 a été autrement plus destructeur. Les clochers des églises étaient des cibles tactiques, et des "points de mire" pour l'artillerie. Et l'orgue juste dessous. Outre ces dégâts directs, il faut compter tous ceux liés aux années d'abandon, dans les localités évacuées, les infiltrations d'eau par les toitures non entretenues, etc... L'estimation du chiffre total est, à nouveau fort difficile, mais là, on compte par centaines les orgues détruits ou mutilés au-delà de toute possibilité de réparation. Dans l'ouest de la Haute-alsace, les dégâts causés lors de ce conflit ont été considérables.
- Pour la seconde Guerre mondiale, le bilan est également lourd, surtout dans certaines zones : la "Poche de Colmar", et les zones balayées par la funeste opération "Nordwind". Il faut y ajouter les destructions les orgues de synagogues. Et également quelques destructions volontaires, qui, si elles n'ont pas un grand impact "statistique", sont quand même des faits marquants. En Alsace, heureusement, cela a été très limité.
Retour sur les 'renouvellements'
Dans ce cas, on ne remplace pas un orgue parce que le précédent a été endommagé, mais parce qu'il ne donne plus satisfaction. On a déjà vu que les dénombrer n'est déjà pas aisé. Mais ne faut pas se leurrer, à part quelques cas spécifiques (facture très mauvaise) : l' "usure" n'a rien à voir là-dedans. Un orgue nécessitant des réparations peut généralement être réparé, indépendamment de sa technologie : il suffit de trouver un facteur compétent. Ce n'est pas un bien d'équipement issu d'une production en chaîne : réparer revient généralement beaucoup moins cher que de faire du neuf. Souvent, on affirme le contraire : "Cela revenait moins cher d'en faire un neuf." Mais la plupart du temps, c'était totalement faux : qui veut noyer son chien l'accuse d'avoir la rage. La plupart des affirmations genre "l'ancien orgue était à bout de souffle" ou "était tellement abîmé qu'une réparation ne pouvait pas être envisagée" sont de simples justifications (comme si cela était nécessaire) d'un changement d'esthétique. La motivation, évidemment, est d'ordre économique (pour les facteurs), ou des "évidences" colportées par des organistes souvent uniquement préoccupés de mettre en valeur leur propre répertoire et leur propre "école".
Il est d'ailleurs curieux de constater ce fréquent refus d'assumer une décision esthétique. On aurait pu entendre : "Nous voulions un orgue néo-classique capable d'accéder à un large répertoire. Nous nous sommes donc débarrassés de l'orgue du début du 19ème, avec son clavier trop petit et son demi-pédalier, doté d'une mécanique épouvantable." Mais non : on lit "des infiltrations d'eau ont rendu le vieil orgue totalement irréparable." Ou encore "Nous voulions un instrument idéal pour la musique baroque française. Nous avons donc envoyé à la décharge l'orgue post-romantique du lieu". Mais non, on entend : "L'instrument précédent était pneumatique et tellement usé que toute restauration était évidemment devenue impossible." Autrement dit, une affirmation péremptoire, non étayée, qui "sonnait bien" à la fin du 20ème siècle chez les gens habitués à changer d'auto tous les 5 ans... parce que la précédente était déjà rouillée...
Il ne s'agit pas de dire que tous les remplacements ont été néfastes. Loin de là : il est justifiable de remplacer un instrument sans intérêt ou inadapté par un bel orgue neuf. Reste à définir ce que signifie "sans intérêt" et "inadapté". Et surtout savoir qui le décide. La majorité de ces remplacements étaient du pur bon sens. Mais c'est le caractère systématique de certains remplacements, qui, comme tout systématisme, a causé des dégâts considérables. Ce fut le cas à la fin du 20ème siècle, quand le monde de l'orgue, emprisonné dans ses dogmes, s'est attaqué sans discernement à tous les orgues pneumatiques, ou tous les instruments issus "de la décadence de la période allemande". Ces "restaurations" totalement arbitraires et autres "re-mécanisations" ont coûté beaucoup plus à notre patrimoine que tous les conflits et sinistres réunis !
Le solde migratoire
On a beau bien les surveiller, certains orgues ont quitté l'Alsace, et participent donc à un "solde migratoire". Les plus marquants sont l'extraordinaire machine de l'institut des aveugles de Still, et le Rinckenbach de Saessolsheim. Ils doivent être compté parmi les "disparus" en Alsace, mais ne sont pas perdus pour tout le monde. Avec des "entrées" notables, comme le Merklin de Selestat, il n'est d'ailleurs pas sûr que le solde migratoire soit négatif !
Notons à ce sujet qu'un fait plutôt récent est vraiment inquiétant : avec la fin de la vague "néo-baroque", il se trouve en Europe de nombreux orgues des années 1970-1990 à acheter pour une bouchée de pain... Plus personne n'en veut. Et la tentation est grande d'en acquérir un au lieu d'entretenir l'instrument existant... Il ne faudrait pas que l'Alsace devienne la "poubelle" de l'Europe post-baroque...
Ces chers disparus
Au-delà des chiffres, c'est finalement un petit nombre d'instruments qui restent dans les esprits. D'abord parce que, on l'a vu, l'immense majorité des orgues "renouvelés" l'ont été par pur bon sens (il n'y avait d'ailleurs dans ces cas aucun besoin de justification). Le "parc" organistique n'est pas un musée. Et puis, il faut bien le dire, beaucoup de destructions ont été un mal pour un bien, tellement l'orgue neuf est réussi !
Les périodes succédant aux conflits de 1870 et de 1918 ont été extrêmement florissantes ! De fait, il y avait beaucoup d'opportunités pour réaliser des idées qui mûrissaient depuis longtemps. La plupart de ces instruments n'ont été réalisés ni à l'économie (d'ailleurs, ils n'étaient pas particulièrement bon marché) ni à la va-vite. Certains plus beaux orgues sont issus des années 1920-1930.
En fait, la disparition d'un orgue devient vraiment regrettable lorsqu'il emporte avec lui une part d'information, qui ne peut être retrouvée.
Ainsi, plusieurs orgues disparus méritent vraiment qu'on s'en souvienne. Soit parce qu'ils avaient une importance notable, soit parce que leur histoire est une vraie source d'enseignements. Ce sont eux le sujet de cette page.
Le grand Roethinger de la Synagogue de Strasbourg
L'orgue "disparu" le plus marquant d'Alsace est sûrement le grand Roethinger de l'ancienne Synagogue (place des Halles) de Strasbourg : III/P 62 jeux, deux claviers expressifs, 16' ouvert, 32' de pédale. C'est aujourd'hui, une "légende" de l'orgue alsacien. En 1940, un incendie volontaire détruisit complètement le magnifique édifice de la place des Halles de Strasbourg. L'orgue avait été démonté peu avant, mais cela n'a pas suffit à le sauver. D'ailleurs, l'eut-il fallu ? Il avait été construit pour cet édifice, voulu par sa communauté, et était donc doté d'une très identité. Sa destruction en fait un Hortus Deliciarum à tuyaux : on peut l'imaginer aussi beau que l'on veut, même si l'on sait, par des témoignages de l'époque, qu'il n'était pas exempté de défauts. Compensés par d'extraordinaires qualités.
C'était l'instrument préféré d'Emile Rupp, qui y jouait régulièrement, et y était visiblement heureux comme un enfant : "On chantait du Naumbourg, du Lewandowski, du Sulzer, le tout accompagné à l'orgue par Emile Rupp. Il jouait tellement fort qu'on se croyait ailleurs. C'était formidable."
Au moins, sa fin prématurée aura évité que cet orgue ne fut dénaturé, "Néo-classicisé" ou "Néo-baroquisé". C'est donc entier qu'il est entré dans la légende ; il ne sera jamais vieux. Peu de gens, aujourd'hui, doivent se souvenir comment cet orgue sonnait. On peut aller à Erstein pour se faire une idée. Mais on peut aussi en perpétuer le souvenir à Marlenheim, Saint-Bernard ou Mittlach, où l'on retrouve l'esprit "Rupp et Roethinger" et son enthousiasmante spécificité.
Le Martin Rinckenbach de Thann
Une autre merveille de l'orgue alsacien se trouvait à Thann : c'était le grand Martin Rinckenbach, de la Collégiale. Construit en 1888, au cœur de l'âge d'or de la facture alsacienne, c'était un jalon marquant dans l'évolution de l'orgue symphonique. Son buffet existe encore, mais le 14/04/1915, un obus, qui avait traversé la nef, atteignit et désintégra littéralement la console. Joseph Rinckenbach, le fils de Martin, parvint à le reconstruire en 1923. Mais en 2001, vu que la transmission n'était pas "comme il faut" (mécanique), il fut décidé de tout refaire... autrement.
Pour imaginer comment sonnait l'orgue de Thann, on doit aller à Mulhouse, St-Joseph.
Le Silbermann du Temple-Neuf à Strasbourg
L'orgue du Temple Neuf était l'un des orgues préférés de Jean-André Silbermann : lorsque Mozart vint à Strasbourg, en octobre 1778, Jean-André lui proposa de jouer en public à deux endroits : à St-Thomas et au Temple Neuf.
Significativement modifié en 1843, cet instrument - qui était de fait plutôt inadapté à son usage dans les années 1860 - était en attente d'une rénovation quand fut totalement détruit au cours de la nuit du 23 au 24/08/1870, lors du siège de Strasbourg, en même temps que la grande bibliothèque. Il faut donc se souvenir que cet instrument ne donnait pas satisfaction, et que s'il n'avait pas été détruit, il aurait probablement été totalement reconstruit, à l'image de ceux de Ste-Aurélie ou de l'église protestante St-Pierre-le-Jeune.
Le Silbermann de Strasbourg St-Jean
Un autre orgue Silbermann marquant a été victime des guerres ; du second conflit mondial, cette fois. L'instrument, construit en 1763 pour Strasbourg, St-Jean était très voisin de celui d'Arlesheim. Dès 1795, il fut racheté par la paroisse protestante d'Illkirch-Graffenstaden, qui avait eu "les yeux plus gros que le ventre", car le "grand 8 pieds" de 3 claviers était beaucoup trop encombrant pour l'édifice. C'est un exemple parfait illustrant des réelles conséquences du trafic révolutionnaire. L'année suivante, il fut déménagé à la Konkordienkirche de Mannheim. La cité fut presque entièrement détruite durant la seconde guerre mondiale : en 1943, au cours d'un raid aérien, la Konkordienkirche brûla entièrement, avec son orgue Silbermann. Notons que si cet instrument était resté à Strasbourg, l'instrument aurait connu le même sort en 1944, quand l'église St-Jean a, elle aussi, disparu sous les bombes.
D'autres orgues Silbermann ont été victimes des conflits : celui de Wissembourg (ancienne église St-Michel) a été détruit pendant la Révolution. Et, à la même époque, on a perdu la trace de celui de Leutenheim. Mais c'est le petit orgue (I/P 10j) que Jean-André Silbermann posa à Kehl (D, commune voisine de Strasbourg, située juste à la frontière) qui est le premier à avoir été réellement détruit "par faits de guerre" : en juin 1796, le général Jean Victor Marie Moreau prit Kehl avec ses troupes Bonapartistes. Parmi les conséquences historiques : le nom de Kehl figure sur l'Arc de triomphe de l'Etoile, et la destruction du village, incluant petit orgue Silbermann. Le mois de janvier suivant, Louis Charles Antoine Desaix reperd la place forte. Cette fois, l'Arc est muet sur le sujet.
C'est en juin 1915 que fut détruit celui de Muhlbach-sur-Munster (originellement destiné à Wasselonne).
La seconde Guerre mondiale vit la destruction d'un second Silbermann à Wissembourg : celui (1720) de l'église luthérienne St-Jean. C'est arrivé le 22/01/1945... soit 3 jours avant la fin de l'opération "Nordwind". Enfin, il ne faut pas oublier celui de Sankt-Blasien (D), 1775, détruit à Karlsruhe, St-Etienne en 1944.
Le Rinckenbach de Strasbourg St-Jean
En août (ou septembre, selon les sources) 1945, l'église St-Jean-Baptiste de Strasbourg fut bombardée et totalement détruite, avec l'orgue qu'elle abritait. L'orgue de Strasbourg, St-Jean, celui de Marie-Joseph Erb, construit en 1902 par Matrin et Joseph Rinckenbach (l'opus 68 de la maison d'Ammerschwihr) était un instrument exceptionnel, aujourd'hui fort peu connu, mais assurément un des instruments-clé de l'Orgue alsacien. Et aussi l'une des pertes les plus lourdes qu'eut à déplorer notre Patrimoine en raison des conflits.
Il ne semble pas y avoir de photo publiée du buffet cet orgue remarquable. Une fois de plus, le contributeur essentiel à la connaissance de cet orgue est Emile Rupp. Celui-ci replace l'instrument dans son contexte : Marie-Joseph Erb, formé à l'école Niedermeyer à Paris, avait proposé sa propre contribution à la Réforme alsacienne de l'orgue, pensée par Rupp, Albert Schweitzer, mais aussi plusieurs autres organistes marquants. Rupp cite ici Edouard Ignace Andlauer. Si l'on associe souvent la Réforme alsacienne de l'orgue à la maison Edmond-Alexandre Roethinger, le cas de St-Jean illustre que ce mouvement connut une diversité bien plus grade. Car Erb avait choisi (sûrement au grand dam des "protectionnistes" strasbourgeois) un facteur de Haute-Alsace pour construire cet orgue : la maison Rinckenbach. C'était le seul Rinckenbach de Strasbourg. C'était même sûrement le seul orgue haut-rhinois de Strasbourg ! L'instrument a été conçu en 1899, et on peut donc y voir "alter ego" de celui Erstein. Certes ce dernier a été construit par un autre facteur et un peu plus de 10 ans plus tard, mais il participe à la même quête artistique et technique. Et, pour retrouver réellement la contribution de l'orgue de St-Jean à l'évolution de l'orgue alsacien, on pourrait aller à St-Hippolyte ; malheureusement, il est quasi-muet.
La composition est vraiment très étonnante : elle est renversée. Le récit et positif sont, à l'Unda-maris près, inversés. Si la plupart des orgues alsaciens ont une structure française (c'est-à-dire hiérarchiquement, GO>Récit>Pos), ici elle est résolument allemande (GO>Pos>Récit).
On ne peut s'empêcher de penser, à la lecture de cette composition, qu'il s'agit *exactement* de l'orgue qui manque à Strasbourg en ce début de 21ème siècle ! (Bien que l'on puisse malheureusement aussi parier que le "organologie établie" continuera à nous livrer une bonne demi-douzaine de pseudo-Silbermanns "incroyablement authentiques" avant de commencer à envisager de passer à autre chose.) Et pourtant, le monde de l'orgue aurait bien besoin de grands projets originaux et motivants, s'il désire vraiment avoir une chance de survivre...
Autres Rinckenbach victimes des guerres
1914-1918
En plus de celi de Thann, d'autres Rinckenbach ont été victime des guerres. Sans aucune recherche d'exhaustivité on peut citer, pour le premier conflit mondial :
- celui de l'abbaye de l'Oelenberg (1904, II/P 19j, opus 79) : la photo des débris se trouve plus haut. Il a été détruit le 06/07/1915, et remplacé - bien plus tard - par le très bel Opus 105 de la maison Schwenkedel.
- Cernay (1893, II/P 30j puis 38j) : le premier orgue Rinckenbach de Cernay, l'opus 39, était doté d'une Machine Barker, mais on n'en sait pas beaucoup plus. Il a été détruit lors du premier conflit mondial. Il ne fut d'ailleurs pas le seul Rinckenbach à disparaître, puisqu'après guerre, l'instrument de l'institut Saint-André avait également disparu. Les environs ont été le théâtre des opérations de la 1ère bataille de Mulhouse, et en particulier de la contre-attaque allemande (9 août 1914).
- Stosswihr-Ampfersbach (1906, II/P 13j) : l'opus 76 avait reçu de façon élogieuse par Henri Wiltberger, qui, décidément, était un "fan" de Martin et Joseph Rinckenbach. L'église et l'orgue ont été totalement détruits en 1915, et c'est Joseph qui y construisit un orgue neuf en 1927.
Le second conflit mondial
Le second conflit mondial a causé la perte de nombreux orgues de la maison d'Ammerschwihr, dont certains qui avaient été construits après la "der des ders" :
L'opus 110 de Matrin et Joseph Rinckenbach avait été construit pour Lutterbach en 1909 (II/P 36j) et logé dans un magnifique buffet de Boehm, en deux volumes. Il a été fortement endommagé en 1944. "Reconstruit", mais de façon considérablement différente, et sans buffet, on peut le considérer comme disparu. Notons qu'il y a des travaux pour redonner à cet instrument (qu'il faut plutôt aujourd'hui attribuer à Schwenkedel) un niveau digne une Basilique.
Neuf-Brisach (1877, II/P 27j) : détruit par faits de guerre le 06/02/1945, opus 4 de Martin Rinckenbach était logé dans le buffet Ketterer qui avait abrité l'orgue Waltrin des Jésuites d'Ensisheim.
Offendorf (1889, II/P 22j) : totalement détruit en Janvier 1945 (comme une grande partie du village), l'opus 22 c'était pratiquement le jumeau du "Wunderwerk" du couvent d'Oberbronn. De fait, nous n'avons plus aujourd'hui ni l'un ni l'autre, et c'est fort regrettable : ce n'est pas une guerre, mais une des plus effroyables "baroquisations" qui nous a privés du second.
Kindwiller (1897, II/P 17j) : l'opus 54 de Martin Rinckenbach fut l'une des victimes de l'opération "Nordwind" le 02/02/1945. (Le clocher lui est littéralement tombé dessus.) A priori, on ignore tout de cet orgue, même sa composition.
Munchhouse (1908, II/P 16j) : opus 112 était doté de 16 jeux (deux manuels), et on en ignore la composition. Dire qu'il était contemporain de celui de Sentheim... Munchhouse a perdu son orgue Rinckenbach le 06/02/1945.
Le fait est peu connu, mais c'est bien un orgue Rinckenbach qui disparut à Marckolsheim, le 10/06/1940. Après le bombardement, l'épouvantable destruction de la localité se poursuivit lors de l'Occupation en raison d'un "projet urbanistique" issu des délires de l'administration nazie. Certains ont voulu voir dans l'orgue disparu une des "œuvres marquantes" du fameux Antoine Herbuté. Vu que ce curieux facteur, aubergiste de formation, était enfant de Marckolsheim, cela faisait une jolie histoire. Mais, plus sérieusement, il ne devait pas rester grand chose qui fonctionnait de l'orgue de 1842. (On peut même se demander, à la lecture de son historique, si cet orgue "Herbuté" a fonctionné un jour, vu que dès 1858, la maison Stiehr proposait le remplacement de soufflerie, de la mécanique et des sommiers pour rendre le tout "jouable".) On connaît très peu de choses de l'opus 149 de la maison d'Ammerschwihr. Précédent celui de Muespach, ce devait être l'avant-dernier orgue Rinckenbach construit avant le conflit mondial. Cette fois, Marckolsheim avait acquis du vrai "travail de pro". Il aurait pu durer ; il survécut à une guerre, mais pas à la seconde.
L'orgue Joseph Rinckenbach de Rossfeld (1926) n'a pas totalement disparu. Evidemment, il a été détruit par un obus en décembre 1944, et l'instrument actuel est un Max en André Roethinger de 1952, délicieusement "hard"-néo-classique et fort éloigné de l'esthétique post-symphonique et du néo-classicisme spécifiquement alsacien des années 20. Mais quelques jeux ont survécu (il y en avait même qui remontaient à Stiehr), et on peut dire qu'ils ont été fort bien mis en valeur. Ce genre d'instrument, construit en 1952 avec goût, est l'exemple idéal quand il s'agit de faire réviser les a-priori qui conduisent certains à utiliser un peu vite et très péjorativement l'attribut "dommages de guerre".
L'orgue de Witternheim, construit en 1926, fut le premier d'envergure (13 jeux), et construit spécifiquement pour son église. Il a été oublié dans les listes d'opus de la maison Rinckenbach, mais pas par les obus.
Les Callinet disparus
Plusieurs orgues Callinet ont été détruits par faits de guerre. Parmi ceux de Joseph, on compte en particulier :
- Reiningue, 1831, détruit le 10/08/1914.
- Morschwiller-le-Bas, 1833, détruit en 1917.
- Rimbach-Zell, 1852. La partie instrumentale a été pillée en 1917, puis remplacée par Schwenkedel en 1928.
- Pfetterhouse, 1853, détruit en 1914-1918.
...mais on peut souligner que 3 d'entre eux ont été remplacés de bien jolie façon. Et l'orgue actuel de Reiningue est assurément un des plus beaux d'Alsace. Pour son frère cadet Claude-Ignace, le bilan semble globalement plus lourd, même si les deux premiers étaient de petits instruments :
- Aubure, (1833, I/P 10 jeux), bombardé en 1944.
- Steinbach, (1836, 10 jeux), détruit en 1914.
- Artzenheim, (1853), détruit en 1945, est sûrement la perte la plus lourde de la liste : avec 34 jeux sur 3 claviers, cela devait être une orgue de premier plan.
- Aspach-le-Bas, (1857) : on ne sait pas grand chose de cet orgue. L'église et presque la totalité du village (situé sur le front) furent détruits pendant la guerre, probablement dès décembre 1914. Son remplaçant est très réussi et vaut le détour.
- Burnhaupt-le-Haut, (1858), incendié le 16/7/1915.
- Balschwiller, (1859), incendié le 22/6/1915.
A Largitzen, c'est un instrument de Louis François Callinet (1884) qui fut détruit pendant la 1ère Guerre mondiale.
Le Verschneider de Sigolsheim
Il est difficile de parler des dégâts causés par les guerres aux orgues alsaciens sans évoquer les événements de Sigolsheim. C'est assurément l'un des villages "martyrs" de la deuxième guerre mondiale, au cours du terrible épisode dit de "la réduction de la poche de Colmar". Bien qu'évacuée par les allemands le 06/12/1944, la localité fut tout de même bombardée jusqu'à Noël, et totalement détruite, avec son église du 12ème siècle. Elle a été reconstruite sur ses fondations, en style roman, mais il ne restait rien à sauver de l'orgue de Jean-Frédéric Verschneider de 1863.
Le Walcker de Rittershoffen
Une autre localité complètement anéantie en 1945 fut Rittershoffen ; le monde de l'orgue y déplore la perte d'un orgue Eberhard Friedrich Walcker. Rittershoffen (857 habitants en 1910) s'était fait construire en 1916 (!) la merveille suivante :
Le patrimoine des années 20-30
Des instruments de l'entre-deux-guerres disparurent aussi au cours du second conflit mondial : celui de Jebsheim, opus 70 de la maison Schwenkedel, était pratiquement neuf, lorsqu'il fut détruit, en 1945.
Les évolutions spécifiques caractérisant la facture d'orgue alsacienne après 1918 sont un fait marquant de l'histoire de la région. Malheureusement, les éléments de ce style ont été complètement abandonnés après 1945, quand l'orgue alsacien est rentré dans le "mainstream" néo-classique. C'est pour cela que les orgues d'Edmond-Alexandre Roethinger, de Martin et Joseph Rinckenbach et de Georges Schwenkedel sont tellement importants, même s'il ont été jusqu'ici complètement méprisés par la plupart des experts. Comme on s'intéresse à une période courte (1918-1939), le nombre d'instruments n'est pas très grand. Or, plusieurs d'entre eux étaient dotés d'originalités parfois uniques. Chaque perte est donc fortement regrettable. Si la guerre a causé beaucoup de pertes, c'est bien la "pensée unique" qui s'est installée dans le monde de l'orgue au cours les années 1960 qui a finalement été la plus nuisible. Outre les orgues purement et simplement éliminés (surtout quand ils "occupaient" un buffet "ancien"), on a assisté à des dizaines d'altérations, souvent profondes, consistant à "néo-baroquiser" la composition. En clair, à couper de beaux jeux romantiques pour en faire des Quintes, des Tierces et des Larigots. Or, tant il est facile de découper (et éventuellement de revendre les métaux récupérés), autant il est coûteux de rétablir ces tuyaux dans leur configuration d'origine. Résultat : rien n'est fait, et ces somptueux instruments, défigurés, ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, et donc à la merci du premier projet d'orgue "neuf-comme-il-faut"... Même sur place, plus personne n'est conscient de leur valeur !
Des deux orgues construits pour Baldenheim par Georges Schwenkedel, il n'y eut pas de survivant. Le premier était son opus 5, daté de 1925, et était doté de 13 jeux. Il fut détruit durant le second conflit mondial. C'est fort regrettable : nous ne disposons plus de beaucoup de témoins de cette époque (1920-1930) capables d'illustrer la démarche originale de ce facteur. Le monde de l'orgue devra cependant tôt où tard réaliser son immense portée, qui dépasse de loin celle de facteurs fort célèbres, mais à la réputation tellement surfaite.
Le second Schwenkedel de Baldenheim (opus 90) eut un destin réellement absurde : construit en 1948, c'était certes un petit orgue de 9 jeux seulement, qui n'était sûrement pas comparable, du point du vue du charme, à celui de 1915... Mais quand même : le petit instrument a été déménagé à Wolfisheim... où il ne fut jamais remonté et disparut entre 1960 et 1980.
Parmi les autres disparitions qui nous privent d'une partie de l'œuvre de Georges Schwenkedel, il faut citer celui d'Elsenheim, son opus 51, de 20 jeux, construit en 1934. Or, force est de constater qu'il y eut une vraie hécatombe parmi ses contemporains : Steinbach (opus 53, 1933) a été endommagé pendant la guerre, puis atrocement "baroquisé" en 1964, au point que l'on puisse douter qu'il puisse être restauré un jour. Celui de Schoenbourg (opus 55, 1934) a été purement et simplement éliminé en 1987. Gageons qu'ils ne s'est trouvé absolument personne, à l'époque, pour seulement les étudier un peu. Leur valeur, sûrement ternie par un mauvais état dû à un manque d'entretien, aurait pourtant sauté aux yeux. Pour s'en convaincre, il suffit d'aller à Luemschwiller (1933) ou Rombach-le-Franc (1935).
Autres conflits
Ce n'est pas une opération militaire, mais toutefois quand même un conflit qui causa la perte de l'orgue de la prison d'Ensisheim : il s'agit d'une mutinerie, qui eut lieu le 16/04/1988. L'instrument, de 10 jeux (I/P) était historiquement très intéressant : il avait été construit en 1899 par Martin et Joseph Rinckenbach, et était resté jusque là totalement authentique (même la façade, qui avait été oubliée lors de la réquisition de 1917). La perte de ce petit instrument est aussi fort regrettable.
Le Wetzel de la synagogue de Mulhouse
C'est le 10 Avril 2010 que le grand orgue Charles Wetzel de la synagogue de Mulhouse disparut dans les flammes. L'instrument datait de 1892, et avait d'abord été le témoin de joutes oratoires épiques, car, on le sait, l'usage de l'orgue dans les synagogues "faisait débat". Il a surtout été le témoin de belles années, et des années noires. Il était toujours là en 1945. Il était toujours là au début de l'année 2010, mais manque à présent dans le paysage de l'orgue alsacien.
Le Callinet de Masevaux
Inutile de revenir ici trop longuement sur l'incendie du 27 juin 1966 qui causa la perte du grand Callinet de Masevaux : l'orgue et le sinistre ont déjà été évoqués et commentés des dizaines de fois, souvent sur le ton de la tragédie antique. Avec de grandes oraisons sur la Voix humaine, dont on se demande toutefois en quoi elle pouvait être différente des autres : si le fait de les loger dans des niches donnait réellement un résultat excpetionnel, un grand nombre de facteurs le ferait...
Malgré tous des efforts des hagiographes, et même si la perte de ce grand instrument a été regrettable, on ne peut s'empêcher de penser que les deux orgues qu'abrite aujourd'hui l'édifice sont quand même plus adaptés à leur mission... Ils ont des qualités intrinsèques qui leur donnent finalement bien plus de valeur que des éléments historiques que l'on trouve encore ailleurs en quantité. Paradoxalement, les deux orgues de Masevaux ont aujourd'hui une histoire et un "parcours" qui les rendent déjà plus "historiques" que de nombreux instruments bien plus anciens.
Gerstheim
L'incendie de l'église de Gerstheim, dans la nuit du 24 au 25 novembre 2011, a causé un grand émoi ; son souvenir est encore très présent dans l'esprit de beaucoup d'amateurs de patrimoine. Si, au début, on se demandait s'il serait seulement possible de reconstruire, force est de constater que ladite reconstruction a dépassé toutes les attentes. L'église actuelle est splendide. L'orgue perdu dans l'incendie n'avait - il faut être honnête - plus grand chose à voir avec un Jean-Frédéric II Verschneider. Il avait été - comme malheureusement de nombreux autres - épouvantablement "baroquisé" en 1965. Un relevage, en 2001, avait "entériné" l'altération de 1965 ; il est clair de l'orgue détruit devrait logiquement être attribué à Alfred Kern, 1965. Le buffet était néo-gothique : on en trouve un cliché très détaillé dans l'inventaire Erfurth.
Après une telle reconstruction de l'édifice, l'orgue neuf se devait d'être à la hauteur. Ce n'était pas gagné, au début, avec les évidentes contraintes venant des assurances et des choix vraiment étranges concernant le buffet, assurément plus adapté à des percussions qu'à un orgue à tuyaux. Mais le résultat est enthousiasmant ! L'instrument de 2014 est exceptionnel, par ses performances musicales et l'innovation de sa structure. La console est en bas, mobile, et l'orgue situé en nid d'hirondelle, dans une position acoustique très favorable. L'organiste entend son instrument comme le fait le public. C'est l'un des rares orgues alsaciens construits au cours des dernières décennies que l'on peut qualifier d'innovant, et qui a échappé la logique "néo-baroque". C'est aussi le dernier de la maison Kern.
Strasbourg, Ste-Madeleine
L'église Ste-Madeleine à Strasbourg a connu deux destructions dramatiques : l'une en 1944, par faits de guerre, causa la perte de l'opus 67 de la maison Roethinger, qui avait avait 47 jeux sur 3 claviers et pédale. C'était à l'époque le plus grand orgue construit par cette entreprise fondée en 1893, donc exactement 20 ans auparavant.
Mais l'incendie du 06/08/1904 a encore plus marqué la mémoire collective des Strasbourgeois. Une photo parue dans l'"Elsässer Journal" du 08/08/1904 montre l'étendue des dégâts après l'incendie de "l'hospice des Orphelins et de l'église Sainte-Madeleine". Le feu avait pris dans la nuit, probablement dans les cuisines de l'orphelinat. Heureusement, les 140 enfants ont pu être évacués. Du grand orgue Koulen construit 10 ans auparavant, bien sûr, il ne restait rien. On perdit aussi dans l'incendie de l'église des vitraux du 15ème et une fresque de Martin Feuerstein.
Bartenheim
L'église de Bartenheim a été détruite lors d'un incendie le 21/07/1934. Son orgue avait été construit en 1909 par Martin et Joseph Rinckenbach. L'organologie de la fin du 20ème siècle, évidemment, passe à côté sans arrêter ("pneumatique, pouah...") mais note quand même que le procès-verbal de réception, du 23/05/1909, établi par Georg Schmid note : "Pneumatische Traktur ist solid und akkurat". A part sa façade, cet orgue de 19 jeux était entièrement authentique quand il périt dans les flammes. Notons que Bartenheim n'a pas tout perdu, car l'orgue actuel vaut aussi le détour. Sa visite permet de démentir - quand c'est nécessaire - certains préjugés sur les orgues de 1949 ("dommages de guerre", "matériaux pauvres", "réalisé à l'économie", "pas la meilleure période", etc...)
Dauendrof
Les incendies ne sont pas les seules catastrophes pouvant ruiner un orgue : les tempêtes ont également causé des dégâts. Ceux-ci sont parfois encore plus difficiles à réparer, car le feu suscite beaucoup d'émoi et une rapide mobilisation, mais l'eau a une action plus sournoise. C'est le cas à Dauendorf : malheureusement, depuis des années, il ne s'est trouvé personne pour réparer cet instrument, qui est pourtant de la même veine que celui d'Ettendorf. Une remise en état serait donc non seulement justifiée, mais contribuerait à remettre en lumière l'exceptionnel patrimoine légué par la Belle époque.
Faire de la place
Mais, on l'a vu, ce sont les remplacements qui sont la cause la plus courante de la disparition d'un orgue. A nouveau, il faut répéter que c'est généralement une bonne chose : la facture n'aurait jamais pu progresser si on l'avait privée de la construction d'orgues neufs. Et bien sûr, l'intégralité de la production "historique" n'était pas constituée de chef d'œuvres. Loin de là. On est peu à peu en train de sortir de la logique "plus c'est vieux, mieux c'est", qui avait même propagé un mythe voulant que les orgues se "bonifieraient" avec l'âge. Les facteurs de l'Ancien régime étaient nimbés d'une aura quasi-magique, et volontiers présentés comme "détenteurs d'un savoir-faire ancestral" (et bien sûr oublié depuis). Mais "l'âge d'or" est le fruit de l'imagination, et un facteur contemporain désireux de se renseigner peut avoir accès à tout le "savoir faire" correspondant. On l'a vérifié à Villingen.
Reste que, rien qu'en feuilletant l'Inventaire des orgues de 1986 (lequel est maintenant devenu un document historique...) on tombe sur de nombreux orgues - disparus - dont on se dit qu'ils devaient être passionnants, et qui "manquent" réellement. Certains étaient même totalement authentiques avant de se faire éliminer. Bien sûr, si c'est pour faire place à un orgue neuf original et de grande qualité, c'est acceptable. Mais, souvent, les orgues décrits par ces pages de l'inventaire ont été remplacés par ces instruments "pensée unique" (certains disent "cuisine internationale") qui n'ont finalement fait que d'appauvrir notre patrimoine.
En parcourant l'inventaire
On ne peut pas tous les citer, et il faut donc se limiter aux cas les plus frappants (et déprimants). En 1986, il y avait par exemple une petite merveille de 1921, entièrement authentique à Bernolsheim. Mais l'instrument "occupait" un buffet "ancien". (Nombreux de ses contemporains sont dotés d'un buffet néo-classique : il n'y avait là rien de choquant esthétiquement.) Il a "fallu" le remplacer par du neuf en 1995, par un néo-baroque (à un seul manuel !) dont on se demande ce qu'il apporte dans le paysage.
Pour ceux qui penseraient que c'est un cas isolé, il faut citer celui de Blienschwiller : exactement le même scénario. La façade n'étant pas sonore, à l'exception d'un hypothétique décalage d'un jeu, l'orgue Rinckenbach (régulièrement entretenu) était absolument authentique en 1992 ! Composition du second manuel du nouvel instrument ? 8' 4' 2'. Là aussi, le seul "crime" de l'orgue de 1911 était d'occuper un buffet du 18ème. Seulement voilà, le "contenu" actuel n'a pas grand-chose à voir avec un orgue du 18ème. Une imitation a peu de chances d'égaler l'original.
En 1986, il y avait un orgue Roethinger, précieux témoin de l'Réforme alsacienne de l'orgue (1912 !), entièrement authentique, à Dingsheim. Seul problème : quelqu'un en avait arraché la console. ("Le pneumatique, ça vaut rein" ?) Composition du second manuel de l'instrument de 1990 ? 8' 4' Cornet. Pour "faire Rohrer". Cela ne s'invente pas.
En 1986, il y avait un Walcker (1899) à Dorlisheim. Aujourd'hui, jusqu'où faut-il aller pour jouer le répertoire auquel il permettait d'accéder ? On veut bien que chaque époque puisse produire du neuf "à la mode" ; mais fallait-il le faire juste là, où se trouvait un orgue de ce qui reste le sommet de la production européenne, toutes époques confondues ?
Il y avait aussi un Walcker (1901) à Kolbsheim, entièrement authentique avec Mixture-tierce, et, probablement ses divines Flûtes. Là, on a voulu "faire du Sauer". Attention, pas le Sauer que tout le monde connaît ; non, le Sauer de Strasbourg, "l'héritier de la grande tradition Silbermann". On frémit rien qu'à l'idée qu'un "successeur" des Callinet eut pu s'appeler "Walcker"... Donc, sûrement pour justifier tout cela, on a voulu faire de Conrad Sauer le "détenteur" d'un savoir-faire quasi magique. Seulement voilà, Conrad Sauer n'était pas Jean-André Silbermann, un néo-baroque n'est pas un orgue du 18ème, et même le "vernis de Stradivarius", c'était de la blague. Jean-André n'était pas un magicien, ni un artiste surdoué. C'était un chef d'entreprise à la hauteur, dans un monde de bricoleurs. Et avant tout, rien qui "fait semblant" ne peut être égaler, artistiquement, l'émotion causée par une œuvre originale. Que de décisions malheureuses... Et pourtant, il suffisait d'aller à Breuschwickersheim (3,1km de là) pour découvrir ce que peut faire un Walcker de cette époque, et donc deviner le trésor que devait être l'orgue de Kolbsheim...
Toujours en parcourant l'inventaire, on tombe sur la page consacrée à l'orgue de l'église protestante rue Principale de Schiltigheim. Curieusement, instrument y est attribué à Ernest Muhleisen (qui l'a déplacé dans l'édifice et en a électrifié la traction en 1955). Mais c'était à l'origine un Edmond-Alexandre Roethinger, de 1901. Quoi de plus normal que de trouver un orgue Roethinger dans cet édifice, vu que ses ateliers étaient à quelques mètres de là ? Il s'agissait de fait d'un orgue neuf de 1901, complété dans le sens de l'esthétique néo-classique. Ce qui est sûr, c'est qu'il racontait une histoire. Malheureusement, en 1901... le buffet de 1800 de l'orgue précédent a été conservé ! Or ce buffet avait été construit par Jean-Conrad Sauer... Il n'en fallut pas plus pour "refaire du Sauer" et éliminer le bel orgue d'un "enfant du pays" pour le remplacer par un néo-baroque bien mécanique, avec Larigot, Cymbale et Cromorne... et console indépendante ! Car l'instrument de 2005 n'est même pas conforme aux dogmes de ce style, qui vendait pourtant partout l'absolue nécessité d'une mécanique suspendue. Or, à Schiltigheim, en 2005, il y avait déjà trois néo-baroques. (Et celui de la maison St-Charles a été "baroquisé" en 1982.)
Cadavres d'orgues
Mais le pire, finalement, c'est peut être ces remplacements qui ne "s'assument pas" et qui laissent sur place une partie de l'orgue historique, généralement le buffet, muet et mutilé.
Il n'y a heureusement en Alsace pas beaucoup de "cadavres d'orgues", i.e. de cas ou seul un buffet a été laissé "pasque ça fait joli" ou pour servir de décor/support à une chose électronique. Le fait est particulièrement calamiteux, car il laisse croire au grand public que la seule chose de valeur dans un orgue, c'est son buffet. Et également que la soupe sortant des haut-parleurs a été commise par un orgue à tuyaux. Ces choses mentent à leur auditoire.
En 1986, l'inventaire avait relevé Hegeney ou Goersdorf. Peut-être que la situation a changé aujourd'hui ?
Orgues abandonnés
Il y a aujourd'hui de nombreux orgues totalement à l'abandon : La Broque (complet), Andlau (complet sauf 1 ou 2 jeux), Betschdorf (complet), Molsheim (complet), Boofzheim (complet), La Montagne-Verte, Bourg-Bruche, Morschwiller-le-Bas (dont la transmission a été traitée en dépit de tout bon sens juste pour le "dé-pneumatiser"). Pourquoi ? La plupart du temps parce qu'on a trouvé "une autre solution" (électronique), en oubliant qu'en matière économique, "combien" on dépense est souvent moins important que "chez qui" on dépense. Mais il ne faut pas se leurrer, c'est surtout parce que les décideurs locaux n'étaient absolument pas conscients de la valeur de leur patrimoine. Sur un site normalement consacré à la protection dudit patrimoine, on peut encore lire aujourd'hui (04/2020), à propos d'un orgue froidement déclaré à remplacer : "Cette période d'après-guerre ne fut pas la meilleure qu'est connue la facture d'orgues en Alsace et l'instrument est aujourd'hui en mauvais état." Outre l'usage un peu incongru du verbe "être" (mais tout le monde, même les pros, peut faire des coquilles), on se demande sur quoi repose cette affirmation péremptoire. Les années 1950, comme les années 1750, 1850 et toutes les décennies, ont produit du bon et du mauvais. Essayer de protéger le patrimoine - quand on se flatte de le faire - en ressassant des vieux préjugés et clichés est voué à l'échec.
A une époque où l'on est capable de mettre des fortunes dans des "reconstructions" de simili-Silbermanns ou simili-Callinet, pourquoi est-il impossible d'en consacrer 10 fois moins à relever un de ces instruments extraordinaires et tellement différents de la production "historisante" standard ? N'est-il pas temps de revoir les priorités ?
Et, bien sûr, il y a quatre "figures" incontournables de l'orgue alsacien, dont l'abandon est un total crève-cœur. On ne peut qu'espérer que la situation évolue avant qu'il ne soit trop tard : les extraordinaires Dalstein-Haerpfer de Mulhouse, St-Paul et de Westhoffen, le Joseph Rinckenbach de Selestat, Ste-Foy, et le Weigle de St-Maurice, Strasbourg.
Cannibalisés
Il y a des cas encore plus paradoxaux (et tristes), où la tuyauterie a été "cannibalisée". Souvent, le reste de l'instrument semble encore en très bon état : buffet, sommiers, console... (il suffirait de changer les membranes). Et pourtant, quelqu'un a bien dû déclarer que l'orgue était "irréparable" ou "trop coûteux à réparer" ou "de mauvaise qualité". Or, ce n'était pas à cause de la tuyauterie, qui, justement, a fait les frais de la convoitise.
En s'informant sur les causes du désastre, on apprend parfois que la tuyauterie "a été ré-utilisée pour réaliser l'orgue de chœur". Mais, quand on examine ledit orgue de chœur, on y trouve que des tuyaux des années 1970... Souvent en étain "riche" mais de facture standard. Il est donc bien plus probable qu'il fallait dire "la tuyauterie a été revendue pour contribuer à l'achat de l'orgue de chœur neuf".
A nouveau, une telle démarche serait peut-être acceptable si le "remplaçant" était un instrument original, ou de valeur. Mais, dans la plupart des exemples considérés, force est de constater que l'on trouve un désolant "néo-baroque" absolument standard et aujourd'hui affreusement "has-been". Ce n'est pas étonnant, car, quand on en est à cannibaliser un orgue pour en construire un autre, on travaille "à l'économie" (sans s'en donner les moyens), et on a forcément pas la passion de l'orgue. Sinon, on ne ferait pas ça à un instrument de musique. Même s'il est évalué bien bas par les musiciens-experts, le "vieil orgue" avait le droit au respect dû à ce qui a servi la collectivité pendant des décennies.
On trouve à Strasbourg un orgue de 1931, avec sa composition délicieusement néo-classique (de façon spécifique), muet, car privé de sa tuyauterie. Sinon, tout y est, y-compris la magique console. La tuyauterie a été offerte à une autre maison de la congrégation qui en était propriétaire, pour y "étoffer" un instrument déjà fort important... L'orgue était authentique avant d'être démantelé.
Et cela continue au 21ème siècle : à une trentaine de kilomètres de Strasbourg, un orgue - certes de 1950, mais qui constituait un héritier de style néo-classique alsacien de l'entre-deux-guerres - a été éliminé en 2018 par un instrument d'occasion néerlandais... de 9 jeux (!). (Le "nordique" soixantehuitard est de retour, et il n'est pas content...) L' "intérêt" de cette chose néo-baroque de 1967 était "évident" : une transmission "mécanique". Les idées reçues sont encore bien accrochées... Et quel fut le destin de l'instrument alsacien, qui avait été évalué bien bas avant l'opération ? A-t-il été laissé sur place pour avoir une chance de retrouver vie, un jour, quand les yeux se seront enfin ouverts sur ce que la première moitié du 20ème siècle nous a laissé ? Non : sa tuyauterie a été revendue (!). Preuve qu'elle n'était donc pas si mauvaise que ça...
De nombreuses disparitions à prévoir
Il est aujourd'hui clair que, avec la disparition de leur mission principale, et, il faut bien le dire, certaines politiques culturelles dont l'athéisme militant n'a plus grand chose à voir avec la laïcité, le nombre d'orgues qui vont disparaître dans les prochaines décennies va aller en s'accroissant. Maintenir la page des orgues disparus sera bientôt l'activité principale de toute personne voulant maintenir un inventaire...
Les conflits, les sinistres, et les changements de mode ont causé la disparition de dizaines d'orgues. Le désintérêt du public en causera des centaines. L'intérêt du public ne peut en effet que s'estomper, si le monde de l'orgue se crispe sur ses dogmes issus du la fin du 20ème siècle : "le pneumatique ne vaut rien", "le zinc ne vaut rien", "les orgues d'après-guerre sont de mauvaise qualité". Ces fadaises conduisent à une désolante uniformisation : mécanique, sommiers à gravure, harmonisations criardes, répertoire limité...
Une grande partie de patrimoine injustement discréditée
Voyez la situation des paroisses disposant d'un instrument post-romantique ou néo-classique en mauvais état : gageons, pour commencer, que l'orgue a été peu entretenu, car méprisé tant par les conseillers que par des facteurs totalement incompétents en matière de transmission pneumatique. L'organiste local, fidèle mais résigné, a accepté d'être l'officiant d'un instrument "de seconde zone". Le facteur à qui on confie le maigre entretien, bien sûr, ne rêve que de placer un délirant devis de "mécanisation". Puis, quand vient l'heure d'une étude préliminaire, voilà qu'on a le choix entre la fameuse "restauration en mécanique" pour une somme à 6 chiffres et un "relevage" pour le dixième du prix d'un rond-point, mais que l'on "tue" immédiatement en affirmant que "le résultat ne sera pas fiable, et ne sera pas à la hauteur, musicalement" ! Evidemment, "laissons tomber" est la meilleure solution. Les "scénarios" présentés aux communes et aux conseils de fabrique après étude d'un orgue en mauvais état doivent être totalement revus. Et l'approche des projets d'orgues ré-imaginés. Un bon nombre de ces orgues "de mauvaise qualité" ou "à bout de souffle" ne demandent qu'à libérer leur potentiel ; et à faire grincer les dents de ceux qui les ont considérés comme des instruments "de seconde zone".
Changer les habitudes
Notre époque se flatte d'être innovante et agile. Mais que fait le monde de l'orgue ? Reconstruire ad nauseam des simili-18ème-siècle ou des simili-pre-romantiques. En appelant ça des "restaurations" alors que souvent, il n'y a que le buffet qui remonte à l'époque censée servir de modèle ! On colle des positif de dos à des instruments dont la structure sonore sort complètement déséquilibrée. Et toujours avec le modèle unique du facteur-qui-fait-tout. Les volontaires, les enthousiastes, les contributeurs sont laissés de côté : on leur demande juste de "parrainer" des tuyaux (!) ou de faire des dons "défiscalisés". En somme : "On a besoin de rien, mais on veut bien vos sous". Vous qui aimez les orgues, dites "non" quand on vous demande de "parrainer" un tuyau. (Notons qu'il n'y a pas de "marainage" : la démarche est résolument "old style"...) Refusez, et expliquez qu'en matière culturelle, votre ambition ne se limite pas à être un payeur muet. Un "parrain" n'est pas un compte en banque ; c'est un guide spirituel. Demandez plutôt comment et par qui l'orgue est utilisé, qui y a accès, qui y aura accès, et comment vous pouvez contribuer au-delà d'un don "sec".
Un espoir crédible : des projets innovants et collaboratifs
Des raisons d'être optimiste pour l'avenir de l'orgue, il y en a. D'abord, les choses évoluent, comme on l' a vu tout récemment à Grentzingen : un orgue de Georges Schwenkedel, de 1931. Il n'avait jamais connu d'entretien majeur, et son état, il y a quelques années, laissaient à penser que plus rien ne pourrait être fait pour lui. Mais il a été relevé, et il est même classé (buffet + partie instrumentale) ! Quel courage et quelle détermination il a fallu... mais quel espoir cette opération approte à l'avenir de l'orgue.
D'autre part, à l'âge de Fab-labs, des approches "ouvertes", du travail collaboratif, nous avons à offrir un domaine pluri-disciplinaire par nature, idéal pour créer des équipes "étendues", mobilisant des volontaires et des bénévoles entourant des professionnels garants de la qualité de ce qui est délivré. Il est grand temps que la facture d'orgue évolue : le facteur doit cesser d'être le "maître", pour devenir un "coach". Les projets participatifs vont coûter moins et créer plus de valeur.
L'avenir de l'orgue est entre les mains du public. C'est la première fois ; ce sera l'unique chance. Il consistera à lancer des projets engageants, dont les participants pourront se dire comme "JFK" "nous nous sommes engagés dans ce projet non pas parce qu'il était facile, mais justement parce qu'il était difficile." Les orgues sont fascinants par leur fonctionnement, leur diversité, leur résultat sonore, mais aussi par l'impact qu'ils ont sur les communautés qui les commanditent.